La classe renversée, comment ça marche ? Une Interview de JC2 à découvrir dans le premier numéro de IDEA News, la lettre d’information sur l’innovation pédagogique de l’équipe de la cellule IDEA (IDEFI, Université de Paris-Est). Dédiée à l’innovation pédagogique et trimestrielle, cette lettre a vocation à informer les enseignants-chercheurs de l’université et à valoriser les expérimentations menées par les établissements. Ce mois-ci, un entretien avec Jean-Charles Cailliez, Université Catholique de Lille, au sujet de sa « classe renversée ».
Merci à l’équipe d’Hélène ZERROUKI, Micheline, Ariadna AYALA RUBIO et Estéban GINER pour sa publication.
IDEA : Quelle est l’essence de la méthode « do it yourself » ?
La classe renversée est une méthode pédagogique en « do it yourself » (c’est-à-dire « faites-le vous-même ! »). Elle a été créée à l’Université Catholique de Lille, il y a deux ans, pour un cours de génétique moléculaire destiné à des étudiants de troisième année de licence de biologie. L’enseignement magistral y est abandonné au profit d’une méthodologie innovante et collaborative dont le but est de sortir les apprenants d’une certaine passivité et de les mettre en situation active d’apprentissage. Le changement de posture est bilatéral. D’une part, les étudiants passent de l’état de consommateurs à celui de constructeurs du savoir. Ils vont bâtir le cours sans qu’aucun document ne leur soit fourni. D’autre part, l’enseignant passe de la production et de la transmission du cours à l’accompagnement des étudiants dans la construction de ce savoir.
IDEA : Quelles sont les consignes que vous donnez aux étudiants en début de semestre.
La démarche de classe renversée est présentée aux étudiants quelques semaines avant le début du module. Comme pour tout processus d’innovation pédagogique, il est nécessaire de leur expliquer le pourquoi de cette méthode qui les invite à apprendre différemment. Ce temps d’échange prend environ deux heures. Ne pas le faire reviendrait à prendre un risque, celui qu’ils en rejettent le principe et ne se motivent pas d’entrée. On leur explique que le cours n’est plus donné de manière académique, mais qu’ils doivent le construire par eux-mêmes et en équipes. Celles-ci fonctionnent de manière autonome pendant la totalité du module. Elles peuvent néanmoins interagir entre-elles au fur et à mesure des exercices et des séances de travail. Les chapitres sont élaborés par les étudiants selon un protocole précis avec un livrable préétabli et calibré. Le travail attendu est à la fois collectif et individuel. Chaque étudiant doit participer avec son groupe à la construction de plusieurs chapitres et assimiler ceux réalisés par les autres. Plus grande est la quantité de travail fournie en séance, moins il y a de travail personnel à faire à la maison pour le compléter et plus il y a de temps consacré à l’apprentissage. Cette pédagogie est pleinement collaborative. Elle nécessite une grande salle avec plusieurs postes de travail amovibles, identiques (tables sur roulettes permettant d’aménager l’espace différemment, chaises et tabourets, postes informatiques fixes, paper-boards et post-its, tableaux mobiles avec feutres à encre délébile, matériel de projection, portables et tablettes des étudiants, tableau interactif, Wi-Fi avec un très bon débit,…) pouvant accueillir chacun un groupe. Elle utilise un ensemble de plateformes et outils informatiques (Google Drive, Facebook, Moodle, Twitter,…) de manière à permettre aux étudiants de publier leurs travaux au fur et à mesure de leur production.
En début de séance, les étudiants s’installent par groupe. Ils prennent possession de leur matériel informatique (ordinateurs et tablettes personnels ou fournis par l’établissement). Le mode d’animation est libre dans chaque groupe, mais il leur sera « suggéré » de partager les rôles et les responsabilités : recueil et tri des informations sur internet, consultation de document sur la bibliothèque numérique en réseau (BNR), organisation du plan du chapitre en respectant les consignes, explications données par les « meilleurs » aux « moins forts » dans la matière (avec intervention de l’enseignant en cas de sollicitation), vérification du respect des livrables (publication de la production sur la plateforme informatique),… Chaque séance commence par un quart d’heure généralement consacré à des questions, quizz ou autres types d’exercices préparés par les étudiants et à destination d’eux-mêmes ou de l’enseignant. Chaque groupe organise ensuite son travail de construction des chapitres comme il l’entend. Les séances peuvent être interrompues pour un travail collectif avec des présentations orales. Il s’agira par exemple de faire un focus sur un point de connaissance fondamentale (exposé bref du professeur, questions-réponses, méthode des « tableaux tournants », cartes mentales,…) ou de répondre à des questions de manière collective, voire en « classe inversée ». En fin de séance, le travail produit par chaque groupe est publié sur la plateforme collaborative, même sous sa forme temporaire. Les étudiants peuvent s’organiser pendant la semaine, ensemble ou individuellement, pour le faire évoluer d’ici la séance suivante. Chaque étudiant peut ainsi lire l’avancé des chapitres et préparer des questions pour la séance suivante.
IDEA : Comment sont constituées les équipes ?
Des équipes de 6 à 7 étudiants sont constituées dès le début du semestre en collaboration avec le responsable pédagogique de la promotion qui les connait bien. Elles sont de niveau égal en termes de prérequis scientifiques pour la matière, d’aptitudes à construire les chapitres et à les transmettre aux autres pour une bonne compréhension de tous. Ce « casting » est un élément déterminant car il est nécessaire de constituer des groupes ayant tous la même hétérogénéité, donc capables à hauteur égale de répondre aux attendus. Il permet aussi d’éviter une trop forte concentration de « bons » ou de « mauvais » élèves, mais aussi de « leaders » ou de « suiveurs ». Ce que l’on observe, c’est que lorsqu’un étudiant prend un certain ascendant dans le groupe, il le fait surtout pour favoriser l’organisation du travail collectif. Comme il n’y a pas de débat idéologique sur le fond du cours, il n’y a pas d’échanges de points de vue ou de débats contradictoires. Chacun s’efforce de travailler pour que le chapitre soit construit et compris. Les étudiants les plus effacés se concentrent dans la recherche de documents ou d’informations. Leur travail enrichit celui du groupe sans qu’ils ne soient forcés de se faire une place en termes de leadership. En fonction des activités (recherche de documents, rédaction des chapitres, explications entre étudiants, présentation devant les autres,…), ce ne sont pas toujours les mêmes qui se montrent les plus actifs. Il n’est donc pas nécessaire de réguler le niveau des personnalités dans chaque équipe.
IDEA : Quelles sont les différentes modalités d’évaluation des étudiants ?
Il est peu concevable de se lancer dans une démarche d’innovation pédagogique sans changer son mode d’évaluation. Ceci-dit, on n’a pas toujours le choix, notamment au niveau des conditions de l’examen final. Celui-ci est souvent imposé par la formation. Il faut alors essayer d’innover lors du contrôle continu dont l’organisation est plus libre. Dans la classe renversée, ce contrôle est consacré presqu’exclusivement au mode d’organisation de chaque groupe, au comportement et à l’implication de ses membres pendant les séances, au respect des livrables (publication des chapitres à la fin de chaque séance, réponses aux questions lors des interrogations de début de cours et réponses aux mails pour les enquêtes de satisfaction). Le contrôle des connaissances y est inclus de manière plus exceptionnelle. L’évaluation des étudiants se fait par des interrogations posées à chaque groupe avec attente de réponse collective, par des questions qui leur sont posées individuellement et par mail entre les séances, par l’évaluation de la qualité des chapitres qu’ils produisent,… Une seule note est donnée par groupe, avec des ajustements sous forme de bonus (participatif) et malus (absence non justifiée, par exemple). Cela permet de moduler l’évaluation d’un étudiant à l’autre. Finalement, trois niveaux de notation sont retenus : interpersonnelles (évaluation de la participation au groupe par les étudiants eux-mêmes), intergroupes (compréhension des chapitres produits par les autres), par l’enseignant (connaissances, comportement et participation, note donnée au chapitre,…). Les modalités d’examen restent inchangées, c’est-à-dire basées sur un contrôle des connaissances individuel et anonyme, sanctionné par une note sur vingt.
IDEA : Comment contournez-vous l’obstacle de la notation à l’examen final ?
Les conditions de l’examen final pour ce module de licence sont imposées sous la forme d’un contrôle de connaissances. Celui-ci doit être réalisé de manière individuelle et sans aucun document. L’idée a donc été de « contourner » cette règle sans revenir sur son principe d’organisation. Il a ainsi été demandé aux étudiants de construire eux-mêmes la totalité de l’examen, c’est-à-dire la rédaction de toutes les questions. Cela peut paraitre insensé, mais ne l’est pas du tout. Les étudiants ont donc préparé 6 questions à 5 points portant sur de les fondamentaux du cours et une cinquantaine de questions à 2 points sur tout le reste du programme. Ces questions et la façon d’y répondre ont été travaillées en cours avec l’enseignant. Cela a été fait en utilisant la méthode de « classe inversée » pour les petites questions et la méthode des « tableaux tournants » pour les autres (rotations des équipes devant un même tableau pour dessiner le brouillon de la réponse à la question). Le jour de l’examen final, les étudiants doivent être capables de répondre seuls et sans documents à 5 ou 6 de ces 60 questions préparées et travaillées de manière collective. Cela va donc les motiver pour arriver à l’examen avec ces acquis assimilés en équipe. Charge à eux de savoir ensuite les expliquer individuellement. La préparation de l’examen sert donc ici à construire le cours et non plus seulement à contrôler le niveau de connaissances des étudiants.
IDEA : Comment les étudiants s’évaluent entre eux ? A quelle fréquence ?
Le contrôle continu est basé sur la perception des compétences de l’étudiant par l’enseignant. Il a donc été intéressant de demander aux étudiants de s’évaluer entre eux pour savoir ce qu’ils pensent de leur investissement en cours. Cela a été fait par un test du « 180 degrés » dans lequel chacun peut évaluer ses collègues dans un même groupe et par rapport à lui-même. On utilise pour cela en une échelle à six niveaux (5 = excellent ; 4 = très bon ; 3 = bon ; 2 = moyen ; 1 = faible ; 0 = sans avis). Les étudiants sont amenés à donner leur avis sur cinq critères d’évaluation qui sont la présence en cours, la recherche d’informations, la participation à la rédaction des chapitres, les explications données aux membres de l’équipe pendant les cours, la communication avec les autres… Le résultat de ce test reste confidentiel et à discrétion de l’enseignant qui peut ainsi repérer si l’un ou l’autre des étudiants ne contribue pas significativement au travail du groupe. Il n’est pas communiqué aux étudiants, mais sert pour majorer le score des étudiants dont l’implication a été la mieux notée par leurs camarades.
IDEA : Quels sont vos premières impressions sur l’efficacité de la méthode ?
Cette expérience de classe renversée n’en est qu’à sa deuxième année d’expérimentation. Nous n’avons pas encore fait d’études pour comparer les résultats des étudiants à l’examen final par rapport à ceux des années précédentes. Ce que l’on observe pour l’instant, c’est qu’elle ne transforme pas radicalement l’acquisition des connaissances, ni la différence entre ceux que l’on peut considérer comme étant les « bons élèves » et les autres. Les étudiants qui ont de grandes capacités à comprendre en pédagogie classique restent les « meilleurs » en pédagogie inversée. Leur seule difficulté est d’accepter d’être évalués sur d’autres critères que celui de leur niveau de connaissances. Concernant les autres, on remarque qu’ils ont plus de facilité à comprendre certains contenus du cours quand on leur explique de manière différente. Ils sont alors capables lors de l’examen final de tenter des explications en réponse à une question posée dont ils n’ont pas mémorisé la réponse. De manière générale, les étudiants qui suivent la classe renversée sont bien conscients du problème que l’examen final reste sous la forme d’un contrôle de connaissances. Mais comme ils sont invités régulièrement à donner leur avis, il leur est possible de proposer des suggestions de modification qui sont presque toutes expérimentées, lors des séances de cours ou pour les évaluations.
IDEA : Quels conseils donneriez-vous aux enseignant(e)s qui souhaiteraient appliquer la méthode ?
Le conseil le plus important est celui de ne pas copier cette méthode au millimètre, mais plutôt de s’en inspirer. Si des enseignants souhaitent mettre en place une classe « renversée », ou tout simplement « inversée », ils doivent le faire à leur façon. Ils doivent accepter aussi de la faire évoluer en fonction des réactions et des propositions de leurs étudiants. Charge à eux de bien leur expliquer pourquoi ils leur proposent cette innovation pédagogique et de quelle manière ils pourront les accompagner différemment dans l’acquisition de leurs connaissances et compétences. Un dernier conseil serait celui de ne pas avoir peur de l’échec et d’être prêts à toutes sortes de remise en question quand le besoin s’en fera sentir, notamment si les étudiants le demandent.
IDEA : Qu’est-ce-que cette expérience pédagogique vous a apporté ?
Elle me permet d’avoir un autre contact avec les étudiants, beaucoup plus interactif, celui que l’on peut avoir quand on fait des travaux pratiques ou des sorties et expérimentations sur le terrain. On peut ainsi découvrir leur potentiel en matière de réflexion, de collaboration et d’implication dans une nouvelle démarche, chose impossible à déceler dans un enseignement académique. On découvre aussi la rigidité du comportement de consommateurs de certains qui viennent uniquement pour apprendre par cœur et espérer ainsi avoir de bonnes notes à l’examen en restituant au plus près possible ce qu’on leur a expliqué en cours. Finalement, c’est une méthode qui permet à l’enseignant de participer pleinement à un travail d’équipe avec ses étudiants, le transformant davantage en manager de projet qu’en expert scientifique.
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