Force est de constater qu’en ce début de XXIème siècle, une majorité d’étudiants souhaite être plus active dans l’acquisition de ses connaissances. Ces étudiants veulent échanger différemment avec leurs enseignants, voire établir avec eux un véritable dialogue. Partant de ce constat, une réflexion a été menée à l’Université Catholique de Lille qui regroupe notamment 5 facultés (droit, médecine et maïeutique, gestion économie et sciences, lettres et sciences humaines, théologie) pour 7000 étudiants. Elle a conduit en 2012 à un programme ambitieux intitulé « Horizon 2020 » qui a incité les enseignants-chercheurs à s’engager dans des expérimentations d’innovation pédagogique. Pour cela, des ateliers de créativité ont été organisés qui ont permis de se demander comment faire évoluer les méthodes d’enseignement ? Ils ont conduit à décider comment construire certains de ces enseignements de manière différente, pour placer notamment le contenu des interventions des enseignants dans une autre perspective que celle traditionnellement envisagée, à savoir conduire les étudiants vers un développement de leurs capacités réflexive et critique. La pédagogie inversée, sous ses différentes formes, est l’une des pistes qui a été choisie au côté d’autres comme l’utilisation de cartes mentales, la construction de serious game, l’usage de WebTV et de Wiki radio, l’enseignement à distance version MOOC ou SPOC et l’apprentissage par problèmes.
Dans ce texte, deux illustrations particulièrement originales de pédagogie inversée sont présentées qui traitent chacune et à des échelles différentes l’innovation pédagogique par le changement de posture. La première est celle de « la classe renversée », méthode en DIY (« do it yourself ») qui est expérimentée depuis 3 ans dans une promotion de licence 3 en sciences de la vie et dont le principe est que les étudiants construisent eux-mêmes le contenu des cours et de l’examen. La seconde est celle de « la licence inversée » qui déploie en faculté de droit sur un cycle complet de L1 et de L2,en attendant la L3, une pédagogie dans laquelle les étudiants et leurs enseignants inversent des semaines complètes en se focalisant sur un seul cours par l’approche OWOC (« one week, one course »). Ces deux expérimentations sont menées en concertation sous le coaching d’un Laboratoire d’Innovation Pédagogique (LIP) et de sa communauté apprenante de « hackers pédagogiques ».
La classe renversée en génétique moléculaire
Principes de la méthode en DIY
La classe renversée est une méthode pédagogique en DIY ou « do it yourself » (« faites-le vous-même ! »), sorte de classe inversée poussé à l’extrême. Elle a été imaginée, il y a trois ans, pour un cours de génétique moléculaire destiné à des étudiants de troisième année de licence de biologie. L’enseignement magistral y est abandonné au profit d’une méthodologie innovante et collaborative dont le but est de sortir les apprenants d’une certaine passivité pour les mettre en situation active d’apprentissage. Le changement de posture est bilatéral. D’une part, les étudiants passent de l’état de consommateurs à celui de constructeurs du savoir. Ils vont bâtir le cours sans qu’aucun document ne leur soit fourni. D’autre part, l’enseignant passe de la production et de la transmission du cours à l’accompagnement de ses étudiants dans la construction de leur savoir.
Fonctionnement de la classe renversée
Comme pour tout processus d’innovation pédagogique, il est nécessaire d’expliquer aux étudiants le pourquoi d’une méthode qui les invite à apprendre autrement. Ce temps d’échange prend environ deux heures quelques jours avant le premier cours. Ne pas le faire revient à prendre le risque qu’ils en rejettent le principe et ne se motivent pas d’entrée. On leur explique que le cours n’est plus donné de manière académique, mais qu’ils doivent le construire par eux-mêmes et en équipes de 6 à 7 étudiants. Celles-ci sont de niveau égal en termes de prérequis scientifiques, d’aptitudes à construire les chapitres et à les transmettre aux autres pour une bonne compréhension de tous. Ce « casting » ainsi organisé est un élément déterminant car il permet d’éviter une trop forte concentration de « bons » ou de « mauvais » élèves, mais aussi de « leaders » ou de « suiveurs ». Les équipes fonctionnent de manière autonome. Elles peuvent interagir entre-elles au fur et à mesure des exercices et des séances de travail. Les chapitres du cours sont élaborés par les étudiants selon un protocole précis avec un livrable préétabli et calibré. Le travail attendu est à la fois collectif et individuel. Chaque étudiant doit participer avec son groupe à la construction de plusieurs chapitres et assimiler ceux réalisés par les autres. Cette pédagogie est pleinement collaborative. Elle nécessite une grande salle avec plusieurs postes de travail amovibles, identiques (tables sur roulettes permettant d’aménager l’espace différemment, chaises et tabourets, postes informatiques fixes, paper-boards et post-its, tableaux mobiles avec feutres à encre délébile, matériel de projection, portables et tablettes des étudiants, tableau interactif, Wi-Fi avec un très bon débit,…) pouvant accueillir chacun un groupe. Elle utilise un ensemble de plateformes et outils informatiques (Google Drive, Facebook, Moodle, Twitter,…), ce qui permet aux étudiants de publier leurs travaux au fur et à mesure de leur production. Le mode d’animation est libre dans chaque groupe, mais il leur est « suggéré » de partager les rôles et les responsabilités : recueil des informations avec discernement sur internet, consultation de document sur la bibliothèque numérique en réseau, explications données par les « meilleurs » aux « moins forts » dans la matière avec intervention de l’enseignant en cas de sollicitation, vérification du respect des livrables (publication de la production sur la plateforme informatique),… Chaque séance commence par un quart d’heure généralement consacré à des questions, quizz ou autres types d’exercices préparés par les étudiants et à destination d’eux-mêmes ou de l’enseignant. Chaque groupe organise son travail de construction des chapitres comme il l’entend. Les séances peuvent être interrompues pour un travail collectif avec des présentations orales. Il s’agira par exemple de faire un focus sur un point de connaissance fondamentale (exposé bref du professeur, questions-réponses, méthode des « tableaux tournants », cartes mentales,…) ou de répondre à des questions de manière collective, voire en « classe inversée ». En fin de séance, le travail produit par chaque groupe est publié sur la plateforme collaborative. Les étudiants peuvent s’organiser pendant la semaine pour le faire évoluer d’ici la séance suivante. Chaque étudiant peut ainsi lire l’avancée des chapitres et préparer des questions pour la séance suivante.
Un contrôle continu sans notes
Il est peu concevable de se lancer dans une démarche d’innovation pédagogique sans changer son mode d’évaluation. Dans la classe renversée, le contrôle continu est consacré en très grande partie au mode d’organisation du groupe, au comportement et à l’implication de ses membres, au respect des livrables (publication des chapitres à la fin de chaque séance, réponses aux questions lors des interrogations de début de cours et réponses aux mails pour les enquêtes de satisfaction). Le contrôle des connaissances y est inclus de manière plus disparate. L’évaluation des étudiants se fait par des interrogations posées à chaque groupe avec attente de réponse collective et par des questions qui leur sont posées individuellement. L’évaluation se fait par une méthode expérimentale qui est celle de l’attribution de points, additionnables sans maximum de manière à obtenir des scores à la place de la sempiternelle note sur 20. Ces scores correspondent à une addition de points que les étudiants obtiennent, soit à titre individuel, soit par le travail en équipe. Ils constituent un véritable capital qui ne demande qu’à être bonifié. La différence principale qu’ils présentent avec la notation sur 20 (considérée comme la notation classique) est qu’ils ne sont soumis à aucun maximum. On ne peut ni les réduire, ni les soustraire. Une fois acquis, un point l’est jusqu’au bout du semestre. C’est une méthode de mesure, bien plus qu’une méthode de notation, qui correspond davantage à ce que l’on peut appeler une évaluation progressive qu’à une évaluation de niveau. Bref, ils ne mesurent pas le niveau du but atteint, mais la progression pour s’en approcher. La quantité de points donnés par le professeur pour faire évoluer le score de chaque étudiant, toujours vers le haut, dépend de la quantité et de la qualité du travail fourni par celui-ci, individuellement ou en équipe. Le niveau du score permet de mesurer les capacités d’un étudiant à répondre aux attentes de l’enseignant. Il permet aussi de récompenser l’exercice de certaines compétences. Chaque semaine, le score de chaque étudiant augmente et ceci de manière progressive. En fin de module, on peut observer une différence importante entre ceux dont les scores sont les plus hauts et ceux dont les scores sont les plus bas. Cela permet d’identifier les étudiants ayant à peu près le même capital de points et leur attribuer ensuite par transformation une note sur 20. Cette méthode retient trois niveaux de notation qui sont interpersonnelles (évaluation de la participation au groupe par les étudiants eux-mêmes), intergroupes (compréhension des chapitres produits par les autres) ou par l’enseignant (connaissances, comportement et participation, note donnée au chapitre,…).
Un examen conçu par les étudiants eux-mêmes
Les conditions de l’examen final pour ce module de licence sont imposées sous la forme d’un contrôle de connaissances. Celui-ci doit être réalisé de manière individuelle et sans document. L’idée a donc été de « contourner » cette règle sans revenir sur son principe d’organisation en demandant aux étudiants de construire eux-mêmes la totalité de l’examen, c’est-à-dire la rédaction de toutes les questions. Ainsi, les questions et la façon d’y répondre sont travaillées en cours avec l’enseignant. Cela est fait en utilisant la méthode de « classe inversée » pour les petites questions et celle des « tableaux tournants » (rotations des équipes devant un même tableau pour dessiner ensemble le brouillon de la réponse attendue) pour les questions fondamentales Le jour de l’épreuve, les étudiants doivent être capables de répondre à certaines de ces questions qui seront choisies au hasard par l’enseignant. Cela a pour mérite de les motiver à se présenter à l’examen avec ces acquis assimilés en équipe. Charge à eux de savoir ensuite les exploiter individuellement. La préparation de l’examen sert donc aussi à construire le cours et non plus seulement à contrôler le niveau de connaissances des étudiants.
Efficacité de la méthode
Cette expérience de classe renversée en est à sa troisième année d’expérimentation. Nous n’avons pas encore fait d’études scientifiques pour comparer les résultats des étudiants à l’examen final par rapport à ceux des années précédentes. Ce que l’on observe pour l’instant, c’est que la méthode ne transforme pas radicalement l’acquisition des connaissances, ni la différence entre ceux que l’on peut considérer comme étant les « bons élèves » et les autres. Les étudiants qui ont de grandes capacités à comprendre en pédagogie classique restent les « meilleurs » en pédagogie inversée. Leur seule difficulté est d’accepter d’être évalués sur d’autres critères que celui de leur niveau de connaissances. Concernant les autres, on remarque qu’ils ont plus de facilité à comprendre certains contenus du cours puisqu’on leur explique de manière différente. Ils sont alors capables lors de l’examen de formuler des explications en réponse à une question posée dont ils n’ont pas mémorisé la réponse. Les étudiants qui suivent la classe renversée sont bien conscients du problème que l’examen reste sous la forme d’un contrôle de connaissances. Mais comme ils sont invités régulièrement à donner leur avis, il leur est possible de proposer des suggestions de modification qui sont presque toutes expérimentées, lors des séances de cours ou pour les évaluations.
Bonjour
Ns sommes professeurs en bts géomètre à Toulouse au sein de l enseignement catholique
Ns voulons profiter de la réforme de ce bts pour proposer une autre forme d apprentissage aux étudiants qui viennent de bac S, Sti, mais aussi de bac pro pour qq uns
1- pensez – vs que la classe renversée soit adaptée à ces niveaux?
2-peut-on imaginer un lien collaboratif avec l ict Toulouse autour de cela car ns sommes seuls sur notre île
En tout cas, cette expérience est intéressante et motivante
Belle journée
Mbc