De la créativité à l'innovation

Innover en pédagogie,… par les rencontres improbables, le codesign et les communautés apprenantes !

Etre créatif pour être innovant en pédagogie, cela est nécessaire, mais pas suffisant, notamment si on espère que ce changement puisse être durable. Il faut créer des rencontres improbables, « contaminer » son entourage et créer une dynamique collective qui participe à la construction d’une communauté d’une communauté de pratiques, d’une communauté apprenante. C’est ce que les universités américaines désignent parfois sous le terme de Faculty Learning Communities (FLCs), c’est à dire des groupes d’enseignants, administratifs et d’étudiants provenant de toutes les disciplines et qui s’engagent dans des collaborations actives tout au long de l’année de manière à se former, expérimenter ensemble en innovation pédagogique, puis à échanger sur leurs pratiques. Les objectifs de ces communautés universitaires d’apprentissage sont d’échanger et de réfléchir sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Il s’agit par exemple d’expérimenter de nouvelles pédagogies, de créer des collaborations entre les disciplines, d’imaginer la création de modules inter- et trans-disciplinaires, de participer à la recherche de profils d’excellence et au financement des activités pédagogiques,… enfin, d’avoir ensemble conscience de la complexité des modes d’enseignement et d’apprentissage.

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La quatrième des 5 disciplines de Peter SENGE, qu’il définit comme l’une des pratiques nécessaires à la construction d’organisations intelligentes, est « l’apprentissage en équipe ». Elle encourage à l’écoute active et au dialogue constructif. Elle stimule les interactions dans un groupe en générant une réelle capacité à apprendre de chacun. Elle peut aussi transformer un groupe d’individus, c’est à dire une somme de talents, en une véritable équipe composée de personnes ayant envie d’apprendre ensemble. Cela nécessite forcément un esprit d’équipe et de la cohésion. Alors comment faire pour que l’intelligence d’une équipe se développe ? Comment transformer cette équipe en organisation intelligente, un système qui permette à chacun de ses membres de se développer ? Selon Peter SENGE, « apprendre en équipe signifie apprendre à… apprendre ensemble ! ». C’est une discipline basée sur la pratique et en des lieux d’expérimentation bien déterminés. L’apprentissage en équipe est la discipline qui produit l’unité d’action. Elle permet au potentiel d’intelligence de chacun de ses membres de diffuser à travers le groupe et plus largement dans son environnement de travail. Le talent de l’équipe devient alors supérieur à la somme des talents individuels. Il transforme les additions en multiplications. Pour ce faire, il convient alors de pratiquer de manière équilibrée le dialogue, c’est-à-dire des échanges libres et ouverts avec une grande capacité d’écoute, puis la discussion, c’est-à-dire la présentation et la défense d’une série d’opinions. Pour un dialogue de qualité, il faudra freiner ses aprioris, lutter contre ses postulats guidés par ses modèles mentaux, voire les remettre en cause le cas échéant et considérer les autres comme des alliés dans la quête d’une solution. Pour travailler à cela de manière efficace, l’idéal est d’avoir une méthode d’animation qui fasse respecter des règles de bonne conduite et qui permette que ce dialogue perdure et progresse. C’est uniquement lors de la discussion, dernière phase du processus, que l’on pourra déboucher sur des décisions raisonnées et donc efficaces. Ces méthodes d’apprentissage sont applicables bien sûr dans l’éducation, pourvu qu’elle s’en donne les moyens.

NB : Les cinq disciplines de Peter SENGE qui se combinent pour construire les organisations « intelligentes » sont la maîtrise personnelle, la remise en question des modèles mentaux, la vision partagée, l’apprentissage en équipe et la pensée systémique ou cinquième discipline. Dans son ouvrage intitulé « La Cinquième Discipline » (The Fifth Discipline, the Art & Practices of the Learning Organization, Editions FIRST, 1991, réédité en 2012 (version française cosignée avec Alain GAUTHIER, collègue de l’auteur et consultant en développement d’équipes dirigeantes), Peter SENGE, professeur au Massachussetts Institute of Technology (MIT), directeur du Learning Center de la Sloan School of Management du MIT, associé fondateur du cabinet de conseil Innovation Associates et fondateur de la Society for Organizational Learning (SOL), décrit ce que sont les organisations « intelligentes », celles qui luttent contre le cloisonnement et la dilution de leurs forces pour penser et travailler de manière globale. Son ouvrage s’adresse aux manageurs désireux d’élever le niveau de performance de leur entreprise en y associant leurs collègues dans un véritable esprit d’équipe (Source Wikipédia).

Des communautés de « hackers pédagogiques. Peut-on construire à l’université des communautés de « hackers pédagogiques » prêtes à échanger sur leurs pratiques innovantes ? C’est l’objectif que peut se donner une équipe de pédagogue concernés par l’innovation pédagogique en construisant des cycles de formation aux communautés apprenantes. Cela contribue à dynamiser l’innovation pédagogique. Dans ces formations qui sont de véritables programmes participatifs, on peut inviter les enseignants à partager leurs expériences, à explorer les outils collaboratifs et pratiques innovantes et à expérimenter sous forme d’ateliers créatifs. Cela peut se faire en tout moment de l’année ou lors d’événement particulier comme en séminaire ou en université d’été. Des cercles de dialogue peuvent aussi être constitués pour confronter les expériences : « Que sait-on de nos étudiants ? Que font-ils pendant les cours ? Pouvons-nous décrire ce qui a changé ? ». Dans ces approches, les participants répartis en groupes passent de l’un à l’autre. C’est le temps de l’émulsion. Les idées principales sont reportées méticuleusement pour être débattues en plénière. C’est le temps de la décantation. On demande ensuite à chacun de se concentrer sur un type de cours. Des cartes illustrées symbolisant les caractéristiques de ce cours leur sont distribuées. Elles permettent de constituer leur propre jeu. Ce sera par exemple : amphithéâtre, cours magistral, transmission de savoir, tableau et écran pour projeter des PowerPoint, interrogations par DS ou QCM. Il est même possible de dessiner sa propre carte,… son joker ! Le jeu permet d’expliquer comment on travaille en cours, ce que l’on attend de ses étudiants et comment on les évalue ? Une réflexion collective s’enclenche par binôme. Si on changeait une carte ? Si on la remplaçait par une autre ? Il est demandé à chacun de dire comment il s’organise en fonction de la contrainte. Le dialogue s’engage, table par table. Tout le monde reporte sur une fiche les avantages et les inconvénients qu’il rencontre, mais aussi les questionnements que cela soulève quant aux objectifs de son cours. Les débats se déroulent aussi bien dans le champ de la pédagogie que celui de la technologie.

Innover par le codesign. Un challenge peut ensuite être proposé à tous, celui de créer de manière collective un cours vraiment innovant ! Pour cela, la méthodologie choisie est celle du codesign. Il s’agit de « dessiner ensemble » en alternant des phases de divergence avec celles de convergence. Les premières permettent d’explorer de nouveaux territoires et de s’ouvrir à de nouvelles idées. Les autres conduisent à approfondir les idées fortes et à construire le projet. En d’autres termes, la pensée divergente correspond à une étape génératrice d’idées, alors que la pensée convergente désigne un processus exploratoire amenant à se focaliser sur une ou plusieurs d’entre elles pouvant aider à traiter un problème ou à construire une solution. Cette approche créative par succession de pensées et d’actions qui vont déboucher sur des idées originales commence à être acceptée par le monde de l’éducation. Ce qui est demandé est de scénariser le déroulé d’un cours qui soit vraiment innovant d’un point de vue pédagogique. On peut choisir un enseignement existant et le transformer radicalement ou en monter un de novo dans un domaine qui ne soit pas forcément académique. Les seules contraintes sont de favoriser l’interdisciplinarité, la mobilité des étudiants, la réduction des espaces, l’utilisation d’outils technologiques et collaboratifs et la pertinence des méthodes d’évaluation. Pour cela, on utilise une méthode qui consiste à faire tourner les équipes d’une table à l’autre, animée par un « hôte de table ». Celui-ci va organiser la réflexion en leur faisant intégrer les contraintes et en les aidant à trouver de nouvelles propositions de solution. Chaque groupe franchit ainsi ces items par rotations successives. Chaque proposition, travaillée par un groupe, est poursuivie par le groupe suivant qui va faire de nouvelles propositions en intégrant les critères retenus par le précédent. On termine par un retour à la configuration initiale pour que chaque groupe puisse faire un réajustement et préparer le pitch de présentation de son « nouveau cours ». La formation se termine par un échange au cours duquel on interroge les participants sur les suites qu’ils comptent donner à ces journées : participer à une autre pour approfondir un nouveau point en lien avec la pédagogie ou bien être accompagné individuellement sur une expérience « in vivo » de transformation de son enseignement, que ce soit pour une simple séance ou pour un cours complet. Tout ce qui contribue finalement à innover ensemble et de manière durable !