De la créativité à l'innovation

Sois bon… et tais-toi !

Il est très rare que l’un de mes étudiants me parle d’innovation pédagogique. Non pas que cela n’arrive jamais, mais leurs questions sont presque toujours axées sur le contenu du cours, l’envie d’avoir telle ou telle explication, ou de savoir ce qu’il faut apprendre pour le contrôle continu ou l’examen. Bref, très souvent des interrogations de « consommateurs ».

Alors quand l’un d’entre eux (plus exactement l’une d’entre eux) me propose de lire son regard sur le système éducatif… je prends le temps de m’y attarder et je décide de le partager sur ce blog. Ce papier plutôt militant, mais empreint de sincérité, m’a beaucoup plu. Bien sûr, il manque un peu de nuance, voire d’objectivité, en certains passages, mais reconnaissons qu’il a le mérite de livrer un point de vue qui est loin d’être minoritaire. Et puis, c’est un regard d’une partie de la jeunesse dont il faut tenir compte si on souhaite, comme c’est mon cas, aider à faire évoluer les pratiques pédagogiques.

Le titre complet de cet article est : « Sois bon… et tais-toi ! Notre belle Ecole, une machinerie« . Il est signé par Selma BEN YACOUB, une de mes étudiants en PACES à l’Université Catholique de Lille : Sois bon et tais-toi 

classe

C’est drôle, mais je ne me sentais déjà pas à ma place à l’école dès ma plus tendre enfance. Beaucoup d’interrogations se bousculaient en moi, sur ma petite personne, et sur le monde qui m’entourait. Pourquoi être si différent ? Etait-ce une bonne chose à se dire, ignorante que j’étais ? Telle était la question.

Tout le monde est unique en son genre, c’est ce qui définit notre belle Diversité. Je n’ai pas à vous démontrer que la Diversité est une richesse… la Nature l’a déjà fait pour moi. Observez donc autour de vous, et vous remarquerez comme le monde s’est orné de ses plus grandes et belles variétés de plantes et d’espèces, constituant ainsi le charme de sa biodiversité. Malgré cette Diversité naturelle, l’Homme à tendance à se valoriser au-dessus de tout concept, se centrant indéfiniment sur son ego, et imposant sa propre différence comme l’unique modèle à suivre pour tous. C’est pourquoi, beaucoup n’ont plus conscience de cette notion de différence. Ils ne savent plus reconnaître leur propre nuance dans tout ce décor. Je pourrais vous dire qu’au sein de certaines communautés, la différence effraie. C’est plutôt cette réalité qui devient effrayante. On se déshumanise, mais ce fait est loin d’être d’actualité. Cependant, parmi les premiers acteurs à négliger notre belle Diversité, et égaliser tout le monde au plus bas, j’en dénoncerais bien l’Éducation Nationale.

« J’aime apprendre, c’est pourquoi je n’aime plus l’école ». Je dirais que c’est la manière dont est si bien écrite cette phrase que j’admire. Elle résume si bien l’expérience de mon vécu. C’est d’un jeune entrepreneur (oui j’ai bien dit un jeune) que j’en tire la citation, et avec qui j’ai eu l’honneur de partager mon expérience concernant l’Ecole de nos temps. Oui, j’ai en effet très mal vécu ma scolarité, et bon nombre d’étudiants aujourd’hui ne penseront pas le contraire de mon propos. Mes premières années d’écolière ont été marquées par une routine lassante et assez restreinte, enfermée dans un cycle de vie où les jours s’alternaient entre l’école et mon foyer. J’aurais pu m’épanouir comme d’autres enfants, mais le rythme était bien trop mécanique à mon goût. J’aurais eu besoin de bien plus que de me laisser menottée sur une simple chaise durant plusieurs années, mais mon éducation maternelle m’ayant rendue bien obéissante, cela ne me permit pas de protester. J’ai donc, comme beaucoup d’autres petits écervelés, fini par accepter ce carcan et fait confiance en l’avenir que nous réservait l’Ecole. Quand on est gosse, on a tendance à faire confiance aux plus grands, aux plus respectables, adultes ou académiques.

J’ai fini par avoir beaucoup de mal à accepter que nous soit proposé ce seul et unique modèle éducatif, belle diversité disais-je… En effet, du fait de ma différence, comme la vôtre d’ailleurs, j’aurais eu besoin de me sentir plus à ma place, ce n’est pourtant pas ce que m’a fait comprendre le système. Plus lointain encore, mes souvenirs poupons me rappellent une enfant pleine de curiosité et de dynamisme, aimant ainsi apprendre à travers l’éveil. Je me déplaçais quand bon me semblait, je partais explorer, j’expérimentais, je maniais, je pensais par moi-même, et surtout, je m’exprimais lorsque j’en ressentais le besoin m’envahir. Mais tout cela, les restrictions de l’institution ne vous le permettent pas. J’ai été une enfant passionnée, mais notre belle Ecole ne le sait pas ça. Elle ne nous passionne plus. C’est en étant passionné que malgré le degré de difficulté nous devenons fiers de pouvoir fournir l’effort du travail, mais lorsque vous n’êtes pas passionnés par ce que vous faites, ce n’est plus de l’effort que vous dépensez, mais de la souffrance. (Ces mots, je les dois à mon cher Aberkane, un de nos intellectuels sans doute meilleur pédagogue que certains ministres). Il faudrait s’asseoir sur cette même pitoyable chaise pour comprendre que le système a un problème. Il faudrait faire asseoir ainsi tous nos réformistes.

L’institution m’a ainsi longtemps fait comprendre que la seule voie pour parvenir à nos passions et devenir ce que nous souhaitons être, serait de nous conformer aux attentes d’un programme inefficient, non adapté à tous, en nous confisquant tous nos outils enfantins, ceux que nous avions coutume de manier. Ces outils étant notre propre conception des choses, et notre rythme d’apprentissage. A la place, on vous flanque tout une panoplie de recettes à mémoriser sans jamais vous mettre les mains en cuisine. Vous pouvez être certains qu’une science acquise avec peu de pratique n’a aucune valeur : mobiliser des connaissances plutôt que des savoir-faire. Nous manquons cruellement d’expérience, jetez un coup d’œil du côté des entreprises. Oui, l’Ecole devient obsolète. Elle vieillit, elle nécessite d’être réformée et de s’adapter à notre nouvelle ère, à nos attentes, plutôt que ce soit à nous de nous conformer à elle. Au final, nous aussi ferons partie des fidèles et futurs travailleurs de la Nation.

« Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future. » (Albert Einstein). Transformer le système est un combat politique à partir du moment où l’on veut en mêler l’Économie. Pour qui est réellement assurée cette Économie ? Et quel est son objectif ? Assurer l’équilibre social ou favoriser les élites ? Tout se joue au profit des besoins industriels et amène finalement au détriment de la Jeunesse. Il ne s’agit que d’une machinerie fondée par des « oligarques », visant ainsi la compétition par et pour le gain, avec une notion de compétitivité déjà intégrée dès notre scolarité. Et oui, on ira les chercher chez les enfants des élites, c’est aberrant. La règle chez ces grands hommes est de faire commerce de l’Éducation. Ils deviennent experts de leur supercherie dans une lamentable course aux richesses. Mesurée à cela, la Jeunesse n’a donc pas assez de valeurs ?

“Le mot progrès n’aura aucun sens tant qu’il y aura des enfants malheureux.” (Albert Einstein). En moyenne, un enfant sourit 360 fois par jour avant de se métamorphoser en corbeau de désespoir. Mais quelle pourrait être l’origine du désespoir de nos futurs rapaces ? L’importance donnée à la vie notée plutôt qu’à la vie réelle. Monsieur Aberkane marque encore un point dans cette triste réalité. Les chiffres deviennent notre obsession, nous sommes programmés à devenir des automates économiques… il le faut bien. Quand est-il des conséquences ? Une fois encore, ce n’est pas l’enrichissement personnel qui sera privilégié. Soyons réalistes, quelqu’un a-t-il à l’école vraiment appris pour lui-même ? Que nous a-t-on appris sur l’amour du savoir et le goût de l’exploration ? On ne nous enseigne pas à affronter la vie, mais plutôt à nous battre pour de soi-disant « acquis », devenus nos propres frustrations mentales. Pire, rien n’est réellement lié à nos valeurs véritables. Que l’on acharne ou pas, ce ne sont pas nos efforts qui sont pris en compte, mais la note.

Le saviez-vous ? Notre enthousiasme pour le gain reste inférieur à 1% de notre crainte pour la perte. En d’autres termes, nous avons naturellement tendance à être beaucoup plus affectés par nos échecs que nos réussites. C’est bien pour ça que dans un pays civilisé comme le nôtre, l’Éducation existe et aurait dû nous apprendre qu’échouer faisait partie de la vie. Tout faux, à la différence d’autres systèmes, la notion d’échec en France est bien trop péjorative. Elle est systématiquement sanctionnée. Une pression qui angoisse les étudiants. En effet, selon une enquête de la Deep, plus de 97000 jeunes en 2016 abandonnent leurs études sans qualification, ni diplôme. J’affirmerais que l’Éducation est elle-même vouée à un échec cuisant. Je me le permets en tant qu’enfant de la patrie, comme le chante si bien notre hymne.

La sociologue Cécile van de Velde, affirme qu’en France « on favorise l’académique, le scolaire, les parcours très linéaires. On avance sur des rails bien tracés. L’objectif qu’on fixe plus ou moins implicitement à nos étudiants, c’est qu’ils trouvent leur place dans la société avant 25 ans. Le droit à l’erreur, à changer de voie, à recommencer, n’est pas inscrit dans les mœurs en France. Pas étonnant que nos désespérés quittent prématurément les bancs de l’école. En réalité, nous sous-estimons pleinement la valeur de l’échec, elle vaut autant qu’un simple diplôme. Cette fois je dirais même mieux ; échouer peut valoir bien plus qu’un diplôme. Ce n’est pas l’Ecole qui a fait de Richard Branson, Albert Einstein, Henry Ford, Walt Disney, Steve Jobs, Bill Gates, ou bien d’autres encore, de tels personnalités aujourd’hui, mais le succès à partir de leurs échecs.

Comment voulez-vous fonder une société solide si la Jeunesse est quotidiennement rabattue par ce système de notation, et réprimandée à la moindre erreur qu’elle puisse faire ? Comment voulez-vous que nos enfants puissent bien grandir et s’épanouir dans un monde où, ceux censés leur apprendre la vie, sont eux-mêmes ces corbeaux du désespoir ? Ce sont les plus grands qui ont beaucoup à apprendre d’un enfant. Si vous cherchez l’élévation vous la trouverez bien chez les jeunes esprits.

« L’humiliation et l’oppression mentale des élèves par des enseignants ignorants fait des ravages dans les jeunes esprits, causant à l’âge adulte des résultats déplorables, qui ne sont plus possible à réparer. » Remarquons bien que plus les classes sont âgées moins de bras sont levés. Les élèves comprennent rapidement leur entrée dans un monde porté à critique, en commençant principalement par la réflexion du professeur. Il ne vaut donc pas la peine d’en prendre le risque. La fonction de l’enseignant est capitale au sein d’une institution. Celui-ci fournit en effet 50% de l’éducation de l’enfant. Qui dit 50% de son éducation, dit prendre part à la moitié de sa construction et de son développement personnel qui l’accompagneront ainsi tout au long de sa vie. C’est une lourde et courageuse responsabilité. Il est donc important que celui-ci soit bon pédagogue. Revenons un peu en arrière ; le terme de “pédagogue” a connu son origine chez nos ancêtres les grecs, signifiant ainsi “meneurs d’enfants”. Ces derniers furent esclaves à Rome afin d’accompagner l’enfant à l’école en le tenant en effet par la main et bénéficiaient d’un statut supérieur à celui de professeur. Cependant, aujourd’hui le statut de l’enseignant pédagogue est loin de prendre totalement en main la Jeunesse comme nos anciens avaient pu le faire. En France, l’image du professeur imprégnée dès la plus tendre enfance s’impose comme bien trop autoritaire face à la petite estime de l’élève. L’enfant n’a pas besoin une fois de plus d’être sous-estimé. Il n’attend qu’à être encouragé et soutenu pour la perle de potentialité qui veille en lui. À noter que si celui censé l’enseigner est déjà contaminé par des pensées immorales, l’enfant le remarquera.

Par ailleurs, ne confondons donc pas « discipliner » et « domestiquer ». Lorsque j’y repense aujourd’hui, je me demande bien qu’elle aurait été la réaction de certains parents en voyant comment leurs enfants bien aimés ont été traités par des professeurs emportés par leur agressivité. Mon pauvre frère aura lui aussi connu cette fâcheuse expérience ; déscolarisé après avoir été traumatisé par une professeure hystérique, qui avait pris plaisir à le renverser de sa chaise. Il refusait de retourner à l’école… Je ne relate qu’un fait de son quotidien. Et il ne s’agit là que d’un seul de mes huit frères et sœurs, tous ont été concernés. Évidemment, le cas du professeur hystérique n’est pas une généralité. Amenons l’enfant à reconnaître ses limites plutôt qu’à imposer l’autorité. Non, ceci n’est pas une pédagogie du laisser-faire. C’est sur la connaissance et le respect de son être que repose toute possibilité d’éduquer de la meilleure des façons.

D’autre part, que dire de la liberté d’expression et d’opinion ? Elles sont trop souvent bafouées. Discuter sa propre opinion devient une infraction et se doit d’être sanctionnée, mais quand est-il des valeurs nationales ? Tout cela tiendra son impact sur la vie de l’individu (peur d’agir, ne plus oser, manque de confiance en soit, phobie scolaire, décrochage..), ensuite on vient vous infliger tout un interrogatoire pour évaluer vos capacités d’interaction lors de futurs entretiens, comment bien vous préparer à la vie, c’est absurde. Non, simplement « Sois bon, et tais-toi », c’est tout ce que l’on vous chuchotera. Aujourd’hui, l’Éducation n’est plus digne de ce que nos penseurs humanistes nous avaient confié.

« L’école est un musée, qui, non seulement n’assure pas l’acquisition des compétences pour faire face à la réalité, mais, qui prend soin de revigorer des compétences inutiles et autodestructrices de l’individu et la société (…) » (Enseignant éducateur). En revenant à la notion de Diversité, chaque enfant possède son propre rythme et mode d’apprentissage, donc tous n’apprendront pas de la même manière. À l’école, il est quasiment impossible pour un professeur, seul face à une classe d’au moins 30 élèves, de permettre un suivi personnalisé pour chacun d’entre eux. Ce n’est pas évident entre vouloir boucler le programme à temps, et prendre le temps de venir en aide à tous. Or, certains apprendront plus vite alors que d’autres ont besoin de plus de temps. En d’autres mots, un élève plus en difficulté accumulera ses lacunes tandis qu’un enfant précoce se lassera plus rapidement. Par ailleurs, en France on ne considère pas suffisamment les élèves manifestant des troubles d’apprentissage, tels que les complications de « dys » ou de TDH. Pourtant, ils sont assez fréquents. La majorité atteinte ignore elle-même l’origine de leurs difficultés et la plupart ne les prennent pas au sérieux. L’enfant sera une nouvelle fois pointé du doigt et certains professeurs diront : « Votre enfant est retardé, il est nécessaire qu’il aille voir un psy ». Très facile de rejeter la faute. Ces mots ont été exactement ceux d’une éducatrice censée porter bons conseils aux parents d’une de mes proches amies. Certains parents ont la naïveté de faire trop confiance à ce qu’on leur dit, mais heureusement pour elle, les siens connaissaient parfaitement leur fille. Il lui aura fallu un simple passage chez l’orthophoniste. Je tiens à préciser à cette « crétine » qu’elle poursuit aujourd’hui ses études de médecine. Il s’agit ici d’un cas parmi tant d’autres. Allez voir certains témoignages de mères sur le net qui rapportent comment leurs enfants ont été pris pour des « débiles » alors qu’ils souffraient de « dysficultés ». Non, c’est bien notre académie qui est en retard de développement, un siècle qu’elle n’a pas évolué. Entre temps, de nouveaux smartphones font surface chaque année et nous tirent leur plus beau sourire de loin. Évidemment que l’économie de la production et la production de l’économie ça n’attend pas. Certains attendent de se faire remplir les poches. Faudrait-il encore comprendre que l’incapacité d’adaptation aux changements rapides de nos sociétés est qualité première de notre École. Dans ce cas, il y a remise en question sur ces « handicaps ». Sont-ils vraiment des problèmes développés chez l’enfant ou plutôt « déclenchés » par le système du fait de son rythme démesuré ? Mais cela, on s’en moque, le but étant de nous confiner dans un socle commun.

Que devient un enfant sans créativité ? En effet, celle-ci n’est ni encouragée ni stimulée (tout comme la curiosité). L’école suscite une fois encore au conformisme en dépit de la créativité de l’enfant. « L’imagination est plus importante que le savoir.” (Albert Einstein). Revenons au confinement… (je vous plagie Monsieur Aberkane). Il vous faut bien des références qualifiées pour pouvoir paraître crédible et percuter les esprits. Imaginez simplement l’École comme un « shape toy » qui fera des élèves les pièces à placer. C’est un jeu d’enfant à partir du moment où vous êtes capables de remettre les différentes formes à leur place, qu’elles soient rondes, cubiques ou encore prismatiques. Mais par soucis d’égalité, la règle de notre système est de tailler une boite sur mesure, spécialisée pour la sélection d’une seule et unique forme. Le problème ? Chaque enfant est une pièce différente, donc soit vous êtes conforme et vous pouvez entrer dans la boite, soit vous ne l’êtes pas. Et pour ceux qui ne rentrent pas dans le moule, soit vous entrez en faisant pression et dans ce cas vous brisez des morceaux au détriment de votre uniformité, soit vous demeurez exclus. Moi, j’ai fait partie de ceux qui n’ont pas assumé leur différence dans toutes leurs formes. J’ai pu entrer provisoirement dans la boite au préjudice de certaines de mes facultés, et j’en suis ressortie brisée. La devise républicaine est à revoir si à partir du moment l’Égalité vient à opprimer la Liberté. Nous ne sommes riches que par nos différences. Ne l’oublions pas.

Lourd et limité à la fois, le programme scolaire semble être modulé par des partisans du gloubi-boulga. Selon Le Figaro, seuls un quart des enseignants du primaire le jugent satisfaisant. Ainsi, 87% d’entre eux disent « survoler certains chapitres » et 78% estiment devoir « laisser trop souvent des élèves de côté ». Le philosophe Comenius nous a pourtant enseigné à ne pas faire courir un enfant avant qu’il ne sache marcher, et mieux favoriser un programme adapté… paroles vaines. De même, chaque année on cherche à alléger le programme afin de pouvoir réajuster le rythme scolaire… Ces modifications superficielles ne font qu’acclamer le slogan orwellien, “L’ignorance est la force”, bien vu Big Brother. Et que dirait Rousseau ? Oserais-je rappeler ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? « Ce n’est pas de gagner du temps qu’il faut, c’est d’en perdre.”

L’apprentissage par le bourrage de crâne, qu’en pensez-vous ? Certains de nos cobayes ont su résister, mais d’autres ont fini par saturer. Le saviez-vous ? Une surcharge mentale prolongée pourrait nuire à la croissance et au développement intellectuel, ce qui affecterait les acquisitions des compétences à l’âge adulte. On vous demande de la productivité ? Retournez à vos laboratoires et concentrez-vous sur la qualité. Bien évidemment, j’emploie le terme de surcharge avec la notion de contrainte. En effet, le sentiment de contrainte tue la motivation de l’apprentissage et de développement chez les jeunes. Nous voulons que les enfants étudient non parce qu’ils sont obligés, mais parce qu’ils le veulent. Si l’ignorance est une force, la liberté c’est l’esclavage. De Saint Benoît à Condorcet, je n’ai vu que la tolérance et la liberté comme règle. Toutefois, une liberté bien réglée serait plus judicieuse qu’un  » Fays ce que vouldras » (Thélémite). Des spécialistes des rythmes de vie estiment que le surcroît de fatigue des enfants évoqué par des parents est dû aux mauvaises conditions mises en place de la réforme. Comment garantir l’efficacité des bambins en les collant au piquet 7 heures chaque jour pendant près de 12 ans ? Les écoles et même les universités cherchent à faire du surplace. Combien souvent l’Ecole n’a-t-elle pas tué chez l’enfant le goût du travail ? Comme le dit Edouard Claparède, l’École doit faire aimer le travail, mais trop souvent elle apprend à le détester. Au lieu de focaliser l’attention, c’est l’ennui et le vagabondage de l’esprit que nous infligeons. Quant à la méthodologie de l’apprentissage, c’est le copier-coller mental qui est surtout initié aux petits étudiants, sans en extraire parfois aucune substance. Mais faudrait-il d’abord comprendre que savoir par cœur n’est pas toujours savoir. Pourquoi ne pas stimuler les élèves autrement ? L’attention est spontanée que lorsque l’on prend plaisir à écouter. N’est-ce pas que l’amusement est complémentaire de l’apprentissage et pourrait permettre un développement optimal chez l’individu par des instructions plus vivantes ? Pourquoi ne pas s’inspirer des institutions finlandaises, ou de cette honorable femme qu’était Maria Montessori ? De même, pourquoi individualiser les disciplines et ne pas les assembler ? Pourquoi ne pas favoriser le travail en groupe afin de permettre une ambiance collective de recherche active et expérimentale et de discussion en commun ? Nous omettons des valeurs éducatives bien trop importantes comme le contact avec le milieu à partir de l’expérience sensible ; un enfant éveille d’autant plus ses sens lorsque la nature l’instruit, ce qui est plus propice au développement de ses facultés et impressions. Cette ouverture sur le monde ne lui infligera aucune sensation de contrainte mais bien au contraire, une sensation d’adhésion.

Que dire du redoublement précoce qui ne permet en rien aux élèves de rattraper leur retard ? Imposons plutôt ce redoublement aux enseignants qui n’ont pu récupérer tout le retard pris lorsqu’il s’agissait de suivre consciencieusement les points auxquels l’élève en question n’a pu assimiler. Ce sont bel et bien eux les formateurs. Après tout, ils ne font que faire ce qu’on leur demande. Victimes du système, ils le sont aussi. En terme d’inégalité, l’École française est championne. Lorsque vous vivez dans un milieu comme les vieilles banlieues de Clichy, la réussite ne vous gagne pas si facilement. Selon Cnesco, « les élèves des établissements les plus défavorisés ne maîtrisent que 35% des compétences attendues en français, contre 80% de ceux scolarisés dans une ‘bonne école’ « . Et viennent s’ajouter les malheureux récits des professeurs témoignant leur calvaire dans des classes surpeuplées et indomptables. Des classes devenues ingérables. Voici le résultat d’un tracé cyclique et vicieux. Certainement que les professeurs souffrent aussi du mal de la société. Eux-mêmes formatés, exploités, et sous-payés. L’enseignant forme les cœurs tout comme le médecin les réparent. C’est pourquoi cette fonction devrait rester l’un des métiers les plus fascinants, étant donné la grandeur de son rôle depuis le début de notre Histoire. La pédagogie est une arme pouvant transformer le monde et ses sociétés. Nous lui devons sa reconnaissance. Encore faudrait-il qu’elle soit entre de bonnes mains.

Le devenir de nos enfants est le fruit de nos propres aspirations. Difficile d’éclairer les différentes attentes entre l’exigence de la société et celle des parents. L’une vise l’Excellence et l’autre l’Economie. Mais l’enfant dans tout cela, qu’en pense-t-il ? Soyons cohérent. L’institution publique est sensée nous conduire vers la Morale et l’Éducation Nationale vers la Lumière. Parlons un peu de manière scientifique. Savez-vous ce qu’est l’Inertie ? En sciences physiques, tout est question de mouvement : comment et pourquoi les choses sont en mouvement. La règle numéro un en physique est que toutes les choses aiment rester à leur place. C’est comme si tous les objets qui ordonnaient notre Univers étaient paresseux, à moins que des forces les poussent à subir un mouvement, tout comme la force gravitationnelle ou la résistance de l’air par exemple. C’est la définition même de l’Inertie. Pour ma part, j’ai toujours vu le mouvement des politiques ainsi. Tout comme l’Inertie, ils ont tendance à rester à leur place. La transposition, c’est ce qui m’a toujours séduit en cette matière.

Non, rien ne va au sein de notre institution. Il est temps de s’intéresser davantage à ce sujet, car la Jeunesse d’aujourd’hui représente la société de demain, et si l’on ne guérit point ses maux, elle en souffrira plus tard. Tout ce récit n’est pas le fruit d’un simple préjugé, mais le rapport de mes 18 années passées au sein de l’Ecole traditionnelle. Je ne cherche aucunement à paraître pitoyable, mais je me suis permise de mettre en avant la douleur et la souffrance de mon vécu. Affirmer ses droits n’est pas seulement un problème individuel. Il devient un vrai problème de société. Nous sommes dans un monde qui bouge et nous ne supportons plus d’être dans un standard. Que serait l’Education nouvelle aujourd’hui ?

Un dernier mot… j’ai longtemps pensé que vu mon jeune âge, on me laissera prêcher dans le désert. Toutefois, bien que mes os ne soient pas longs, je compte sur mes humbles mérites pour les rallonger. Heureusement pour moi, mon cœur est intelligent et ma raison ne souffre d’aucune défaillance. Nous sommes tous porteurs de droits universels. Ne l’oublions pas. « Ce que j’ai appris de plus précieux dans la vie, je ne l’ai pas appris à l’école! » (Will Smith)

Commentaires (5)

  1. Martin

    Merci d’avoir partagé cet article. A sa lecture, j’ai pensé à mon fils. Je dis souvent qu’il n’aime pas l’école, mais il serait aussi juste d’ajouter que l’école ne l’a pas vraiment aimé non plus…
    En échec scolaire, souffrant d’une légère dyslexie, il a été dirigé vers le lycée professionnel dès la fin de la 3e, et c’est là que la sélection commence en raison d’un nombre de places limitées dans certaines filières. En terminale, le conseil de classe prédisait l’année dernière son échec au Bac pro, dû à un manque de travail personnel. Il a obtenu son bac ! Mais cette appréciation sur son bulletin scolaire a été dévastateur pour une place en BTS en cursus scolaire, il n’a obtenu aucune place via APB. J’ai pris la peine de contacté son professeur principal à l’automne, il m’a fait remarqué que mon fils avait obtenu son diplôme grâce aux matières professionnelles… Donc cela voulait dire que son parcours scolaire s’arrêtait là, et après ? Plus personne, du côté de l’Éducation Nationale.
    Il est aujourd’hui en apprentissage en CFA, préparant une certification de niveau IV (niveau Bac). Mais il y une chose qui a changé. Il est heureux ! Heureux d’être pris au sérieux, fier de se rendre compte qu’il a des capacités en mathématiques, bref il se réconcilie avec l’école, et tout cela fait du bien !
    APB a été un parcours du combattant… En espérant que toutes ces réformes en cours n’oublierons ces élèves, ces jeunes qui ne rentrent pas dans le moule, mais qui sont une chance pour notre société !

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  2. Roland Barret

    Bonjour Monsieur,
    quel magnifique analyse…. cette jeune mérite d’être suivie, elle a un superbe avenir. Bien sur son constat est dur!Mais vrai… j’ai été enseignant en Fac suffisamment longtemps pour comprendre ses désillusions Elle n’est pas la seule! Il suffit de parler à la fin d’un cours avec les étudiants! (je suis à la retraite depuis peu! J’ai donc vu et entendu pas mal de choses en 40 ans).
    Mais si critiquer est bien et normal, les solutions, où sont elles?
    Un bilan ne sert par lui même à rien s’il n’est suivi par aucune conclusion et décision;
    Réduire le nombre d’élèves par classe? (que ce soit à l’école,au lycéee ou en Fac, c’est pareil)
    Favoriser encore beaucoup plus le travail personnel? Former mieux les enseignants? Les réformes se succèdent à un rythme effréné et rien ne change et le niveau dans le supérieur est de plus en plus bas… Tous ceux de ma génération le disent: si l’on posait les mêmes problèmes qu’il y a 40 ans ce serait catastrophiques.
    Alors à qui la faute? le système? les étudiants (leur motivation et leur niveau? le refus de l’effort?.
    les enseignants qui ne savent pas s’adapter au monde moderne?
    Si quelqu’un a la réponse qu’il le fasse très vite savoir car il y a urgence…. Les jeunes sont l’avenir….
    Bonne chance à tous… enseignants et enseignés dans cette galère qu’est devenu l’enseignement!
    RB

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  3. leroy

    Merci!! Merci d’avoir exprimé mon ressenti. Mon père a lui même cautionné ce mode d’éducation. Mon frère a décroché plus vite que moi mais j’ai fini par abandonner aussi. Même si aujourd’hui nous sommes titulaire d’un bts, je ne suis pas sur qu’il soit dans la bonne branche, on lui a juste pas laissé le choix. Merci aussi de signaler que rester 7h assis sur une chaise à écouter quelqu’un palabrer et où on ne soit qu’écrire sans participer est juste un enfer. De par mon vécu j’aurais encore beaucoup d’exemple à donner, je garde de cette éducation un fort ressentiment et j’ai une certaine crainte pour mes futurs enfants. En tout cas, je le répète,merci merci merci

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  4. SORET

    De la clairvoyance dans l’analyse, et une expression sympathique qui soutient l’atten et permet de partager bon nombre de points de vue. Un prof compatissant pour cette jeune auteur . En espérant que les Recherches pédagogiques actuelles puissent lui redonner confiance .
    Bonne poursuite d’etudes dans des environnements plus porteurs

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  5. Frg

    Cela fait un moment que j’espérais tomber sur un article aussi censé que le vôtre, car je suis profondément convaincue de tous ces dires.
    Je l’ai moi-même vécu lors de mes études supérieures. Je garde des souvenirs amers de ce parcours scolaire.
    Il est certain que ce n’est pas « la direction » de vie que je donnerai à mon fils. Même à 4 ans, l’école les conditionne d’ores et déjà, mais cela ne serait-ce pas accentué dans l’enseignement privé ?
    En tout merci pour ce magnifique article qui m’a conforté dans des convictions.

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