De la créativité à l'innovation

Moi aussi, j’ai renversé ma classe !

On me rétorque souvent que ma méthode de classe renversée ne peut pas s’appliquer partout, ni pour toutes les matières. Qu’elle est davantage faite pour des étudiants d’université que pour des élèves de lycée ou de collègue. Pourtant, partout où je me déplace, dans les établissements de l’hexagone ou les colloques dédiés à la pédagogie, je rencontre des enseignants qui expérimentent des méthodes innovantes inspirées de la classe renversée et ceci quel que soit l’âge de leurs élèves ou la matière. Personne ne « copie-colle » la méthode, ce qui est une très bonne chose, mais tous s’en inspire et l’adapte à leur contexte spécifique. Il en est même qui se contente de « renverser » un seul chapitre de leur cours et non l’ensemble, ce qui est une très bonne manière de commencer !

Enfin, je reçois fréquemment des messages de collègues qui me présentent leurs expériences, ce qui nous permet de faire des échanges de bonnes pratiques. Très récemment, j’ai reçu un mail de Simon TOURNERIE, enseignant de SVT en lycée, qui met en place des formes de pédagogies actives dans sa classe depuis plusieurs années. Ci-dessous son témoignage qui sera publié dans la Lettre Card’inno de l’Académie de Poitiers qui précédera la CLISE, semaine de la classe inversée.

Depuis trois ans, j’expérimente particulièrement la classe renversée. Cette modalité pédagogique, conçue par Jean-Charles Cailliez, professeur de Biologie à l’Université Catholique de Lille, propose de placer les élèves au centre des apprentissages en les rendant créateurs de contenus. J’ai timidement commencé par proposer à des petits groupes d’élèves de créer des questionnaires à destination du reste de la classe. Il s’agissait de supports interactifs de consolidation des notions et de mémorisation. Assez rapidement, je leur ai proposé d’élaborer de façon collaborative d’autres supports à mutualiser : une banque de schémas pour préparer les épreuves écrites du bac, un lexique sur toutes les notions de l’année, des synthèses de cours…

L’an dernier et cette année, je propose des séquences au cours desquelles, les élèves sont amenés à concevoir le cours et une « évaluation renversée », c’est ce que je propose de décrire ci-dessous en prenant appui sur l’exemple disciplinaire le plus récent.

Le groupe concerné est composé de 21 élèves de première générale dans le cadre de l’enseignement de spécialité SVT. La thématique de travail concerne « les divisions des cellules eucaryotes ». Dans un premier temps, la modalité de travail a été présentée ainsi aux élèves : « je vous donne l’intitulé des notions à traiter, vous menez des recherches pour trouver le contenu, vous l’organisez en rédigeant un cours, vous y intégrez des illustrations, vous concevez une évaluation, je traite l’évaluation puis vous corrigez et notez ma copie ». Un tirage au sort a permis de constituer 3 groupes de 7 élèves. Les ressources mises à disposition étaient volontairement très larges : accès au Centre de Connaissances et de Culture, accès internet par quelques ordinateurs disponibles dans la salle ainsi que par leurs smartphones, mises à disposition d’ouvrages de références (Biologie, Campbell & al – ouvrage conseillé en Licence de Biologie), quelques spécimens de manuels scolaires.

Une sensibilisation particulière a été faite dès le début de l’activité concernant le plagiat et le copier-coller de ressources existantes. Les élèves ont accordé une grande importance à produire eux-mêmes un contenu original. Je n’ai décelé aucune copie de ressources extérieures dans leurs travaux respectifs. Pendant trois séances de 2h, les élèves, au sein de chaque groupe, ont collaboré pour construire trois cours originaux, illustrés et complets. Pendant ces trois séances, je naviguais de groupes en groupes pour apporter des aides ponctuelles : clarifier certaines notions, répondre à quelques interrogations, accompagner la réflexion. Ces contenus ont été ainsi corrigés au fur et à mesure, jusqu’à leur restitution sous leur forme définitive.

Les élèves ont également produit trois évaluations auxquelles je me suis soumis (à raison d’environ 2h par copie). Volontairement, j’ai glissé dans mes écrits quelques erreurs afin de m’assurer de la maîtrise des notions par les élèves qui ont corrigé mon travail lors de la 4e séance. Les élèves sont parvenus avec une facilité provocante à identifier les erreurs de connaissances que j’avais glissées. Je n’ai pas osé intégrer des erreurs plus complexes dans la construction des raisonnements. Bravo quand même à eux !

Lors de cette 4e séance, j’ai également présenté une synthèse de cours, probablement davantage pour me rassurer que pour assurer une transmission de connaissances, que les élèves maîtrisaient déjà au moins aussi bien que si j’avais proposé un cours « traditionnel ». La 5e et dernière séance de ma séquence a été consacrée à une évaluation des élèves. Une progression intéressante des résultats a été observée sur l’évaluation des connaissances : ils ont été 20% meilleurs que les résultats précédents sur ce même type d’exercice. Aucune plus ou moins-value significative n’a été observée sur l’évaluation par un exercice de raisonnement.

En renversant cette séquence, j’ai donné aux élèves la responsabilité de leur travail en leur permettant de participer à la conception de leur support d’apprentissage. J’ai choisi pour ma part de me mettre de côté vis-à-vis des connaissances à transmettre pour accompagner, plutôt que contrôler, le fonctionnement de classe. En plus de la meilleure maîtrise des notions par rapport à un fonctionnement de classe plus traditionnel, les élèves ont développé des compétences de communication, de collaboration, de créativité, d’esprit critique et de persévérance.

Texte de Simon TOURNERIE (décembre 2019) et Dessin de Frédéric DURIEZ

Commentaires (6)

  1. Olivier Bailleux

    Ah, génial ! Très intéressant. Quand je fais des innovations pédagogiques à la Fac, certains collègues me rétorquent que mes méthodes sont davantage faites pour les collèges ou lycées, donc j’ai bien ri en lisant le début du billet. Mais oui, bien sûr, les principes favorisant l’apprentissage s’appliquent à tous les âges, il suffit d’adapter les méthodes au public concerné.

    J’ai abandonné la classe inversée pour aller vers une approche complètement asynchrone où chaque étudiant peut progresser a son propre rythme, avec ses propres objectifs, c’est à dire se créer un parcours à la carte, parce qu’il y a des différence de niveau abyssales entre mes étudiants (au regard des compétences que je dois leur transmettre). Des différences que j’estime à environ 6 années d’études. C’est comme si, dans une promo de L2, j’avais des élèves de seconde et des étudiants de 2ième année de Master. J’ai donc adopté une pédagogie par badge, mais qui a pour point commun avec la classe inversée que l’enseignant ne fait pas de cours magistral, et comme différence que les étudiants n’en font pas non plus.

    Mais je suis ravis que les enseignants de lycée disposent d’une liberté pédagogique suffisante pour expérimenter des approches innovantes.

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    1. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Merci Olivier pour votre message. Il est vrai que la diversité des élèves dans une classe est un avantage quand on pratique des approches collaboratives, alors qu’elle reste une sérieuse contrainte quand on se contente du cours magistral.

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  2. Olivier Bailleux

    Au delà d’une certaine différence de niveaux, c’est la notion même de classe que je remets en cause. Je pense que les apprenants devraient travailler en groupes de personnes d’âges différents (voire très différents, pouvant rassembler des enfants, des adultes des retraités…) mais partageant des prérequis et ayant les mêmes objectifs au regard d’une compétence à acquérir. On apprendrait pas les maths avec les mêmes partenaires que ceux avec lesquels on progresse en français ou en anglais, par exemple, et toujours au rythme le plus adapté à chacun. Je pense que la notion même de classe, dans son acceptation actuelle, induit un plafond de verre qui n’empêche pas les gens les plus doués de devenir des élites, mais qui ralenti ou bloque la progression de beaucoup d’autres.
    Beaucoup de gens restent, en toute bonne foi, sur l’idée que les différences de niveaux dans une classe seraient une stimulation, une richesse etc., mais j’ai été témoin au premier chef du caractère toxique et destructeur des écarts trop importants de niveaux et de bagages intellectuels au sein d’une même classe. Cela fait des ravages, voire laisse des séquelles à vie sur la capacité d’apprentissage de certaines matières. Je connais des gens qui ont gardé des traumatismes en langes étrangères, en mathématiques. Aujourd’hui, je suis à la limite du malaise vagal lorsque j’essaie de parler anglais (heureusement, je l’écrit et le lis correctement).

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  3. JC2

    Dans ma classe, je divise les étudiants en mixant les profils et les niveaux pour certains exercices (exercices de production pour lesquels j’attends que tous les groupes travaillent à peu près à la même vitesse), mais en les laissant aussi libres de se mettre avec qui ils veulent pour d’autres (exercices de production de questions ou de réactions à des exposées, par exemple). Je divise donc ma classe en différentes « classes » ou « sous-classes » en fonction des séquences que je leur propose. Cela redonne ensuite du dynamisme pour les phases en plénière avec des focus sur les fondamentaux du cours.

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  4. divers

    Curieux cette focalisation sur le refus du magistral. Je n’ai jamais autant appris qu’avec des cours magistraux bien faits. Comme avec des livres bien faits. Comme avec des conférences bien faites.
    C’est même un plaisir et un très grand plaisir de mieux comprendre le monde grâce à des explications claires et complètes.
    Les travaux individuels et collaboratifs ont aussi de l’intérêt.
    Ne garder que l’un ou que l’autre est un appauvrissement.

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    1. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Merci pour votre réaction. Vous avez sans doute mal compris car la classe renversée ne refuse pas le magistral. Au contraire, elle le renforce. Les pédagogies innovantes sont efficaces quand elles sont hybridées avec les méthodes académiques. L’innovation pédagogique renforce l’enseignement classique et ne le combat pas. C’est juste le 100% magistral qui est dépassé. Moi aussi, j’aimais comme vous le magistral et les livres bien faits (c’est toujours le cas quand je suis apprenant), mais je ne représente pas le profil général des élèves. C’est pour la majorité d’entre eux que l’on ré-invente ces « nouvelles » façons de transmettre de la connaissance. Je suis en accord complet avec votre dernière phrase… je passe mon temps à dire cela en conférences et ateliers. Cdt, JC2

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