De la créativité à l'innovation

Le casting idéal en travail collaboratif !

Lorsque l’on décide de travailler en équipe avec ses collaborateurs, voire avec ses élèves si l’on est enseignant, il est important d’en constituer la composition de manière spécifique. En d’autres termes, il est déconseillé de laisser les personnes se répartir en groupe de manière aléatoire, souvent par affinité, pour au contraire construire  des équipes au fort potentiel, donc réunissant le plus de compétences complémentaires. L’union fait la force, mais seulement si elle est construite de manière efficace !

Comment constituer ces équipes ? Dans une pédagogie collaborative ou dans un atelier de codesign [1], le travail se déroule toujours en équipes. Leur constitution est l’un des facteurs clés de succès du travail qui sera effectué. Aussi pour la constitution de ces équipe, on privilégiera toujours la qualité à la quantité. Il ne s’agit pas de réunir forcément le plus grand nombre de participants, mais de veiller à disposer du maximum de profils différents et complémentaires. Cela permet de réunir les bonnes compétences en faisant appel, par exemple, à toutes les expertises de la classe, quand il s’agit d’innovation pédagogique, ou de l’entreprise quand il s’git d’un atelier de codesign.

Les équipes peuvent rester les mêmes du début jusqu’à la fin de la séance ou changer d’un exercice à l’autre, cela dépend des protocoles. La question se pose alors de savoir comment constituer ces équipes ? Doit-on laisser les personnes se répartir en groupe en fonction de leurs affinités, ce qui est très souvent leur préférence, ou bien proposer une composition optimale pour chacun de ces groupes, ce qui facilitera le travail collaboratif ? L’expérience montre que c’est la deuxième approche qu’il convient de privilégier. En effet, il ne suffit pas de regrouper des individus pour créer un groupe capable de travailler efficacement ! L’émergence d’une véritable équipe, comme le soulignent Jacques LANARES et Denis BERTHIAUME [2], nécessite bien plus qu’une bonne entente entre ses membres. Il lui faut un objectif collectif, c’est à dire à la fois le résultat tangible vers lequel l’ensemble des participants désire aller, mais aussi de bonnes interactions entre les personnes qui permettront à ce groupe de progresser vers son objectif. Il est impératif pour cela de constituer des groupes aux profils hétérogènes et de mettre en place, dès le début de l’atelier, tout ce qui favorisera les bonnes interactions. Il faut réunir toutes les conditions d’une polyvalence et d’un climat de confiance favorisant les échanges constructifs.

Le « casting idéal » ! Très souvent, les équipes sont constituées dès le début de l’atelier ou de la séance d’exercices. Comme les équipes doivent être composés de profils complémentaires, il est donc risqué de les constituer au hasard, pire encore à l’affinité. Le « casting idéal » est celui qui amène la constitution de groupes ayant tous la même hétérogénéité de profils en évitant une trop forte concentration de leaders ou de suiveurs, d’experts ou de novices… ces termes étant utilisés sans aucun jugement de valeur quant à leurs talents ou compétences respectives. Même si les équipes s’organisent de manière autonome lors d’un atelier, elles sont très souvent amenées à interagir entre elles et ceci au fur et à mesure de l’avancée des exercices. Les personnes appartenant à des équipes différentes peuvent communiquer entre elles quand elles le souhaitent. Elles ne s’en privent pas d’ailleurs ! Leurs déplacements dans la salle sont totalement libres, à l’exception de quelques exercices en séance plénière qui nécessitent de rester en groupe, ce qui permet à chacun de communiquer et d’interagir avec qui bon lui semble, voire même très souvent avec l’animateur (le professeur lorsqu’il s’agit d’une classe) ! Les interactions entre équipes sont ainsi optimales.

Composer avec les individualités. Dans chaque équipe, on trouve des individualités avec des niveaux d’intérêt vraiment différents pour le sujet qui amène au livrable de la séance. Toutes les personnes ne sont pas capables de contribuer avec la même efficacité aux exercices, ni même de contribuer à la production de l’équipe : le livrable. Si le protocole nécessite par exemple d’utiliser des outils numériques, on se rend compte que tous les participants ne les manipulent pas avec la même aisance. De même, ils n’ont pas tous de grandes capacités managériales et sont plus ou moins habitués au travail en groupe. Certaines personnes ont plutôt un profil de « leader », tandis que d’autres se contentent d’être « suiveurs » avec les qualités et les défauts qui caractérisent chacun des deux profils. Une majorité d’entre eux peut passer de l’un à l’autre en fonction des sujets ou des modes d’organisation et de travail. Enfin, on remarque que lorsque des personnes travaillent avec des collègues qu’ils n’ont pas choisis, ils apprennent alors à se découvrir au fur et à mesure des exercices et des mises en situation… ceci de manière progressive. Si pour certains, le manque d’affinités avec les autres étaient au départ un élément défavorable à la bonne entente et au travail collectif, beaucoup ont pu revoir cela de manière différente à la fin des exercices, ayant appris à composer avec tout le monde. Un casting idéal permet donc de constituer des équipes de personnalités différentes ressemblant en tous points à ce qui est optimal dans une organisation professionnelle efficace, celle qui fait travailler en équipe de collaborateurs plutôt qu’en simple groupe de travail. La gageure ultime est bien celle-ci, c’est à dire de passer d’un travail « en équipe » à un travail « d’équipe » !

Les quatre faces de la créativité… pour une équipe idéale ! Une manière très efficace, mais chronophage si elle devait empiéter sur une grande partie du temps d’un atelier, est celle de constituer les équipes en fonction de quatre logiques de créativité [3] qui sont combinatoire, analogique, associative ou onirique. Pour déterminer si la créativité d’une personne est plutôt associée à l’un de ces profils, il faut proposer des exercices spécifiques. Pour la logique combinatoire, il s’agit d’exercices dans lesquels on demande aux participants de composer au hasard des binômes de termes différents de manière à trouver une nouvelle idée, un nouveau concept ou bien, à l’inverse, de décomposer un objet en sous-éléments de manière à trouver de nouvelles utilités, de nouvelles fonctionnalités. Pour la logique analogique, les exercices consistent plutôt à s’appuyer sur des ressemblances ou des comparaisons pouvant enrichir un principe d’action. On demande aux participants de travailler sur des symboles ou des métaphores, de décrire par exemple une situation, un système en imaginant qu’il corresponde à autre chose, de proposer des idées commençant par « c’est comme… », ce qui permet d’imaginer de nouveaux process, de nouveaux systèmes, de produire de nouvelles idées. Pour la logique associative, les exercices demandent aux participants de créer des connexions logiques entre différentes idées, de les laisser rebondir les unes sur les autres de manière à laisser émerger de nouveaux concepts. Cette méthode qui utilise les associations d’idées permet par exemple de trouver de nouveau produits, services, mais aussi de nouveau noms (naming) ou slogan publicitaire. Enfin, pour la logique onirique, qui est loin d’être la plus facile à aborder, les exercices poussent à trouver des idées provenant de l’inconscient (de la « pensée magique ») et que l’on rendrait ensuite « conscientisables », c’est-à-dire ramenée de l’idéal au réalisable. Elle permet comparativement aux trois premières logiques de pousser un peu plus loin la production d’idées qui vont s’avérer plus originales et à fort potentiel créatif.

Pour conclure, il est clair que la constitution des équipes est une étape déterminante à la réussite du travail collaboratif. Le risque de les laisser se constituer par elles-mêmes sera d’obtenir un résultat bien inférieur à toutes attentes, tout au moins de qualité très différentes d’une équipe à l’autre. C’est ce que l’on observe dans les classes dont les enseignants pratiquent des innovations pédagogies de type collaboratives ou dans les ateliers de codesign avec des entreprises. Un peu comme en cuisine, il faut préparer en amont tous les ingrédients dont la qualité amènera au bon goût du plat !

[1] Jean-Charles CAILLIEZ et Delphine CARISSIMO. Le cactus à roulettes ». Comment innover par intelligence co-élaborative ? (2021). Illustrations de Charles HENIN (Editions Ellipses, Paris)

[2] Jacques LANARES et Denis BERTHIAUME, Chapitre 9 : Comment organiser le travail en groupe des étudiants ? Denis BERTHAUME et Nicole REGE COLET, La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques ; Tome 1 : Enseigner au Supérieur, Editions Peter LANG, Exploration, Recherches en sciences de l’éducation, 2013.

[3] Marjolaine de RAMECOURT et François-Marie PONS, L’innovation à tous les étages ! Comment associer les salariés à une démarche d’innovation ? Editions Eyrolles, Paris, 2001.

Commentaires (6)

  1. Louis-pierre GUILLAUME

    En tant qu’enseignant, j’aimerais bien sûr que les équipes d’élèves soient idéales. Mais, comment les constituer AVANT le cours ?

    Je suggère Jean-Charles Cailliez, PhD que vous élaboriez (et partagiez) un questionnaire d’une dizaine de questions à administrer aux apprenants avant le cours, qui permettrait ainsi de constituer ces équipes idéales

    Beau défi, n’est ce pas ?

    Répondre
    1. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Merci Louis-Pierre pour votre message. Je n’utilis pas de questionnaire pour faire mes équipes d’étudiants, mais la méthode suivante qui a été inspirée de celles d’organisations sportives (comme la FIFA , par exemple) lorsqu’elles doivent constituer des groupes de qualification pour les grandes compétitions avec des « têtes de série » et des équipes de niveau plus ou moins différents. Dans ces méthodes, on reporte les noms des équipes ou des pays sur des bouts de papier, placés dans des boules opaques, que l’on tire au sort après les avoir réparties dans des « chapeaux » correspondant à leur classement international. Il est donc procédé de manière similaire pour la classe renversée. Le nom de chaque étudiant est inscrit sur un petit bout de papier, ce qui en donne autant que d’élèves dans la promotion. Tous ces papiers, portant chacun leur nom d’élève, sont disposés sur une table de manière à constituer les 6 équipes. Chacune d’entre elles doit comporter au final 6 à 7 étudiants. En tenant compte de l’avis du responsable de la promotion, les 6 étudiants ayant les meilleurs résultats en contrôle continu et examens sont choisis comme « têtes de séries ». Il s’agit des élèves les mieux classés d’un point de vue scolaire, ceux dont on pense aussi qu’ils sont les moins demandeurs d’une pédagogie renversée tant les méthodes classiques leur conviennent. Une fois ces 6 noms choisis, on les dispose les uns en dessous des autres de manière à aligner par la suite et de manière horizontale les membres de chaque équipe. Pour les 6 noms suivants, le choix est porté sur les élèves les plus faibles d’un point de vue scolaire ou ceux dont le comportement en termes d’assiduité ou de participation a le plus à redire. Il s’avère par la suite que ces « mauvais » élèves, d’un point de vue de leurs résultats scolaire, ne sont pas les derniers à s’impliquer activement dans la classe renversée. Bien au contraire ! Une fois que les équipes ont deux membres (deux noms), on continue avec la même méthode, c’est-à-dire en alternant pour chacune d’entre elle, un « bon », puis un « mauvais » élève avec les noms restants. Quand tous les noms sont placés en ligne et que l’on dispose devant soi de la constitution des 6 équipes, on procède alors à un dernier changement. Il consiste à séparer les élèves dont on sait (de l’avis du responsable pédagogique) qu’ils s’entendent particulièrement bien, c’est-à-dire qu’ils sont très souvent ensemble ou travaillent déjà en binômes dans d’autres enseignements. Il s’agit ainsi de ne pas laisser toujours ensemble des étudiants ayant déjà des affinités entre eux, ce qui devrait permettre une très bonne collaboration entre les équipes puisque chaque étudiant aurait alors ses meilleurs amis ou collègues de travail dans les autres groupes. Ce choix évite aussi les compétitions stériles entre les équipes lors des « challenges » ou évaluation entre pairs qui seront organisés tout au long du cours. Cela évite enfin d’avoir des équipes constituées de profils homogènes avec pour chacune d’entre elles une majorité de « premiers de la classe » ou de « derniers », d’amis ou d’étudiants ne se parlant jamais, de passionnés de génétique moléculaire ou d’autres n’ayant aucune attirance pour cette matière.
      Cordialement, JC2

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  2. Louis-Pierre Guillaume

    Très bonne méthode !
    Merci

    Et pourquoi pas ajouter aussi de la mixité dans les équipes ?

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  3. Jean-Charles Cailliez

    C’est ce que l’on fait. On sépare les affinités tout en mixant de manière équilibrée garçons et filles !

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    1. Louis-Pierre Guillaume
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  4. albert

    dans l’entreprise, C’est tout le système hiérarchique qui devient petit à petit obsolète et qui doit évoluer et s’adapter aux mentalités.
    L’information circule de moins en moins de façon pyramidale du haut vers les bas du cadre supérieur, aux cadres, puis aux employés et ouvriers, comme avant mais horizontalement incluant les collaborateurs de façon pluridirectionnelle en les intégrant dans des projets collectifs.
    Le manager se doit d’adapter son leadership et sa façon de gérer ses équipes : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/logiciels-applications-de-securite/le-travail-collaboratif

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