De la créativité à l'innovation

Et si l’on renversait l’amphi pour un cours magistral plus collaboratif ?

Peut-on imaginer renverser un amphithéâtre de 120 étudiants pour rendre son cours magistral plus collaboratif ? That is the question ! Tout au moins celle que je me pose depuis un mois, plus exactement quand on m’a demandé de construire pour le prochain semestre un nouveau cours en faculté de médecine. Contrairement à ce que je fais d’habitude dans ce blog, c’est à dire partager avec mes lecteurs des expériences en cours, je vais m’essayer à présenter un projet de pédagogie innovante, tel que je viens de l’imaginer, mais qui ne verra le jour qu’à partir du mois de janvier prochain.

Pratiquant la classe renversée depuis 2013 dans mon cours de génétique moléculaire en licence de biologie, je ne me suis jamais posé la question d’innover aussi en amphi de médecine et ceci pour deux raisons. J’y préparais mes étudiants au concours de PACES, aujourd’hui en PASS, et j’en avais bien trop devant moi, jusqu’à 650 candidats il y a deux ans, avant la réforme et les deux confinements dus au COVID-19. Aussi, cette année, lorsque l’on m’a demandé de créer un nouveau cours de biologie cellulaire pour des étudiants en deuxième année de Licence Santé, donc toujours en lice pour le fameux sésame vers les études médicales, je me suis dis que malgré leur nombre toujours aussi important (120 étudiants cette année, soit le double de ceux que j’ai habituellement en classe renversée) et le fait qu’ils travailleraient obligatoirement en amphi, assis sur des rangées de sièges boulonnés au sol, j’allais peut-être ne pas avoir envie de me limiter à transmettre de la connaissance, c’est à dire avec 100% de mes interventions en format magistral ?

Une idée m’est donc venue d’une scénarisation plutôt innovante qu’il me restait à inventer et que je pourrais expérimenter pour ce nouveau cours. Je vais donc la partager ici en quelques lignes, avant de lancer l’expérience dans deux ou trois mois et vous en faire un retour. Il s’agit d’un cours de 24 heures, découpé en 12 séances de 2 heures pour 120 étudiants alignés sagement dans un amphithéâtre aux rangées inamovibles (contraintes non négociables). Ce n’est pas que je n’aime pas le cours magistral, bien au contraire, mais je me dis que je pourrais peut-être dynamiser davantage mon auditoire, comme cela est le cas en classe renversée, celle qui rend mes étudiants plus acteurs dans l’acquisition de leurs connaissances. Seulement ici, je n’aurai pas la possibilité de les mettre en îlots avec des compositions d’équipes bien définies. Il va donc falloir que je m’organise différemment.

Voilà ce que j’ai imaginé de faire. Merci à vous d’avance pour vos remarques et suggestions car j’en tiendrai compte au moment d’expérimenter. Chacune des 12 séances de 2 heures est consacrée à un chapitre du cours (12 séances, donc 12 chapitres). Par exemple, on s’intéressera dans l’une d’entre elles aux mécanismes qui permettent à des cellules dans un organisme humain de communiquer entre elles. Comment fabriquent-elles leurs messagers chimiques, hormones ou cytokines, voire aussi leurs récepteurs ? Ont-elles besoin de se coller l’une à l’autre pour échanger des informations ? Peuvent-elles le faire à distance ? Etc…

Chaque séance de 2 heures va être découpée en 2 mi-temps de plus ou moins 50 minutes, la première très collaborative et la deuxième, après la pause, purement transmissive, donc 100% classique. Dans un premier temps on va demander aux étudiants de se regrouper, sans forcément changer de place, pour former de petits groupes de 4 à 5 au maximum, plutôt avec leurs voisins les plus proches dans l’amphi. Bien sûr, il ne leur sera pas interdit de se déplacer en fonction de leur envie de collaborer avec d’autres et où ils le souhaitent dans la salle. Une seule question leur sera posée en début de cours, en lien avec la thématique du chapitre et concernant plutôt un point important de celui-ci. Les étudiants sont tous connectés. Ils pourront donc rechercher par eux-mêmes des éléments de réponse à cette question en s’organisant en équipe. On fera cela en classe renversée, leur laissant 20 à 25 minutes pour trouver des réponses à la question posée. Le format pour cette réponse sera imposé de manière à éviter le 100% de « copier-coller », celui qui peut se retranscrire sans compréhension du contenu. Une première idée sera de leur demander de répondre en une seule « slide », une seule diapo sous format PowerPoint, dans laquelle ils devront au minimum présenter un schéma ou une illustration annotée, une définition de termes clés et des explications pour comprendre leur raisonnement. Pour 120 étudiants, cela donnera entre 25 et 30 slides qu’ils devront envoyer au professeur par mail ou par dépôt sur une plateforme Moodle, celle qui est utilisée en cours habituel. Il devront envoyer leur slide avant la pause, soit 50 minutes après le début du cours (« cachet » de la messagerie faisant foi !). L’enseignant n’aura pas à corriger ces productions mais à les classer en 3 catégories : les « excellentes » (paquet 1), les « bonnes » (paquet 2) et les « pas mauvaises » (paquet 3). Il ne s’agit pas de sanctionner les mauvaises réponses, mais de distinguer celles qui ont fait l’objet d’un peu plus de travail de recherche que les autres. Des points de bonus (par équipe) pour le contrôle continu seront ainsi attribués aux étudiants en fonction des catégories dans lesquelles leurs productions, au bout de 12 séances, se seront retrouvées : 3 points pour le paquet 1, 2 points pour le paquet 2 et 1 point pour le paquet 1. Et zéro point de bonus pour les étudiants absents au cours. Au maximum, un étudiant ayant capitaliser 3 points de bonus en 12 séances aura un capital de 36 points.  Au minimum, il aura zéro points de bonus, la moyenne devant se retrouver autour de 12 fois 2 points, soit 24 points et le score minimum de 12 fois 1 point, soit pour un total de 12 points. Rien n’est encore décidé d’un point de vue quantitatif, mais l’idée est de majorer de 1 à 3 points sur 20 la note de contrôle continu que les étudiants obtiendront lors du partiel organisé en milieu de semestre sous la forme d’un QCM/QROC, celui qui leur donnera une note sur 20 points. Cette majoration de la note de contrôle continu sera fonction du score obtenu par chaque étudiant au cours des 12 séances de cours. Bien sûr, les étudiants ne seront pas tenu de toujours appartenir aux mêmes équipes lors des 12 séances.

L’objectif de cette première partie du cours, plus collaborative, n’est pas de capitaliser des points de bonus, même si cela va les motiver, mais de s’imprégner du sujet du chapitre avant la deuxième partie du cours (celle réalisée de manière « magistrale »). Le temps imparti pour la production des slides étant de 20 à 25 minutes, cela laissera à l’enseignant une trentaine de minutes pour échanger avec l’ensemble de la promotion. Il pourra se rendre utile pour toutes sortes d’explication lors de la construction des slides, en passant de rangées er rangées, en répondant aux sollicitations de chaque équipe le souhaitant. Au terme des ces 25 minutes de production, l’enseignant pourra demander à chaque équipe (une trentaine au total) de partager avec les autres les éléments majeures de leur réponse. Ce temps d’échange, illustré par les apports du professeur, va leur permettre d’avancer dans la compréhension du chapitre, tout au moins de s’imprégner du sujet. Ainsi, lorsque le cours magistral, préparé de manière normale par l’enseignant, sera dispensé dans les 50 dernières minutes de la séance, les étudiants seront plus réceptifs, ce qui améliorera leur processus d’apprentissage. C’est tout au moins ce qui est attendu de l’expérience.

Voilà en quelques lignes une description de l’expérience qui sera menée au second semestre avec cette promotion d’étudiants. Il me reste encore à peaufiner le scénario. Merci à vous pour vos retours, critiques et remarques, mais surtout aussi toutes suggestions pour améliorer ce protocole. Hâte de vous lire !

Commentaires (15)

  1. Zarina Charlesworth

    En 2010 avec une classe de 125 étudiant-e-s j’ai donné qq’s cours de façon similaire mais en demandant aux groupes d’étudiant-e-s d’échanger leurs travaux et ensuite c’était aux etudiant-e-s de les classer. Ensuite nous avons regardé les travaux ensemble. L‘’avantage était d’aiguiser l’œil critique des étudiant-e-s et d’insister sur le côté « aider vos paires à aller plus loin » et d’éviter le genre de commentaire « travail très bien » mais avoir un vrai retour.
    Exercice intéressant!
    Bon cours

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    1. Ahmed Elyaagoubi

      Effectivement ,l’innovation , la créativité et le travail collaboratif sont des fleurons qui sont en mesure de générer un bien être pédagogique déclic d interactions positives entre enseignants et étudiants .
      Impliquer ces étudiants par le truchement de la classe inversée ne peut que renforcer la fierté d’être étudiants et le plaisir de s’investir dans un contrat de confiance ,source de réussite personnalisée.

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  2. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

    Merci Zarina pour ce témoignage. Cdt, JC2

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  3. Louis-Pierre Guillaume

    Bonne idée
    Intéressé par le résultat

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    1. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Je commencerai par publier la réaction de mes étudiants, suite à la première séance en janvier 2022. Ce sera avec la méthode du 10/20 (voir dans mes posts précédents)

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  4. Richard Uracile

    Bonjour, l’idée est intéressante car les étudiants seront davantage motivés et connaisseurs du sujet abordé en CM. Néanmoins, j’ai du mal à imaginer comment vous pourrez transmettre autant de connaissances en 50 minutes qu’en 1h30.

    Ne devriez-vous pas considérer que ce que vous demandez à vos étudiants pendant les 50 premières minutes correspond à du travail qu’ils devraient faire à la maison ? Bien évidement ils ne le font plus aujourd’hui, et c’est un problème. Mais là où je veux en venir, c’est qu’on peut tout à fait imaginer qu’en vertu du fait qu’on prend en charge en synchrone du travail qui devrait être fait en asynchrone, rien n’empêche de faire l’inverse : « terminer » le cours magistral en asynchrone.

    Bien évidement, cela supposerait un minimum de scénarisation : les points les plus complexes étant traités en synchrone. Mais mettons, si vous voyez par exemple les facteurs de transcription chez les bactéries, rien n’empêche de les introduire en synchrone et de faire leur inventaire en asynchrone, et terminer par un bilan du cours et faire le lien avec le suivant.

    Bien à vous.

    RU

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  5. Christine

    Très intéressant, je suis également intéressée du résultat et vos éventuels observations au niveau organisationnel. Pensez vous faire évaluer le dispositif par les étudiants ? Bonne expérience !

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    1. Jean-Charles Cailliez

      Les étudiants seront invités à donner leurs avis (positifs et négatifs) en fin de chacune des 12 séances de cours et sans doute aussi suite aux examens. Je publierai cela sur ce blog pour partager avec vous.

      Répondre
  6. Jean-Charles Cailliez

    Les étudiants seront invités à donner leurs avis (positifs et négatifs) en fin de chacune des 12 séances de cours et sans doute aussi suite aux examens. Je publierai cela sur ce blog pour partager avec vous.

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  7. Jean-Charles Cailliez

    Dans un premier temps, l’idée n’est pas de transmettre 100% de la connaissance pour qu’ils n’en retiennent que 60 à 70%. Elle est de consolider (ensemble) l’acquisition de ces 70% de connaissances fondamentales, comme cela est fait en classes collaboratives (inversées, renversées, mutuelles, autonomes, puzzles…). Le cours n’a pas à être terminé pour tous au même niveau et en même temps. Certains iront plus loin que d’autres, plus ou moins rapidement, c’est juste une question de vitesse d’acquisition des connaissances et non de capacité à les acquérir qui est en question ici.

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  8. DESBOIS Thierry

    Je trouve la démarche excellente.
    En tant que formateur de public d’adultes, 12 maximum par session, je dit toujours à mes apprenants qu’une information donnée gratuitement par le sachant se retient difficilement.
    La méthode que vous utiliserez aura pour effet tout simplement de pousser les apprenants à se « coltiner la tâche » en amont et ainsi d’imprimer plus facilement les informations que vous donnerez les 50 dernières minutes.
    Je suis curieux d’avoir la connaissance du résultat obtenu.

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  9. NICOLAS Chatron

    Tres intéressant.
    Alors ça en est où ?

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    1. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Patience… Premier cours le 29 février 2022. Le retour des étudiants sera publié sur ce blog.

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      1. ATTAL Julien

        Bonjour Jean-Charles,
        curieux de ce procédé (qui me semble très intéressant), je suis preneur du retour du cours du 29 février.
        Merci à vous pour ce travail et ce partage.

        Bien vous?
        Julien

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    2. Jean-Charles Cailliez (Auteur de l'article)

      Je viens d’en faire le retour sur ce blog. Le premier cours a eu lieu ce mardi. Cdt, JC2

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