A l’occasion d’une journée d’immersion à l’Université Catholique de Lille, une quinzaine d’enseignants de lycées des Hauts-de-France a participé le 17 novembre 2021 à un atelier pédagogique organisé par HEMiSF4iRE au cours duquel il leur a été proposé d’inventer ensemble un nouveau cours, transdisciplinaire, baptisé cours de « Smurtz », terme ne voulant rien dire en soi, mais dont on peut faire ce que l’on veut. Pour cela, une méthode de travail co-élaborative (codesign) a été menée en regroupant les participants en 3 équipes (deux en présentiel et la troisième avec des participants à distance) et pour un temps de travail de seulement 2 heures et 30 minutes. Pas assez long pour produire de véritables modules, mais suffisant pour se rendre compte de la puissance créative que peuvent mobiliser des enseignants quand on les stimule à créer ensemble, bref, quand on les invite à décloisonner !
Des enseignants aux profils variés. En guise de brise-glace, on a demandé à chaque participant de se définir en une seule phrase de 7 mots, sans indiquer ni leur nom, ni leur prénom. Ce qui a donné : Biologiste curieux de tout et soucieux d’innover – Je suis enseignante de SVT en lycée – Je suis enseignante presque jeune et dynamique – Historienne, curieuse et passionnée par la pédagogie – Matheuse aimant l’humain et la vie – Professeure aimant observer la nature et les chauve-souris pipistrelles – J’accompagne la transformation pédagogique de la voie professionnelle dans un lycée industriel – Opticienne, enseignante à Guînes, aimant la vie – Formateur de jeunes formidables avec des difficultés – Passionné par la transition écologique et sociale – …
La méthode de travail collaboratif qui a été proposée aux 2 équipes a été celle des cartes mentales dans laquelle on leur a demandé de commencer par dessiner une carte centrée sur le mot « Smurtz », nom provisoire du nouveau module, puis d’inscrire autour des matières que chacun d’entre eux enseigne normalement au lycée ou alors leurs domaines d’expertise, s’ils n’enseignaient pas. Le premier niveau d’arborescence de la carte ne comportait ainsi que des noms de disciplines, puis chaque participant a eu la liberté de brancher sur ces noms tous les mots lui venant à l’esprit, qu’ils aient ou non un lien avec l’enseignement. Les cartes mentales se sont donc enrichies. On a ensuite demandé à chaque équipe d’échanger avec l’autre leurs cartes et de continuer le travail. Des rotations successives ont permis l’enrichissement des cartes par tout le monde. Chaque équipe a ensuite récupéré sa carte de départ complétée par les autres. Elle a dû y choisir 4 items : deux termes évoquant une matière académique et deux autres n’ayant rien à voir, c’est-à-dire surprenant par leur originalité. La consigne était que le choix de ces termes devait être unanime et donc négocié entre tous. Ensuite, il a été donné 45 minutes à chaque équipe pour proposer un nouveau cours, celui de « Smurtz », tenant compte de ces termes et des contraintes suivantes : être transdisciplinaire, contenir une méthode de pédagogie inversée et une évaluation sans note sur vingt. En fin d’exercice, une présentation sous forme de pitch de 120 secondes a été accordée à chaque équipe pour présenter le fruit de ses réflexions.
Pour l’équipe à distance, il avait été imaginé de leur proposer un exercice différent de celui des cartes mentales, car peu dynamique par écrans interposés. L’idée était de leur faire remplir une slide unique de PowerPoint (bref, une seule diapositive) avec le nom de leurs matières d’expertise, puis de compléter sous la forme d’un tableau et non plus d’une carte avec les mêmes consignes que celles données aux équipes en présentiel. Un problème technique ayant empêcher le partage d’écran avec la salle, ainsi que la constitution d’équipe en ligne, la solution de remplacement a été de leur demandé de débattre en plénière, tout en notant chacun leurs idées et celles des autres, puis d’arriver à une synthèse et au choix de 4 items, comme pour les participants en présentiel. Une fois choisis ces 4 items, les consignes données à l’équipe à distance ont été exactement les mêmes que pour les deux autres, c’est à dire de construire le cours de Smurtz.
Ci-dessous les 3 cours de Smurtz ainsi imaginés par les 3 équipes :
1. Tous dans la même galère ! Les items retenus = optique géométrique, orientation, galère, Puy de Dôme .Une formation à destination d’élèves en formation professionnelle qui ont de très grandes difficultés avec la lecture. Ce module d’optique est basé sur des systèmes de QR codes donnant accès à des capsules vidéo expliquant aux élèves les séances de cours ou de travaux pratiques qu’ils devront suivre. Le module contenant de nombreuses mises en situation pratiques est construit telle une randonnée dans laquelle on ferait l’ascension d’une montagne (ou d’un volcan éteint) par des chemins détournés (plusieurs voies et plusieurs vitesses d’ascension étant possibles) : un objectif à atteindre tout en capitalisant de l’expérience et en acquérant des connaissances. Dans ce module, les élèves n’ayant pas de difficulté de lecture seraient mélangés aux autres de manière à ce que le travail reste collectif (on est tous « dans la même galère » !) et que tout le monde puisse bénéficier des objectifs de l’innovation pédagogique.
2. Drame à Reykjavik, un bâtiment biomimétique s’effondre… pourquoi ? Les 4 items retenus = biologie, droit, magma, fraude. Ce cours a été pensé à destination des Hauts- Potentiels Intellectuels (HPI) décrocheurs en lycée et qui ont des besoins de challenge et de reconnaissance. La situation initiale qui lance le module = une victime demande de l’aide aux élèves experts pour expliquer l’effondrement du bâtiment. En introduction = brainstorming à partir de la maquette du bâtiment (découverte du bâtiment biomimétique, hypothèses…) + une victime explique ce qu’elle attend des experts. Une entreprise met en cause un séisme, mais la victime n’est pas d’accord avec cette justification = les élèves doivent chercher la véritable cause de l’effondrement du bâtiment. 1) En fonction des hypothèses, les élèves élaborent la liste de ce dont ils ont besoin. Ces ressources sont mises à leur disposition ; 2) les élèves s’organisent par groupes d’experts sur chacun des dossiers pour vérifier chaque hypothèse (étude de sol, étude sismique, étude de la résistance des matériaux…). Pour chaque dossier, une expérimentation est prévue (+ les calculs) ; 3) Mise en commun pour déterminer la ou les causes de l’effondrement du bâtiment : ils doivent trouver qu’il s’agit d’une fraude ; 4) Elaboration de leurs interventions d’experts au procès ; 5) Le procès = évaluation finale à l’oral = ils doivent avoir convaincu le jury.
3. POC27 : Les 4 items retenus = Enseignement scientifique, négociations climatiques, équilibre, révolution. Cours pour des BTS avec des troubles de l’attention. L’idée est de proposer aux élèves une pédagogie active avec un module comportant 3 ou 4 activités majeures, découpées en séquences courtes (15 à 20 minutes maximum), dans lesquelles ils apprennent à négocier des résolutions ou des actions en lien avec le développement durable et la lutte contre le réchauffement climatique. Dans une première activité, ils doivent comprendre les principes du réchauffement climatique (expérience pratique qu’ils feraient avec des bouteilles contenant du liquide avec ou sans CO2). Ils étudieront ensuite, avec interventions d’experts, les conséquences probables du réchauffement climatique par des stimulations en utilisant différents logiciels, puis travailleront sur les responsabilités et les vulnérabilités en faisant des études et des enquêtes (témoignages et mises en situation dans certains pays).
Pitchs et discussion. Un temps de 3 minutes est donné à chaque équipe pour présenter les objectifs et le contenu de son cours de Smurtz. Cela permet de collecter les réactions des autres et de faire des croisements entre les différentes productions. On discute à la fois sur le fond, c’est à dire les intérêts que pourraient présenter de tels modules sur les profils d’apprenants ciblés lors de l’atelier, mais aussi sur la forme, c’est à dire le pouvoir surprenant de la co-élaboration (méthodes de codesign) entre enseignants de matières différentes ayant la volonté de construire ensemble un module transdisciplinaire. Bref, l’intérêt de ces méthodes de travail qui stimulent la complémentarité entre les expertises des enseignants, qui décloisonne la vision de l’innovation pédagogique. De l’innovation pédagogique de transformation (incrémentale) dans laquelle on enseigne toujours la même matière, mais de manière différente… à l’innovation de rupture dans laquelle on imagine de nouveaux cours en transdisciplinarité… rien de tel que de s’exercer au Smurtz !
Impressions positives des participants : la mixité des groupes; l’originalité de la création ; la personnalité des deux animateurs – même si nous étions à distance je me suis sentie bien accompagnée et en lien avec vous, les animateur ; le temps de réflexion collective était court, mais cela oblige de faire focus pour répondre au mieux à la consigne ; la rapidité de mise en route de réflexion du groupe ; les idées qui auraient pu encore naître de ce partage ; les 35 minutes de recherche et production du « cours du Smurtz » et les échanges entre participants ; la restitution avec la présentation des propositions originales et très différentes malgré le parcours commun – l’idée des chapeaux de Bono pour rendre plus interactive les présentations des élèves : je vais tester cela samedi en terminale ; le fait d’échanger et de s’enrichir mutuellement lors de la création du pitch – A partir du moment où la production en elle-même a démarré, les choses se sont parfaitement déroulées. Le groupe s’est libéré et cela s’est passé très naturellement. Cette phase de production s’est avérée très productive. Bel échange, beaucoup de dialogue et d’écoute avec un résultat final très abouti – efficacité du travail de groupe sur la création de l’activité ; j’ai apprécié le fait de se confronter à l’exercice : la mise en place des contraintes à respecter est une force – j’aime beaucoup l’association divergence/convergence et les associations d’idées ; découvrir d’autres collègues et façons de faire – la création du module en équipe et particulièrement le brainstorming ; chacun était capable de rebondir sur les idées des autres et être ouvert ; pas de peur de faire quelque chose de fou = pas de limites, pas d’auto-censure – j’ai aimé la première partie « divergence/convergence » qui permet de faire émerger des idées innovantes, originales ; la déstabilisation permet de sortir du cadre – de la stimulation intellectuelle qui nous ressource et qui nous aide à être innovant et à nous questionner davantage – j’ai aimé la participation active de chacun; les nombreuses interactions et le partage facile des idées.
Impressions négatives des participants : atelier trop court ; le fait de créer un cours qui n’existe pas – ne pas faire la « connaissance » de la même façon avec tous les participants quand nous sommes en distanciel ; les petites apartés avec les « collègues » du jour sont moins faciles même si le tchat existe ; le temps de restitution est rapide pour saisir toutes les infos délivrées par les autres groupes. Un support visuel serait appréciable ? ; c’est moins facile de faire des remarques à distance, sans « voir » les personnes – la diversité du groupe est intéressante, mais ne m’a pas permis de travailler directement avec un sujet qui me concerne… mais j’ai trouvé de l’intérêt dans la méthode, Merci – je m’attendais, au vu du titre de la formation cette année, à plus de lien avec le fait de transformer de simples exposés en des « prez actives » – la double tâche : présentiel et distanciel qui a créé un temps « faible » au départ avec une ambiance un peu froide… – j’ai été moins à ‘aise avec le premier exercice, celui de se présenter en 7 mots : plus difficile à appréhender à mon arrivée – le temps trop court pour aller plus loin dans la construction du cours… – trop court, j’aurais aimé qu’on aille encore plus loin avec un projet encore plus étonnant – le temps trop court pour faire une ébauche plus précise, mais ce n’était pas le but de la demi-journée – dommage que ça ne soit pas plus long ! – durée un peu trop courte pour vraiment aller au bout des choses et des idées –
Animation de l’atelier : Jean-Charles CAILLIEZ et Nathalie LAUGIER