L’Ecole, le système éducatif dans sa cohérence et sa continuité, suscite, encourage, développe la conscience citoyenne, alors oui, « Priorité à l’Ecole » ! et même priorité renforcée, face à la post-vérité, les infaux et les narratifs mensongers.
Une telle priorité, militante, pour être efficiente doit aussi tenir compte des « réalités du terrain ».
La dernière enquête PISA en date situe les élèves français en 23ième position (sur 82) en lecture et 25ième en mathématiques et en sciences.
Un tel résultat, médiocre, pourrait justifier le bilan à charge que dresse une tribune publiée récemment ( https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/liberons-les-professeurs-mais-aussi-les-parents-et-les-eleves-1392017). Ce document indique que, par an, la France dépense un point de richesse nationale de plus que les Allemands, que les enseignants du privé reçoivent, en moyenne un salaire net inférieur de 14,1% par rapport au salaire de leurs collègues du public, et perçoivent en outre des retraites plus faibles, enfin que, en même temps, les comptes de l’enseignement public accusent un surcoût administratif global de 13,1 milliards d’euros.
Sans chercher à revenir à l’époque où un ministre, fort imprudent, maniait la formule à l’emporte-pièce de façon injuste, brutale et contre-productive, il s’agissait alors de « dégraisser le mammouth », il est peut-être pourtant opportun de ne pas non plus sacrifier au retour de la sempiternelle argumentation autour des seuls « moyens », ni d’ailleurs de sa réfutation !
L’article qui décrivait les résultats PISA (https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/enquete-pisa-dix-resultats-pour-situer-les-eleves-francais-1153200) soulignait que « la performance n’a « pas évolué de manière sensible » depuis la première édition du test Pisa en 2000 » mais que « la stabilité apparente » des résultats cache des évolutions divergentes selon les élèves : le niveau des meilleurs a augmenté et celui des plus faibles a baissé, surtout entre 2000 et 2009. »
Et si donc on prenait le (réel) problème par un autre bout et si sa source était recherchée dans une « inégalité sociale maintenue et même aggravée » que le rapport PISA, et après lui, ce même article, publié en décembre 2019, ne manquent d’ailleurs pas de pointer : « De nombreux élèves de quinze ans, en particulier ceux issus d’un milieu défavorisé, ont « des ambitions moins élevées que ce à quoi on pourrait s’attendre compte tenu de leurs résultats scolaires », relève l’OCDE. En France, un élève défavorisé sur cinq qui a de bons résultats n’envisage pas de terminer ses études supérieures. Les élèves défavorisés ont aussi cinq fois plus de risques d’être en difficulté en compréhension de l’écrit que les élèves favorisés. »
Ceux qui choisiraient de récuser les analyses PISA, comme ceux qui peinent à voir la France inégalitaire cachée derrière l’ambitieuse proclamation révolutionnaire de sa devise, pourraient d’ailleurs lire, avec profit, un texte édifiant paru dans le Monde et dont le titre affiche clairement les enjeux : « j’ai compris que j’étais pauvre en arrivant au lycée Henri IV », https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/03/14/j-ai-compris-que-j-etais-pauvre-en-arrivant-au-lycee-henri-iv_6117481_4401467.html?xtor&&M_BT=46355821115306#x3D;EPR-33280894-[campus]-20220316-[zone_edito_1_titre_2]
Ce récit des tribulations d’un lycéen de l’Isère, « monté à Paris » pour cause de mérite, ne se résume pas. Il faut le lire pour comprendre comment les filières « élitistes » sont marquées par l’entre-soi et comment la reproduction sociale est le premier effet du modèle pyramidal qui prévaut au sein de l’Ecole de la République et la conséquence du féroce esprit de compétition qui la traverse !
Priorité à l’Ecole ! Trois fois oui mais priorité à une Ecole qui ne mène pas à une forme de désespérance, ceux qui ne possèdent rien que leur « mérite ».
En son temps (il a exercé la fonction de Premier ministre de1988 à 1991), Michel Rocard estimait que la revalorisation de la condition enseignante ne peut être dissociée de la rénovation de l’école : « Ce serait une faute gravissime. Si on se permettait de demander beaucoup d’argent pour la revalorisation, aux contribuables, qui, très souvent d’ailleurs, sont aussi parents d’élèves, tout en gardant un tel taux d’échec scolaire, ainsi qu’un niveau de qualité générale du système tel qu’il est, c’est-à-dire inférieur aux besoins, personne ne comprendrait. Ce serait un scandale. Nous aurions, dans quelques années, un effet de boomerang effrayant. Ces négociations sont liées par une nécessité logique que je ressens comme absolue. » https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/01/03/un-entretien-de-m-michel-rocard-avec-le-monde-de-l-education-nous-allons-etre-amenes-a-faire-des-sacrifices-budgetaires-considerables-pour-l-education_4116414_1819218.html
Vincent Peillon, devra pourtant reprendre le chantier et proposer une « Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République », qui sera promulguée le 8 juillet 2013 …
Autant de louables ambitions et de respectables projets qui n’empêcheront pas que, à juste titre d’ailleurs, le président de la République, dans le programme qui accompagne sa candidature à un second mandat, annonce une réforme majeure de l’Education, au motif que « notre système scolaire n’est plus ni à la hauteur de notre histoire ni des enjeux de notre futur. La réussite à l’école est encore trop liée à l’origine sociale. En 40 ans, les enseignants ont subi un inacceptable déclassement, et l’école ne rassure plus assez les parents. »
On notera en passant que 40 ans … c’est à peine plus que le temps écoulé entre les propos de Michel Rocard et ces déclarations du président-candidat. On voit bien que l’enjeu n’est pas dans un diagnostic, désormais partagé par beaucoup, il est dans l’urgence qu’il y a à ne pas sombrer dans une redite des errements (idéologiques?) des « refondations » antérieures. L’injonction de vigilance s’applique d’autant plus que deux exemples récents montrent la mesure du travail à faire comme celle des résistances à vaincre …. La réforme du baccalauréat avait fait apparaître une aggravation de la disparité entre filles et garçons au sein de l’option mathématique, les sociétés savantes s’en étaient émues, force est bien de constater qu’aucune mesure effective n’a été prise pour y remédier. De même, dans le cadre des opérations dites de repyramidage en cours, alors qu’une attention particulière a été portée aux ratio PR/MCF, la question des disparités femmes/homme n’a pas été intégrée au projet.
Si ces interrogations n’ont pas l’ampleur de la douloureuse question de l’échec scolaire ou celle des insuffisances montrées dans les évaluations PISA, elles attestent d’une semblable incapacité à affronter la question centrale de l’égalité. On l’a vu et on le constate sans cesse dans les divers types de revendications sociales, cette priorité est de plus plus ressentie comme essentielle. Elle requiert un changement de paradigme. Une priorité préalable à la priorité à l’Ecole et qui la conditionne.
« Le niveau scolaire est devenu, plus que jamais, la clef première de l’emploi, de la réussite, de la mobilité intergénérationnelle et, a contrario, des frustrations et du sentiment de déclassement. C’est l’école qui dessine un paysage politique désormais plus aimanté par le haut et le bas éducatif que par aucun autre facteur social. La rive entre les électeurs d’Emmanuel Macron et ceux de Marine Le Pen porte un nom prédestiné, le bac » (Eric Le Boucher, mars 2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lecole-notre-priorite-la-plus-urgente-998835)