Priorité à l’Ecole !

L’Ecole, le système éducatif dans sa cohérence et sa continuité, suscite, encourage, développe la conscience citoyenne, alors oui, « Priorité à l’Ecole » ! et même priorité renforcée, face à la post-vérité, les infaux et les narratifs mensongers.

Une telle priorité, militante, pour être efficiente doit aussi tenir compte des « réalités du terrain ».

La dernière enquête PISA en date situe les élèves français en 23ième position (sur 82) en lecture et 25ième en mathématiques et en sciences.

Un tel résultat, médiocre, pourrait justifier le bilan à charge que dresse une tribune publiée récemment ( https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/liberons-les-professeurs-mais-aussi-les-parents-et-les-eleves-1392017). Ce document indique que, par an, la France dépense un point de richesse nationale de plus que les Allemands, que les enseignants du privé reçoivent, en moyenne un salaire net inférieur de 14,1% par rapport au salaire de leurs collègues du public, et perçoivent en outre des retraites plus faibles, enfin que, en même temps, les comptes de l’enseignement public accusent un surcoût administratif global de 13,1 milliards d’euros.

Sans chercher à revenir à l’époque où un ministre, fort imprudent, maniait la formule à l’emporte-pièce de façon injuste, brutale et contre-productive, il s’agissait alors de « dégraisser le mammouth », il est peut-être pourtant opportun de ne pas non plus sacrifier au retour de la sempiternelle argumentation autour des seuls « moyens », ni d’ailleurs de sa réfutation !

L’article qui décrivait les résultats PISA (https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/enquete-pisa-dix-resultats-pour-situer-les-eleves-francais-1153200) soulignait que « la performance n’a « pas évolué de manière sensible » depuis la première édition du test Pisa en 2000 » mais que « la stabilité apparente » des résultats cache des évolutions divergentes selon les élèves : le niveau des meilleurs a augmenté et celui des plus faibles a baissé, surtout entre 2000 et 2009. »

Et si donc on prenait le (réel) problème par un autre bout et si sa source était recherchée dans une « inégalité sociale maintenue et même aggravée » que le rapport PISA, et après lui, ce même article, publié en décembre 2019, ne manquent d’ailleurs pas de pointer : « De nombreux élèves de quinze ans, en particulier ceux issus d’un milieu défavorisé, ont « des ambitions moins élevées que ce à quoi on pourrait s’attendre compte tenu de leurs résultats scolaires », relève l’OCDE. En France, un élève défavorisé sur cinq qui a de bons résultats n’envisage pas de terminer ses études supérieures. Les élèves défavorisés ont aussi cinq fois plus de risques d’être en difficulté en compréhension de l’écrit que les élèves favorisés. »

 

Ceux qui choisiraient de récuser les analyses PISA, comme ceux qui peinent à voir la France inégalitaire cachée derrière l’ambitieuse proclamation révolutionnaire de sa devise, pourraient d’ailleurs lire, avec profit, un texte édifiant paru dans le Monde et dont le titre affiche clairement les enjeux : « j’ai compris que j’étais pauvre en arrivant au lycée Henri IV », https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/03/14/j-ai-compris-que-j-etais-pauvre-en-arrivant-au-lycee-henri-iv_6117481_4401467.html?xtor&&M_BT=46355821115306#x3D;EPR-33280894-[campus]-20220316-[zone_edito_1_titre_2]

Ce récit des tribulations d’un lycéen de l’Isère, « monté à Paris » pour cause de mérite, ne se résume pas. Il faut le lire pour comprendre comment les filières « élitistes » sont marquées par l’entre-soi et comment la reproduction sociale est le premier effet du modèle pyramidal qui prévaut au sein de l’Ecole de la République et la conséquence du féroce esprit de compétition qui la traverse !

Priorité à l’Ecole ! Trois fois oui mais priorité à une Ecole qui ne mène pas à une forme de désespérance, ceux qui ne possèdent rien que leur « mérite ».

En son temps (il a exercé la fonction de Premier ministre de1988 à 1991), Michel Rocard estimait que la revalorisation de la condition enseignante ne peut être dissociée de la rénovation de l’école : « Ce serait une faute gravissime. Si on se permettait de demander beaucoup d’argent pour la revalorisation, aux contribuables, qui, très souvent d’ailleurs, sont aussi parents d’élèves, tout en gardant un tel taux d’échec scolaire, ainsi qu’un niveau de qualité générale du système tel qu’il est, c’est-à-dire inférieur aux besoins, personne ne comprendrait. Ce serait un scandale. Nous aurions, dans quelques années, un effet de boomerang effrayant. Ces négociations sont liées par une nécessité logique que je ressens comme absolue. » https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/01/03/un-entretien-de-m-michel-rocard-avec-le-monde-de-l-education-nous-allons-etre-amenes-a-faire-des-sacrifices-budgetaires-considerables-pour-l-education_4116414_1819218.html

Vincent Peillon, devra pourtant reprendre le chantier et proposer une « Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République », qui sera promulguée le 8 juillet 2013 …

Autant de louables ambitions et de respectables projets qui n’empêcheront pas que, à juste titre d’ailleurs, le président de la République, dans le programme qui accompagne sa candidature à un second mandat, annonce une réforme majeure de l’Education, au motif que « notre système scolaire n’est plus ni à la hauteur de notre histoire ni des enjeux de notre futur. La réussite à l’école est encore trop liée à l’origine sociale. En 40 ans, les enseignants ont subi un inacceptable déclassement, et l’école ne rassure plus assez les parents. »

On notera en passant que 40 ans … c’est à peine plus que le temps écoulé entre les propos de Michel Rocard et ces déclarations du président-candidat. On voit bien que l’enjeu n’est pas dans un diagnostic, désormais partagé par beaucoup, il est dans l’urgence qu’il y a à ne pas sombrer dans une redite des errements (idéologiques?) des « refondations » antérieures. L’injonction de vigilance s’applique d’autant plus que deux exemples récents montrent la mesure du travail à faire comme celle des résistances à vaincre …. La réforme du baccalauréat avait fait apparaître une aggravation de la disparité entre filles et garçons au sein de l’option mathématique, les sociétés savantes s’en étaient émues, force est bien de constater qu’aucune mesure effective n’a été prise pour y remédier. De même, dans le cadre des opérations dites de repyramidage en cours, alors qu’une attention particulière a été portée aux ratio PR/MCF, la question des disparités femmes/homme n’a pas été intégrée au projet.

Si ces interrogations n’ont pas l’ampleur de la douloureuse question de l’échec scolaire ou celle des insuffisances montrées dans les évaluations PISA, elles attestent d’une semblable incapacité à affronter la question centrale de l’égalité. On l’a vu et on le constate sans cesse dans les divers types de revendications sociales, cette priorité est de plus plus ressentie comme essentielle. Elle requiert un changement de paradigme. Une priorité préalable à la priorité à l’Ecole et qui la conditionne.

« Le niveau scolaire est devenu, plus que jamais, la clef première de l’emploi, de la réussite, de la mobilité intergénérationnelle et, a contrario, des frustrations et du sentiment de déclassement. C’est l’école qui dessine un paysage politique désormais plus aimanté par le haut et le bas éducatif que par aucun autre facteur social. La rive entre les électeurs d’Emmanuel Macron et ceux de Marine Le Pen porte un nom prédestiné, le bac » (Eric Le Boucher, mars 2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lecole-notre-priorite-la-plus-urgente-998835)

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2022 Voeux

2021 s’est achevée, 2022 débute. Le temps passe, la pandémie demeure. Sans doute vampirise-t-elle ce qui aurait pu être l’actualité du moment, les vœux, les souhaits, les projets d’avenir.

S’il est encore temps de souhaiter à chacune, chacun des destinataires de ce blog, la meilleure année 2022 possible, il est, en même temps, opportun de défier la morosité en proposant débats et réflexions, en formulant des souhaits en forme de pistes de réflexion d’avenir.

Au premier chef, à ceux qui doutent, on souhaitera l’acceptation de l’idée que l’interdépendance du monde a aussi été l’occasion d’une mondialisation des talents en faveur d’une mise au point de parades contre un forme nouvelle de virus…

Plus particulièrement, dans le cadre de ce blog et de son intérêt pour l’université, on souhaitera …

que soit pris au mot le président de la République qui, en présentant son Plan France 2030, a souligné ce qu’il a nommé de « vraies faiblesses » du pays en expliquant que « ces dernières décennies, nous avons sous-investi en éducation, formation, en enseignement supérieur et en recherche… »,

qu’alors l’éternelle question des moyens soit objectivée et traitée sous l’angle de l’efficacité, et donc rapportée à des modalités simples, transparentes, partagées, ainsi et par exemple en s’adossant au ratio moyen « ressources par étudiant » de l’OCDE,

que l’hypocrisie du système soit dénoncée au profit d’une reconsidération de l’actuel impossible grand écart du système français, tiraillé entre d’un côté l’astreinte à accueillir les plus grands nombres et, de l’autre, la volonté affichée de viser les plus hauts niveaux de la science,

qu’en même temps, la question de la professionnalisation et donc de l’accès à l’emploi, soit posée tout au long des études universitaires, en lien avec les modalités de la formation tout au long de la vie, comme à l’échelle des rythmes des études

De telles clarifications, coordonnées en une base transparente, permettraient alors à chaque université d’établir les moyens dont elle dispose réellement et donc d’afficher des capacités d’accueil et une politique cohérente des emplois ; sachant que l’exigence de la garantie d’un niveau de qualité conforme aux standards internationaux, doit naturellement être maintenue.

Voeux pieux ? Peut-être pas … pourvu que le débat sur l’enseignement supérieur ne demeure pas cantonné à l’entre-soi propre à l’univers de ses acteurs et surtout que les établissements d’enseignement supérieur le puissent et le veuillent.

Qu’ils le puissent dépend d’abord de la tutelle plus soucieuse d’évaluations outrageusement formalisées, voire tatillonnes, « pilotées par le haut », et pas assez attachée à la construction d’accès partagés aux données et du développement d’outils opérationnels permettant d’établir pour chaque établissement, un ratio « ressources par étudiant ».

Qu’ils le puissent est ensuite corrélé à la gestion du dispositif nouveau apporté par Parcoursup, dont les effets restent à mesurer, et à l’évolution en cours du second degré, la place qu’y prendra le nouveau baccalauréat, comme les conséquences qu’il aura sur la formation et les connaissances de ceux qui postulent pour l’entrée à l’université, qu’il ne faudrait pas encourager à confondre teinture de culture scientifique et compétences mathématiques.

Qu’ils le puissent est également lié à la nécessaire conscience collective de l’influence de la qualité des formations supérieures sur la société, comme de la recherche sur sa capacité à innover, à comprendre, à maîtriser le réel.

Pour qu’ils le puissent, il faut aussi que les acteurs de l’enseignement supérieur s’attachent forger un projet pour leurs établissements, qu’en d’autres termes, ils aspirent à devenir les acteurs de leur autonomie et non de simples rédacteurs mercenaires d’éphémères appels à projets. Il est temps que, en France aussi, les universités sachent inventer leur effet de marque, objectif trop souvent abandonné aux seules écoles.

Cela passe sans doute par une réévaluation idéologique, un attachement à l’excellence de l’établissement par ceux là mêmes dont le parcours académique a naturellement été guidé par l’excellence individuelle de chacune et chacun. Cela impliquerait que chaque université protège son histoire, fabrique son identité autour de ses acteurs d’aujourd’hui en intégrant ceux d’hier et en attirant ceux qui le deviendront demain. Un tel affichage serait en outre à corréler à une double exigence de formations accompagnées par une volonté de faire réussir les étudiants que l’établissement a accepté d’inscrire,

Au moment où le lieu de débats que devrait être la campagne électorale pour l’élection à la présidence de la République est, plus que par la pandémie, marqué par les petites phrases, la culture de la colère et des ressentiments, les querelles d’ego et les intérêts de partis, ces quelques souhaits bousculent quelques totems. Tous ne céderont pas et, s’ils cédaient, il n’est pas toujours garanti qu’une amélioration structurelle en résulterait… mais qu’au moins la réflexion soit menée et que cesse l’enlisement dans les postures et l’illusion que les moyens viendraient avant les idées ! Quoi qu’il en soit pensé, la mondialisation établit des standards et il est temps que l’université française ne soit plus écartelée entre une arrogante poursuite de l’exception française et une épuisante course à la compétition dans des classements qu’elle s’est condamnée à affronter à armes inégales !

Bonne année à toutes et tous !

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« Tenir le coup »

Au cours de la pandémie, la lutte contre la précarité étudiante s’est imposée comme une priorité absolue. Dégradation de leurs ressources financières, fragilisation de leur santé, difficultés académiques, manque de perspectives quant à l’accès à l’emploi … les conditions de vie, les conditions de travail sont devenues particulièrement difficiles, générant du mal-être et le sentiment d’être délaissés. Alors que la crise les a affectés au niveau psychologique, financier ou affectif, leur capacité à « tenir le coup », pour reprendre la formule récemment employée par le président de République, s’amoindrit d’autant plus que les perspectives demeurent sombres au-delà de la fin des restrictions que promet la généralisation de la vaccination.

Une récente enquête initiée par la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) a conduit à un rapport intitulé «Un an après : l’urgence d’agir pour ne pas sacrifier la jeunesse» et invitant à tirer un bilan après un an de pandémie. Sont traités divers points d’actualité imposés par le covid, ainsi le décrochage dans les études et les limites du distanciel, mais aussi la santé mentale et les conditions matérielles d’existence des jeunes.

Il est pourtant un point d’attention qui est rarement évoqué, une étudiante, un étudiant n’est pas tout à fait un « jeune » comme les autres, et ceci est d’autant plus vrai en France qu’un jeune qui poursuit des études après le baccalauréat ne fréquente pas nécessairement l’université. Il en est qui sont scolarisés dans des classes de BTS ou en classes préparatoires, d’autres sont intégrés dans des Ecoles, plus ou moins « grandes » … En outre, et la pandémie l’a rendu particulièrement visible, certains jeunes qui poursuivent des études doivent, pour pouvoir être étudiants, accomplir divers types de « petits boulots » ou, parfois, de boulots « tout court » … et d’autres pas. La pandémie n’a pas créé ces Tanguy intermittents que l’on décrit parfois, mais des étudiantes et des étudiants qui n’ont d’autre solution qu’un « retour au nid » faute de ressources pour se loger, voire plus basiquement s’alimenter, sans oublier les recours, plus fréquents encore qu’à l’accoutumée, aux divers dispositifs de solidarité, ni, plus cruellement encore, celles et ceux pour qui cette option de « retour au nid » n’est pas accessible.

Alors qu’il est de plus en plus question de revenu universel, parfois nommé revenu de base ou revenu citoyen, il serait éclairant de penser au cas particulier des étudiants, distinct de « la jeunesse »..
A cette autre époque où elle s’attachait à construire un point de vue syndical sur la condition d’étudiant, l’UNEF avait préparé, adopté puis promu la notion de l’étudiant comme « jeune travailleur intellectuel » qui ne pouvait donc plus être considéré comme un enfant à la charge de ses parents mais au contraire était « un jeune travailleur en formation doit avoir la possibilité matérielle d’y consacrer le temps nécessaire ». Cette exigence correspond à l’article 4, de la déclaration adoptée au congrès de Grenoble de l’UNEF (1946); pour le texte complet de cette « déclaration de Grenoble », voir ce lien : http://www.germe-inform.fr/?p=1824.
Jeune, travailleur, intellectuel, un cadre est donné qui pose un droit à la possibilité matérielle de se consacrer à des fonctions dont le déploiement ne manque pas ensuite de ruisseler sur l’ensemble de la population. En même temps, une distinction est posée … tous les jeunes ne seraient donc pas semblables ? L’hydre de l’inéquité redresse ses nombreuses têtes, en ce compris celle de l’opposition travailleur manuel/travailleur intellectuel !

Comment et pourquoi ce qui était souhaité en 1946 pourrait être considéré comme choquant aujourd’hui ? La question de la solidarité ne peut pas faire oublier celle de l’inégalité devant la poursuite d’études. Que l’on veuille, fort légitimement, repenser les outils de redistribution et de solidarité ne doit pas amener à négliger la réflexion sur l’université et ce qu’elle est en train de devenir. Interroger la question de l’héritage et l’inégalité structurelle qui en découle, ne devrait pas faire disparaître la question du mérite ni celle de la méritocratie, notamment républicaine.
Le point central, même s’il n’est que rarement objet d’analyses politiques, demeure qu’en France, l’université devient le lieu où toute une génération est réputée prise en charge, vaille que vaille, tandis que la formation des élites est mise à l’abri de la fréquentation de la masse non-discriminée qui échoue (et la polysémie du terme est frappante) dans les universités. Pendant un temps, à côté des héritages en biens matériels, furent évoquées les modalités de transmission des héritages culturels, fabriquant une nouvelle noblesse. Cette « noblesse d’Etat » se définissait largement par le sous-titre du livre éponyme de Pierre Bourdieu, paru en 1989, « grandes écoles et esprit de corps ». L’enjeu était celui d’une exclusion organisée. Un temps, « choc » du classement de Shanghai aidant, certains ont pu rêver à une redistribution des cartes inventant des universités dotées de libertés et de responsabilités.
Seulement voilà, une autre tentation a pris par le travers cette possible évolution. Le débat a porté sur le mérite, non pas sur les conditions de réalisation d’un mérite mais sur le principe même de l’existence d’un quelconque mérite. Aujourd’hui, bon nombre de ces « usagers de l’université », comme on dit, pour désigner indistinctement des étudiants, des enseignants, des enseignants chercheurs, repoussent l’interrogation sur l’émergence des reconnaissances, encouragent un refus de la possibilité de distinguer, mettent en place la dénonciation de l’excellence. Ce faisant, ils contribuent à la perte des repères et, de fait, tracent un chemin favorable aux populismes. Sans doute peut-on imaginer qu’il y ait une part de « tyrannie » dans l’usage de la notion de mérite. Michael Sandel, philosophe américain, y invite dans son ouvrage récemment publié, en français, chez Albin Michel (première parution, en anglais, The Tyranny of Merit, 2020). Il s’agit pour lui de dénoncer l’arrogance d’une élite estimant devoir ses privilèges à son travail, qui, par là même, déstabilise nos démocraties. Le débat mérite naturellement un espace plus vaste que celui qu’offre ce simple blog (on trouvera une intéressante présentation du livre dans cet article du Guardian : https://www.theguardian.com/books/2020/sep/06/michael-sandel-the-populist-backlash-has-been-a-revolt-against-the-tyranny-of-merit) … qu’il suffise néanmoins, dans le présent cadre, de faire remarquer que, particulièrement en France, si le mérite est souvent accompagné de l’adjectif « républicain »  c’est sans doute qu’il a fallu un principe de légitimation qui justifie la fin des privilèges féodaux et la montée en puissance de la bourgeoisie. L’apparition du « mérite » et son usage comme outil de distinction sont aussi une conséquence de la déclaration qui affirme que les hommes naissent libres et égaux en droit (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,1789). Aussi, et même mieux, c’est un effet du principe qui énonce que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (Déclaration universelle des droits de l’homme 1948). Il est alors posé que la réussite n’est plus déterminée par la naissance mais par les efforts de chacun. Les conditions d’efficience de ces efforts restent à établir, elles sont effectivement variables. Faut-il renoncer à ces principes pour autant ? Faut-il s’en remettre à la chance, aux rencontres, à la Providence ?

Le débat est d’autant plus essentiel, d’autant plus politique, qu’émerge fortement aujourd’hui une hypothèse alternative qui prône la nécessité d’être « woke » (manifester son éveil face aux injustices subies par les minorités), la « cancel culture » (dénoncer et ostraciser ceux dont les comportements sont considérés comme discutables), et l’intersectionnalité (afficher la convergence entre la cause de la race et celle du genre). La notion clef devient alors celle du « respect » de l’autre qui tout à la fois exacerbe la notion d’individu (aux dépens de la promotion des idées) et remet en cause l’universalité de la République. C’est aussi au nom du respect de l’autre et de l’étonnant détour du libéralisme dont il témoigne, que se répand une tolérance envers les signes religieux, il s’agit de ne pas offenser le croyant, que s’affirme, sous forme de défense de la liberté individuelle, la proclamation du droit à refuser le vaccin anti-covid ou le port du masque, que se brouille la frontière entre l’expression d’une opinion et l’expertise ou la charge de la preuve.

Oui le combat de l’UNEF de 1946 alors que beaucoup rêvaient d’un autre monde, était essentiel ! Défendre la possibilité que tout étudiant, simplement parce qu’il est étudiant, ait les moyens matériels de ses études, est un combat d’aujourd’hui ! Oui il faut « tenir le coup » pour, par exemple, que les propos de Barack Obama dans un discours de 2013 « If you don’t have a good education, then it’s going to be hard for you to find a job that pays the living wage », ne soient pas moqués par une part importante de la gauche américaine (ainsi Michael Sandel) et que toutes celles et tous ceux qui visent une formation de qualité, le puissent effectivement, à l’abri de la précarité comme des dépendances. La démocratie participe du consentement éclairé des citoyens et de l’acceptabilité des politiques mises en œuvre.

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A Lille, une université, facultaire puis séparée, maintenant fusionnée, devient un établissement public expérimental.

« Le jeudi 21 avril 2021, l’Université de Lille, l’Ecole Nationale des Arts et Industries Textiles, l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles, l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille et Sciences Po Lille se sont prononcées favorablement sur les statuts donnant naissance à l’établissement public expérimental. »

Ce vote des statuts constitue une phase d’un processus qui méritera d’être observé attentivement. D’autres suivront, notamment dans la gestion des relation entre Ecoles et Université, celle de la subsidiarité, comme des participations aux décisions. En attendant, au moment où la crise amenée par la pandémie, renforce la pression de l’immédiat, une plongée dans le passé de l’université publique de Lille offre une mise en perspective utile à l’intelligence de la marche du temps.

Ce temps est fidèlement évoqué dans un texte composé par Bernard Pourprix, à partir d’extraits d’entretiens réalisés par le Groupe Mémoire Orale de l’ASAP (Association de Solidarité des Anciens Personnels de l’Université de Lille), largement consacré à « la mémoire de la faculté des sciences et de l’université de Lille 1, 1960 – 1980 » et mis en ligne le mardi 30 avril 2019.
Ce document évoque ainsi un temps où se faisait sentir « le poids de la hiérarchie et les relations mandarinales » tandis qu’émergeaient « les balbutiements de la recherche » puis que commença une « reconnaissance nationale de laboratoires de recherche ». Ce temps connut « les répliques du séisme de mai 68 » et « la séparation entre Lille 1, Lille 2 et Lille 3 » mais aussi (déjà!) « une administration regroupée, structurée, en évolution », « des expériences pédagogiques », « une internationalisation de la recherche » (les expressions entre guillemets reprennent certains des intertitres du document).

On le trouvera, in extenso,à cette adresse : https://asap.univ-lille.fr/spip.php?article60

J’en donne ci-dessous le Préambule :

« Ce texte veut donner un aperçu de la soixantaine d’entretiens que le Groupe Mémoire Orale (GMO) de l’ASAP a réalisés avec des anciens de l’université. Les transformations impliquées par le passage de l’ancienne faculté des sciences à la nouvelle université (1960-1980) constituent le thème dominant des entretiens. Des changements plus récents ne sont pas pour autant négligés. 
Sans chercher à faire une synthèse du contenu des entretiens, on peut quand même essayer de dégager quelques lignes de force. L’ancien monde est dépeint en détail. L’enseignement reçu sur les bancs de la faculté est principalement de type magistral. Le manque d’encadrement est manifeste, comme l’absence d’aide aux étudiants en difficulté. Dans plusieurs secteurs, la recherche est balbutiante. Là où elle existe, elle est menée dans des conditions difficiles, avec peu de moyens. Néanmoins, des pionniers ouvrent des voies d’avenir. Certains professeurs laissent les thésards se débrouiller seuls.
Pour les recrutements d’assistants, il n’y a pas de procédure officielle. Au niveau de la faculté, il n’y a pas non plus de structure institutionnelle véritable. Ceux qui n’ont pas le rang de professeurs ne sont pas impliqués dans le fonctionnement du système. De nombreux entretiens éclairent les relations de type mandarinal existant à cette époque.
Mais l’augmentation importante des effectifs entraîne la mise en place d’une gestion collective et une évolution des relations humaines. A Lille, on n’attend pas la loi d’orientation de novembre 1968 pour créer de nouvelles structures, par exemple les départements, officialisés en 1967, mais en gestation dès le début des années 1960. Quand arrive mai 1968, la faculté des sciences, déplacée depuis peu sur le campus, ne tarde pas à élaborer ses statuts. Dans ces périodes troublées, notre université est le lieu de vives tensions. Selon que l’on était, à l’époque, professeur ou assistant ou AITOS, on peut avoir aujourd’hui des opinions bien différentes sur la genèse de la nouvelle université.
Jusqu’au début des années 1970, la recherche est encore considérée, dans certains secteurs, comme une activité nécessaire, sans plus. Ensuite, les idées évoluent, plus ou moins vite selon les disciplines. La recherche se structure, en lien avec le CNRS. Plusieurs interviewés présentent avec passion la genèse et le développement de leur laboratoire. Ils fournissent un éclairage intéressant sur leur contribution personnelle, sur leurs collaborateurs, sur les difficultés des relations humaines, sur l’importance des relations avec des personnalités de premier plan pour l’avancement d’un dossier, etc. Aujourd’hui, le développement des collaborations avec les entreprises va de soi, il n’en était pas de même vers 1970. Les entretiens permettent de mieux comprendre les étapes de l’ouverture de l’université sur le monde socio-économique.
Le travail du GMO n’est pas terminé. Actuellement il réalise des entretiens sur des sujets ou des domaines insuffisamment explorés, et notamment la structuration de l’administration de l’USTL, les innovations pédagogiques, la structuration de la recherche. Le lecteur ne doit donc pas s’étonner s’il trouve que ce texte est incomplet. D’autant que, lors de sa composition, il a fallu faire des choix : il n’était pas envisageable de présenter la totalité des questions abordées lors des entretiens !
Censé reproduire la réalité des entretiens, le texte que vous allez lire est constitué essentiellement d’extraits. On pourra objecter que ce travail ne dépasse guère le stade du recueil des données mémorielles et que l’exploitation de ces matériaux bruts reste à faire. Oui, certes ! Mais il faut un début à toute chose… » 

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Faut-il supprimer l’ENA ?

La question est (redevenue) d’actualité.
Elle entraine dans son sillage nombre de -ismes, dégagisme, populisme, élitisme, alternativement pour les blâmer, les souhaiter ou les regretter.
S’y ajoutent les commentaires politiques alors que, peut-être lassés de débattre, depuis une année, de la covid et des vaccins, les media emboitent allégrement le pas de celles et ceux qui, enjambant les élections régionales et leurs enjeux, sont déjà lancés dans LA campagne électorale, celles des présidentielles.
Sur fond d’une pandémie qui n’en finit pas d’imposer ses lourdes contraintes et de bégaiements d’une campagne de vaccinations dont il est si facile d’oublier l’exceptionnelle complexité comme la non moins exceptionnelle célérité des avancées scientifiques qui la permettent, le temps est aux vives critiques d’ « élites » perçues comme « déconnectées ».
La suppression de l’ENA devient alors un fusible qui détourne(rait) l’attention et met(trait) à distance le rôle des « politiques », en même temps qu’elle signale(rait) l’enjambement de la campagne présidentielle de 2017 vers celle de 2022, au risque d’être vite réduite au rang de « mauvaise mesure populiste ».

Pourtant, les décideurs comme (surtout) les commentateurs gagneraient tant en clarté et en efficacité en cernant la nature de la question, d’abord en comprenant bien que s’il s’agit de remplacer l’ENA par un « Institut du service public » il n’est en rien garanti qu’un changement se sera mis en branle !

L’enjeu est ailleurs. Il est remarquable qu’il soit en fait le même depuis la création de l’ENA, on pourrait dire en dépit de cette création. Déjà, lors de cette création par de Gaulle (et Maurice Thorez ajouterait-on volontiers, malicieusement), le sentiment dominait que les élites avaient failli et qu’il était urgent de leur assurer un autre modèle de formation. Alors comme aujourd’hui, l’ampleur de la crise et l’improvisation qui avait dominé dans les manières de la traiter avaient renforcé la conviction qu’en France, les élites n’étaient pas armées pour de telles épreuves. Maintenant comme dans l’après-guerre, un pays est à rebâtir. Il faut rompre avec les rafistolages.

Depuis le parcours de ce qui a vite été désigné comme une énarchie, constituant une « caste à part », résolument « hors sol », « ignorante du terrain », pour reprendre des formules devenues familières et des comportement particulièrement mis en question lors de l’épisode dit des « gilets jaunes ». Il y a là comme une sorte de nouvelle « étrange défaite », un cruel manque d’efficacité des dispositifs qui assurent la gestion de l’Etat au plus haut niveau.
Le problème c’est que rien ne garantit qu’un tronc commun à treize écoles ou le renforcement d’une filière « Talents » réservée à des étudiants boursiers ou l’obligation de passer cinq (ou six ans) hors du microcosme parisien, « sur le terrain », permettront d’éviter cette fois les contradictions qui n’ont pas été surmontée par l’Ecole créée en 1945.

L’énarchie avait déjà été dénoncée, fermement mais sans guère d’effet, par Jean-Pierre Chevènement qui voyait dans l’ENA la fabrique des « mandarins de la société bourgeoise ». Enarque lui-même (comme ses co-auteurs, usant avec lui du pseudonyme Jacques Mandrin pour la rédaction de leur livre consacré à l’Enarchie en 1967) puis plusieurs fois ministre, Jean-Pierre Chevènement illustre précisément la porosité entre l’Ecole réputée former les hauts fonctionnaires français qui fournissent les cadres qui éclairent puis dirigent l’action d’une part, et les hommes politiques réputés prendre les décisions d’autre part. Cette proximité, cette facilité à passer d’une condition à l’autre, culmine avec la dyarchie actuellement installée au sommet de l’Etat ; au côté d’Emmanuel Macron, énarque, Edouard Philippe, énarque, était premier ministre, Jean Castex, énarque, lui succéda.

Qu’on ne s’y méprenne pourtant pas. Aucun pays raisonnable (ils ne le sont pas tous!) ne peut souhaiter que la médiocrité du recrutement soit privilégiée pour l’accès aux responsabilités politiques, sociales ou économiques ! Ni, normalement, qu’un tel accès résulte d’un tirage au sort.
Pourtant, même si la place des experts techniques et de leurs méthodes doit demeurer centrale dans l’aide à la décision, il n’est pas assuré pour autant qu’il doive en être de même pour la prise des décisions. La gestion de la démocratie est à ce prix ! Prendre des décisions est une chose, faire partager et accepter leur application en est une autre qui obéit à d’autres contraintes, ainsi, la question de l’acceptabilité des vaccins et celle de leur acceptation in fine relève de ces contraintes et contradictions !

Marc Bloch, à propos de ce qu’il avait défini comme une « étrange défaite », insistait sur la place des élites et sur leur formation. Il évoquait deux aspects essentiels quant aux approches souhaitables. Venait d’abord l’idée de « favoriser, par des bourses, l’accès de tous aux fonctions administratives et en confier la préparation aux universités, selon le large système de culture générale qui fait la force du Civil Service britannique ». Cette première salve de recommandations est intéressante : des bourses c’est à dire des financements, plutôt qu’une « filière distincte » avec ce que cela porte de marque de différence et de risque de dérive, mais aussi une préparation partagée avec les universités pour permettre l’accès à un « large système de culture générale ». Naturellement ceci n’est peut-être plus aussi simple avec les formations universitaires actuelles, volontiers ciblées sur les « compétences » plus que sur les savoirs ! Signe que la réflexion sur les formations doit être générale au sein du système et non réservée à certains des rouages.
L’autre axe dont Marc Bloch voudrait encourager la mise en place, part de cette idée que « le pays souffre si les instruments du pouvoir sont hostiles à l’esprit même des institutions publiques Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires, formés à la mépriser et, par nécessité de fortune, issus des classes mêmes dont elle a prétendu abolir l’empire, ne la servent qu’à contrecœur. » Ces remarques reprennent l’idée de la nécessité de mixité sociale mais surtout d’une mixité culturelle respectueuse des valeurs de la démocratie (si, naturellement, est bien maintenue l’idée que ces hauts fonctionnaires sont là pour faire prospérer en même temps la démocratie et les citoyens). On pourrait se rappeler que l’ENA a l’origine avait été créée pour dépasser un « recrutement de base presque exclusivement corporatif ». Par ailleurs, il est aujourd’hui difficile de ne pas encourager la réflexion sur ce qui arrive au « modèle Sciences Po », ne serait-ce que parce qu’une part non négligeable des élèves de l’ENA a débuté par un cursus dans les IEP. Les tensions idéologiques qui y sont aujourd’hui manifestes, ne peuvent être sans effet sur les futurs hauts fonctionnaires comme ils le sont dans les universités et les Ecoles que l’on dit « grandes », il importe de s’assurer que les hauts fonctionnaires (et pas seulement les « hauts ») ne soient pas « hostiles à l’esprit même des institutions publiques ».

Voilà un débat important qui dépasse la réforme de l’ENA et la prolonge vers la préparation de l’avenir du pays. Le président Macron semble ne pas s’y tromper lorsqu’à la fois il évoque la nécessité de « construire un partenariat fort avec les universités » et propose d’envisager l’hypothèse d’un renoncement à l’addiction française à un système de concours qui détermine à vie la position que l’on occupe dans la société. Il s’agirait d’évolutions majeures.
En France, il est urgent de redonner de la confiance et, notamment, redonner de la confiance dans les élites, c’est ça aussi la lutte contre le populisme !

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On ne confine pas tout …

Le monde de demain, comme on a dit un temps, devra s’accommoder des précarités qu’engendre la crise actuelle, sanitaire mais aussi sociale et économique. Il faudra aussi intégrer les évolutions qui se sont prolongées pendant que la pandémie s’était arrogé la maîtrise des horloges … mais pas de toutes.
Si la poussière est désormais retombée sur les projets que portait la loi « Libertés et responsabilités des universités » promulguée le 10 août 2007 (14 ans déjà!) l’idée d’une nouvelle organisation des universités se poursuit. Il y avait eu des pôles universitaires européens, il y eut des COMUEs, les EPE d’aujourd’hui ont ce mérite singulier que tout y soit expérimental, que personne n’est réellement engagé. Il s’agit explicitement d’expérimenter « de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement » ; l’annonce est d’une période de 10 ans. Les universités ont fusionné, plus exactement elles ont retrouvé ce que la loi Faure post 1968 avait séparé en faisant des « universités » avec les anciennes facultés disciplinaires, selon une logique alors largement menée par les situations locales. La structure en lasagne d’aujourd’hui ne touche ni aux clivages universités/écoles, ni à ceux entre organismes et universités, pas plus qu’elle ne prévoit des relations institutionnelles avec les décideurs d’autres domaines, disons, pour faire vite, politiques et économiques. En revanche, le pouvoir de décision s’éloigne encore plus des acteurs de l’enseignement supérieur, enseignants, enseignants-chercheurs, chercheurs, personnels non-enseignants, étudiants. Les EPE sont en fait aux mains d’un nombre réduit de « sachants », les uns dans les instances nationales, MESRI et agences qui en émanent, de type ANR, les autres dans les équipes de direction des EPE avec des représentations variables entre des élus réputés représenter les « acteurs » de la structure, des personnalités dites extérieures et des pondérations (à proportions variables) entre les divers « établissements-composantes » de l’établissement public expérimental.
Il ne faut pas se méprendre sur ce bricolage. Il a pour effet déjà visible d’inventer un « travail empêché » différent de celui qu’a imposé la pandémie, différent mais surtout plus redoutable. En éloignant les décideurs de leur base, on obtient assurément plus d’agilité (notion devenue clef) mais au prix de faire régner la résilience (autre notion devenue clef) c’est à dire de fonctionner comme si se déployait une obligation non de résultat mais de consentement aux difficultés du moment au motif qu’elles annonce(raie)nt l’émergence d’un monde meilleur. Le grand bond en avant que marque l’EPE mérite(rait) bien quelques entorses à une forme de « démocratie » devenue tellement représentative qu’il est difficile de mesurer qui, quoi, ou comment est représenté et quelle retour reste possible sur cette représentation. La volonté de mettre en place une organisation nouvelle a conduit à oublier que l’implication organisationnelle ne peut se manifester que dans la confiance interpersonnelle; plus grave, personne n’a veillé à la mise en place de dispositifs permettant à chacun de se sentir représenté, respecté, responsabilisé et entendu, si ce n’est dans les effets d’annonce !.
La loi « libertés et responsabilités des universités » était bel et bien une loi, une fois votée au parlement elle s’appliquait, en dépit de toutes les oppositions qui se déchainèrent contre elles. A l’inverse, la marche vers les EPE n’a mis personne dans la rue … parce qu’il n’en est nul besoin, le mécanisme est infiniment plus pervers. Personne n’est contraint à construire un EPE et même chacun est libre de ne pas le faire … mais, et la (pseudo) pédagogie du changement qui l’a accompagné l’a bien montré, le dispositif fonctionne sous le double signe de la menace/promesse d’un accès à l’excellence (Idex, I-site …) et de la possibilité d’aller décrocher une « timbale ». Le triple handicap d’une telle manœuvre, naturellement, consiste en ce que le succès ne garantit rien (ni l’étendue de la soulte attachée à la « timbale », ni d’éventuels avantages organisationnels), que l’échec ne pourra(it) qu’entrainer une amertume qui mettra(it) du temps à disparaître, que les équilibres construits pour plaire au jury (et qui ne sont pas nécessairement en harmonie avec le projet que l’établissement, laissé à ses propres logiques, aurait pu mûrir) ne présentent de garanties ni dans la durée (rappelons le, l’EPE comporte une clause de possible renoncement -y compris singulièrement pour chacun des partenaires-) ni quant au progrès effectif qu’apporte(rait) une telle nouvelle organisation qui, très largement, ne sert qu’à intégrer des contraintes qui lui sont imposées !

Cette question du développement et de l’efficacité des EPE a, il faut le dire, permis à la France de monter dans les classements internationaux, objectif assigné au remue-ménage dans l’enseignement supérieur qui a suivi le « choc » du classement de Shanghaï. Reste à démontrer que les résultats ne sont pas le seul effet d’additions des performances déjà réalisées par les établissements !

L’université n’est pas prioritairement une affaire de comptabilisations ! On pourrait plutôt se demander quelle politique de postes, quels avantages concurrentiels en matière de recrutement sont apportés par les EPE ? Une carte des emplois « gelés » dans les établissements pour parvenir à l’équilibre budgétaire (de fait artificiel) serait fort éclairante ! Elle pourrait avantageusement être accompagnée par l’affirmation d’une politique pour les emplois, notamment par les arbitrages entre les divers établissements composantes !

Plus généralement encore, notamment parce que la gestion du provisoire ou de l’expérimentation ne fait pas une politique, on pourrait se demander quel projet pour l’enseignement supérieur est actuellement en cours (ou même en préparation) en France. La question se pose, notamment lorsqu’il faut bien constater les entorses actuelles au monopole de la collation des grades, les difficultés à penser une réforme de l’ENA, plus généralement de la formation des élites où les écoles de commerce prennent une importance croissante ou des failles grandissantes de la formation en mathématique (sur ce point on lira, notamment, la description de la catastrophe annoncée dans cet article du journal Le Monde et on réfléchira aux effets de la réforme des filières dans les lycées : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/mathematiques-une-generation-qui-ne-sait-plus-compter-1294464#utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_lec_longformats&utm_content=20210307&xtor=EPR-5060-[20210307].)

L’ensemble de ces hésitations, l’absence de vision et le souci de ne pas fâcher, ne construisent pas une image d’un pays qui serait capable de produire les dispositifs qui sont devenus indispensables aujourd’hui. La question n’est pas de savoir pourquoi Sanofi n’a pas créé « son » vaccin mais d’identifier ce qui, dans les méandres de l’administration de la France, a bloqué les dispositifs qui feront émerger les start-ups capables de les produire comme c’est le cas ailleurs (et de ce point de vue l’organisation de l’université d’Oxford mériterait d’être examinée).

Si l’urgence stratégique du moment est dans la capacité à réagir vite et bien, avec « agilité » donc, les gros porte-containers que sont en fait les EPE sont-ils véritablement adaptés ? S’il ne le sont pas pourquoi persister à en faire l’indispensable contrainte à l’éventuel accès à une misère financière moindre en devenant idex ou i-site ? Les directions d’université sont-elles tellement dans le relais des oukases ministériels qu’elles ne peuvent, ni ne veulent s’interroger sur un (futur) projet ? Ou faut-il penser que toute idée d’un projet reste bloquée entre les deux mâchoires d’une tenaille réunissant deux groupes d’intérêt frappés d’une même connivence, mobilisée afin d’assurer leur perpétuation, les directions des universités et les hautes sphère du MESRI ?

La sortie de la pandémie c’est la vaccination … c’est aussi, à son côté, la projection dans l’avenir, une clarification des enjeux et la construction de projets, pour l’enseignement supérieur aussi !

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Islamophobie(2) : les procès en disqualification

L’affichage des noms de deux professeurs sur les murs de l’IEP de Grenoble, marque une nouvelle étape < voir : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/08/sciences-po-grenoble-enquete-ouverte-apres-les-accusations-d-islamophobie-contre-deux-professeurs_6072295_3224.html

L’enjeu des accusations de fascisme, de l’exigence de démission, de la proclamation que « l’islamophobie tue », dépasse la qualification d’ « injure à un particulier » pour laquelle une enquête est ouverte
D’abord il y a là une trop réelle menace pour la sécurité de ces deux collègues, ainsi nommément désignés. Le récent assassinat de Samuel Paty ne peut malheureusement laisser aucun doute à ce sujet.
Ensuite, la volonté d’intimider se veut exemplaire et situe au-delà de la question de la liberté d’expression. Il ne s’agit donc pas simplement d’avoir à « établir la responsabilité de chacun » comme l’évoque le communiqué de la ministre.
Il se trouve que ce type d’accusation n’a besoin ni de faits ni de preuves. Que l’accusatrice de Samuel Paty vienne précisément de reconnaître le mensonge par lequel tout le malheur est arrivé, en témoignerait avec force s’il en était besoin. Le redoutable danger de telles annonces réside dans l’effet d’entrainement qu’elles possèdent désormais alors que la circulation de l’infaux vaut pour sa véracité. C’est devenu le propre de la diffusion sur les réseaux sociaux sur lesquels ont, précisément, circulé très vite des photos des affiches incriminant les enseignants de Sciences-Po Grenoble.
La « culture du débat » devient impossible à assurer dès qu’elle est soumise à la disqualification de l’autre. On ne discute plus des idées, on proclame l’anathème. Tel qui tient des propos a priori réprouvés est disqualifié, il n’a plus droit à la parole, est exclu du débat, devient frappé d’interdit. Voilà un point de vigilance majeur !
La pratique de l’excluions n’est pas neuve. Pour s’en tenir au XXème siècle, on peut citer l’Allemagne nationale-socialiste et sa loi de 1933 (Berufsbeamtengesetz) qui fondait les disqualifications massives de secteurs entiers de la population ou la révolution culturelle chinoise et ses gardes rouges qui avaient, notamment, promulgué la lutte contre les « quatre vieilleries » et les « cinq catégories noires ».
Dans les deux cas (et de façon explicite en Chine) il s’agissait d’une lutte entre « cultures », d’un combat pour assurer une hégémonie. La différence majeure avec les disqualifications proclamées aujourd’hui tient à ce que tandis que les unes étaient animées avec le soutien du pouvoir en place et adossées à des lois (fussent-elles scélérates), les autres constituent des infractions caractérisées aux lois en vigueur, à la pratique de la démocratie et au respect des opinions de chacun (essentiel dans nos démocraties, au point, par exemple, que le souci de l’intérêt général puisse reculer face aux fortes hésitations devant l’obligation de vaccination).
Ainsi, aux Etats-Unis l’abrogation de la loi de Lynch, pourtant pratique de justice expéditive relevant de « tribunaux » irréguliers, a nécessité l’adoption de toute une batterie de lois …. et une évolution culturelle majeure, encore loin d’être acquise par tous.
Il faudra bien qu’en France, dans les pays démocratiques, soient inventés des moyens et des pratiques permettant de protéger les citoyens et les institutions, de dénoncer les infaux, de rendre impossibles toutes les disqualifications a priori. La tâche est, d’autant plus complexe qu’elle réactive les conflits historiques individus/société d’une part, foi personnelle et pratiques sociales de l’autres. C’est pourtant ce défi que nos sociétés vont devoir affronter, ce qui exige d’abord de nommer les choses, première, et déjà conflictuelle, étape.

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« islamo-gauchisme » … comment en est-on arrivé là ?

Depuis quelque temps, les anathèmes volent en escadrilles …

« Radicalisation », « islamophobie » et maintenant « islamo-gauchisme », les mots-écrans du prêt à penser encombrent les discours et, avec eux, les esprits. Au point que soit réclamé « un état des lieux sur ce qui se fait en recherche en France, sur ces questions », tandis qu’en retour, sont dénoncées la mise en place d’une « police de la pensée» et une mise en péril des libertés académiques.

Commençons par un constat : l’islamo-gauchisme n’est pas une notion. C’est l’occasion d’un hold-up sur les problématiques de déchiffrement du réel.
En dépit de l’apparente référence à l’islam, la formule « islamo-gauchisme » ne correspond pas à une catégorie transcendante mais à une construction de l’esprit qui relève des « cultural studies ».
L’« islamo- gauchisme » est un amalgame hétéroclite qui se veut péjoratif. Son emploi réactive des choix, voire des rivalités, à base religieuse, et un usage politique de ces choix. La question n’est pas celle d’un simple retour de l’intolérance mais bien d’une guerre des modèles qui parcourt un itinéraire idéologique qui mérite d’être retracé.

Au commencement, on trouve sur la sellette les « cultural studies ». Il s’agit de travaux en langue anglaise (notamment ceux de Raymond Williams, Richard Hoggart ou Stuart Hall et non, comme souvent colporté, de propositions issues des universités américaines) qui visent à élaborer, sur base transdisciplinaire, les relations entre cultures et pouvoirs. A cet effet, sont mobilisées conjointement une démarche théorique qui mêle l’analyse sociologique des sociétés de masse, une réflexion philosophique sur la domination sociale et l’étude des productions culturelles, notamment quant à la manière dont sont façonnés les imaginaires.
Cette perspective n’envisage plus la culture comme une superstructure liée aux rapports de force socio-économiques, mais comme le produit des relations entre les groupes sociaux sur base de conditions historiques données. On rejoint alors la notion d’hégémonie (Gramsci) et avec elle la tension entre la culture dominante et, d’autre part, ces formes et activités qui plongent leurs racines dans les conditions sociales et matérielles des classes populaires comme de groupes sociaux qui se sentent dominés.
Une telle étude des cultures a d’abord été appelée à envisager plusieurs enjeux : pourquoi et comment le « spectre qui hante l’Europe », ce communisme qu’évoquent les premiers mots du Manifeste du Parti Communiste (1878) n’a pas su triompher, comment et pourquoi la classe ouvrière a été détournée du destin qui lui était scientifiquement assigné par le marxisme, comment le capitalisme s’est-il installé pour durer, fût-ce, comme en Chine, sous la forme d’un capitalisme d’Etat, modèle hybride associant les mécanismes de marché à une économie restant contrôlée par l’Etat.
Pour dépasser ce défi, les « cultural studies » se sont alors tournées vers la recherche d’autres forces qui pourraient s’avérer être le (nouveau) moteur de l’histoire. Elles rejoignent alors une nouvelle série de questions : comment dépasser le hiatus entre la « pensée sauvage » et la tradition herméneutique européenne (adossée à l’exégèse biblique), illustré en son temps par le débat entre Ricoeur et Lévi-Strauss ? comment les femmes peuvent-elles être des hommes comme les autres ? comment peut-on contourner la spiritualisation de sa propre culture par l’Occident, cette « entreprise impériale d’une confiance sans faille en sa propre légitimité » qu’Edward Saïd tenait pour une arme redoutable ? comment était-on passé de « comment peut-on être persan ? » à « comment peut-on récuser le libéralisme et la démocratie représentative au point de décider de tuer et de mourir » ? C’est toute la représentation d’un monde occidental qui se voit émancipateur qui est déboulonnée.

Au delà de ces contradictions et du choc du 11 septembre, la notion de « radicalisation » s’est installée au point où convergent une dynamique salafiste conçue au Moyen-Orient, porteuse d’une rupture avec les valeurs des sociétés occidentales, et les effets des multiples interrogations quant aux légitimités des cultures et des identités, culminant en un refus d’une culture masculine, blanche, et néocoloniale dans son rapport à l’autre.
Ces rejets et cette quête d’une (nouvelle) identité rejoignent alors une récupération de la critique marxiste de l’universalité coupable d’oublier les « eaux glacées du calcul égoïste » (Marx, Manifeste du Parti communiste), là où la production a renoncé à l’utilité (la valeur d’usage) en faveur de l’échange, de la marchandisation et de la création de profit (la valeur d’échange). Marx dénonçait une universalité qui se réclame d’une ontologie de tradition grecque où les existences individuelles sont de simples phénomènes de l’Idée absolue, au lieu d’une ontologie des sujets incarnés vivant en communauté et donc soumis aux rapports de production et aux luttes de classe. Cette incarnation des sujets est aussi marquée par les tensions entre les cultures qui les façonnent de fait, que les « cultural studies » énumèrent en classe, genre, race, et dont elles étudient les intersections pour aboutir à une double dénonciation des universalités et des « droits de l’homme » (même ripolinés en « droits de l’humain »). Cette « logique » a finalement mené à cette proposition que pour « avoir le droit » de parler de ces droits de l’humain, il faut, préalablement, prendre en compte le niveau de développement des divers milieux et de préserver la liberté de choix du régime politique. En d’autres termes, il s’agit d’une « logique » qui, parce qu’elle porte une renonciation aux universaux, mène à un étrange relativisme ; ce qui est bon pour l’un, ici, maintenant, ne le serait pas pour l’autre, là et alors, in illo tempore donc.
Les fautes dans la gestion des droits de l’homme hérités des Lumières et marqués comme « occidentaux » sont alors soulignées, méfaits historiques du colonialisme ou du racisme, réponses à la pandémie ressenties comme menaçant les libertés. La conclusion « logique » apparaît alors avec cette proposition que les « vrais » droits de l’homme, ceux qu’il faut protéger, ne sont pas ceux dont l’Occident se vante et dont il fait l’instrument sa domination néo-coloniale. L’accent est donc mis sur un droit d’être réellement libres, un droit de vivre, un droit d’avoir des réponses aux attentes pratiques en matière de santé et de protection. Ce sont ces « vrais droits » que les pays de démocratie tocquevillienne se montreraient incapables d’assurer.

Les questionnements autour des légitimités, des relations de pouvoir et particulièrement des influences culturelles, de l’usage et la manipulation du « temps de cerveau humain disponible » ne sont pas récents. La propagande, les embrigadements, la servitude volontaire, cet « art d’asservir les sujets, les uns par le moyens des autres » que montra La Boétie, les guerres de religion, les batailles de cultures (à l’instar du Kulturkampf qu’en son temps Bismarck mena contre l ‘église catholique -on oublie trop facilement que l’exigence de laïcité n’est pas une obsession purement française-) en sont autant d’illustrations possibles.
Ce qui est aujourd’hui singulier, différent, c’est la conjonction de l’interdit et de la rapidité, comme de l’étendue, de sa diffusion. Une stratégie de l’intimidation, véhiculée par les réseaux sociaux, s’est mise en place, notamment sous forme d’une intimidation morale et intellectuelle qui établit un droit à l’attribution ou au retrait d’une parole dont il est proclamé qu’elle est, ou non, licite (« halal »).

Une culture du bannissement (cancel-culture), de la dénonciation (call-out culture) se répand alors. Les dénonciations dépassent la volonté de récuser des opinions ou des comportements. Il s’agit de livrer des performances publiques que, naturellement, le biais des réseaux sociaux amplifie considérablement. Transmutée en mouvement de masse, et sans qu’il semble y avoir besoin d’autres arguments, l’opération de mobilisation appelle à dénoncer ce qui est évalué comme un abus et à le supprimer … opérations de déboulonnage des statues « offensantes » ou condamnation de la 5ième symphonie de Beethoven, érigée par les hommes blancs et riches en « symbole de leur supériorité et de leur importance », renvoyant à un sentiment d’exclusion les autres communautés raciales et sexuelles » (voir https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/aux-etats-unis-beethoven-victime-de-la-cancel-culture-31216 )

Cet arrière-plan assure la prospérité de ce qui est désigné comme « islamo-gauchisme » et participe à une guerre des modèles qui, au delà de l’occident et de son histoire (y compris les zones d’ombre), affronte directement la raison et l’émancipation, bref, « l’esprit des Lumières ». La conjonction « islam » et « gauchiste » élargit un front du refus de façon à y amalgamer sous double couvert du religieux (et de sa pureté) et de la « lutte des classes » (et de sa destinée historique), un éventail de revendications de race, de classe et de choix de vie, notamment de sexualité, feignant de subsumer leur hétérogénéité sous couvert d’un alliance contre un ennemi commun.

L’époque n’est plus celle où Nizan dénonçait comme autant de « chiens de garde », les « caissiers soigneux de la pensée bourgeoise qui rangeaient de concepts dociles » et en appelait à un surcroit de lucidité, ni même celle d’un débat sur l’idéologie dominante. A l’heure où l’ordre géopolitique qui découlait des traités qui mirent fin à la première guerre mondiale, s’efface au profit de nouvelles dominations, volonté de ressusciter l’empire ottoman, affirmation de la Chine, pays du milieu, en « centre du monde », contestations des démocraties pour « rupture » de leurs promesses, il demeure plus que jamais essentiel de mesurer combien en matière de droits humains comme de démocratie, il ne faut pas attendre qu’ils soient hors de notre atteinte pour y veiller. C’est exactement cela que les tenants de l’islamo-gauchisme, masqués ou non, veulent empêcher.

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Haro sur le baudet ?

Nous nous étions habitués à une école, obligatoire, assurant une offre de formation partagée par tous, un fonctionnement qui allait de soi, comme une tâche d’arrière plan de nos sociétés.
Brusquement, il est apparu que l’école a (aussi) une fonction de garderie qui « libère » les parents pour qu’ils puissent occuper leur place dans les activités de production, que les lieux de formation, écoles, collèges, lycées, universités sont (aussi) des lieux de socialisation, que nombreux sont les étudiants qui sont assignés à survivre, vaille que vaille, grâce à toutes sortes de « petits-boulots ». En rendant impossible ce qui pouvait passer pour des à côtés, ce qui semblait de l’ordre naturel des choses, la crise actuelle a mis en valeur de trop réels facteurs de désespoir des jeunes, comme le montrent nombre des témoignages, souvent poignants. Il y a surement quelque chose à analyser de ce côté, ainsi de la gestion des résidences universitaires en France et de la stratégie du maillage universitaire qui, avec la massification et en complicité avec les élus locaux, a concouru à une volonté de l’établissement universitaire « au pied du HLM ». Sans doute faudrait-il, même si la chose est ô combien paradoxale, s’interroger aussi sur la situation de ces étudiants que, par souci de limiter la diffusion du virus, on empêche de travailler. Naturellement ce serait là une manière de valider « en creux » la notion d’allocation d’études !
Il y a également quelque chose à dire des limites du « tout numérique » comme l’a démontré l’expérience imposée des cours en distanciel. Au départ l’idée semblait généreuse, voire, par certains côtés, flatteuse. On pouvait faire confiance aux étudiants, plus avancés, plus autonomes que les lycéens et a fortiori les collégiens. Ils pouvaient se placer au centre de leurs apprentissages, ils savaient le faire. Voilà qu’il apparaît que non. Non qu’ils n’en soient pas capables dans l’absolu mais parce que, comme si on l’ignorait, outre l’obligation de passer de l’autre côté de la fracture numérique, apprendre fait appel à une large part d’interaction, avec les enseignants comme entre élèves/étudiants. Cette question pourrait aussi être une occasion de revenir sur l’inéquité entre les étudiants acceptés au compte goutte dans leurs établissements et les élèves des CPGE qui continuent d’être accueillis dans leurs lycées (et leurs internats !), aussi, par la même occasion, la part prise dans les dispositifs de formation, par les écoles de commerce, leur modèle économique comme leur système propre de bachelors.

Parce qu’elle déstabilise les pratiques d’enseignement, la pandémie met en valeur la nature paradoxale de l’égalité scolaire telle qu’elle est traitée en France. La République se doit respecter l’exigence morale inscrite dans sa devise et donc d’assurer l’égalité à tous ses citoyens. De nombreux dispositifs ont été d’ailleurs été fabriqués pour assurer l’effectivité de cette exigence, sauf que le compte n’y est pas et que du « collège unique » aux 80% d’une classe d’âge au niveau baccalauréat et à la massification de l’accès à l’enseignement supérieur, les inégalités se poursuivent à l’abri de tout un sytème en trompe l’oeil qui en outre n’est pas sans conséquences politiques – je vais y revenir.
D’abord pour le constat, on lira avec profit, dans The Conversation, le récent texte de Marie Duru-Bellat https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247 , la présentation de « l’égalité scolaire » qu’elle dresse en collaboration , avec François Dubet, voir https://theconversation.com/legalite-scolaire-un-enjeu-de-survie-pour-la-democratie-150254 et (surtout) leur livre « L’Ecole peut-elle sauver la démocratie » (Seuil 2020).
Les faits sont têtus ! Les deux tiers des étudiants des Ecoles, presque 80 % dans les 10 % des écoles les plus sélectives, sont d’origine sociale très favorisée (cadres, chefs d’entreprise, professions libérales et intellectuelles). En prenant comme population de référence, les classes de troisièmes, on constate que les « chances » d’accès à une grande école sont ainsi de 9 à 10 fois inférieures, pour les élèves de milieu défavorisé. On ne le dira jamais assez, l’accès au bac n’a pas réellement été démocratisé, on a « simplement » diversifié « le » bac sans que les chances d’accéder à un bac général, condition sine qua non pour entrer dans une grande école, n’augmentent pour les enfants des milieux les plus défavorisés. A ceci s’ajoutent les données qui montrent que les grandes écoles sont très parisiennes : 30 % des étudiants de grande école ont passé leur bac à Paris ou en Île-de-France (contre 19 % des bacheliers), et même 41 % dans les 10 écoles les plus sélectives, ou que la sélectivité sociale des écoles de commerce est assurée par un coût des études loin d’être négligeable.

L’immobilisme maintenu de la base sociale des recrutements, pourtant éminemment contraire à l’idéal méritocratique affiché par l’école, est noyé dans l’affichage, par les « Grandes Ecoles » elles-mêmes de leur (sans doute réelle) bonne volonté de se « démocratiser ». L’exclusion sociale est pourtant alors plus cruellement signifiée sur fond de fable de l’égalité d’accès, voire de l’aide spécifique aux élèves issus de milieux défavorisés. Si tant d’efforts sont déployés et que pourtant la « vérité des chiffres » demeure … que conclure ? On voudrait stigmatiser ceux-là que l’on prétend aider, on ne s’y prendrait pas autrement. Le sort de l’outil français de sélection et de formation des élites recoupe un sentiment plus global de frustration. Lorsque, à tous les niveaux de la formation, l’égalité des chances tarde à se prouver dans les faits, la rancoeur contre les « élites » ne peut que monter d’autant qu’elle se nourrit des inégalités des parcours d’insertion professionnelle entre les plus diplômés et ceux qui le sont moins, que l’échec scolaire est vécu comme une humiliation et que les opportunités d’emploi ne correspondent plus aux aspirations des jeunes.
On sait que la composition des électorats a basculé autour de la question des diplômes (la structuration de l’électorat de Trump est exemplaire à ce sujet). S’avise-t-on suffisamment de ce que pour ceux qui souffrent de la faillite de la promesse de l’école d’être la clef d’accès à tous les possibles, la reconquête de leur dignité passe par un rejet des valeurs de l’école, et pour certains leur remplacement par d’autres valeurs précisément opposées à l’école ? Il y a là une piste, pourtant trop négligée, lorsqu’il faut penser l’attrait pour le salafisme qui prône une lecture littérale et non interprétée des textes, ou comprendre ce qui forgea le nom même du mouvement sectaire Boko Haram où « boko » désigne l’alphabet latin créé par les autorités coloniales pour transcrire la langue orale, par extension l’école laïque, tandis que « haram » signifie interdit/illicite. Bref l’éducation occidentale, justement parce qu’elle est adossée à une grande tradition herméneutique, « c’est le mal »..

L’enjeu d’une formation pour l’avenir est face à plusieurs défis. Le premier relève du conflit de lecture du monde entre ceux qui estiment que l’eau de pluie ne résulte pas de l’évaporation, puisqu’elle a été créée par un dieu et ceux qui n’ont pas la sensation de blasphémer lorsqu’ils enseignent l’origine réelle de la pluie. La ligne de partage reste à établir entre ce qui relève de la croyance, de la sphère privée donc et ce qui est de l’ordre de l’éducation, de ce qui offre à chaque élève, fille ou garçon, la possibilité d’une pensée libre, d’une insertion sociale et d’une capacité à déchiffrer le monde.

Un second est politique et correspond à la survenue de ce temps où les perdants de la compétition scolaire, ceux qui ont le sentiment qu’il leur est perpétuellement manqué de respect, ceux qui ont perdu confiance dans une démocratie qui leur paraît avoir été confisquée par des élites, des experts, des mobiles, des « intelligents », viennent demander des comptes ! La carte politique s’en trouve alors partagée entre d’une part les électorats sociaux-libéraux, démocrates et verts, diplômés, et de l’autre les absentéistes, les populistes, les électeurs d’extrême droite.

Enfin, c’est le troisième enjeu, avec sa part de contradiction, on ne saurait proscrire toute forme d’ambition, interdire de réussir et dénoncer tout distinction comme le signe d’un élitisme insupportable ! Il faut aussi constater l’état des lieux, par exemple les résultats présentés dans une récente tribune parue dans le monde et cosignée par Martin Andler, mathématicien, et la sociologue Vanessa Wisnia-Weill qui soulignent l’urgence d’ « inclure la question des bons niveaux en mathématiques dans la réforme systémique de notre école » voir https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/21/il-y-a-urgence-a-inclure-la-question-des-bons-niveaux-en-mathematiques-dans-la-reforme-systemique-de-notre-ecole_6064078_3232.html
En voici un extrait significatif : « La dernière enquête Timss [Trends in International Mathematics and Science Study] montre que seulement 3 % de nos CM1 sont très bons. En 4e, 2 % sont très bons contre 11 % des Anglais, 14 % des Américains (et 51 % des Singapouriens) », les deux auteurs concluent que « à cet étiage, il ne s’agit plus de médiocrité mais de déclassement général des jeunes Français, et pas seulement de sous-investissements dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (même s’ils sont évidemment plus que jamais nécessaires) ou d’une insuffisante mixité sociale. La réalité statistique est impitoyable : même les 50 % d’écoles sur les territoires les plus favorisés, n’arrivent pas à former 5 % d’élèves de bon niveau ! ».

A l’occasion des « politiques d’excellence » voulues après le premier choc des classements de Shanghai un certain nombre de dysfonctionnements se sont en fait renforcés via l’accumulation d’instances de gouvernance encourageant les évaluations aisément quantifiables par appels à projets, listes de mots clés, souci de se situer dans un courant dominant admis, valorisation du nombre des publications sans que soit dénoncée la triple insuffisance du système, insuffisance du budget global public de la recherche (2 % du PIB contre 3 % en Allemagne), insuffisance de la coopération entre universités et entreprises, insuffisance du marché du capital-risque.
L’urgence du moment est de savoir renoncer à crier haro sur le baudet, résister aux facilités des raccourcis abusifs et aux effets de manche à l’Assemblée nationale, ne pas développer encore plus le concert de la défiance. La recherche scientifique est indépendante du temps court des alternances politiques, encore faut-il au quotidien favoriser les conditions d’émergence de ses découvertes, encore faut-il aussi mesurer le fait que la formation des élèves et des étudiants qui seront les chercheurs mais aussi les décideurs, mais encore les citoyens, les électeurs de demain se joue aujourd’hui, ainsi dans la facilitation des réponses que l’école apporte.
La pandémie a imposé un autre rapport au temps, un temps ralenti des relations sociales et un temps formidablement raccourci pour gagner la bataille des vaccins puis celle de la vaccination. Les réponses aux défis se trouveront dans la maîtrise de cette double temporalité et la prise de conscience des adaptations nécessaires pour dominer le monde qui vient.

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Attention travaux !!

Alors que 2021 entre en scène, je vous souhaite une meilleure année !

Que la santé de tou.te.s et de chacun.e soit non seulement excellente mais effectivement protégée du covid.
Que la vaccination, la plus prompte et la plus large possible, nous accorde l’immunité de tou.te.s.
Que, simultanément, les infaux et les mensonges régressent.
Que l’Europe qui a su résister au mandat de Donald Trump et faire du Brexit l’occasion d’une clarification, sache accomplir sa réinvention.
Que l’enseignement supérieur français retrouve enfin les financements naguère (serait-ce déjà jadis?) promis par François Fillon, à hauteur d’un milliard d’euros supplémentaire par an, oubliés dans une stratégie d’appels à projets et de programmes d’investissements d’avenir, et un inégalitarisme opaque.
Qu’il sache accompagner les probables vagues de décrocheurs et s’adapte à la différenciation croissante entre les établissements qui, à la fracture initiale entre Ecoles et Universités, ajoute le double effet d’étrangeté de la récente création de l’Udice, assemblée de dix universités auto-proclamées « de recherche intensive » (interlocutrices privilégiées de l’ANR ?) et des résistances de la trentaine d’établissements de villes moyennes regroupées en une Alliance des universités de recherche et de formation (Auref)
Que le projet de l’Université de Lille qui n’a pas été invitée à l’union des unes, ni n’a de place dans l’alliance des autres, sache aboutir ; d’abord en surmontant les inévitables tensions qui suivront le pas de côté que vient de faire Centrale-Lille en se déclarant prête à sacrifier l’intérêt du tout pour assurer, à son profit, la captation de l’École polytechnique universitaire de Lille.
Que chacun.e prenne soin de tou.te.s et de chacun.e.

Enfin, qu’on y prenne garde, « il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d’autre » (Paul Eluard)

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