Regrouper ?

Alors que l’injonction demeure forte et après deux lois successives consacrées à l’enseignement supérieur, la finalité des regroupements et leurs modalités demeurent pour le moins confuses …

La volonté de regrouper a d’abord été marquée par l’irruption dans le paysage de l’enseignement supérieur, du classement de Shanghai.
On ne l’oublie que trop, il s’agissait de fabriquer un instrument robuste, capable de produire rapidement un classement visant  à comparer les universités chinoises avec les meilleures universités mondialesFonder sur cet instrument de classement, une stratégie et une politique, c’est négliger les biais cognitifs qu’il introduit et en détourner la fonction (sur la relation complexe entre collecte des données et construction des résultats, on pourra consulter la note pratique préparée par l’Observatoire des sciences et des techniques:  « universités et classements de Shanghai : la qualité de l’information compte…» )
La volonté de regrouper, en lien avec le classement de Shanghai ou non, se heurte aux spécificités de l’univers de l’enseignement supérieur en France, à une fragmentation qu’on ne retrouve pas ailleurs. Les lignes de partage les plus fréquemment dénoncées passent entre universités et écoles ou entre enseignants-chercheurs des universités et chercheurs des organismes. Pourtant, les ruptures majeures ne se situent PAS de ce côté. Il y a longtemps que des unités mixtes associent organismes et universités et que les élèves des Ecoles ainsi que bon nombre de leurs enseignants sont associés aux laboratoires et équipes de recherche des universités ou que, pour certaines préparations, les Ecoles accueillent des « auditeurs libres », c’est à dire des étudiants des universités. Avant d’aller se fourvoyer sur de fausses pistes et d’alimenter de vaines et fausses querelles (écrans de fumée ?), un inventaire politique de la situation serait plus que bienvenu.
Lorsque les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ont été créés par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, leur mission était (déjà !) de mettre fin à l’émiettement territorial de la carte universitaire et de recherche. Avec un peu de recul il est facile de constater deux caractéristiques majeures de ces PRES, à l’origine des limites de leur action, que l’on retrouve dans l’actuelle évolution vers les ComUE.
Première caractéristique : les PRES n’apportaient aucun début d’hypothèse de réponse à la réelle dispersion de l’enseignement supérieur français, caractérisé par la multiplication des cheminements offerts en premier cycle d’études supérieures, permettant de contourner les universités. Une part non négligeable des parcours des premières années d’enseignement supérieur continue à être abritée dans les lycées, classes de techniciens supérieurs (BTS) et classes préparatoires. S’y ajoute la présence, au même sein des universités, des filières ouvertement sélectives que sont les IUT. On sait que ces filières sont considérées, parmi les parents, comme parmi bon nombre d’enseignants et de personnels de direction des lycées, comme des filières d’excellence. Faut-il faire un lien entre ces appréciations et le fait que tous ces parcours de contournement sont sélectifs, parfois très sélectifs, certains disposant d’un vivier national de postulants ? Pendant ce temps, la sélection à l’université reste un tabou fondateur du syndicalisme étudiant. Le paradoxe français est encore renforcé par l’absence de dispositifs de contournement pour les filières médicales qui ont, il est vrai, recours au numerus clausus.
Peut-on éternellement ignorer la réalité d’un accès aux études supérieures à deux vitesses ? Doit-on, à jamais, s’accommoder du retard subi par ceux qui sont réputés être les meilleurs étudiants, en décalant le lien entre enseignement et recherche qu’offre l’université? S’il doit être question de « regroupements » n’est-ce pas d’abord de ces côtés qu’il faudrait regarder ? Même si cela ne se peut qu’en affrontant certains tabous ?

Que la loi qui a fixé une obligation de regroupement, maintienne le contournement des universités ne doit pourtant pas empêcher d’observer attentivement comment ces regroupements peuvent se mettre en place.
De ce point de vue, un second caractère des PRES, né de leur usage, mérite l’analyse. Les PRES sont  en effet vite apparus comme une structure douée d’une faculté de dialogue et ont très vite permis aux interlocuteurs, notamment les conseils régionaux, de disposer d’un guichet unifié. De ce point de vue, l’acronyme PRES était malheureux, non seulement parce qu’il est intraduisible et non-identifiable dans le monde universitaire globalisé, mais aussi parce que le « R » a souvent été pensé comme représentant Régional et non Recherche. Le lien avec les lycées, déjà gérés à l’échelon des Régions, en sortait conforté et la caractéristique fondatrice de l’université, le lien enseignement-recherche, un peu plus diluée ! Au moment où se pose avec plus d’acuité que jamais la question du millefeuille et de sa gestion, on pourra aussi se demander quelle part des dotations attribuées aux divers PRES par les Conseils Régionaux, a été consacrée au fonctionnement des PRES eux-mêmes (locaux, créations d’emplois de contractuels, voire missions-clones de celles assurées dans les universités …).
Néanmoins, si ces PRES avaient assurément des défauts, ils avaient au moins deux avantages : d’une part, leur mise en place a réuni autour d’une même table des partenaires qui se fréquentaient peu jusqu’alors ; de l’autre, une fois constitués, les PRES n’étaient pas décisionnels pour les établissements.
A ces sujets, la loi votée durant l’été 2013 introduit une modification majeure qui affecte les regroupements. Selon l’article L. 718-3 de loi, « la coordination territoriale est organisée par un seul établissement d’enseignement supérieur, pour un territoire donné ».
En premier lieu, l’inscription dans la loi d’un lien  entre les universités et l’échelon territorial, dans un contexte d’annonce d’une nouvelle étape de la décentralisation, de transferts de charge et d’exigence de réduction du déficit public, exige que la nature du lien entre territoires et universités, notamment dans sa dimension budgétaire, soit  rapidement éclairci.
S’y ajoute un deuxième point de vigilance : à la différence notable avec les PRES, les regroupements, imposés par la loi ESR, autour d’ « un seul contrat pluriannuel d’établissement », construit sur la base d’ »un projet partagé » (article L. 718-2), sont annoncés comme décisionnels pour les établissements. Il s’agit en effet de coordonner « l’offre de formation et la stratégie de recherche et de transfert » (Art. L. 718-2) au sein d’une « coordination territoriale organisée par un seul établissement d’enseignement supérieur, pour un territoire donné » (Art. L. 718-3). Les contrats comporteront un volet commun « correspondant au projet partagé et aux compétences partagées ou transférées » et « des volets spécifiques à chacun des établissements regroupés ou en voie de regroupement » (Art. L. 718-5). Ces contrats pluriannuels « associent la ou les régions et les autres collectivités territoriales accueillant des sites universitaires ou des établissements de recherche, les organismes de recherche et le centre régional des œuvres universitaires et scolaires » (Art. L. 718-5).
Les interrogations ne manquent pas : quelles associations ? quelles implications financières ? quel pilote pour l’établissement unique ? Pourtant, une fois secouée la poussière de rhétorique propre au texte législatif, il semble que, dans leurs imprécisions,  ces regroupements se définiront avant tout selon le placement du curseur lié à l’ampleur ou la modération des compétences partagées ou transférées et les contours du projet partagé. Fallait-il la création d’une couche supplémentaire de « gouvernance » et un surcroît de dépenses pour aboutir à un résultat dont l’importance stratégique est loin d’être établie ?
Pourquoi faire compliqué et oublier qu’existe une forme simple nommée « l’université » qui offre une forme de regroupement à la fois universellement identifiable et garantissant la participation des acteurs à la définition des options stratégiques et aux modalités de leur mise en place ? Pourquoi prévoir un système à deux niveaux où chaque établissement pourrait vite devenir dépendant des  (bonnes) volontés des autres établissements d’une même académie, conjuguées aux pesanteurs de choix politiques portés par les élus territoriaux ?
Cela dit, des universités complètes se mettent en place sur plusieurs sites où l’on voit sans doute un peu mieux, comment organiser les discussions. On peut ainsi considérer qu’en matière de définition d’une stratégie, une étape décisive a été franchie à Strasbourg ou Aix-Marseille, à Nancy ou Toulouse, à Bordeaux et sans doute également à Rennes, Grenoble ou Clermont-Ferrand où la marche vers la fusion et la création d’universités complètes semble en bonne voie, voire en cours d’achèvement.
Que se passera-t-il ailleurs ? Par exemple, que penser de la situation en Nord Pas de Calais avec 6 universités publiques, une fédération universitaire de droit privé et un important éventail  d’Ecoles ? Imagine-t-on, par exemple, une représentation des établissements sur la base « un établissement / une voix » ? Si une autre hypothèse est retenue en matière de décisions, ne serait-il pas opportun qu’elle soit proposée … et adoptée par ceux qui vont (devoir) se regrouper ? Que penser de l’autonomie des universités alors qu’elles seront placées sous la tutelle de ComUE ? ou d’ailleurs du rôle des ComUE si les universités demeurent réellement autonomes ?
La loi stipule que « l’Etat peut attribuer, pour l’ensemble des établissements regroupés, des moyens en crédits et en emplois aux établissements chargés de la coordination territoriale, qui les répartissent entre leurs membres ou établissements et organismes associés. » L’humour (involontaire) de la formule déréalisante « peut attribuer » ne doit pas masquer l’opacité entretenue sur les sommes réellement investies dans l’enseignement supérieur, ni le brouillage complémentaire qu’apportera(it) un possible échelon supplémentaire.
Et si « regrouper » c’était aussi diluer les financements ?
Toutes ces questions que la loi a laissées en situation d’attente et de confusion, appellent des réponses urgentes et précises mais aussi des demandes ciblées des établissements. Alors que, même si, là encore, les contours en demeurent flous, l’heure est aux économies, la question des moyens et des stratégies -les deux ensemble-  priment sur les artifices de gouvernance, à moins que l’agitation autour de ceux-là serve d’écran aux aveux difficiles et aux débats douloureux !

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