L’enseignement supérieur avait tenu des Assises, 135 propositions y avaient été formulées, elles auraient pu être déclinées. La suite a été à la fois frileuse et autoritaire. Après la mélodie du dialogue est venu le tic-tac du compte à rebours : avant le 22 juillet, soit un an après la promulgation de la loi ESR, il faudra que les statuts des ComUE aient été votés … et pour en être bien certains, les retardataires disposeront de quelques semaines complémentaires.
Peu importe que demeurent du flou, des dérogations, ou des interrogations … ainsi quant à savoir si après cette date, et donc au sein même d’une ComUE, comment des universités pourront encore être librement formées, par fusion d’une partie des établissements-membres. Peu importe, pourvu que le vote ait lieu et les ComUE installées. Les plus rapides, les meilleurs élèves sans doute, n’ont-ils pas déjà été reconnus lors d’un déjeuner avec le président de la République.
Si, en ces matières, le nonisme est facilement taxé d’être l’autre visage de l’immobilisme, l’avancée, tous yeux fermés, ne peut pas être la seule autre hypothèse. L’idée que la ComUE est inéluctable, que hors la ComUE il n’aurait point de salut, est insupportable. Cette autre idée que se mettent en place des ComUE largement vides de compétences l’est tout autant.
L’Etat-stratège annonce qu’il a compris l’importance de réduire le mikado. Ce même Etat-stratège a pourtant résolu d’imposer à l’enseignement supérieur des machins à plusieurs étages voire à succursales multiples … amateurisme ou duplicité ?
Alors que les Assises devaient, sinon résoudre, du moins prendre en compte les difficultés structurelles du système de recherche publique français… deux ans plus tard … la situation a continué à se dégrader tandis que s’accumulent les financements introuvables, la raréfaction des recrutements, la précarité croissante …
Surtout, il n’est pris aucune mesure qui permettrait le progrès de l’université en France. Il faut le dire et le redire, derrière des écrans de fumée variés, est maintenu, sans débat, le choix ancien de mal financer l’université et la recherche publiques.
Pourquoi ne pas ouvrir le débat public sur le financement de l’enseignement supérieur et la responsabilité de l’Etat comme son financeur unique, plutôt que poursuivre les pirouettes de gouvernance, voire oublier que l’Etat use aussi de l’argent de l’impôt pour financer l’enseignement supérieur privé.
Sans doute faudrait-il alors affronter les contradictions qui travaillent un tel débat. Toute hypothèse de modulation des frais d’inscription est frappée de tabou, la diabolisation des RCE entretient l’illusion que le retrait de ce dispositif résoudrait tous les maux, le lien exclusif entre nombre d’étudiants inscrits et dotations induit une logique quantitative encourageant la perte de vue des résultats qualitatifs de ces mêmes étudiants, l’exigence de cadrage national des diplômes, dorénavant élargi aux masters, interdit toute mise en place de cursus originaux et de valorisation des compétences spécifiques de telle ou telle équipe d’enseignants-chercheurs …
Le plus frappant dans ces questions est bien qu’elles s’appliquent aux seules universités, générant ainsi un désavantage concurrentiel largement ignoré, jamais débattu … comme s’il allait de soi, comme si les universités étaient à jamais indignes. Comme s’il était inévitable que la France de l’égalité s’accommode si vite de ces inéquités radicales. Comme si les universités françaises devaient éternellement pâtir de l’accumulation de choix politiques, de défiances idéologiques et de compromis qui ont fait leur histoire depuis que la Convention les a supprimées.
L’enseignement supérieur français n’a pas besoin de regroupements « pour l’œil », engagés du côté des gestionnaires mais bien d’une ambition forte et cohérente.
Comme l’écrivait récemment Thomas Picketty : « L’absence de plan ambitieux pour nos universités, dont beaucoup s’enfoncent dans la misère, risque fort de devenir l’échec le plus honteux du quinquennat. »
La mise en place des ComUE, ne masquera pas longtemps cette honte et cet échec. Il ne faut pas s’y tromper, la montée de l’exaspération devant l’obstination à imposer ces ComUE c’est aussi la revendication d’une ambition pour les universités qui ne se réduise pas à mettre en avant une simplification administrative ou un souci d’ancrer les universités au cœur de territoires d’ailleurs de plus en plus incertains !
S’opposer à un tel modèle c’est refuser que soit encore retardée la montée en puissance d’universités de recherche, et un développement cohérent et lisible de formations de haut niveau dans les universités. Sous peine d’immobilisme, refuser les ComUE va de pair avec l’exigence de création d’universités complètes et d’une réflexion sur les financements de l’enseignement supérieur.