L’heure est à des formules auxquelles la sismologie a servi de grammaire, voire aux lapsus enregistrés… et si on parlait vrai, simplement, avec quelques idées fortes, mobilisatrices ?
Quel meilleur test pour ce nouveau parler vrai que de clarifier les questions d’argent. Ainsi, si on parlait pour de bon des financements des universités ?
La démobilisation s’installe.
Les universités connaissent une crise budgétaire qui se double d’une crise identitaire, d’une crise des reconnaissances. La lassitude est grande. On se prendrait (presque !) à hésiter au moment de décider si l’apparente atonie est à mettre au crédit d’une ministre qui aurait « su ne pas mettre les universitaires dans la rue » ou à son débit, puisqu’elle n’aura réussi ni à mobiliser les énergies ni à donner des perspectives, en face des exaspérations diverses. Cette démobilisation est particulièrement dommageable au moment où l’innovation, la formation, la recherche sont au cœur du développement économique comme au centre des réponses possibles à la crise de la rupture sociale.
De fait, les seules « innovations » annoncées correspondent à des soubresauts d’une bureaucratie désespérée autant que désespérante (ainsi les ComUE) ou de pathétiques procrastinations. Successeurs des commissions ou des comités Théodule, dénoncés en leur temps, nous disposons désormais de conseils stratégiques. C’est au moins aussi dispendieux et la novlangue s’y retrouve mieux. Tout cela comme si ceux à qui a été confié le pilotage du pays découvraient seulement après leur installation qu’il était bon qu’ils se dotassent de stratégies, comme si tout ce qui avait été fait jusque-là ne valait pas, comme si les nombreux organes et organismes en place ne suffisaient pas … sans parler d’Assises, tenues toutes affaires cessantes, il y a, somme toute, fort peu de temps … qui, sans résoudre ni révolutionner, avaient tout de même avancé des propositions.
A quoi bon, il est vrai, prétendre construire des stratégies quand les moyens de les mener font défaut. Il en reste le mime, dérisoire carnaval de puissants ayant perdu leur emprise sur le réel.
L’adhésion d’une communauté universitaire mise en dérive par le tourbillon de réformes aurait offert un puissant levier, la frilosité des mesures annoncées combinée à la brutalité avec laquelle la démarche est conduite ont eu raison des possibles bonnes volontés.
S’il fallait se résoudre à avancer sans adhésion, il aurait au moins fallu pouvoir progresser avec des moyens adaptés. Seulement voilà, les caisses sont vides et il faut désormais ouvertement parler d’économies. Des chiffres sont avancés, les chiffres ça donne de la compétence. On évoque 19 milliards économisés sur le budget de l’Etat, 10 milliards sur celui des collectivités … et le catalogue se poursuit sans que l’on sache toujours exactement où et comment ces sommes seront trouvées et surtout sans que l’on comprenne comment les secteurs qui connaissent déjà de graves difficultés vont pouvoir assurer la progression qui leur est nécessaire !
C’est alors qu’a retenti le mot magique, « sanctuarisation », renard rusé surgissant de la nuit …
Ne nous laissons pas abuser par le choc des mots … au mieux, les appels à la sanctuarisation garantissent, à ceux qui veulent bien y croire, que le niveau des financements restera stable. Ceux qui doutent verront plutôt dans l’acharnement à réduire le nombre des établissements, une manière « discrète » de gommer les défauts de financements. L’autonomie s’est payée sur l’ « oubli » du GVT ; de quels « oublis » se tissera la complexité de ComUE qui auront aussi, à la différence des mécanismes de type RCE, à nourrir le Moloch des nouveaux Metropolis qu’elles sont encouragées à animer ?
La situation, il faut bien le reconnaître, se décline aujourd’hui entre l’impérieuse nécessité de mieux financer l’enseignement supérieur français et l’incapacité de l’Etat à augmenter ses subventions. Pétitions ou même grèves n’y feront rien, cela aussi il faut bien l’admettre, aussi douloureux que cela puisse être, que ce soit selon la logique ouatée d’un Etat-Providence, ou dans la perspective plus rude d’un Pouvoir que seules les luttes permettent de contraindre.
Quel modèle économique ?
La contribution de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CEDEFI) en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, pose d’ailleurs la question très lucidement. Le texte transmis par la CEDEFI prend en compte la tension entre besoins financiers accrus et subventions d’Etat limitées, et argumente ainsi : « si le modèle économique n’évolue pas, les écoles vont devoir faire des économies sur leur ultime variable d’ajustement qui est leur cœur de métier, à savoir la formation. » On trouvera l’ensemble du texte en pièce jointe à l’article d’Educpros consacré à l’hypothèse d’un élargissement par les Ecoles d’ingénieur, de leur offre de formation à une licence professionnelle.
Même si elle est bien réelle, la question immédiate n’est pas celle de la mise en place progressive d’une voie de contournement des universités, confortée par cette demande de délivrance de diplômes autres que le diplôme d’ingénieur, ni la revendication par les Ecoles d’une formation par la recherche en leur sein, grâce à des accords-cadres avec l’INRIA (juillet 2012), le CNRS (février 2013) et le CEA (juillet 2013) alors qu’il était admis que le lien enseignement-recherche était LA caractéristique des universités, ni même l’interrogation sur le fait que la CEDEFI regroupe écoles publiques et écoles privées. La question immédiate reste celle du modèle économique.
On se souviendra de l’annonce de l’augmentation des droits d’inscription décidée par les écoles d’ingénieurs de l’Institut Mines-Télécom (Télécom Paris Tech, Télécom Bretagne et Télécom Sud Paris) et des six écoles des Mines qui lui sont rattachées (Paris , Saint-Etienne, Alès, Douai, Nantes et Albi), portés de 850 à 1850 euros à la rentrée 2014 pour les nouveaux étudiants, français et ressortissants de l’Union européenne et à3 850 euros pour les étudiants étrangers hors UE (voir, par exemple Le Monde du 03.03.2014). Protestations et même recours devant le conseil d’Etat, notamment de l’UNEF, n’y avaient rien changé.
Si le devoir de l’Etat, selon la Constitution du 4 octobre 1958, est bien « l’organisation de l’enseignement public obligatoire gratuit et laïque à tous les degrés », il n’est pas dit que l’enseignement public universitaire doive être gratuit …
Se borner à recommander une augmentation, quelle qu’en soit l’ampleur ou la modération, des frais d’inscription demeure une hypothèse paresseuse, ce serait aussi une hypothèse très difficile à porter au plan politique si d’aventure les universités y songeaient. Certes.
Il n’est pourtant pas normal de ne pas poser, clairement et ouvertement, la question du financement des universités, tout en laissant des modes de financements alternatifs se déployer, en ne compensant qu’imparfaitement l’exonération des frais d’inscriptions des étudiants boursiers, en laissant filer la charge du GVT, en abandonnant aux universités pour une part qui va grandissante, l’entretien de locaux … Ce n’est ni loyal ni transparent , ce n’est pas nouveau non plus, ce n’en est pas moins consternant.
Dans les faits, alors que les Ecoles menacent de devoir sacrifier la qualité de la formation qu’elles assurent, les universités, silencieusement, en quasi-catimini, presque honteusement, sont déjà contraintes au recul sur la qualité de leurs formations.
La mise en péril de la formation universitaire
Les pistes envisagées pour boucler les budgets sont nombreuses et varient selon les établissements. Ici il s’agira de travailler plus pour gagner moins en jouant sur la validation de la jauge des 192HETD, là des options seront rognées, la palette des enseignements restreinte et des filières perdront en diversification au profit de mutualisations, ailleurs la quête de bouts de chandelle qui permettront des « économies » conduiront au gel de nombreux postes ou à la modification du niveau des recrutements.
Quelles que soient les mesures prises, elles conduisent immanquablement à la mise en péril de la qualité de la formation comme de l’accueil des étudiants, d’autant qu’à mesure que le temps passe et que les filières sélectives, y compris celles qui s’installent dans les universités, sont multipliées, l’accomplissement de leur mission sociale par les universités, notamment dans les premiers cycles, devient de plus en plus exigeant.
Alors que faire ? … si ce n’est raisonner autrement … et sortir des dénis fondateurs. Ceci passe par le choix courageux d’affronter les tabous, au-delà du mythe d’une gratuité qui engendre pourtant le système le plus inégalitaire qui soit, ces autres mythes de la non sélection qui s’applique de façon si sélective, de l’orientation choisie alors qu’elle est, tellement et si tôt, précontrainte, et même le mythique statut d’étudiant quand la question de l’assiduité est loin d’être résolue…
Il n’y a certes ni remède miracle ni solution toute faite ; au moins est-il possible et urgent de stopper la dilution des universités (publiques) dans le grand flou de financements mal maîtrisés, de spécialisations gommées, de compétences devenues confuses, de missions indistinctes qui ne permettent pas leur évaluation.
Faut-il se résoudre au pire ?
En sommes-nous réduits à accompagner la poursuite de la lente et insidieuse dégradation qui a déjà largement naufragé les premiers cycles universitaires et qui se poursuit dans les autres cycles ? Déjà l’avenir des masters recherche est devenu incertain …
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