Défendre la place et l’image de l’université c’est sans doute illustrer le nécessaire lien entre enseignement et recherche, mais c’est aussi confirmer la réalité qui veut que beaucoup de ceux qui ont commencé par contourner le premier cycle des universités, retrouvent les formations universitaires pour le deuxième, voire le troisième, cycle, master et souvent doctorat. Cette question demeure néanmoins, pourquoi d’abord délaisser le lien recherche-enseignement … pour le retrouver ensuite. Pourquoi perdre ce temps et cette énergie ? Pourquoi encourager le contournement des universités ? Pourquoi dévaloriser l’Université ?
On entend souvent dénoncer un « système à deux vitesses » menant à « deux » types d’universités. Cette inquiétude masque la situation plus préoccupante de la marginalisation de l’enseignement adossé à la recherche, au profit d’une fuite vers divers établissements chargés du seul cycle licence (en tout ou partie).
Le fait est qu’en France, il n’y a pas « l’université », ni à une ni à plusieurs vitesses, mais bien un archipel complexe de cas particuliers adossé à une répartition inégalitaire des entrants dans l’enseignement supérieur, doublée d’un postulat de non-différenciation des universités entre elles, qui est sans rapport avec la réalité. Il suffit, pour s’en assurer, d’observer les vœux lors des campagnes de recrutement.
Comme l’indique le document diffusé par Terra Nova ( voir ici ), pour passer du modèle actuel, fermé et univoque, de recrutement des élites, à un modèle moderne, fluide et ouvert il faudra que, préalablement, l’université investisse l’ensemble du spectre des formations supérieures. Pour l’heure une telle évolution n’est pas vraiment d’actualité ! Quant à l’adossement de l’enseignement à la recherche et plus globalement son importance, ce qui s’annonce du côté de l’emploi scientifique en général ne peut que renforcer les craintes ! Ces « exceptions françaises » ne sont pas sans dommages, leur résolution passera par une évolution de l’opinion qu’il faut préparer.
La bataille de l’opinion passe aussi, notamment en ces temps de rigueur, par la double reconnaissance de l’insuffisance du financement des universités et des écarts entre les sommes dont disposent les universités françaises et la situation des universités dans le reste du monde. La dénonciation d’une telle insuffisance n’équivaut pas à une revendication de type « toujours plus » mais procède d’un constat comparatif.
Le financement par étudiant est largement inférieur en France à ce qu’il est dans les pays avancés tandis qu’il n’existe aujourd’hui aucun consensus sur les solutions à apporter à ce sous-financement et que la diversification des sources demeure un tabou.
Pendant ce temps, le financement par élève de CPGE ou de BTS est supérieur à celui d’un étudiant.
Pour un rappel toujours utile, voici un tableau des coûts moyens par élève et par étudiant (établis en euros, prix 2011, selon le document intitulé « Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche », page 351).
Second cycle général et technologique (lycée)… 11 470
Second cycle professionnel (lycée)… 11 840
STS … … 13 740
CPGE … … 15 080
Universités + IUT (chiffres désormais globalisés) 10 770
(à noter, l’observation des derniers chiffres connus -2005- correspondant à l’époque –pas si lointaine donc – où les deux dotations étaient distinguées, fait apparaître une dotation par étudiant de l’IUT, 10 140, de 25% supérieure à celle reçu par étudiant à l’Université, 8 230)
Même lu avec les lunettes roses de l’optimisme et de la non distinction entre les financements IUT (pourtant sanctuarisés et donc potentiellement identifiables) et les dotations des universités, le bilan montre que la collectivité nationale consacre 1,5 fois plus d’argent à un élève de CPGE qu’à un étudiant, alors que, on ne le sait que trop, les publics sont très différents et les contraintes de résultats défavorables aux universités. La proportion inférieure des succès est ensuite portée à la charge des universités… le tout perpétuant l’inéquité ! On note aussi que les lycéens, élèves dits de second cycle, sont mieux dotés que les étudiants. Faudrait-il penser qu’encourager à contourner l’université c’est aussi ne pas avoir à poser la question de son financement ?
Sans doute les universités doivent-elles être attentives à l’argent public qui les finance mais il faudrait aussi faire savoir dans quelles contraintes l’Etat les a placées, au moins depuis la « massification » de l’accès à l’enseignement supérieur. Il faudrait mesurer l’effet de ces contraintes sur les personnels mais aussi sur les résultats et donc sur l’image des universités.
Le rapport de Terra Nova évoque d’ailleurs cette légitimité de poursuivre dans les universités la maîtrise de leur gestion et la définition de priorités stratégiques ou l’adaptation du volume d’activités aux moyens dont elles disposent réellement. L’un des enjeux est de ne pas éternellement s’accommoder d’une situation dégradée. Le risque est que ce soit le modèle universitaire lui-même qui se dégrade. Les conséquences sur le manque d’estime pour l’université, au moins dans son premier cycle sont déjà manifestes et commencent, là où elles existent, à faire le succès d’institutions universitaires privées.
Que vienne donc dans les universités le temps du projet et de mesures qui permettront de donner (redonner ?) à l’université une place dans l’opinion, à la hauteur de ses mérites, comme des besoins ! Alors qu’il est tant parlé d’autonomie sous forme abstraite, gestionnaire, pourquoi ne pas développer un droit à l’initiative qui montrerait les blocages réglementaires qui s’ajoutent aux contraintes financières et permettrait alors de :
• valoriser l’autonomie pédagogique (et non l’enfermer dans une nomenclature),
• accepter (voire revendiquer) la diversité des établissements (et non les contraindre dans d’illusoires regroupements nivelant les identités comme les qualités et les spécificités),
• organiser des offres thématiques et des écoles universitaires de recherche initiées avec une véritable formation intégrée de deux années en master (et cesser de maintenir un système d’accès ouvert en M1 et sélectif en M2, calqué sur une survivance de l’ancien système maîtrise puis DEA),
• distinguer dans les universités ce qui relève directement des affaires académiques et ce qui dépend de la construction d’une stratégie (et ne pas vouloir tout contrôler « par le haut », au prix de démobilisations des personnels),
• accepter l’idée que l’autonomie dans le service public impose de rendre compte au public de la manière dont les missions sont accomplies (et donc rompre avec des procédures d’encadrement réglementaire et centralisé des pratiques scientifiques ou pédagogiques, ce qui veut aussi dire comprendre que ces procédures constituent moins des protections que des marques de défiance envers les universitaires et les universités).
Sur la base de telles propositions, Terra nova appelle opportunément à « redonner confiance ». Redonner confiance c’est d’abord définir, dans les universités, des projets capables de susciter l’adhésion et de repousser la lassitude et la défiance qui se sont emparées du monde universitaire. Les Assises avaient, un temps, laissé planer cette hypothèse … vite déçue …