Les baccalauréats 2014 ont été distribués. 79% de reçus, soit une hausse de 1,7 point par rapport à la session 2013. S’y ajoutent désormais une bonne part des 14 % des candidats admis à l’oral de rattrapage. Le taux définitif des admis au bac 2014 s’établit à 87,9% et le pourcentage de bacheliers dans une génération à 77,3%. « L’objectif » de 80% d’une classe d’âge titulaires du baccalauréat » devient proche.
La tentation est grande de s’écrier « mission accomplie » et de créditer l’éducation, cette « priorité des priorités », d’un fort indice de satisfaction…
Pendant ce temps, publiant le « dossier confidentiel » remis au nouveau ministre de l’éducation nationale, Médiapart titre « sombre autoportrait ». Presque en même temps, la « une » du 9 juillet de Libération affiche un douloureux constat : « Ecole, les inégalités redoublent » et l’article en pages intérieures décline ce constat … « inégalités territoriales, entre établissements, entre classes, absence de mixité sociale, ségrégation scolaire… L’école de la République n’est plus la même pour tous. »
L’objectif des 80% d’une classe d’âge a banalisé la complexité du système et en conforte la (large) part d’illusion. Parler de « pourcentage » construit un objet bac qui n’existe pas. Il n’y a pas « le bac » mais DES baccalauréats. « Passe ton bac d’abord » soit, encore faut-il savoir que l’après-bac n’est pas le même pour tous. Les bacheliers n’ont pas tous les mêmes chances de succès, toutes les modalités de « formation supérieure » ne sont pas les mêmes. En amont du bac la machine à sélectionner a fonctionné à plein régime.
Alors qu’ils sont tous deux bacheliers, le titulaire d’un bac pro à qui l’entrée en BTS a été refusée et va s’inscrire à l’université sans attente réelle par rapport à la formation où il sera versé et cet autre bachelier qui a obtenu un bac S et va rejoindre une classe préparatoire d’un « grand » lycée parisien, le parcours ne sera pas le même. Leurs diplômes ont sans doute cette « même dignité » voulue par le législateur mais cette « même dignité » ne suffit pas à donner accès à un même éventail de possibilités d’insertion professionnelle …
Le marronnier de la grande égalité républicaine nommée « classe d’âge » et dont quasiment 80% ont obtenu LE bac vient chaque année, avec – il est vrai -une crédibilité en baisse, masquer la forêt des différences croissantes entre tous ces bacheliers …
La cruelle réalité est que la cible reconnue, celle qui donc devrait être visée n’est pas le taux succès à une certification de fin d’études secondaires mais le taux de diplomation après trois années d’études supérieures. C’est la seule base de comparaison effective possible, la plupart des autres pays n’ayant connu ni Napoléon, ni l’Empire, ni l’instauration de l’université impériale, ses six ordres d’enseignement, de la « petite école » aux facultés, et ses trois niveaux, baccalauréat, licence, doctorat. Il s’agit surtout de la cible d’évaluation convenue dans la stratégie de Lisbonne, avec un objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau licence en 2022.
C’est là que la stratégie française marque son aveuglante spécificité.
En France la diplomation dans l’enseignement supérieur varie selon les formations, deux années pour les DUT, deux années aussi pour les BTS, ou encore deux années qui deviennent souvent trois, dans les CPGE où la réussite au concours prévaut largement sur un diplôme de licence …. Bref « l’objectif Lisbonne » n’est non seulement pas à l’ordre du jour, il est incompatible avec la structure de notre enseignement supérieur pour lequel le niveau licence, une des briques du LMD, officiellement en place pourtant, demeure anecdotique …
Mettre la priorité sur la communication autour du bac contribue à l’image (illusoire) d’une égalité portée par ces 80% qui sont devenus accessibles grâce à la multiplication et la diversification des parcours d’étude. La question n’est pas de savoir quel est le « niveau » des bacheliers mais bien que les divers baccalauréats correspondent à des réalités différentes et, plus encore, que l’accroissement du nombre des bacheliers est celui de l’augmentation des lauréats des baccalauréats « pro » et « techno ». Le système a fabriqué les conditions d’une réussite qui repose sur l’inégalité des formations qui à son tour valide l’éclatement du système d’enseignement supérieur français.
La multiplication des types de baccalauréat qui fonde la diversification (et l’inégalité) des parcours « post-bac » ne dévalorise pas seulement l’université mais avec elle les diplômes qu’elle délivre, placés en concurrence avec bien d’autres et déconnectés des niveaux de recrutement, des grilles salariales et des conventions collectives, bref du marché de l’emploi.
Alors que l’Etat va déchaîner une fois encore, une machine à fabriquer de l’inégalité sous le masque de l’excellence et de l’union d’un moment de ce que la loi persiste à désunir (Ecoles, universités, organismes de recherche), la priorité serait d’interroger le maintien des universités françaises dans le carcan d’un double handicap concurrentiel, sur le marché de l’emploi et par rapport aux universités des autres pays.
Cette interrogation passe par la redéfinition de la place de la licence, en conformité avec les objectifs de la France au regard de la stratégie de Lisbonne. Dans un tel contexte, le baccalauréat serait reconnu pour le certificat de fin d’études secondaires qu’il est. Les différences deviendraient des qualifications sur le marché de l’emploi, immédiat ou futur. Elles seraient clairement affichées et la question de l’accès à l’enseignement supérieur serait abordée comme telle.
One Response to Les bacheliers sont égaux dans la réussite mais certains sont « plus égaux que d’autres »