Ce que la ministre devrait dire pour défendre ses universités …

…. L’université est mise hors-la-loi au double motif qu’elle  s’acharne à « faire les poches des étudiants » et que, pire encore, elle s’engage dans la voie pernicieuse de la sélection.

La presse a souligné ces faits, dénoncés par l’UNEF  … 42 établissements sont « hors la loi » (voir ici). Il fallait bien qu’enfin « Un loup quelque peu clerc <prouve> par sa harangue / Qu’il fallait dévouer  ce maudit animal / Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal ».

Pendant ce temps, la ministre (Le Monde.fr | 18.07.2014) expose ses « choix politiques » en ces termes : «  Tout d’abord, je rappelle que le système d’enseignement supérieur français est l’un des plus accessibles et diversifiés au monde, avec des frais d’inscription particulièrement peu élevés. Pour la rentrée 2014-2015, ces frais s’élèvent à 184 euros en licence, 256 euros en master, 391 euros en doctorat. Le gouvernement a décidé de limiter la hausse des droits d’inscription à 0,7 % pour la prochaine rentrée, soit une augmentation qui se situe en-dessous de l’inflation, ce qui correspond à la hausse la plus faible depuis 10 ans. Il s’agit d’un choix politique pour préserver le pouvoir d’achat des étudiants et leur donner ainsi les meilleures chances de réussite en premier cycle. »
Je suggère que la ministre reconsidère sa déclaration et en mesure les approximations.

D’abord, comme souvent et comme bien d’autres mais ce n’est ni une raison ni une excuse, alors qu’elle dit « le système d’enseignement supérieur français », la ministre  évoque en fait les droits d’inscription dans les seules universités. Pratiquer ainsi l’amalgame, c’est tromper l’opinion, c’est ignorer les termes réels du débat, ce n’est pas acceptable. Lorsque la ministre affirme  que ce « système » est « diversifié » elle sait bien que cette « diversification » est largement l’occasion de droits d’inscription « diversifiés ». Pourquoi ne pas le dire ? De même lorsqu’il est question de droits d’inscription pourquoi ne pas situer clairement le débat en rappelant que :

1-    l’accès à l’université est GRATUIT pour les boursiers, soit un tiers des étudiants  (à noter : la proportion de boursiers sur critères sociaux à l’université a gagné six points depuis 2006 pour atteindre  33,6 % en 2010) tandis que les universités voient cette gratuité incomplètement compensée par la tutelle qui solde sa contribution « au forfait »,
2-    les droits d’inscription dans les universités sont DIFFERENTS de ceux pratiqués par d’autres établissements qui, avec elles, forment « le système (diversifié ) d’enseignement supérieur français » et souvent sans rapport avec eux, par exemple, voir ici, les droits de scolarité dans les Ecoles de Commerce  ; cela dit, on n’oubliera pas que pour les étudiants qui suivent une formation en BTS ou en CPGE, c’est à dire dans cette part de l’enseignement supérieur qui demeure rattachée aux lycées, la scolarité est totalement gratuite,
3-    pour ceux qui les acquittent, les droits d’inscription s’élèvent à 184€ par an pour un étudiant de licence, c’est-à-dire moins – pour donner un élément de comparaison – qu’un forfait annuel de téléphone portable en appels illimités auprès de « La Poste » -service public oblige- 18,99×12 soit 226,80) ,
4-    ces droits représentent une part quasi-anecdotique du financement des universités dont l’essentiel est assuré par le budget de l’Etat, dans ce contexte il est encore plus surprenant que la collectivité nationale consacre 1,5 fois plus d’argent à un élève de CPGE qu’à un étudiant (sans que cela semble émouvoir ceux qui pourfendant les pratiques « illégales » des universités).
Bref, nous en venons à une question essentielle : pourquoi, alors que les universités sont mises en cause, leur ministre de tutelle prolonge-t-elle les approximations et les arguties au lieu de, simplement, dire ce qui est ?
En fait, DEUX débats s’entremêlent. L’un a trait aux choix politiques qui président au financement de cet investissement d’avenir que sont les universités, l’autre à une campagne de diabolisation des universités.
Aucun de ces deux débats n’est mené.

Le premier demanderait une réflexion sur la politique fiscale. Puisque les inscriptions ne financent les universités que très « à la marge », c’est l’impôt qui y pourvoie, « la remise à plat de la fiscalité » relève aujourd’hui de l’effet d’annonce.
Le second, s’il était mené, apparaitrait très vite comme une illustration de l’actuelle propension à remplacer les analyses politiques par des sujets « clivants » où chaque « camp » se reconnaît à l’avance … et où rien ne change sauf l’aggravation de la défiance envers les « élites ». Il faudrait aussi que les passeurs d’opinion s’intéressent à cette distinction essentielle entre bla-bla clivant et débat d’idées …
Pour en revenir au non-débat sur les droits d’inscription, selon le récent bilan réalisé par l’UNEF, 92,4% des étudiants refusent l’augmentation des frais d’inscription et 62,4% des étudiants sont prêts à se mobiliser en cas d’augmentation. Le débat n’aura donc pas lieu faute de débatteurs …. la « magie » du sujet clivant s’y est substituée.
On voudrait croire pourtant que la pensée magique ne domine pas les universités et que le libre examen, le recours à la preuve l’y emportent sur la construction de décisions ou d’opinions à partir de « ce qu’il est plaisant d’imaginer », plus généralement donc, que, pour paraphraser une expression de Aldous Huxley, à l’université, on sache encore que ce sont bien les oranges que l’on consomme et non de la vitalité. |“We no longer buy oranges, we buy vitality. We do not just buy an auto, we buy prestige. And so with all the rest …” Aldous Huxley, Brave New World Revisited].

Quand la capacité à mobiliser l’emporte sur la conduite du débat, la propagande se substitue à l’analyse. Il me semble pourtant que l’université et même le système d’enseignement supérieur, méritent mieux que de servir de terrain de jeu pour des « élites » tellement en mal de projet, tellement prisonnières de jeux de bonneteau et des faux-monnayages  qu’il leur faut faire passer les « sujets clivants », pour des débats d’idées. Pendant ce temps-là, coté idées, les vraies, celles qui animent des projets, c’est interlude …
Revenons donc avec rationalité et non à partir d’émotions, aussi généreuses soient-elles, aux réalités vraies de cette question des droits d’inscription et de leur impact sur le budget des étudiants.
Pour rappel, une fois encore, les étudiants-boursiers, soit plus de 30% des étudiants, en sont dispensés. Il a même été inventé une bourse à « taux zéro » telle que l’Etat ne verse aucun argent, l’étudiant étant simplement dispensé du paiement des droits à l’établissement où il s’inscrit.
Quant aux frais, pour ceux donc qui les acquittent, ils correspondent, pour un étudiant de licence, à une charge de 15 euros par mois. Soit dit en passant une majoration de  20% de ces droits dont on imagine aisément combien de foudres un tel pourcentage exorbitant déclencherait, représenterait une augmentation mensuelle de 3€.
Plus globalement, si l’on imagine un parcours universitaire avec passage régulier dans l’année supérieure, cinq années d’études (3 en licence et 2 en master) coûtent, aux étudiants non-boursiers, [(3×184) = 552] + [(2×256) = 512] soit une dépense totale  de 1064 ou encore, une dépense mensuelle de 17€, une augmentation de 20% représentant alors une charge mensuelle supplémentaire de 3,40€.

Que l’on ne se méprenne pas, chaque sou, chaque centime compte, je l’entends bien,  et je ne suis aucunement en train de justifier ni le montant des droits, ni leur augmentation, ni même leur quelconque légitimité. Je voudrais simplement qu’en la matière, la raison soit gardée, que chacun sache bien de quoi il est parlé et mesure toute l’ineptie de la « mise hors la loi » de l’université  d’une part et, d’autre part, ce qu’il entre de dérisoire dans des tentatives de « déroger » à la « loi » mais pire encore dans les justifications qui les accompagnent. C’est, là encore, tout le système qu’il faut reconstruire et qu’il faut donc d’abord être en mesure de repenser. Ce qui signifie (aussi) sortir des slogans, des postures et des « sujets clivants ».
Des enquêtes ont été menées sur les budgets étudiants [voir ici et là]. Ces  calculs (adossés à des chiffrages établis en 2008) font apparaître par exemple,  pour un étudiant de licence résidant à Paris, une dépense mensuelle de 970€, où la part des droits d’inscription une fois lissés sur 12 mois représente 14 euros soit 1,4 % de la dépense totale, et pour un étudiant de master résidant à Nantes, une dépense mensuelle de 673€, et pour les droits d’inscription, respectivement 19 euros et 2,8 % de la dépense totale.

Ces enquêtes démontrent que les charges majeures sur le budget des étudiants ne sont PAS du côté des droits d’inscription et que, pour reprendre les propos de la ministre, « préserver le pouvoir d’achat des étudiants et leur donner ainsi les meilleures chances de réussite en premier cycle » passe par d’autres décisions que celles qui concernent le gel des frais de scolarité !
Ainsi, d’autres débats sur le coût des études pourraient être lancés, ainsi et par exemple :
Le mécanisme de l’APL –dont le maintien a récemment été salué comme une grande victoire-  est-il optimal ? Ne favorise-t-il pas d’ailleurs, avant tout, les bailleurs ? Ne masque-t-il pas l’absence de résidences universitaires suffisantes en nombre comme en qualité qui permettraient cette vie de campus que les universités s’évertuent à maintenir sans véritables campus universitaires « habités ».
La demi-part fiscale doit-elle être maintenue alors qu’elle n’est opportune que pour ceux qui paient des impôts ? Ce manque à gagner de l’Etat ne pourrait-il pas être envisagé autrement dans une perspective mieux redistributive ?
Ces questions, et bien d’autres, ne pourront pas être traitées, raisonnablement, tant qu’alors que  « la lune » est désignée, c’est « sur le doigt » que l’attention est attirée ….

Tant que l’illusion cache la réalité et fausse les conditions même d’émergence d’un débat, il demeure acceptable, et accepté, de crier « haro sur le baudet »… et « de la peccadille, faire un cas pendable ».

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