En ces temps où le rayonnement international prend tant d’importance dans les faits et de place dans les discours, une démarche fondamentale consiste à se demander comment notre enseignement supérieur est lu hors de l’hexagone.
Avant d’en venir au récent rapport de l’OCDE, « Regards sur l’éducation » qui a été rendu public le 9 septembre 2014 dernier, je propose de porter l’attention sur un autre regard étranger récent. Philippe Gillet, après avoir, notamment, été directeur de cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (mai 2007/mars 2010), est désormais le vice-président pour les affaires académiques de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Depuis cette expérience duelle, dans et hors l’hexagone, il répond à une enquête publiée sur le site d’educpros (ici). Revenant sur la situation en France, il évoque « l’image projetée de la France à l’étranger » qui est celle d’une grande complexité d’organisation, diversité des statuts des organismes de recherche, lenteur à mettre en place les réformes universitaires, ainsi par exemple, l’opération Campus, contrainte pour les universités de recherche de l’accueil de 80% d’une classe d’âge en licence.
Avant de convoquer les postures chères, notamment, à nos ministres (voir mon billet : « Un discours de la posture rue Descartes ») et disqualifier Philippe Gillet, je propose que soit corrélé ce qu’il dit sur la France et ce qu’il souligne quant à l’accès à l’enseignement supérieur en Suisse où « le nombre de bacheliers est de l’ordre de seulement 20% ». (plus d’information et de statistiques sur les questions d’éducation en Suisse ici) .
Pour aller à l’essentiel, en Suisse, explique-t-il, à côté d’une « maturité gymnasiale » (à laquelle accèdent près de 20% des jeunes et qui donne accès aux « hautes écoles universitaires et hautes écoles pédagogiques ») existe une « maturité professionnelle » (qui concerne plus de 14% des jeunes et qui correspond à « la voie que suit la plupart des jeunes désireux d’accéder à une haute école spécialisée (HES) »
Ce dispositif permet un accès à l’enseignement supérieur de type universitaire régulé mais sans sélection, étant entendu que les choix de parcours ont été construit antérieurement.
Ce système est largement inspiré de ce qui se passe en Allemagne avec d’ailleurs dans les deux cas des ajustements territoriaux, au niveau des länder dans un cas, des cantons dans l’autre, même si la Suisse dispose aussi de deux écoles « fédérales » -et prestigieuses – à Lausanne et à Zürich.
Pendant ce temps-là la France cumule les inconvénients de deux systèmes, d’une part le « collège unique » et DES baccalauréats donnant pourtant un même droit d’accès à l’université, et d’autre part une orientation autoritaire, consommatrice d’énergie et menant à un système d’exclusions aux divers étapes du parcours scolaire, qu’accompagnent toutes sortes de régimes d’exception, sélection sur dossiers vers CPGE, STS, IUT, tentation des filières sélectives dans les universités. Comment peut-on ne pas placer cette contradiction au cœur de la réflexion ? La fameuse exigence d’absence de sélection se nourrit de tous les dispositifs qui en sont complices.
La réflexion sur les contradictions du système qui en fondent les postures, est d’autant plus urgente que, pendant que se multiplient des réformes d’apparence, l’ascenseur social est à la peine …. Ainsi, non seulement le système s’éclaire à la « chandelle verte » mais il manque son objectif proclamé, la « non-sélection » est inégalitaire dans son application, sans compter l’autre inégalité, qui s’approfondit, sous la forme public/privé et correspond à une régulation différente des moyens affectés comme des contraintes, imposées « d’en haut » aux uns et librement adaptées par les autres (les situations si différentes au regard des rythmes scolaires sont à cet égard emblématiques)
La panne de l’ascenseur social est en effet l’un des enseignements de la nouvelle édition du rapport de l’OCDE « Regards sur l’éducation ». S’il y a en effet une bonne nouvelle : 43% des 25-34 ans sont aujourd’hui diplômés du supérieur, chiffre plus élevé que la moyenne de l’OCDE ; 40 % des jeunes (25-34 ans) ont un niveau de formation plus élevé que celui de leurs parents, on constate aussi que la majorité des enfants qui ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ont un parent qui détient au moins le bac, par ailleurs, un enfant dont un parent a un diplôme du supérieur a six fois plus de chances d’en obtenir un à son tour qu’un enfant dont aucun parent n’a le bac.
L’enquête de l’OCDE est accessible dans sa totalité (ici). Au premier chef, elle marque un déséquilibre dont il ne me semble pas qu’il ait jamais été débattu, dans la répartition des dépenses d’éducation entre le primaire et le secondaire. Les dépenses par élève du secondaire sont 20 % plus élevées en France que la moyenne de l’OCDE tandis que les celles par élève du primaire sont 20 % inférieures en France à la moyenne de l’OCDE. Pourquoi ? … et pourquoi n’en parle-t-on pas (guère ?) ? Doit-on établir un lien entre cette misère de l’enseignement élémentaire et la question de l’illettrisme en France qui, même introduite avec maladresse (et c’est une litote), n’en demeure pas moins un défi social et politique qui ne peut être ignoré et n’est pas sans lien avec l’accès à l’emploi (voir ici).
Ce rapport de l’OCDE s’accompagne d’une étude sur les enseignants (ici)
L’information n’est pas nouvelle mais il est bon qu’elle soit présentée une fois encore, bilans chiffrés à l’appui ; l’étude met en effet en valeur le fait que les salaires des enseignants sont nettement inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE. On observe néanmoins qu’une fois prises en compte les primes et allocations versées aux enseignants, la situation des enseignants du second degré en France s’améliore. Pourquoi un tel système de primes ? A nouveau donc une « exception » pour le second degré, pourquoi ? Quelle corrélation avec le supplément de dépense par élève du second degré ? Plus encore quelles conséquences de ces choix ? Par qui ont-ils été pris ? La logique des primes donne d’ailleurs à craindre que ces distributions n’aient pas été mesurées avec un souci de la cohérence de l’ensemble du dispositif de formation. Cela dit ces inégalités de traitement ne doivent pas masquer le fait que la France paie mal ses enseignants. Qui a validé ce choix ?
Au-delà de l’importante question des salaires, l’étude souligne fortement que la revalorisation du métier doit être une priorité pour la France, voire un préalable à toute réforme. (voir ici)
.
S’y ajoute le fait que pour les enseignants comme pour l’ensemble des salariés français, la formation professionnelle continuée reste, en France, un parent pauvre et, surtout, elle demeure insuffisamment ciblée sur les catégories qui en ont le plus besoin, à savoir les plus âgés et les moins qualifiés.… Quelle intervention de l’Education Nationale dans ce champ ? Quel projet structurant ?
Pour faire bonne mesure, il conviendrait d’ajouter à la réflexion, ces deux autres caractéristiques de notre système où la valorisation du diplôme s’accompagne d’un manque de considération pour l’apprentissage auquel n’accèdent trop souvent que les élèves qui sont d’abord en situation d’échec, et où le charme de ces repères commodes qu’offre le classement des écoles coexiste avec le déni des classements dans les écoles et les débats sur l’opportunité des notes chiffrées. Comme Bourdieu l’avait montré, « les formes scolaires de classification » qui permettent ce qu’il nommait « La Noblesse d’Etat », ne se réduisent pas aux seules notes, peut-être même au contraire les notes sont-elles plus objectives que les autres formes de classification. Cet intéressant débat demeure ouvert, ou plus exactement à ouvrir. Il n’est pas sans lien avec la définition des élites.
Enfin, il est temps de sortir du débat sur la légitimité (ou non) des « cadeaux aux entreprises » pour « relancer l’emploi ». Le marché de l’emploi et la fameuse courbe du chômage ne se jouent pas uniquement dans la relation employeur/employé. La formation, selon qu’elle est adaptée ou pas, selon qu’elle prend en compte les besoins, les réalités et leurs évolutions, y ont une part importante … et pourtant insuffisamment (sans doute encore une litote) mise en valeur dans toutes les expertises et par tous les consultants assemblés au chevet de l’économie française.
Ces regards extérieurs, et d’autres dont chacun peut faire l’expérience, soulignent au fond moins l’illisibilité que l’absence de cohérence de notre système éducatif et l’inexistence d’un projet commun, et plus encore le fait que la formation, initiale comme continuée, fait plus l’objet d’atermoiements que d’avancées, de financements sans doute insuffisants mais surtout insuffisamment liés à une stratégie concertée et (surtout) explicitée, enfin une pratique de la sélection erratique à première vue, mais adossée de fait à la hiérarchisation idéologisée des « formes scolaires de classification »
Si ces caractéristiques peuvent être observées par ceux qui regardent « d’ailleurs », et faire l’objet de rapports publics, ceux qui nous gouvernent, ceux qui nous gouverneront, ne pourraient-ils pas (enfin !) faire mieux que ceux qui nous ont gouvernés et observer la réalité de l’Education Nationale dans le contexte mondial (si souvent évoqué sur tant d’autres sujets) avant de lancer une hourrah réforme … une de plus ?