A côté des IDEX, le nouvel appel à projet introduit des I-SITE. Il ne s’agit pas de lots de consolation au sein d’une compétition qui ne dégagera que très peu de lauréats IDEX. Ce sont des outils politiques. D’une part ils vont conforter la régionalisation de l’enseignement supérieur, de l’autre ils sont l’instrument d’une coercition qui vise à asseoir la « nouvelle loi » et en installer l’irréversibilité en l’adossant à un financement.
Une nouvelle compétition des Initiatives d’excellence débute (voir ici), résultat de la présélection : avril 2015, verdict à l’issue du processus de sélection : janvier 2016 ; dix-huit mois de travail pour les candidats qui espèrent aller jusqu’au bout ; aussi, en ces temps de disette budgétaire, dix-huit mois d’espoir pour les responsables universitaires engagés dans ce concours de la seconde (dernière ?) chance.
Cela mérite que la carotte qui va ainsi faire marcher bon nombre d’universitaires français, soit observée avec attention. En d’autres termes, au-delà du constat immédiat de l’importance d’un enjeu dont il n’est pas envisageable que les établissements se désintéressent, quel contexte, quels objectifs sont donc construits par l’appel à projet ?
Cette nouvelle campagne de l’excellence se positionne dans le prolongement de la première, ce qui n’est pas illogique. Encore faut-il bien mesurer l’effet immédiat d’une situation qui s’énonce comme un problème d’arithmétique élémentaire :
Sachant que …
1- l’objectif cumulé des campagnes idex est de « doter le pays de la dizaine de grandes universités de recherche, comparables aux meilleures universités du monde, qui permettront à la France de tenir son rang dans la compétition scientifique et économique mondiale »,
2- huit pôles universitaires ont déjà obtenu une Idex lors de la saison 2011-2012,
3- lors de la campagne IDEX 1, deux projets, PALSE (avenir Lyon Saint-Etienne) et PNM (Paris Nouveaux Mondes) avaient bénéficié d’un soutien « avant une éventuelle labellisation Idex » à laquelle l’appel à projet IDEX 2 les invite nommément à candidater, selon une procédure spécifique …
… sans préjuger des décisions du jury indépendant, international et souverain,
… même en imaginant que « une dizaine » ce n’est pas nécessairement 10 et que les 2 projets en session de rattrapage ne sont pas nécessairement qualifiés d’avance
… à la question : combien d’IDEX seront labellisés dans cette campagne ?
La seule réponse possible est TRES PEU, même s’il serait très hasardeux de tenter de fixer un chiffre de lauréats parmi les candidatures qui vont être proposées …
L’appel à projet qui vient d’être diffusé, permettra donc de compléter le résultat déjà acquis (huit lauréats) pour atteindre la « dizaine » d’établissements envisagée depuis le début, à l’instar de l’Exzellenzinitiative, « modèle » allemand du projet français qui n’est, il est vrai, plus guère évoqué aujourd’hui. On notera qu’en Allemagne onze universités ont été nommées, après trois tours d’appel à projets (pour mémoire, voir ici) mais aussi qu’au cours du processus trois des universités allemandes initialement retenues ont ensuite perdu leur titre.
Fabriquer un très petit nombre de lauréats n’aurait guère été à la mesure de la mobilisation d’énergies que le concours implique. Le risque aurait été grand que le constat soit du type « tout cela pour ça » … et la carotte très vite reconnue comme largement illusoire.
C’est alors que les I-SITE entrent en lice. Comme l’explique le texte même de l’appel à projets, « la dualité IDEX/I-SITE, reconnaît la vocation différenciée et les atouts propres de chaque site. Par-là, elle apporte son concours aux démarches de spécialisation des territoires et à la valorisation des trajectoires diversifiées des sites porteurs des Initiatives, en cohérence avec les objectifs de la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 ».
De la mise en place de cette dualité, un système à TROIS types d’universités va inévitablement émerger. Certains établissements sont ou seront labellisées au très haut niveau d’excellence que reconnaissent les IDEX. D’autres se verront reconnaître une participation efficace « aux démarches de spécialisation des territoires et à la valorisation des trajectoires diversifiées des sites ». Et les autres ? … La mention d’une reconnaissance de la spécialisation de chaque site est une fausse perspective.
Puisqu’il y a concours et financements limités, certains (et même beaucoup) de sites ne pourront être ni « excellents » (IDEX), ni « en cohésion avec leur territoire » (I-SITE). Que seront-ils ? Qu’on le condamne ou qu’on le loue, un système à deux vitesses peut se comprendre, il dégage un niveau réputé supérieur et un autre, défini par rapport à celui-là. Qu’en est-il d’un système à TROIS vitesses ? Qu’y a-t-il donc « entre » le rayonnement international et la mise au service de la valorisation du territoire ?
Est-il acceptable que « le mode d’application de la nouvelle loi » devienne une preuve des « engagements stratégiques institutionnels et de gouvernance des partenaires » et à partir de là, un critère d’accès à une labellisation (I-SITE) et ses financements ?
Le système d’enseignement supérieur français est tellement spécifique, tellement hexagonal, qu’il est permis de se demander en quoi un jury international est le plus qualifié pour mesurer l’application en France des spécificités d’une loi sur l’enseignement supérieur dont bien des aspects demeurent opaques au-delà de nos frontières, voire, pour certains aspects, aussi en-deçà.
Plus curieux encore, le document de soumission, décrit dans l’appel à projet, indique que le terme Initiative « recouvrira indifféremment les deux termes IDEX et I-SITE ». Comment comprendre que DEUX compétitions distinctes qui visent DEUX objectifs et sont fondées sur DEUX qualifications différentes, soient confondues dans UN unique dossier, et donc UN unique argumentaire ?
La carotte était bien maigrichonne dès lors qu’il ne s’agissait que d’attribuer un très petit nombre de labellisations « IDEX ». La ficelle devient énorme lorsque la démarche inclut des I-SITE, ce « nouveau type d’ambition qui renforce la démarche de spécialisation des sites et des territoires » qu’ils sont réputés illustrer.
A force d’être contraintes de « marcher à la carotte », les universités vont se faire « carotter » ….