La sélection en master : un débat qui n’aura pas lieu mais invite à examiner la question de la mobilité

Le second volet du débat Educpros sur la sélection « Université : pour ou contre la sélection en master » témoigne des limites de l’entretien.
Le président de l’UNEF y explique que son organisation « défend à plus long terme la suppression de toute sélection ». Que reste-t-il alors à débattre ? Le totem est dressé, il reste à lui faire révérence et passer à autre chose.
Faute de débat, plutôt qu’une nouvelle dénonciation de son blocage par les tabous, je propose d’envisager l’alternative : une fois toute sélection abolie, que se passe-t-il ?
Avec des nuances sans doute, les deux intervenants de l’entretien partagent une piste semblable. Pour le président de l’UNEF, il faut « un portail national d’inscription entre le M1 et le M2. Cela évitera aux étudiants de s’en sortir plus ou moins bien selon le bouche-à-oreille ou les visites sur les sites Internet ». « Un portail national permettant une bonne information serait tout à fait utile, et surtout un accompagnement de la mobilité étudiante – qui est souhaitable – notamment en termes de logement » reprend le président de la commission Formation de la CPU.
Il ne s’agit donc plus de sélection mais d’aménagement du territoire, en relais des politiques de site qu’illustrent les ComUE, porteuses de spécialisations possibles de tel ou tel site et de répartition des flux à l’échelle du territoire national.
Pourquoi pas … pourvu qu’auparavant les implicites d’une telle « stratégie » ( ?) soient mesurés.
Un portail national rendra les universités « responsables de ne laisser aucun étudiant à la rue, sans formation, à la sortie du M1 » nous dit le président de l’UNEF. Très bien, une question quand même : les universités ne sont-elles pas déjà responsables ? Gilles Roussel le confirme, fermement.
Un tel portail verrait la mise en place d’une sorte d’APL (admission post-licence) sur le modèle de l’APB (admission post-bac) dont les mérites demeurent à prouver, qui laisse pleinement entière la question de la répartition. Sur le modèle qui veut que tout bachelier a DROIT à une inscription à l’université, tout licencié aurait ainsi DROIT à une inscription en master.
Pourquoi pas … sauf que, même dans les rêves les plus enthousiastes, il demeure difficile d’imaginer que cette proposition puisse toujours être effective à proximité immédiate du domicile. C’est même pour cette raison que le portail est dit « national ». Une régulation des flux par portail national impliquera donc de contraindre une partie des étudiants (lesquels ? sur quels critères ?) à aller s’inscrire ailleurs que dans l’établissement de leur premier choix. Le portail risque donc de ne rien avoir résolu …. La sélection sera simplement déplacée vers la satisfaction (ou non) des vœux dans le cadre d’une distribution spatiale. Comme le signale d’ailleurs Gilles Roussel, « la vraie difficulté est la mobilité de l’étudiant sur le territoire, car il y a assez de places en M2 pour accueillir les étudiants de M1 ».
Assez de places d’études admettons, mais qu’en est-il des places de logement ? L’interrogation n’est pas sans importance lorsqu’il est question de mobilité.
Si une sélection à l’entrée du M1 semble au président de l’UNEF, constituer un projet « terrifiant » parce que porteur d’un biais social, qu’en est-il d’une (possible) obligation de changer de région pour suivre le parcours « master » souhaité ?
Voyager, découvrir d’autres lieux fait partie de la formation d’un étudiant. Le succès des programmes Erasmus montre l’intérêt des étudiants pour la mobilité
Oui, MAIS … Les « campus universitaires français » regroupent prioritairement des lieux d’enseignement, de recherche, des bibliothèques. Les quelques résidences que l’on y trouve, généralement en gestion CROUS, et quels que soient les efforts accomplis, ne sont ni en nombre suffisant, ni d’un standard tel qu’une vie de campus effective puisse se déployer. En d’autres termes il n’y a pas autour des universités françaises de politique de logement (social ou non) des étudiants.
Dès lors la notion de portail national ne comporte-t-elle pas un biais (social aussi) ?
Le choix d’encourager le développement de campus « complet » où vie sociale, vie culturelle, vie sportive et vie académique peuvent se rejoindre et se combiner, notamment en construisant sur les campus des résidences étudiantes en proportion des accueils envisagés dans les bâtiments d’enseignement, n’a pas été fait au moment où a été décidée la massification de l’enseignement supérieur. Au contraire, a été le plus souvent privilégié le pari d’inciter (contraindre de fait) les étudiants à s’installer dans les villes dont leurs universités portent le plus souvent le nom alors que leurs bâtiments ont été déplacés vers les périphéries. Le logement étudiant relève ainsi largement du secteur privé. Une des conséquences en est l’absence dans les universités de service d’accueil des étudiants, capable de proposer une offre cohérente pour les étudiants qui souhaiteraient y faire une mobilité, volontaire ou contrainte, comme ce serait le cas en application des recommandations d’un « portail d’accès en master ».
On constate ainsi une nouvelle alternative : soit les étudiants pourront suivre les recommandations du « portail national » et organiser une mobilité liée à leurs études et ce portail aura du sens, soit ils ne le pourront pas et dans ce cas le portail envisagé ne sera qu’une fausse piste, pire un écran de fumée. Poser la question c’est malheureusement y répondre. Sans politique du logement étudiant sur les campus, les limites d’une stratégie de portail et de mobilité sont manifestes ; tous ne sont pas égaux face au portail.
Pourquoi perdre du temps à contempler vainement de fausses fenêtres ?

La question de l’accueil en mobilité rejoint celle de l’attractivité concurrentielle entre masters des universités – aussi réelle que peu reconnue dans les discours. Elle prolonge aussi un autre biais qui réunit la mobilité et la sélection. Comme l’a signalé Jean Tirole, lors de la « grande conférence » qui réunissait, le 20 novembre courant, la Conférence des présidents d’universités et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (voir ici) :

« Aujourd’hui, la sélection existe : c’est l’échec pour les plus faibles et l’exil pour les meilleurs… Comment voulez-vous former lorsque les niveaux des étudiants sont si hétérogènes ? »
Il ne suffit pas de se dire opposé (ou non) à la sélection ou de la (re)baptiser orientation, il faut d’abord en constater les formes et les effets.
De même, avant de parler de mobilité, il convient de mesurer combien elle est restreinte par l’absence de politique du logement étudiant, remplacée par l’accès aux contestables « aides au logement » – ce sera l’objet du prochain billet.

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