Le regroupement annoncé en « 25 grands ensembles pour viser l’excellence » signifie-t-il une unification de l’enseignement supérieur ?
Au fil du temps des (grands) ensembles ont en effet été installés. Certains sont spontanément « lisibles » au plan international, ce sont des universités (à Strasbourg, Aix-Marseille, Bordeaux, Nancy, plus récemment, Montpellier). D’autres sont des ComUE qu’avec indulgence on pourrait considérer comme des « systèmes » à l’américaine … si ce n’est que la question des délégations de compétence entre les divers niveaux des établissements et donc de la mise en place d’une subsidiarité, est loin d’être résolue. La contrainte a précédé le souci de l’efficacité et, dans certains cas, l’opportunité. A cela s’ajoutent des « associations » où les universités métropolitaines fusionnées font un geste pour que personne ne se sente au bord de la route des regroupements. Tout cela est-il vraiment structurant ?
Ici ou là, sur un même site, on ne regroupe que partiellement, laissant le système incomplet. Ainsi, si les universités fusionnées de certaines métropoles (Aix-Marseille, Strasbourg …) regroupent la totalité des anciennes universités, dans d’autres métropoles, certaines des anciennes universités restent à l’écart du nouvel établissement (Montpellier, Bordeaux …) tandis que dans d’autres encore, la fusion des universités n’a pas (pas encore ?) été réalisée.
Avec un peu de générosité, voire une bonne dose d’optimisme, il est envisageable que ces différences puissent se lisser avec le temps. Restera surtout à vérifier si les cohabitations dans les ComUE suffiront pour unifier conduites et pratiques entre universités, écoles et organismes.
Cervantès demandait que l’on donne du temps au temps. Plaçons nous un instant sous son patronage et ne faisons pas des géants de simples moulins à vent, posons que toute difficulté, une fois identifiée, peut trouver une voie vers sa résolution.
Bonne volonté ou indulgence ne feront pourtant pas tout : le dispositif est miné de l’intérieur par une contradiction interne. Les divers sites, fussent-ils proclamés cibles et outils de la stratégie nationale, ne sont pas égaux devant cette stratégie. L’absence d’unification entre les regroupements n’est pas seulement dans la nature du regroupement, elle est aussi dans les écarts considérables qui sont installés d’un regroupement à l’autre, en termes de moyens, notamment rapportés à la population étudiante.
Chacune à sa façon, la carte (ici) diffusée par la CPU lorsqu’elle annonce « 25 regroupements pour viser l’excellence » (comme s’il y avait un lien entre l’un et l’autre) et l’infographie (ici) réalisée par le journal Le Monde confirment ces absences d’égalité.
D’un site à l’autre, on constate des écarts de 1 à 2 pour le nombre des enseignants et des chercheurs, et de 1 à 3 pour celui des personnels administratifs. Difficile de penser que de telles différences puissent être sans conséquences sur l’attractivité comparée des divers sites, la formation qui y est proposée, la recherche qui y est menée et la contribution qui peut y être apportée aux Régions d’implantation.
S’il n’est sans doute pas question de chercher qui est le Calimero de l’autre ou de se lamenter ensemble au motif que « c’est vraiment trop injuste », ces inégalités contribuent tout de même, lourdement, à l’absence d’unification d’un dispositif qui pourtant se réclame de l’égalité (républicaine).
D’ailleurs l’hypothèse d’un modèle commun de distribution des moyens est régulièrement venue se heurter à ces écarts. Pour que le modèle soit transparent, juste et équitable, il faudrait pouvoir soit l’appuyer sur une redistribution de l’existant (qui mettrait en péril les établissements les plus prestigieux), soit prévoir un abondement des moyens alloués à l’initiale du modèle et organiser ainsi le rattrapage des établissements les moins bien dotés (ce que les finances publiques ne sont pas en mesure de faire et qui de toute façon ne serait pas nécessairement pertinent).
L’enseignement supérieur vit et subit une contradiction croissante entre deux irréconciliables. D’un côté on trouve l’affirmation maintenue du caractère national des diplômes, l’équivalence réglementée des grilles salariales et le principe qui veut que chaque cursus de chaque université vaut le même cursus de toute autre. De l’autre s’imposent la hiérarchisation des Ecoles mais aussi de plus en plus celle des universités alors que s’affichent publiquement des « palmarès de réussite » dans les universités (ici) et que, dans la cadre des investissements d’avenir, sont organisés, entre les établissements, des concours dont les résultats montreront des différences, d’autant plus remarquables qu’elles auront été reconnues par un jury d’experts et financées par l’Etat …
Sous couvert d’unification en 25 sites la mise en concurrence progresse. Elle est d’autant plus pernicieuse qu’elle se déroule à armes inégales et que, « bien entendu » ces courses à handicap ne sont pas reconnues comme telles. Il est vrai que l’afficher explicitement impliquerait notamment de permettre aux étudiants de se déplacer de manière à rejoindre telle ou telle université et donc de revoir la politique du logement étudiant, en particulier le système d’aide au logement … que la cour des comptes remet d’ailleurs régulièrement en cause tandis que tout aussi régulièrement les ministères successifs « tiennent à rassurer » sur la poursuite du système.
Décidément, que tout cela est navrant !
#####
De manière à éclairer les ruptures d’égalité, je propose que soient observés quelques chiffres caractérisant diverses entités, regroupées 2 par 2, à fin de comparaison sur la base de populations étudiantes à peu près équivalentes.
Sans doute la mission d’une université ou son rayonnement sur un territoire ne se réduisent pas à la seule mission d’enseignement. Il fallait bien poser un critère. Cela dit, les écarts entre établissements sont suffisamment importants pour être significatifs, au moins de l’inégalité des répartitions.
étudiants | enseignants et chercheurs | personnels administratifs | |
ComUE « Lille Nord de France » | 125000 | 6100 | 3500 |
ComUE « Université de Lyon » | 130000 | 11500 | 9500 |
Des illustrations complémentaires, caractérisant d’autres sites, confirment la tendance :
étudiants | enseignants et chercheurs | personnels administratifs | |
Grenoble – Alpes | 66000 | 7100 | 5600 |
Normandie- universités | 67000 | 4300 | 3000 |
Autre rapprochement faisant apparaître des inégalités du même type, en Ile de France cette fois :
étudiants | enseignants et chercheurs | personnels administratifs | |
Paris-EST | 50000 | 2300 | 2050 |
Paris-Lumières | 55000 | 1500 | 1400 |
NB Dans tous les cas, les chiffres sont ceux qui figurent sur la carte diffusée par la Conférence des Présidents d’Université, en s’y reportant on pourra d’ailleurs faire apparaître d’autres inégalités.