Le débat escamoté des dotations des universités

Tout commence avec l’idée qu’il manquerait 100 millions et que la seule manière de boucher ce « trou » (?) serait de faire les poches des établissements.

Pour justifier la pratique, s’enclenche une stigmatisation des établissements « fourmi » qui auraient constitué un « bas de laine » et donc accumulé « de l’argent dormant » qu’il devient urgent de « mobiliser ». L’argument est d’ailleurs à deux coups puisque la même opération permet de dénoncer implicitement les établissements « cigale » qui ont dépensé sans compter et sont démunis lorsque la brise de la rigueur est venue.

Economes ou dépensiers les établissements se retrouvent ensemble du côté des réprouvés. Qu’ils se débrouillent donc entre eux et que les riches soient solidaires avec les pauvres.

 

Première malhonnêteté : laisser croire que le budget d’un établissement d’enseignement supérieur se gère comme un budget familial et qu’il pourrait y avoir matière à distinguer entre les bons gestionnaires, économes et soucieux du bien public, et les médiocres qu’il faut sanctionner. C’est « oublier » que ces établissements sont des opérateurs de l’Etat qui gèrent de l’argent public. Comme tels, leur possible « vertu » et leur possible « faute » sont au préalable soumis aux règles de la comptabilité publique, notamment telles que décrites chaque année par une « circulaire relative au cadre budgétaire et comptable des organismes publics et des opérateurs de l’État » (voir ici –à titre d’exemple – la circulaire pour 2015).

On y trouvera notamment des dispositions relatives aux « fonds de roulement » et à la nécessité de les « distinguer de la trésorerie » ou à la manière dont il convient d’aborder les dotations aux investissements « qui n’ont pas vocation à découler d’économies sur la subvention de charges de service publics » ou encore de définir une stratégie immobilière. S’il y avait réellement manquement, en un sens ou un autre, quelle opportunité le fait donc découvrir maintenant ?

 

Deuxième malhonnêteté : faire comme  si les établissements étaient à égalité devant les dépenses … et donc dans leur capacité à la vertu et l’économie. Ainsi, ils ont en charge des bâtiments dont l’état est loin d’être uniforme. Les contraintes en dépenses de maintenance ne sont donc pas égales, ce que l’Etat qui remplit « peu » les obligations du propriétaire ne peut ignorer. De même, la « compensation boursière » n’est plus identifiée dans les subventions. Les boursiers ne paient pas de droits d’inscription à l’université où ils sont inscrits, le pourcentage d’étudiants boursiers varie d’un établissement à l’autre, le manque à percevoir diffère d’un établissement à l’autre. Cet écart est devenu illisible. Enfin le GVT, c’est à dire l’augmentation mécanique de la charge salariale n’est pas compensé, la nature et la taille des emplois modifient pourtant, différemment pour chaque établissement, l’ampleur de la masse salariale et donc l’équilibre dépenses/recettes.

 

Troisième malhonnêteté : l’Etat a unilatéralement modifié ce qui est désigné comme « seuil prudentiel », c’est à dire la capacité pour les établissements d’assurer la paie des personnels. Il est aujourd’hui fixé à15 jours alors qu’antérieurement les établissements devaient disposer d’au moins 30 jours de réserve. Sachant que les salaires sont en France payés au mois et pas à la quinzaine, l’effet de cette décision est une fragilisation redoublée : l’affirmation d’un « confort » des établissements est artificiellement renforcée tandis qu’a mécaniquement décru la capacité à assurer le versement des salaires.

Quatrième malhonnêteté : les recettes des universités, et donc la possibilité de maintenir un fonds de roulement, ont des origines variées, collectivités publiques, fonds propres, mécénat … Ces diversités seraient ignorées par un prélèvement. Veut-on décourager ces donateurs hors Etat au moment où l’Etat remplit si difficilement ses obligations ?

Cinquième malhonnêteté : feindre d’oublier que depuis le passage aux RCE, les universités disposent d’un budget global qui intègre l’ensemble de la masse salariale. La tentation, plus souvent la contrainte budgétaire, a conduit la majorité des établissements à geler des emplois. Mécaniquement ces choix ont à la fois évité la cessation de paiements et préservé les fonds de roulement. Que faudra-t-il faire demain ? En regardant un peu plus loin que le recours à un expédient immédiat, comment pourra-t-on boucler le budget 2016 une fois tarie la source miraculeuse des fonds de roulement ?

 

Parce qu’il est inimaginable que ces interrogations ne soient pas connues des décideurs politiques, il faut bien en venir à l’idée que cette cagnotte que constitueraient des fonds de roulement, n’est qu’un mirage. On le sait, les images produites par un mirage sont sujettes à interprétation.

Dans le cas présent, il me semble que nous sommes face au cas type du faux débat qui fait écran, comme peut l’être cet autre, récurrent, à propos des frais d’inscription. On agite le chiffon, un tollé l’interdit et on assiste au retour à la case départ.

La provocation quant au sort des fonds de roulement et le report depuis maintenant presque trois mois de la communication des dotations 2015 coïncident avec l’escamotage du mode de répartition des dotations.

 

Mettre sur le devant de la scène une sorte de conflit à la Faust entre une tendance à l’accumulation et un penchant pour la jouissance, inventer une opposition de façade entre « frileux » et « aventuriers » c’est du bon spectacle en ce sens que, comme au bonneteau, l’attention est détournée.

Avant de conclure qu’un fonds de roulement abondant signalerait une vertu ou qu’une trésorerie exsangue marquerait une gestion laxiste, il faudrait que l’Etat soit en mesure d’assurer la clarté dans l’attribution des moyens aux établissements.

 

Plutôt que de nous tourner vers la facile dichotomie de « la cigale et la fourmi », pensons plutôt à cette autre fable où l’âne est sacrifié non parce qu’il aurait commis quelque faute, mais parce que son sacrifice est la condition nécessaire à la poursuite du système. De même, les « excès » des fonds de roulement permettent de ne pas évoquer le modèle de répartition dit « SYMPA ».

 

Il est parfaitement connu qu’il s’agit là d’un « système d’allocation des moyens récurrents insuffisamment redistributif » qui d’ailleurs n’a jamais véritablement été appliqué ce qui a « pu générer des effets pervers en termes de responsabilisation des établissements, en n’incitant pas à un comportement budgétaire vertueux, lorsqu’il était constaté que l’État interviendrait en secours des universités à la gestion identifiée comme peu rigoureuse, en l’absence de toute sanction ».

Ces citations sont extraites du « rapport d’information n° 446 (2012-2013) de Mme Dominique GILLOT et M. Ambroise DUPONT, fait au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois, déposé le 26 mars 2013 (pour le texte, voir ici)

Les deux sénateurs, auteur du rapport, écrivaient en outre « la mise en œuvre du nouveau système de répartition des moyens récurrents des universités à l’activité et à la performance (SYMPA), qui s’est substitué à « San Remo » en 2009, s’est révélée être un échec, du fait de son interruption au bout de deux ans, dès 2011 ».

On constatera que l’absence d’un modèle de répartition identifié, équitable, partagé et appliqué n’est pas une constatation nouvelle …

 

Depuis 2013, Ambroise Dupont ne s’est pas représenté et n’est donc plus sénateur, Dominique Gillot, toujours sénatrice PS, a été citée parmi les personnes qui auraient pu prendre la suite de Geneviève Fioraso … quelles dispositions sont donc envisagées pour conforter, dénoncer ou remplacer le « modèle » SYMPA ?

Quelles décisions ont été prises pour assurer l’équité des dotations ou pour admettre que le financement des universités est inégalitaire parce que, comme les concours ouverts au nom des investissements d’avenir en témoignent, les universités elles-mêmes ne sont pas équivalentes. Il faudra bien poser la question du financement de l’enseignement supérieur et de la recherche

On ne peut pas se contenter des ruses médiocres propres à l’escamotage.

 

 

 

 

 

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