Au delà de la compassion et de l’horreur, au delà du sentiment de révolte et d’une infinie sidération, monte l’envie de crier que ce n’est pas possible, que cela ne peut pas exister ; tous ces morts, et ces blessés, tous ces jeunes gens pleins de vie, ni coupables, ni responsables, ni redevables.
L’abominable planification de la résolution de tuer est insupportable.
Au milieu de toutes ces émotions, une musique, un air d’harmonica, quelques accords de guitare, une voix, des paroles, cette chanson des années soixante qui témoignait qu’alors émergeait peu à peu l’idée que Dieu n’était pas du côté de la guerre, n’était pas l’allié des vainqueurs. Se répandait l’idée que la plupart des hommes et des femmes d’une confession ou d’une autre savaient déjà, que Dieu est du côté de la paix, que, comme le chantait Bob Dylan, si Dieu est « du côté des hommes, il mettra fin à la guerre. » (If God’s on our side / He’ll stop the next war.)
Ce chemin qu’inaugurait cette génération là, où l’on rencontrait l’idée que Dieu ne participe pas à la guerre, n’a pas (encore) été parcouru jusqu’à son terme par tous.
L’obstacle est dans l’asymétrie, certains pensent encore faire leur salut en tuant d’autres hommes, certains admettent, avec les dignitaires de toutes les croyances et religions, avec les textes de référence des religions du livre, qu’aucune divinité n’a de lien avec la guerre, avec la mise à mort d’autres hommes.
Si le fait religieux (ou son étude) pouvait à lui seul amener la paix, celle-ci serait là. Ce n’est pas entre croyants mais (et ce n’est pas plus simple) entre hommes que l’équilibre doit être retrouvé, les croyants acceptant de penser que leur religion ne passe pas par l’extermination des autres, rose ou réséda pensant ensemble que la vie l’emporte sur la mort.
Une fois reconnu le fait que les massacres en cours ne sont religieux que par déguisement, une fois arrachés les masques de l’envie, de la volonté de pouvoir, des besoins de dominer, il faut encore regarder en face ces passions (trop) humaines.
Les assassinats dans les locaux de Charlie ou au supermarché kasher avaient préservé un semblant de rationalité, « n’y avait ka pas » caricaturer le prophète, « n’y avait ka pas » rendre publiques ses préférences alimentaires… Cette fois, les meurtres sont transparents. Ce sont des actes de barbarie.
Des actes de barbarie plutôt que des actes terroristes. Le terroriste est désigné comme tel par l’autre, le résistant, l’opposant, libérateur pour lui, est un terroriste pour l’autre. Ici il s’agit de barbares.
La barbarie s’en prend aux femmes, les voile, masque leurs silhouettes, nie leurs identités, elle tient l’éducation en laisse, la refuse aux petites filles, l’édulcore, l’oriente au point d’en faire l’instrument de la déformation de la réalité. La barbarie a pour but d’imposer sa volonté au point de tuer ceux dont elle exige la soumission « pour leur salut »
La barbarie fut celle des conquêtes, des colonisations, des racismes, de l’impérialisme, celle qui a massacré les indiens d’Amérique, celle, qui, reconnaissons le, a animé les croisades et peuplé les goulags.
La barbarie prétend tuer « au nom de dieu » pour cacher le fait qu’elle veut imposer sa domination sur l’ici bas, le maintenant du monde et non son au-delà. Pour cela, il lui faut détruire l’autre dans ce qu’il a de plus profond, son mode de vie, sa culture, sa civilisation, ses terrasses de café où se retrouvent joyeusement, librement, des femmes et des hommes, sa musique, ses concerts, ses salles de spectacle, son sens de la fête, ses rencontres sportives …… la barbarie c’est le déni fait à l’autre de son altérité.
La barbarie c’est pire que le terrorisme, la barbarie c’est la négation de l’humain, le déni de l’avenir.
« Terroriste » Michak Manouchian, se battait pour la vie ; dans sa dernière lettre il pouvait encore souhaiter « Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain ».
Les barbares n’ont que des valeurs de mort, il faut tarir le courant qui les alimente, vite !
Pour cela il faut aussi couper la route aux alliances entre les barbares et ceux qui les arment et les financent, ceux qui participent à l’économie de guerre mise en place par les barbares organisés en Etat, notamment ceux qui trafiquent du pétrole et ceux qui achètent ce pétrole de marché noir.
Les barbares veulent faire du quotidien le lieu et l’instrument de la terreur. C’est ainsi qu’un jour de Novembre, un 13 novembre 2015, ils ont ciblé la culture, le quotidien, un match de football. 129 étudiants, architectes, éditeurs, enseignants ou artistes … qui étaient français, belges, algériens ou mexicains… et avaient Paris en commun, sont morts ce jour là. La vie leur a été prise, au nom du symbole Paris. La guerre a été déclarée, pas pour un conflit de territoire ou de pouvoir, une guerre qui cible un mode de vie, une guerre a-religieuse qui s’affirme contre l’espérance, fonde l’auto-destruction contre le vivre ensemble.
Alors, bien sur, partout mais singulièrement dans les universités, lieux d’analyse, de formation, d’élaboration et de diffusion des savoirs, tous en choeur et en cœur, imaginons les (nouveaux) moyens de la prise de conscience, de l’explication, de l’advenue du monde nouveau, de tout ce que refusent les barbares….
… imaginer c’est accomplir un acte de liberté individuelle, un acte de création, un acte de réflexion, imaginer c’est l’inverse de l’horreur qui précisément n’est pas imaginable … imaginons demain et imaginons le dans la joie et la création, dans la sérénité du refus de l’impossible barbarie. ….
« You may say I’m a dreamer/But I’m not the only one/I hope someday you’ll join us/And the world will be as one »
Bob Dylan « With god on our side » 1964 www.google.fr/search?q=with+god+on+our+side+bob+dylan&ie=utf-8&oe=utf-8&gws_rd=cr&ei=k4FNVrPzKIX1apa-qbgE
John Lennon « Imagine » 1971 www.youtube.com/watch?v=XLgYAHHkPFs