Refonder l’Ecole, c’est d’abord parler vrai

L’année 2015 a été particulièrement sombre, au point que former des vœux pour 2016 conduise d’abord à souhaiter que l’année nouvelle soit meilleure que l’an fini ; pendant ce temps là, « changement » se dit « refondation ».

Refondation, plus encore sous la forme « refondation républicaine », l’expression renvoie à l’après 45, au « retour » de la République et à l’ordonnance du 9 août 1944 relative au « rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ». Son usage à propos de l’Ecole, surtout au sens large de système d’éducation, porte un contenu symbolique fort et postule que, à l’instar de la République entre 1940 et 1944, l’Ecole (républicaine) n’a jamais cessé d’exister mais qu’il est désormais nécessaire de la refonder, de la rétablir dans sa « nature » profonde.

On ne manquera pas de s’interroger sur le possible de cette « pureté originelle ». On se dira en outre que les références historiques ainsi convoquées, la Résistance, la Libération, la « certaine idée de la France » qui les ont animées, pour importantes que soient les valeurs ainsi portées, ne sont peut-être pas indispensables à la mise en phase d’une formation en prise sur les réalités et contraintes du XXIième siècle et de la prise en compte de la mondialisation.

Définissant une feuille de route pour l’Ecole, le Président de la République a expliqué qu’il fallait « revenir aux sources de notre système d’éducation et de formation, et réinventer en quelque sorte l’Ecole de la République ». Pour répondre à ce souhait, le premier ministre demanda au ministre de l’Education nationale « d’organiser une commission qui pilotera des états généraux de l’Education (…) » ; au terme de cette réflexion, le ministre devait proposer « les orientations qui lui paraîtront nécessaires. »

C’était … il n’y a pas si longtemps …. enfin, c’était il y a 20 ans … le président de la République s’appelait Jacques Chirac et le premier ministre volontariste de l’époque n’était autre qu’Alain Juppé devenu depuis « le favori des sondages » dans la course à la désignation par les primaires mais aussi l’auteur de « Mes chemins pour l’école » (Paris, JC Lattès) publié le 26 août 2015 et annoncé comme le premier volet d’une série de quatre ouvrages pour préparer « un nouveau monde ». Le fait que les fortes annonces de 1995 n’aient jamais été suivies de mesures concrètes, justifie-t-il de les recycler aujourd’hui avec les mêmes acteurs, en ce compris l’appui possible de Fançois Bayrou, l’alors ministre de l’éducation, toujours disponible, depuis la coulisse ? (dans le blog qu’il anime sur Mediapart, Claude Lelièvre donne plus de détails sur cette dérive –ici-.

Ainsi, en dépit de l’alternance et même de la cohabitation, les insuffisances dénoncées en 1995 (et dont l’origine est largement antérieure) n’ont pas reçu de remède satisfaisant. Voilà maintenant que le « nouveau monde » se propose de commencer par le recyclage des idées et des personnes qui n’ont (déjà) pas su les porter ! Voilà aussi des commissions, des assises, des rapports empilés, pendant vingt ans -et en réalité bien plus- … en vain. Au hasard de situations locales, d’intérêts divergents, de considérations et d’alliances politiques variées, d’effets d’aubaine espérés ou d’inquiétudes entretenues quant aux budgets et aux carrières, rien de durable ne s’est construit et à l’instabilité permanente, au décourageant ballet de « réformes » imposées mais jamais effectivement installées, s’est graduellement ajoutée une forme de résignation devant la « démonstration »  que tout se vaut, et réciproquement, de sorte que tout change pour que tout reste pareil. L’actuelle refondation en cours n’évite pas les difficultés dont, à l’occasion de la publication du rapport du comité de suivi de la loi, la Presse se fait l’écho ; « un rapport pointe la difficile mise en œuvre de la loi de refondation de l’école (L’Express 13/1) tandis que sur le même sujet Libération,en date du 13 janvier, titre «Peut mieux faire», et que La Croix évoque un mal endémique « La refondation de l’école bute sur le manque de moyens ».

Si on y ajoute le fait que le débat public s’est focalisé sur la réforme des rythmes scolaires et la question de la notation chiffrée des élèves (qui ne faisaient pas partie de la loi et on peut logiquement s’interroger sur l’opportunité et l’origine de tels brouillages), on comprend qu’à des attentes restées fortes s’ajoute un important sentiment de déception. Le changement n’est pas d’abord dans les symboles et il n’est guère avéré, par exemple, que la refondation de l’Ecole ait besoin d’une « remise républicaine » du diplôme du brevet qui soit l’occasion de célébrer « la fin de la scolarité obligatoire [et de] faire revenir les élèves sur le lieu de leur réussite, qu’ils puissent être applaudis en présence des élus locaux et des parents. »

L’idée est d’autant plus étonnante qu’il est prévu que la dite cérémonie ait lieu « chaque premier mercredi qui suit la rentrée des classes » Il semble bien qu’une fois encore ce sont les charmes vénéneux de la centralisation qui seront célébrés … (sur ces sujets –ici-)

A force de scénarios improbables, de remises en cause de tel projet de réforme par la réforme suivante, de « refondations » qui ignorent les partenaires de l’Ecole, parents et enseignants, une bonne part de ceux qui le peuvent, désertent cette fameuse « école de la République » pendant que d’autres désespèrent de la voir remettre en route l’ascenseur social, offrir des pistes de réussite et surtout fournir au pays la formation dont ses cadres, employés et décideurs ont besoin.

L’histoire l’a montré, la perte d’espoir fait le lit des populismes et la mise en péril de la démocratie représentative. Ceux qui déplorent les progrès du FN devraient s’interroger sur la fabrication de machines à désespérer par ceux qui sont réputés avoir en charge « l’avenir du pays ».

Avant de s’interroger sur la laïcité ou le contenu des programmes, même si ce questions relèvent d’enjeux importants, l’urgence (le mot est à la mode) n’est-elle pas à ce que les décideurs politiques et les faiseurs d’opinion comprennent que ni les lamentations sur l’inquiétant taux élevé des abstentions, ni les vertueux appels à la « résistance » face à la montée du Front National, ni la manière dont l’immobilisme se drape de symbolique, ne pourront longtemps encore tenir lieu de stratégie politique ? S’il doit y avoir refondation, c’est d’abord celle des idées sur l’école, lieu de formation, d’éducation et d’instruction (civique notamment). Même s’il faut bousculer quelques tabous, il va bien falloir prendre en compte les données concrètes et d’abord reconnaître que l’école de la République est inégalitaire, à l’image de notre société des statuts qui a succédé à celle des privilèges liés à la naissance, qu’ainsi soient disqualifiés les divers dispositifs qui masquent ces inégalités, de façon à enclencher une nouvelle dynamique, en lien direct avec les exigences d’aujourd’hui.

Comment, par exemple ne pas s’appuyer sur le constat du blocage de notre société ? « Ailleurs » l’apprentissage ouvre de fructueuses perspectives, « ailleurs » le chomage recule, « ailleurs » ne s’affrontent pas deux blocs englués dans une capacité unique, celle de « dire non » … Comment ne pas constater le délitement général d’un marché du travail hérité du XXième siècle, en tirer des enseignements et associer l’opinion publique à ces évolutions, par exemple aux règles nouvelles liées, par exemple, à l’émergence de l’économie collaborative ?

Accuser alternativement le conservatisme des syndicats et l’égoïsme frileux des patrons, dénoncer une classe politique attachée à ses privilèges et intéressée par le seul souci de sa réélection, vanter un patriotisme économique qui permettrait de réserver les emplois aux seuls « français » sont non seulement des stratégies qui font et ont fait progresser le FN, mais surtout des blocages de la réflexion, où des coupables facilement identifiables sont désignés alors qu’ils ne sont pas nécessairement pour autant les responsables des « fautes » qui leur sont imputées tandis que les mécanismes nouveaux ne sont pas explorés.

L’heure est à construire d’autres pistes menant à des analyses qui restent à faire, où les cartes ne seraient plus biseautées ni les dés pipés.

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