Dans une livraison récente (24 février), le Times Higher Education revient sur le classement qu’il a établi (ici pour ce classement et la méthodologie utilisée), et s’intéresse plus particulièrement aux places modestes qu’y occupent les universités françaises.
A l’instar du rapport que « France Stratégie » vient de rendre public qui mettait en cause la capacité des COMUE à conduire des stratégies cohérentes (ici pour le site de France Stratégie, ici pour une présentation du rapport sur ce blog), l’article publié par le Times Higher Education offre une occasion d’évaluer l’apport des COMUE. Etablir une base pour une telle estimation est d’autant plus instructif que ces COMUE, de création récente, sont présentées comme la réponses aux défis de l’organisation des territoires, de l’innovation et de la contribution des universités au progrès économique et social du pays (voir ici la définition des COMUE sur le site du MENESER et ici pour une cartographie déjà mise à jour, intégrant donc l’évolution de certains tracés de frontières et les attributions récentes en matière d’idex et d’i-site).
Une illustration accompagne l’article du Times Higher Education (texte et illustration ici). Elle représente un peloton de cyclistes accompagné d’un spectateur déguisé en diable qui encourage les coureurs. Dès le titre, le journaliste (se) demande si la mise en place des COMUE constitue véritablement une réponse adéquate aux retards maintenus des universités françaises (« Higher education in France: is the ComUE a blueprint for success? »). Le contexte est rappelé par un sous-titre qui annonce la mise en perspective de la stratégie adoptée par le gouvernement français face aux avancées de la globalisation (« As globalisation takes a firm grip on higher education, is the French government’s new strategy working? »).
Le message est clair, les universités qui roulaient en peloton sont exhortées à se distinguer. Certaines sont en position de faire valoir leur excellence et donc de s’imposer selon leurs caractéristiques dans les divers classements, les universités-maillot jaune-idex, les universités maillot à pois du grand-prix de la montagne-isite, les universités maillot blanc du meilleur jeune, les universités maillot vert … et on pourrait continuer … sauf que le diable exhortant est à contre-sens comme le sont ses exhortations ….
Quittons la métaphore du cyclisme et ses approximations pour revenir à l’article du THE qui fait dialoguer le point de vue de Thierry Coulon, président de PSL, et celui de Sebastian Stride, senior research expert for education consultancy, SIRIS Academic (pour le site du cabinet, voir ici).
En passant on soulignera le fait que PSL s’autodéfinit comme une structure duale (ici) mais aussi comme « Paris research university » (sur cette même page du site de PSL et sur toutes les autres d’ailleurs puisque l’expression est intégrée au logo de PSL, bien qu’elle n’en soit pas la déclinaison ; PSL = Paris Sciences et Lettres, ce qui correspond à l’intitulé de l’IDEX). Toujours dans ce cadre, on notera avec un égal intérêt que l’acronyme COMUE n’est pas mis en évidence (litote) et qu’aucun des établissements qui font partie de PSL, quels que soient leurs (très réels) mérites, ne sont à proprement parler des universités. Dans ce contexte, il y aurait quelque approximation à laisser croire que PSL puisse valider la démarche de création des COMUE.
A ce stade, le mieux serait d’aller lire en ligne l’ensemble de l’article. Néanmoins, pour ne pas donner à ce billet un fin trop abrupte et pour augmenter l’envie de lire l’article (en anglais) je vais donner quelques aspects essentiels des arguments évoqués.
Sebastian Stride énonce ses doutes face aux structures que sont les COMUE, qu’il définit comme « instables », qui ne ne sont pas véritablement des universités ni ne fonctionnent comme telles, même si, ajoute-t-il avec une indéniable malice, certains, au gouvernement français, ont pu croire que les baptiser « université » aurait suffi à en faire des universités. De fait les personnalités et les histoires des grandes écoles, des organismes et des universités maintiennent des comportements identitaires distincts, notamment au nom de « l’effet de marque ». A l’inverse, comme d’ailleurs le rapport de France Stratégies l’avait déjà indiqué, l’article souligne la structuration globale adoptée par les institutions installées dans des grandes villes de province. Là encore, Aix-Marseille, Bordeaux et Strasbourg sont citées.
Thierry Coulon défend les bienfaits de la non-uniformité, argumentant que chaque COMUE a sa singularité. L’argument semble faible en face de celui qui – comme ne manque pas de faire Sebastian Stride – rappelle que le modèle de l’université est le seul existant, le seul identifiable internationalement.
L’enjeu pour l’enseignement supérieur français demeure qu’après avoir évoqué le modèle allemand de l’Exzellenzinitiative pour justifier la stratégie suivie en France, il aurait été efficace de réellement suivre l’exemple et de donner au jury un « droit » à l’erreur, un droit à reconnaître s’être abusé. Plutôt que de chercher à « compenser » les décisions du jury en inventant la catégorie des « semi-idex », ainsi pour le projet HESAM, qui finira d’ailleurs par disparaître de la compétition, n’aurait-on pas pu introduire une règle de révision de la décision après un temps d’expérimentation et ainsi donner une chance aux déclarations sans se contraindre à les valider de toute éternité ? Une dynamique aurait ainsi pu se mettre en place sur le moyen terme avec un réel effet d’entrainement.
Pour cela il aurait sans doute fallu être capable de faire le choix d’un pilotage résolu, sur le modèle privilégié par le gouvernement allemand, dans le cas des universités comme d’ailleurs dans cet autre dit « de l’agenda 2010 », où, pour faire face à la montée du chômage et aux mauvaises perspectives économiques, le gouvernement Schroeder avait imposé des réformes « libérales » quitte à être accusé de remettre en cause l’Etat providence et à provoquer la colère de son électorat.
La validation au fil de l’eau des idex, les hésitations quant à leur nombre (5 comme annoncé d’abord en fourchette basse ? ou 10, fourchette haute ? ou « au moins » 11 ? ou plus ?), une structuration en COMUE qui dilue un plus les lieux de décision, le lien diffus maintenu entre ces COMUE et les idex, des évaluations qui restent un exercice de style puisqu’elles n’ont guère de conséquences réelles … rien ne vient favoriser la mise en place d’une stratégie (efficace) pour l’enseignement supérieur français… Un jour il sera bien tard pour y songer …