Une colère se donne actuellement à voir et à entendre à travers le monde. Son impact est d’autant plus fort qu’elle était restée en partie masquée – dans les sondages du moins- sous forme de cette « zone muette » qui a fait se tromper les sondages, rendant plus sensibles la crise du Brexit hier, celle de l’élection à la présidence des USA aujourd’hui. Cette révolte correspond à un double phénomène de défiance envers la démocratie et de sentiment de paupérisation, avec pour conséquence la mise en crise de ce qui est encore désigné comme les « valeurs de la République », remplacées par la méfiance et même le refus de l’immigration, la défiance envers les institutions, des élus brocardés, des votes des assemblées aussitôt contestés dans la rue, des déstabilisations liées à un chômage installé, les pannes de l’ascenseur social, la mise en doute de l’école …
Certains nomment cette colère « populiste », pour marquer qu’elle mobilise « le peuple » contre le « système ». Le discours qui la sous-tend est simplificateur, il repose sur l’identification d’une « élite » caractérisée par sa propension à berner « le peuple », alors que ses tenants oublient (feignent d’oublier) que ses figures de proue politiques font partie de cette élite.
Le populisme dont les motifs sont prioritairement électoralistes, ne vise pas réellement l’émergence de réponses crédibles. Il marque l’arrivée sur une même scène du spectacle et de la vie publique, mélange complaisamment relayé par des « réseaux sociaux » qui sont de plus en plus l’unique source d’une information qui, fonctionnement en réseau oblige, est passée au filtre des fantasmes, des convictions, souvent les plus obscures, de ceux qui les consultent.
Un premier avertissement est venu avec l’épisode du Brexit dont les promoteurs étaient tellement acharnés à concocter une campagne qui soit « victorieuse » que l’idée d’imaginer un plan de route pour la suite leur a échappé… De même, aujourd’hui, on assiste à un affadissement des propos de campagne incendiaires et provocateurs tenus par Donald Trump. L’essentiel est acquis, il est élu …
Au moment du vote, la rhétorique de reality show, de la véhémence de la dénonciation à doigt pointé, l’a emporté. Nul doute que l’idée de frontières renforcées et de protections améliorées a joué un rôle dans le vote en faveur de Donald Trump ; quelqu’un pense-t-il sérieusement pour autant que le Mexique va financer la construction d’un mur à l’aplomb des traits pointillés marquant la frontière sur les cartes ? Il est plus que probable que les doutes entretenus sur la probité et le désintéressement du couple Clinton ont pesé dans les décisions, singulièrement alors que revenaient sur le devant de la scène médiatique, les accusations du FBI, fermement assénées puis largement minimisées. Peut-être faudrait-il s’interroger sur les conditions de ce « retour ». La capacité du candidat Trump à « balancer », la violence de ses propos envers les minorités n’ont pourtant pas suffisamment émus les électeurs pour les amener à utiliser leur droit de vote pour se protéger.
Une logique politique n’aurait-elle pas d’abord consisté à éviter une telle conjonction d’éléments ?
La « montée du populisme », comme on dit, marque la fragilité de la machine démocratique, en train de s’enrayer. Le constat est dressé par beaucoup. Dénoncer le populisme ne suffira (évidemment) pas pour remettre la démocratie sur de bons rails car, plus que le « populisme » par lui-même, ce qui travestit les débats actuels c’est en fait son envers, l’incapacité à construire une véritable offre politique, l’absence de projet cohérent, la liberté prise d’annoncer voire de promettre sans se contraindre à tenir ou à s’expliquer. Le populisme est une conséquence.
Ce sont ses causes, les occasions de son émergence qu’il faut d’abord envisager.
La question n’est pas prioritairement celle du refus de la pensée unique (dénoncée par Nicolas Sarkozy) ou même ces « risques que la démagogie et l’extrémismes font, selon Alain Juppé, courir à la démocratie ». Elle est plutôt de savoir ce qui peut être fait pour affronter une situation qui a changé, à commencer par une pédagogie qui reste à faire, de l’évolution du monde, en globalisation des espaces mais aussi en distension des durées, aussi en termes de prises de risques avec l’environnement et les ressources.
Dans l’usage du populisme, il y a aussi des paresses de la pensée combinant une rhétorique de reality show c’est à dire précisément ne plus distinguer la réalité du spectacle qui en est donné.
La réponse au populisme passe par l’éducation, la formation. Une large part des déceptions qui le cristallisent, vient de l’incapacité, plus forte encore en France, de faire coïncider formation et emploi. Une analyse des moyens de retrouver une capacité au projet et avec elle, le dépassement du populisme est urgente pour dépasser le constat désespérant que la machine démocratique est bien en train de s’enrayer.
Il s’agit aussi de répondre aux diverses exaspérations dominantes, et pour cela, sortir de l’ enfermement simpliste dans l’idée que la cause des malheurs ce sont « les autres » , qu’il ne sert à rien de voter, que ce sont toujours les mêmes, droite ou gauche, qui sont élus, que donc ce qu’il faut c’est donner un grand coup de pied dans « le système – fourmilière». Pour le dire autrement, il s’agit de s’attacher aux mises en cause des modes de représentations actuels, aux impérities en matière d’éducation, aux inquiétudes citoyennes de tous ceux qui se sentent « laissés pour compte », abandonnés « sur le côté »du chemin, qui, pire peut-être, estiment être sacrifiés pour d’autres intérêts, venus d’ailleurs. Le populisme c’est aussi l’expression d’un repli sur soi, d’un protectionnisme aveugle, qui charrie le racisme et la xénophobie.
Penser des projets, bâtir des réponses aux défis du moment impose prioritairement non (simplement) d’appeler au « changement » ou à la « rupture », le populisme aussi sait l’annoncer, mais d’élaborer une approche différente qui attend d’être portée politiquement.
La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est délégué et contrôlé par le peuple. Cette définition, bien connue et parfaitement exacte, a pourtant besoin, me semble-t-il d’être complétée par l’interrogation sur la manière dont cette délégation est effectuée. C’est la question de la différence entre démocratie représentative et démocratie directe, mais aussi de celles entre les modes de collecte des suffrages, à un tour ou à deux tours, via le vote proportionnel ou le scrutin majoritaire. Communément le respect du suffrage universel est accepté comme suffisant à valider la délégation alors que les résultats ne sont pas les mêmes selon le type de scrutin. L’histoire récente vient de montrer Hilary Clinton créditée de plus de voix que le président élu qui le sera parce que Donald Trump avait gagné un plus grand nombre des « grands électeurs ». De même, d’ailleurs la gestion politique des votes ne sera pas la même selon que les alliances se font « entre les deux tours » ou après le tour de scrutin unique, de plus, dans ce cas le contrat de gouvernement peut s’avérer long et laborieux à établir, pensons aux 541 jours de crise politique observés en 2010/2011, en Belgique.
C’est assurément du rôle du mode de scrutin qu’il faudrait partir pour sans doute mieux comprendre les écarts entre les opinions et leurs transcription en votes effectifs.
Plusieurs études universitaires témoignent à la fois de la manière dont, par exemple, le scrutin majoritaire à deux tours tel qu’il est pratiqué en France, mesure mal la « volonté populaire » alors que, précisément, « Une élection doit mesurer le soutien de l’électorat dont bénéficie chacun des candidats et élire celle ou celui qui est le plus soutenu. Or le scrutin majoritaire (SM) mesure mal. L’électeur ne peut choisir qu’un nom parmi seize, douze, ou deux candidats. Et pourtant, il a une opinion sur chacun des candidats, que le SM ne prend pas en compte. » (pour la totalité de l’analyse, une discussion et des références complémentaires, voir ici)
La question du scrutin, la manière dont l’opinion, l’avis, la voix -au sens de suffrage comme à celui d’expression- sont reçus, font partie des sujets d’étude, des objets de recherche. C’est aux politiques mais aussi aux associations de se faire les relais de ces travaux, de montrer au « peuple » que son souhait de se faire entendre peut être pris en compte. La démocratie est un régime ancien, délicat, qui a connu bien des évolutions depuis l’époque où son fonctionnement demandait que les esclaves libèrent les citoyens d’un temps qu’ils pouvaient alors consacrer aux affaires civiles. Aujourd’hui la circulation vertigineuse de l’information et la généralisation de sa non hiérarchisation rendent complexe la construction d’une opinion informée. Ce n’est pas une raison pour y renoncer.
Des travaux de recherche (notamment ceux animés par Jean-François Laslier (ici) sont consacrés à la modélisation de la concurrence électorale. Donner à entendre les termes du débat c’est faire un grand pas vers l’effritement de la croyance (entretenue) que « les élites » ne cherchent pas à associer « le peuple » à la prise de décision, non par la généralisation du référendum mais par la réflexion sur les méthodes à suivre pour donner à chacun sa juste part dans le débat et le vote -condition de la démocratie- informé qui vient le conclure.
Plus le peuple est informé, moins le populisme peut prendre prise. Mathématicien, philosophe, économiste et homme politique français qui a beaucoup proposé en matière de réformes du système éducatif, il s’était aussi intéressé aux analyses des différents modes de scrutin possibles , définissant un « paradoxe de Condorcet ». Dès l’origine était proclamée l’idée qu’il ne pouvait y avoir d’implication populaire sans éducation populaire. Condorcet le savait et le disait. Il faudrait sans cesse retrouver cette belle idée, exprimée dans le Rapport sur l’organisation générale de l’Instruction publique que Condorcet présenta à l’Assemblée Nationale les 20 et 21 avril 1792, selon laquelle « tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves. » Par la même occasion on observe, un important glissement de l’opposition binaire déterminant qui est maître et qui demeure esclave, non pas « le peuple » et « l’élite » mais ceux qui raisonnent et ceux qu croient.
Si l’on admet que la décomposition du système a pu favoriser le populisme, recomposons le.
C’est d’abord une affaire d’éducation. (à suivre)
2 Responses to Que faisais-tu alors que montaient les populismes ?