Les COMUEs ne sont pas de « grandes universités ». Ce sont des structures inventées qui affichent des « communautés » qui n’en sont guère. Plus grave, dans aucune des configurations ou des implantations qui leur ont été données, les COMUEs n’ont réussi à établir une stratégie et une cohérence, à se montrer force de transformation.
Ceci n’a pourtant pas empêché qu’elles disposent d’un budget et soient dotées de personnels. En ces temps de tensions budgétaires il serait instructif de mesurer le ratio coût/efficacité. De même, alors que la visibilité est de rigueur, on peut se demander quelle réelle valeur-ajoutée est assurée aux écoles doctorales par leurs relations (variées selon les sites d’ailleurs) avec leurs COMUEs de rattachement.
Là où se mettent en place des universités françaises authentiques, c’est à dire « complètes », où la fertilisation croisée des disciplines est assurée, la nécessité des COMUEs n’apparaît guère. Ainsi à Strasbourg ou Aix-Marseille, la voie de l’association a été préférée, autorisant un lien mais pas la dépendance. La situation est différente à Bordeaux où, il est vrai, l’université Bordeaux-Montaigne a choisi de ne pas rejoindre l’université de Bordeaux. La COMUE peut alors être vue comme un instrument de coordination. On notera pourtant les possibles élargissements démesurés de telles coordinations avec l’apparition des nouvelles régions. Ainsi en « Nouvelle Aquitaine » pour demeurer dans la même territorialité, le président de la grande région plaide maintenant pour la fusion des deux communautés d’universités, de Poitiers et de Bordeaux, avec Tours et Orléans s’il le faut, ajoute-t-il, pour faire bonne mesure (voir http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Education/n/Contenus/Articles/2016/01/27/La-nouvelle-Aquitaine-veut-rassembler-ses-universites-2604835 ) .
Alors que l’université de Lille, reconnue pour son potentiel scientifique (désignation comme I-site avec une dotation financière égale à celle de certaines Idex), on peut aussi s’interroger sur l’avenir de la COMUE Nord de France. Sans doute porte-t-elle une ESPE, elle intègre aussi l’Institut catholique, son périmètre est désormais en décalage avec l’organisation administrative, elle ne coïncide plus avec la nouvelle région Hauts de France qui abrite également l’université d’Amiens et celle de Compiègne. Comment imaginer une cohérence ?
Les exemples peuvent être multipliés, l’essentiel réside pourtant dans la nécessité d’une évaluation de l’hypothèse COMUEs, en lien avec le nouveau contexte que viennent de façonner le PIA, la création des nouvelles régions et la métropolisation.
Recevant à l’Elysée les lauréats des appels à projets Idex et Isite, François Hollande a tenu à souligner la logique des investissements d’avenir, sept ans après le lancement du programme et alors que les labels ont été attribués, pour l’essentiel. Au-delà des félicitations, il s’agit de mesurer l’ampleur de la dynamique ainsi enclenchée, notamment sur la base des conclusions tant du président de la République que du président du jury international qui a évalué les dossiers soumis (pour une information plus complète se reporter à http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/francois-hollande-met-les-resultats-idex-a-l-actif-de-son-bilan.html)
L’un et l’autre se félicitent de l’effort dont témoignent les projets pour progresser vers une « gouvernance plus intégrée de toutes les composantes du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche en France ». Pour qu’une telle gouvernance soit à la fois efficace et acceptée par les différents acteurs, encore faut-il, comme le signale Jean-Marc Rapp, le président du jury international, porter remède à l’actuel manque de « flexibilité » et d' »autonomie » ; ce qui veut dire aussi que la question des ressources humaines est décisive. Comme le souligne également J-M Rapp « Tant que les universités françaises ne pourront gérer elles-mêmes les dossiers des enseignants-chercheurs étrangers, (…) elles resteront handicapées. »`
C’est naturellement autour de ces questions -auxquelles les COMUEs n’apporteraient que des freins supplémentaires- que se nouent les enjeux d’un « après le PIA » qui aura à tenir compte des nouveaux éléments de contexte.
Signalons pour commencer ceux liés à l’apparition dans le paysage d’établissements labellisés (et financés) à côté d’autres qui ne le sont pas. Jusqu’ici le principe revendiqué par l’Université française telle que l’Empire l’avait refondée, était celui d’une répartition géographique accompagnée du principe selon lequel, dans une même discipline, un même diplôme avait la même valeur et que la dotation par étudiant était identique à travers le pays.
Le « discours prônant l’équivalence entre les universités s’est mué en un discours sur la compétition internationale, la performance et la concentration des ressources sur les meilleurs », avec « une rapidité [qui] n’est pas sans étonner dans un pays où les principes égalitaires ont longuement imprégné les politiques universitaires » explique Christine Musselin dans un livre récent, « La Grande Course des universités » (Les Presses de Sciences Po). Cet ouvrage et cet autre qui vient également de paraître, de Danielle Tartakowsky, « Construire l’université du XXIe siècle. Récits d’une présidence. Paris-VIII – 2012-2016 » (Editions du Détour) témoignent des mutations comme des résistances à l’évolution mises en place dans le secteur qui a sans doute été le plus bouleversé sous le double quinquennat de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. (pour en savoir plus, consulter http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/03/22/l-universite-a-l-heure-de-la-competition_5099086_4401467.html#AcLKbO6Y4WYwbKwB.99)
L’évocation des « principes égalitaires » (Musselin) la dénonciation de « l’émergence d’établissements concurrentiels régulés par le marché » (Tartakowsky) vont dans le même sens qui n’est pourtant pas celui du reste du monde, ni peut-être réellement celui du monde universitaire français, dominé par l’image de l’excellence et la compétition que portent les « grandes écoles ». Ensuite, et qu’on le veuille ou non, il suffit d’observer les candidatures et les nominations pour remarquer que, du point de vue des enseignants-chercheurs, toutes les universités ne sont pas équivalentes, que les laboratoires de recherche ne sont pas d’égales réputations, que certains attirent plus que d’autres...
Deux billets de ce blog immédiatement antérieurs à celui-ci ont traité de la question des métropoles et des inégalités qui se créent à leur occasion. J’y renvoie et signale en passant que ces différences ont été, une fois encore, mises en valeur, dans une étude récente (https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle-2017/0211898291906-les-habitants-des-metropoles-ne-votent-plus-comme-la-moyenne-des-francais-2074078.php )
La question de l’égalité des territoires est difficile, même en tâchant de l’aborder par le seul aspect de l’équité. De même l’idée de compétition n’est pas si vite écartée, le fameux « passe ton bac d’abord » n’est-il pas de plus en plus remplacé par cet autre marqueur discriminant qu’est l’attente d’obtention d’une « mention » ?
Des écarts entre universités, entre établissements, existent de fait dans les différences des réputations. En même temps la France subit deux difficultés complémentaires. La première que signale Christine Musselin, est disons « culturelle ». Voici son jugement : Le risque d’échouer, en France, dans la création de grandes universités mondiales est réel. Il faut bien voir que le temps et l’énergie passés à discuter des structures et des statuts rendent difficile l’émergence de dynamiques de recherche et d’enseignement. L’autre a trait aux errances récentes auxquelles il est urgent de remédier. La parole, une fois encore à Christine Musselin : Les universités de recherche aujourd’hui mondialement reconnues ne sont pas issues de regroupements, elles ont surtout tenté de se distinguer. Elles ont investi dans le recrutement d’universitaires de haut niveau et leur ont donné les moyens de mener à bien leurs recherches dans les meilleures conditions possible. Quand il y a eu des rapprochements, ils étaient ciblés et liés à des affinités électives. La feuille de route se lit en creux :
- le renouveau du paysage universitaire français ne se fera pas en empilant les structures, au contraire il est important de fluidifier les choix stratégiques,
- la priorité est à une gouvernance capable de décider d’une stratégie et d’en faire partager les orientations,
- la réputation d’un établissement se construit depuis ses enseignants-chercheurs, le recrutement doit donc être lié à la stratégie et affranchi des contraintes bureaucratiques
- les missions de formation, leurs natures et leurs exigences comme les axes de recherche prioritaires doivent être affichés,
- il est de la responsabilité des universités, notamment celles qui ont été signalées dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, d’attirer les « écoles », créant un effet de marque en commun et participant, chacune à sa façon à la stratégie commune,
- il est de la responsabilité des écoles de ne pas camper sur les acquis du passé et d’intégrer les mutations en cours,
à cela il faut savoir ajouter les conséquences du choix de la massification du système et des devoirs que les universités ont à assumer en matière de formation, notamment le fait que ceux-ci ne sont pas compatibles avec l’idée que tous les établissements auraient en charge les mêmes missions, au même niveau.
Dans l’évolution en cours, où se joue la place des universités françaises dans une compétition mondiale qui est de fait, s’affirme le besoin d’universités fortes, pluridisciplinaires, ouvertes sur le monde et pas de communautés d’établissements aux contours flous, à la hiérarchisation confuse.
Il est temps d’en finir avec les COMUEs.
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