Le slogan est mobilisateur, il figure d’ailleurs souvent sur les banderoles déployées dans les cortèges par les syndicats étudiants et lycéens. Il fait actuellement son retour sous la forme du refus de « parcoursup » dénoncé comme étant un « outil de tri social ». Ce n’est d’ailleurs pas sans une certaine gourmandise que le journal Libération du 13 mars explique « Pour l’instant, cette réforme n’a pas beaucoup mobilisé. Mais les choses pourraient changer jeudi : une journée de mobilisation est prévue à l’appel des syndicats lycéens. »
La mobilisation a commencé à prendre diverses formes (on pourra consulter cet exemple récent d’actions proposées : https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/090218/selection-reforme-du-bac-et-du-lycee-construire-un-mouvement-large … ou cet appel à signer des pétitions à l’intitulé explicite : (https://www.change.org/p/s%C3%A9lection-%C3%A0-l-universit%C3%A9-non-merci).
Le coeur du dogme demeure l’universalité de l’accès à l’université pour les bacheliers et l’oubli de ce que, en France, « université » et « enseignement supérieur » n’ont pas le même sens
Ce fait, avec d’autres, devrait inciter à envisager la réalité avec plus de lucidité.
Quelques chiffres d’abord. Il y a matière à interrogation devant la perte en ligne, d’ailleurs signalée par la FAQ de Parcourssup : « seulement 28% des étudiants ont leur licence en 3 ans et 40% en 4 ans. Les 60% restants abandonnent les études dans lesquelles ils se sont initialement engagés. » La glorification des « 80% d’une classe d’âge titulaire du baccalauréat » mérite encore plus d’être réévaluée si est pris en compte cet autre fait que « les bacheliers technologiques et professionnels ne sont respectivement que 9% et 4% à valider leur licence en 3 ans ».
Encore quelques chiffres, ou plutôt une présentation des éléments d’une étude parue en 2015, dans le cadre de « Sciences en marche » et publiée dans The Conversation du 28 février 2018. (l’essentiel des conclusions des auteurs est reprise ci-dessous; on pourra aussi se reporter à cette adresse: https://theconversation.com/un-etudiant-combien-ca-coute-des-inegalites-dans-lenseignement-superieur-91502 où figure notamment une visualisation très significative).
Les données existantes montrent sans ambiguïté que le financement par l’État des étudiants à l’université est largement inférieur à celui consenti aux élèves des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) et des écoles d’ingénieurs.
Il faut de plus mettre ces inégalités de financement en regard des inégalités sociales : près de 50 % des étudiants des filières sélectives sont issus de milieux socialement favorisés et un étudiant issu des milieux favorisés a 20 fois plus de chance d’intégrer une grande école qu’un étudiant issu de milieux populaires.
En conclusion, l’État finance bien mieux les études des plus aisés, et les politiques universitaires poursuivies depuis des années n’ont en rien résolu ces inégalités sociales.
Ceux qui pourraient penser que ces données ne sont pas d’un accès facile consulteront le très officiel et très public observatoire des inégalités, plus particulièrement l’article intitulé « Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur » (voir www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur ). Sur ces sujets et ces chiffres on tirera un avantage complémentaire d’une lecture des considérants de la réforme apportée par Parcoursup. Ainsi, personne ne peut dire qu’il ne savait pas … Reste, sans doute, au delà des questions d’orientation à prendre en compte des inégalités sociales … si clairement reconnues.
A ceci j’ajouterai volontiers un utile rappel historique : l’accès à l’université pour tous, dogme fondateur des discours « anti-sélection », n’existe pas de toute éternité, il n’est en rien une dimension essentielle du baccalauréat, bien au contraire. A partir de 1896, c’st à dire quand le nombre des reçus au baccalauréat a commencé à devenir significatif, des certificats d’études supérieures préparatoires, ou certificats propédeutiques, sont progressivement mis en place dans les facultés des sciences, puis des lettres. Il s’agissait de sanctionner un enseignement intermédiaire entre l’enseignement secondaire des classes de terminale des lycées et l’enseignement des certificats d’études supérieures de licence proprement dit. Clairement ces « certificats » se posent, d’abord pour les mathématiques et les sciences physiques, comme une alternative à l’enseignement dans les classes, justement nommées « préparatoires ». Il signalent un écart entre secondaire et supérieur et offre les instruments du passage de l’un à l’autre.
La réforme de 1966, dite réforme Fouchet signera la fin de ce dispositif et le début de l’accès direct, dès après le baccalauréat, à un cycle d’études spécialisés, discipline par discipline.
Il ne faudrait pas oublier que cette même « réforme Fouchet » vient au milieu des « trente glorieuses » (plus exactement les « 27 » :1945/1973) alors que l’ascenseur social semble à la portée de tous. De plus cette réforme avait initié la création des IUT, dispositif nouveau qui aurait permis une sorte de rééquilibrage des flux mais n’a jamais été véritablement appliqué parce que l’effort financier correspondant (bâtiments et enseignants) n’a pas été accompli. La vocation première de ces IUT était de préparer les étudiants, en deux ans, à un DUT (diplôme universitaire de technologie). Conçus pour pallier le manque de cadres intermédiaires, entre conception et exécution des tâches, et pour préparer l’insertion professionnelle des étudiants, les IUT ont été détournés de l’intention première et sont rapidement devenus une filière sélective d’accès à des études longues de plus et donc un (autre) moyen de contourner les licences non-sélectives de l’université.
L’ambition initiale d’accueillir un quart de la population étudiante a vite été abandonnée … en 2015 on comptait 1 530 000 étudiants inscrits dans les universités (métropole et DOM), parmi ceux-ci 116 000 préparent un DUT, moins d’un dixième selon les chiffres du ministère (http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/67/6/depp_rers_2015_454676.pdf ). La mission initiale des IUT est bien oubliée et l’université, hors droit et santé, se trouve réduite à accueillir en licence tous ceux dont les autres dispositifs, tous sélectifs, n’auront pas voulu !
Ceci n’est en rien un appel à l’anathème contre ces étudiants, mais la marque évidente de la complicité entre ceux qui brandissent encore les slogans anti-sélection et ces autres qui à la fois assurent à ceux qui parmi les classes moyennes et supérieures sont avertis du fonctionnement du système et capables d’en tirer profit, tandis qu’ils « offrent » offrent les premiers cycles universitaires à ceux que ce système tient à l’écart.
Lorsque, en leur temps Bourdieu et Passeron avec Les Héritiers exposaient les mécanismes culturels qui régissaient (et régissent encore) les études post-bac, ils prenaient également soin d’insister sur les moyens d’un équilibre, sinon retrouvé, du moins favorisé : valoriser la pédagogie, favoriser un encadrement des étudiants, renforcer la discipline, la rigueur, et vanter l’effort.
Ce programme est loin d’être suivi dans nos universités, faute de moyens mais aussi faute de ce qu’ils y soient clairement annoncés !
La formule est connue, cela ne diminue en rien sa pertinence … « ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin »