Epuration à l’université ?

Quel étrange pays que celui où (au moins) deux parlementaires jugent urgent que soit institués, sous le nom de « mission parlementaire », des « gardes » (qu’on n’osera dire rouges!) pour surveiller les universités et les universitaires ! Pire encore, l’un des deux publie un tweet « alignant les captures d’écran de sept comptes twitter d’universitaires qui s’étaient émus de cette initiative », à quelle vindicte s’agit-il de les exposer ?
(voir article paru dans le journal Le Monde daté du 2 décembre 2020 https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/02/demander-une-sorte-d-enquete-parlementaire-sur-ce-qu-ecrivent-les-universitaires-est-inedit-les-sciences-sociales-dans-le-viseur-du-politique_6061944_3224.html )

On se prend à trembler en imaginant que ces gardes nouveaux seraient ainsi habilités à juger, mais au nom de quoi ? de qui ? On tremble aussi en se disant qu’une telle démarche ne peut qu’accroitre la défiance déjà forte dans le pays, voire la décrédibilisation des institutions, dont le parlement et les universités ! D’ailleurs, le pernicieux amalgame de « deux députés » (pour l’anecdote membres du LR) avec « le politique » invite à un amalgame encore plus vaste, rassemblant toutes sortes de contestations, de « dénonce ton porc » à la « violence policière » en passant par « black lives matter » et « l’islamogauchisme » qui conduisent à opposer, une fois encore, un clan des « nous » à un autre, celui des « eux » (les géométries des divers clans pouvant être variables). Curieuse ambiance que celle où la vaccination, unique voie de sortie de la pandémie, est décrédibilisée, où chacun veut être à lui-même son propre expert mais aussi convaincre ses compères/complices de clicks , où nombreux sont les partisans d’une « cancel culture » donnée comme ligne d’horizon à ceux qui sont (ou s’estiment) marginalisés, rejetés et en sont exaspérés.

Les rapports sociaux, le traitement du genre, celui du racisme et de la décolonisation -et bien d’autres interrogations d’ailleurs- méritent attention. Personne n’en doute. Cela ne confère pourtant ni à l’intersectionnalité comme approche, ni à l’islamogauchisme comme militance, une valeur si unique et lumineuse que ces options devraient s’imposer à tous et que, au nom sans doute (?) de l’urgence à faire émerger une « cancel culture », leurs tenants puissent pratiquer l’intimidation ! Il fut un temps qui proclama l’interdiction d’interdire.Ce temps là a vu l’intégration au code de l’éducation, des éléments nécessaires pour poser des limites. Deux raisons de dire que le salut des universités n’a pas besoin d’une « enquête parlementaire ».

Les universités ont été créées pour proposer (aussi) des observatoires des dérives comme des procédures, notamment langagières, de désinformation et donner les moyens d’en limiter la nocivité. Cela s’appelle « les sciences sociales », même si on aimerait rappeler qu’il s’agit d’abord de « sciences humaines et sociales » avec tout ce que cela pose d’interrelation entre le groupe et l’individu, qui sont plus que simplement la société et ses citoyens. Les délégitimer c’est interdire l’analyse du réel et des contemporanéités.

De son côté, le politique ne devrait pas vouloir être acteur dans le monde du savoir ou de la vérité mais identifier son domaine comme celui de notions telles que le jugement sur les choses de la vie publique ou la décision quant aux actions à y entreprendre, les projets pour le monde et ce qui doit y apparaître. Il y a là largement matière à éprouver le fardeau de la responsabilité. Dans cette perspective de « responsabilité politique » qui est la sienne, on ne saurait trop encourager à retrouver Hannah Arendt. Il s’agit alors de comprendre que aucun différend ne dispense de la responsabilité de comprendre ce qui est rejeté et que cette exigence de compréhension disqualifie les volontés d’imposer « une vérité », tout en sachant que faire société, c’est notamment se mettre d’accord sur des valeurs et convenir de l’importance partagée de l’idée de vérité. Rien de tout cela ne relève d’une « mission parlementaire » de contrôle des universitaires !

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A marche différenciée …

Qu’on la nomme débat d’idée, conflit idéologique ou guerre culturelle, l’exposition contradictoire de points de vue opposés, est dans la nature même de la démocratie. Vouloir limiter cette pratique, chercher à la nier, c’est renoncer, même en partie, à l’héritage démocratique qui est le notre, alors qu’il est loin d’être partagé par tous les pays, tous les gouvernements, tous les systèmes. Il est facile de dénoncer l’esprit des Lumières lorsqu’on est protégé par cette liberté d’expression qu’elles ont fait triompher et répandue partout où l’occasion en a été fournie. Que tout n’ait pas été parfait, qu’avec la liberté et la démocratie soient aussi introduites des forces dissonantes fait sans doute partie de l’histoire ; c’est pourtant une toute autre affaire lorsque, par le biais de discours réputés « postcolonialistes », les sociétés démocratiques occidentales se voient convaincues de «racisme systémique» tandis que se nouent d’étranges alliances stratégiques, voire des convergences électorales et que, au nom d’un passé, on se rend complice des intimidations d’aujourd’hui et de l’exceptionnalisme moral parfois mis en avant pour les justifier.
Même incomplètes, les libertés voulues par les Lumières comme fondamentales pour la démocratie, reposent sur le principe essentiel de leur garantie par les institutions. Ce qui était révolutionnaire alors (et sous bien des aspects l’est encore aujourd’hui) était la rupture avec la suprématie de la loi religieuse. Le débat qui se déploie dans les crises actuelles, repose non sur telle ou telle autre croyance, telle ou telle religion mais exactement sur la relation entre loi des hommes et loi divine avec ce complément qui fait, notamment de la France, un Etat laïc, où chacun est libre de choisir la loi divine qui lui convient et de la respecter dans ses pratiques privées tandis que les conduites publiques, les options de la vie civile demeurent régies par les institutions de la République, en bref la Constitution. Une fois ce principe posé, il n’est plus besoin de ces « lois de guerre » que certains, conjuguant histérisation, déni et myopie coupable, appellent de leurs vœux en ignorant (?) que rompre avec les « lois de la paix », c’est déposséder les juges et rompre avec l’Etat de droit. Instaurer de telles loi d’exception ce serait aussi empêcher de faire société, encourager encore plus la défiance qui, pourtant, déjà, mine nos démocraties.

Dans un tel contexte, pourquoi la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche éprouve-t-elle une impérieuse nécessité à « répondre » à son collègue du gouvernement, ministre de l’Education et à évoquer « l’héritage précieux » qu’est l’université, « la liberté institutionnalisée, dans nos territoires et dans les esprits ». La définition de principe est certes exacte et très importante, il est juste et bon de la rappeler, cela n’empêche pas, comme la ministre elle-même le signale dans cette même tribune que « les derniers mois avant le confinement ont été marqués par des conférences perturbées ou annulées au nom de telle ou telle cause », et que diverses pratiques d’intimidation dont le premier degré est l’autocensure, s’installent dans des établissements d’enseignement supérieur. Il semble important que soit dite et non refoulée cette réalité que, sous-couvert de liberté d’expression, au nom d’un « décolonialisme », certaines dérives de fait sont à constater et que cela est dangereux !
Par ailleurs s’il s’agit de défendre l’université, son enseignement, la recherche qui y est menée, la ministre pourrait peut-être ne pas oublier que les relations entre les universités (on disait facultés) et la République n’ont pas toujours été sereines, ainsi lorsque le décret de la Convention nationale du 15 septembre 1793 supprime les universités, jugées trop proches de l’Eglise, pour les remplacer par des « écoles spéciales ». Il faut bien voir là l’origine du redoublement écoles/universités qui crée tant de confusions en France, y compris aujourd’hui quand les CPGE restent ouvertes quand l’enseignement à distance est devenu de rigueur à l’université ! Est-il nécessaire d’établir ainsi une sorte de « supériorité » du système des concours qui nécessiterait un travail encadré en vue de la production du chef d’oeuvre final, préalablement élaboré de khôlle en khôlle, tandis qu’un travail qui conduit « seulement » à un  examen qui attestera d’une acquisition de compétences, pourrait se contenter d’un suivi discontinué et à distance ?
On pourrait ajouter à cette première distinction, le cas des BTS, autre forme des formations post-bac qui n’est pas invitée à un enseignement à distance quand les étudiants des IUT le sont …
On pourrait surtout, sans attendre, s’interroger sur la validation de ces études, sur les modalités des contrôle dont certains réclament déjà qu’ils soient organisés « à distance ». Toute improvisation serait préjudiciable, pourtant des partiels sont déjà en cours, la session de fin de semestre va intervenir en janvier …
Qu’adviendra-t-il dans l’avenir post-covid qui finira bien par s’imposer, de l’attractivité respective des formations dont on aura choisi de préserver l’essence par le « présentiel » et de celles que l’on aura contraintes à aller butiner le savoir qu’elles pourront, pourvu que ce soit à distance ? N’y a-t-il pourtant pas là un beau sujet d’exercice pratique à mener en commun par nos ministres qui auraient alors également pu traiter le cas concret de la forme qui sera donnée aux épreuves, le jour où elles se tiendront, d’autant que si les (glorieux) concours sont attendus pour juste avant l’été et que des mesures avaient déjà été déployées pour la session 2020, une part des (non-essentiels ?) examens sont prévus pour la fin du semestre … ce qui à l’université signifie en janvier alors que tout indique qu’alors, la pandémie ne sera pas (encore) jugulée (et que certains étudiants font monter la pression pour avoir des examens « à distance »)…

Un traitement différencié est aussi une forme de séparatisme et l’inégalité des chances aussi une violence.

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Contre l’obscurantisme, affirmer la liberté d’expression

Le vendredi 16 octobre 2020, un professeur est assassiné par un terroriste. Le meurtrier décapite sa victime puis diffuse une photo sur twitter.

La sidération est immense. A la hauteur d’une violence qui veut imposer la terreur et faire régner des interdits, notamment dans les enseignements.

Au delà du crime, l’agression de Samuel Paty a été voulue comme un exemple. Elle affirme une opposition absolue aux valeurs qui fondent notre république alors que, dans la constitution qui l’organise, elle reprend la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789, « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] ». Elle définit la France comme étant « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion et qui respecte toutes les croyances ».
S’y est ajoutée la loi du 21 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui s’applique plus généralement à toute forme d’expression, et a définitivement aboli le délit de blasphème, même dans sa forme sécularisée d’atteinte à la morale religieuse.

Ces dispositifs doivent être sans cesse rappelés. Ils marquent une obligation de respect envers les croyances, comme envers les opinions, même religieuses. La réponse à la crise actuelle n’est donc pas à chercher du côté de la justice qui a déjà fort à faire à ajuster les sanctions à opposer à de tels actes.
En revanche, la dramatisation du conflit avec les lois de la république que vient de souligner sa conjonction avec l’outrance des propos du président turc, place le débat au plan des idées, celles de l’humanisme, celles des Lumières.

La première étape de cette lutte est sans doute de comprendre, de rappeler à ceux qui en bénéficient, que la liberté d’expression comme les autres libertés, les autres avancées de la démocratie ont été une conquête que la philosophie des Lumières a accompagnée, et que c’est exactement cela : une conquête, qui demeure récente, n’a pas toujours été facile et demeure fragile. Il a fallu la révolution française pour les affirmer. Le 1er juillet 1766 encore, pour ne pas avoir accepté de se découvrir lors du passage d’une procession, le chevalier de la Barre a été jugé, décapité puis brûlé. Au cours du procès, on réclama l’arrestation de Voltaire, en tant qu’il serait l’instigateur de cette « profanation ». Il dût alors chercher asile auprès de Frédéric II.

Une seconde consiste à mettre en garde ceux qui dénoncent les « mythes » du progrès et de l’égalité, portés par les Lumières, au motif que leur développement n’est pas linéaire, ceux qui s’acharnent contre une philosophie des Lumières qui aurait légitimé une « domination occidentale » sur le monde, ceux qui voudraient que les savoirs soient relativisés comme élitistes, au profit du savoir-être et des compétences.

Une troisième, enfin, inclut le refus de l’intimidation à coups de culpabilisations et de retournements victimaires, au profit de la construction d’espaces critiques d’où sont bannies les violences et où la raison et l’expérience arbitrent les débats.

Dans cet affrontement, la responsabilité de l’université, de ceux qui à tous les stades de l’enseignement public expliquent et défendent la liberté de conscience est grande. Leur rôle est essentiel. Les adversaires de la liberté, particulièrement la liberté d’expression, ne s’y trompent d’ailleurs pas.

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Un monde universitaire « coupable » ?

Un récent article du Monde évoquait les « propos très durs » tenus par le chef de l’Etat « contre une partie des élites qui se trompe de combat en raisonnant sur le plan des communautés. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux », estime en privé le chef de l’Etat, qui souligne notamment les ambivalences des discours racisés ou sur l’intersectionnalité ».
https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430_823448.html

Il y a quelque chose d’étonnant dans cette manière de rapporter des propos « privés », une sorte de police du quotidien qui ne sera jamais que l’autre face de la xyloglossie, également reprochée aux « politiques » … La seconde veille à ne rien dire, la première a dès l’origine perdu toute prétention à l’authenticité et à la contextualisation.

Cela dit, le message communiqué mérite de retenir l’attention. Les rédacteurs de l’article invitent à la vigilance devant ces propos qui donnent le « monde universitaire » comme ayant été jugé et condamné par le chef de l’Etat. Cette culpabilité se double d’une duplicité marquée par une propension à exploiter un « bon filon » !
Au passage on peut s’étonner du sens de ‘expression « monde universitaire », l’article ne semblant pas s’intéresser à des domaines autres que celui dit des « sciences humaines et sociales ».

Les protestations et même les condamnations des propos du président de la République n’ont pas manqué alors que la ministre chargée des universités (et depuis reconduite dans ses fonctions) se tenait (prudemment?) à l’écart du débat!

Cet article du Monde a été publié dans l’édition datée du 10 juin.
Trois semaines plus tard, paraît un nouvel article avec ce sous-titre : « Trois semaines après, l’indignation reste vive dans les universités ». Il s’agit de montrer (titre de l’article publié dans l’édition du 30 juin) «  comment Emmanuel Macron s’est aliéné le monde des sciences sociales »
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/30/comment-emmanuel-macron-s-est-aliene-le-monde-des-sciences-sociales_6044632_3224.html
L’article cherche à confirmer le fait que les sciences humaines et sociales sont « dans le viseur du chef de l’Etat » et que sont ainsi mis en cause « ces sociologues, ces historiens, ces politistes, qui travaillent sur une kyrielle de thématiques touchant aux discriminations, en ayant recours à la grille de lecture de la « race » – au sens d’une construction sociale selon laquelle des pratiques et comportements sont assignés à des personnes en fonction de leur couleur de peau ».
Il est alors reproché à Emmanuel Macron de « jouer de l’anti-intellectualisme » et de s’inscrire, de fait, dans une « tradition de pointer la responsabilité des intellectuels se situe plutôt à droite ou à l’extrême droite ».
Les accusations sont graves. Peut-être serait-il judicieux de commencer par en étudier le contexte.

Bien évidemment, en ce qu’elle introduit une forte corrélation entre l’âge et la gravité de la maladie covid 19, la pandémie en cours a imposé aux jeunes, une situation particulièrement injuste. Comme le déplore Emmanuel Macron : « On a fait vivre à la jeunesse quelque chose de terrible à travers le confinement : on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. » Même si, pour certains, la proposition semblera tactique, voire électoraliste, il n’est pas absurde de s’inquiéter du possible « vent de révolte » qui pourrait souffler depuis la jeunesse et pourrait déboucher sur un conflit de générations. « Il ne faut pas perdre la jeunesse » titrait le Monde.
Dans ce contexte, on pourrait s’étonner de la confusion entretenue par les discours de repentance portés par des commentateurs qui appartiennent clairement à la même « catégorie » que ceux qu’ils dénoncent, mais décrivent pourtant, avec force gourmandise rhétorique, comme des « vieux déjà malades » , ou une « génération prédatrice »
Le non-port du masque deviendrait facilement une sorte d’étendard d’un « droit à vivre pleinement sa jeunesse ».
La rancune diffuse contre ceux qui, « baby-boomers », « génération post68 », sont une fois pour toutes coupables d’avoir connu (et donc profité) des « Trente glorieuses », renforce ainsi ce que, « du côté de l’exécutif », toujours selon Le Monde, on considère comme une « menace sécessionniste », au sein d’un pays qui n’a toujours pas « digéré » son passé colonial et où « la guerre d’Algérie demeure un impensé », Affirmer pour la jeunesse, le droit à un idéal à côté des angoisses induites par la situation, est pourtant un geste fort qui vise à réduire les clivages, entre générations certes, mais aussi ceux d’une époque dont le régime électoral privilégie le duel. Il s’agit alors moins de rassembler que de dénoncer l’autre, le disqualifier, plutôt qu’argumenter un projet, en un mot créer de la détestation envers lui (ou elle !), Boris Johnson, Donald Trump, Jair Bolsonaro ont prospéré sur ce modèle qui n’est pas sans rapport avec la propagande organisée par Poutine ou Xi Jinping.
La dichotomie qui, selon des avatars évolutifs, distingue les élus des réprouvés, mène au risque sécessionniste, celui là même qui comme le craint Emmanuel Macron, toujours « en privé », selon le Monde, risque de « casser la République en deux ».

C’est sans doute du côté de ce dernier risque qu’il faut voir l’enjeu majeur d’un épisode qui vise à prolonger ce que certains nomment la détestation de Macron et qui se joue, pour une part dans les universités, autour des ambivalences des discours racisés et de l’intersectionnalité, sur fond, sinon d’une crise, du moins, d’une forte évolution des valeurs. Le travail a cessé de porter une valeur socialisante ou valorisante, l’accoutumance au chômage, la précarité et maintenant la diffusion du télétravail, sont passées par là, tandis que la notion de « devoir » s’est largement vidée de sens et que la responsabilité individuelle perd sa place, entrainant la défaite de l’éthique de la responsabilité.
Cette évolution, et c’est peut-être le plus troublant, coïncide avec une évolution d’un « monde universitaire » appelé à accueillir de plus en plus de jeunes, dont Emmanuel Macron n’est pas le seul à s’émouvoir. Ainsi, pour Marcel Gauchet https://www.causeur.fr/marcel-gauchet-universites-zad-liberte-d-expression-169163 , « l’université est en train de devenir autre chose que ce qu’elle était historiquement. Sans que cela ne préoccupe grand monde, les facultés deviennent un lieu où toute une génération est invitée à se présenter, alors que le chômage est endémique. Même si l’on a conscience de ne pas avoir un niveau très solide, on y va pour se cultiver. Ainsi, la question de fond de l’université n’a jamais été posée et discutée en France. Cela peut s’expliquer, car l’hexagone a un système qui met la formation des élites à l’abri de la fréquentation de cette masse indiscriminée qui afflue à la faculté ».

Dans ces contextes, exaspération des oppositions entre générations, dilution des repères dans la crise du sens particulière qu’apporte une pandémie qui marque aussi une perte de contrôle des savoirs sur le réel, prospèrent aujourd’hui dans les universités françaises, des théories « décoloniales », nées aux Etats-Unis, qui installent la sectionnalité, ce récit qui raconte le clivage comme élément structurant des analyses. La convergence des luttes que, naguère, les thuriféraires du grand soir appelaient de leurs voeux, a cédé le pas à un mécanisme de surdétermination des situations individuelles par le genre ou la race, notamment au nom des « croisements des dominations », de classe, de « race », de genre, mais aussi d’ordre religieux ou d’options de sexualités.

On rappellera cette distinction : «Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire, le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir.»
Faute de garder présents à l’esprit les mécanismes d’aveuglement auxquels peut conduire l’éthique de la conviction, et à force de considérer toutes les luttes comme connectées ou connectables, le risque n’est pas nul de voir ainsi un soutien de fait être apporté au communautarisme islamiste, d’oublier qu’il n’est qu’une et unique « race » humaine, de renoncer à l’ambition d’une déclaration universelle des droits de l’homme, au nom de laquelle toutes les vies comptent et doivent être « servies et protégées » pour reprendre la devise du Los Angeles Police Department (LAPD) (To Protect and to Serve), voire de se laisser aller à la volonté de terreur.

Alors, finalement, atteinte à la liberté scientifique ou mise en garde  ?

PS1 : une illustration de mon propos est apportée par une situation que connait l’université de Lille, commentée dans un billet du « blog des invités de mediapart », à vocation de pétition, publié le 8 juin, sous le titre : « Silence, on discrimine: quand l’Université de Lille interdit l’accès à des étudiantes voilées »
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/080620/silence-discrimine-quand-l-universite-de-lille-interdit-l-acces-des-etudiantes-voilees
Ce blog n’a pas vocation à entretenir la polémique, je suggère donc simplement, en complément d’information, la lecture de cet autre texte, publié, comme une réponse, dans l’Express : https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/voile-a-l-universite-le-droit-rien-que-le-droit-mais-tout-le-droit_2129102.html
PS2 : on lira en complément ce point de vue paru dans un quotidien belge :
https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/soyons-attentifs-a-la-mise-en-garde-d-emmanuel-macron/10233815.html

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La LPPR, les statues et les statuts, ou l’art de décaler le réel …

Un iconoclasme nouveau s’affiche aujourd’hui dans l’espace public. Il ne semble pas vouloir remonter au delà de Christophe Colomb ou de Victor Schoelcher.
On pourrait s’en étonner … ainsi, alors que, comme celle des autres cités grecques, l’économie d’Athènes au Vème siècle dépendait de l’esclavage, Périclès a laissé faire … L’épitre aux Éphésiens exprime une redoutable injonction « Esclaves, obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblements » (Ép 6.5) tandis que celle à Timothée apporte cette précision significative : «Et que ceux qui ont des maîtres croyants ne les respectent pas moins sous prétexte que ce sont des frères, mais qu’ils les servent d’autant mieux que ce sont des croyants et des bien-aimés qui bénéficient de leurs bons services » (1 Tm 6.2).
Faut-il pour autant briser les statues de Périclès ou celles de l’apôtre Paul ? Et même, à propos de Victor Schoelcher, on pourrait se demander pourquoi Aimé Césaire en parla comme « d’une ombre formidable qui inlassablement monte la garde à l’une des portes de la conscience humaine » (Discours prononcé le 21 juillet 1945 – http://www.cnmhe.fr/spip.php?article1108) ou pourquoi, sans que l’acte ait alors provoqué de tollé, sa tombe a pu être, avec celles de Jean Moulin et de Jean Jaurès, l’une des trois décorées d’une rose par François Mitterand lors de sa descente dans la crypte du Panthéon !
On pourrait se le demander si l’on ne prenait pas garde au retour sur le réel de la perception que l’on en a, de l’influence du pensable sur le pensé.
Casser les thermomètres n’a jamais fait baisser les fièvres, briser des statues ce n’est ni refaire le passé ni en apaiser les souffrances, en revanche c’est surement renforcer ce tribalisme militant qui empoisonne notre présent, favorisant les communautarismes et les dogmatismes. Penser un événement, c’est d’abord être capable de saisir le surgissement de l’inédit, penser un événement c’est mettre en œuvre la pensée complexe
La période récente a précisément été celle de l’incertain et de l’inouï, elle est aussi – malheureusement – celle des confusions, des décalages, subis pour beaucoup d’entre eux, à l’image des vandalismes des statues après ceux de l’Arc de Triomphe ou des radars routiers. Quelques exemples :
La pandémie du Covid-19 est réputée être sur la décrue, du moins en Europe. Sans doute. Il n’empêche que ce reflux n’est pas celui de la maladie mais le résultat d’une stratégie de restriction des risques. Dans les faits, nous allons devoir vivre avec le Covid-19, comme nous vivons avec le VIH, à cette double (et importante) différence près que la propagation du covid-19 est aléatoire et que les stratégies de restriction ont montré combien elles mettaient en péril l’économie ce qui n’est naturellement pas sans choc en retour sur nos vies.

Les décalages sont aussi dans les mises en scène de mimes d’activités fondamentales.
Si les services de réanimation se vident, si le chemin du travail, des terrasses et des magasins est repris, l’école n’assure pas encore pleinement sa fonction d’accueil, sa mission d’instruction, sa volonté d’aider tous ceux qui ont été rendus (encore plus) décrocheurs par la pandémie.
Bien des enseignants estiment que les mesures imposées sont excessives, parfois impossibles à suivre voire contre productives, tandis que les informations sont contradictoires, tantôt rassurantes, tantôt anxiogènes. Pendant ce temps des parents s’impatientent, ici et là on entend parler de « grève insidieuse » menée par ces enseignants qui se considèrent à la fois mal payés et insuffisamment reconnus…
Une incompréhension de même nature se fait jour parmi les policiers qui constatent que pendant plusieurs semaines ils ont verbalisé des gens « coupables » d’être sortis de chez eux alors qu’aujourd’hui on tolère des rassemblements de milliers de personnes …. qui (en plus!) insultent la police. Plus dangereux encore est ce décalage qui se répand entre le droit d’être en désaccord et de le dire, de le manifester, et ce qui devient un « droit » d’interdire d’exister à celui avec qui on a un désaccord !
Pour le dire autrement, nos vies doivent-elles se résigner à la rétractation des possibles et se contenter des espaces que des « autres » délimitent pour nous, où des boucheries sont maculées de jets de faux sang, où les statues de nos places et de nos rues ne pourraient y demeurer qu’une fois qu’il leur aura été délivré un brevet de bonne conduite ? Lorsque (par exemple) certains exigent qu’à Lille soit déboulonnée la statue de Faidherbe, qui veut-on faire disparaître du paysage ? Le souvenir de l’enfant né rue Saint-André et qui fut polytechnicien (1838), le défenseur de la ville qui a permis au Nord Pas de Calais de résister et de n’avoir pas à capituler, le général qui dans ses Bases d’un projet de réorganisation d’une armée nationale, critique le Second Empire et la plupart de ses généraux qu’il juge responsables de la défaite (déjà une « étrange défaite »), l’opposant au général Boulanger ? Naturellement non, mais bien le militaire qui fit la conquête du Sénégal et y fut administrateur colonial. Qu’aujourd’hui on soit afro-descendants ou de ceux qui, à leur naissance, ont reçu le « privilège blanc », n’avons nous pas plus à gagner d’une explication, à l’école comme au pied des statues, que d’un « coup de gomme » fâcheusement évocateur des funestes pratiques staliniennes et de fait plus idéologique qu’a pu l’être l’érection de la statue ?
Jamais un acte émotionnel ne répondra pourtant, aux vrais, et bien réels, problèmes, notamment ceux du racisme institutionnel !

Pendant ce temps-là, comme s’il ne s’était rien passé, en toute indifférence (apparente?) aux protestations déjà exprimées comme aux bien réels risques d’embrasement, le projet de loi sur la recherche, la LPPR, est remis à l’ordre du jour. Les enjeux sont considérables. D’abord il s’agit d’une loi qui envisage un financement sur 10 ans, nous ne sommes donc pas dans le cadre d’un banal cavalier budgétaire … Il s’agit ensuite d’un projet qui affiche son intérêt pour la recherche sans l’inclure dans un projet pour l’enseignement supérieur mais porte aussi comme en creux une vision (pas nécessairement réjouissante) de l’université (faut-il penser que pour les auteurs de ce projet, les universités seraient dédiées à la formation tandis que la recherche serait confiée aux organismes, avec peut-être, les temps y sont favorables, un sort particulier réservé aux CHU, lieu privilégié de la recherche clinique?). Enfin une remise en cause du statut de titulaire pour beaucoup de ceux qui travaillent, enseignent et cherchent dans le cadre de l’enseignement supérieur, est mise en place, après les statues ce serait le statut d’une partie de la fonction publique que l’on déboulonne ? La chose est possible mais pas en catimini, nous allons trop souvent devoir avancer masqués … que cela soit épargné dans les projets de loi !
Tout cela mérite qu’il y soit revenu plus en détail, je voudrai pour l’immédiat souligner (après la CFDT) le « tour de force » du MESRI qui, à force de biais et de ruptures de la confiance, va, au plus mauvais moment, « se mettre tout le monde à dos » alors qu’il s’agit tout de même de débloquer 25Md€ pour la recherche !

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L’hybride, la crise et leurs conséquences

Elèves et étudiants confinés, établissements d’enseignement fermés, enseignants confrontés à des formes de télétravail, les semaines écoulées ont été compliquées.
Il est naturellement trop tôt pour dresser des bilans, envisager l’effet sur les décrocheurs, notamment quant à l’apparition de décrochages nouveaux, en lien avec le confinement, mesurer les fatigues des personnels sans cesse confrontés à des situations mouvantes, les perplexités et les inquiétudes des usagers de l’enseignement à tous les niveaux.
En revanche un certain nombre de premières constations s’imposent déjà. On pourrait même considérer qu’un certain nombre d’idées ont été mises à l’épreuve du réel. En voici quelques exemples, à garder dans un coin de notre esprit …« pour plus tard » mais pas trop tard !.

Le baccalauréat a cessé d’être le passage obligé vers l’enseignement supérieur. Parcoursup et son recours aux dossiers scolaires avait déjà tracé une autre voie.

Le contrôle continu a obtenu sa reconnaissance comme forme légitime d’évaluation, y compris pour « l’oral de français » en première, ceci ne peut être sans conséquences sur l’organisation du « grand oral » censé marquer le nouveau baccalauréat, ni d’ailleurs sur la responsabilisation des notations par les enseignants.

Le suivi « à distance » a montré combien la taille des groupes a une influence décisive sur les modalités possibles d’enseignement, en plus des contraintes propres aux examens et concours

Les établissements d’enseignement ne transmettent pas uniquement des savoirs, ils ont aussi une fonction protectrice, ce sont des lieux, des outils de socialisation, et d’énormément d’autres choses.

L’effacement du groupe qui accompagne souvent l’enseignement en distanciel, entraine la perte de l’expérience du rôle du collectif dans les apprentissages, la privation d’occasions d’apprendre une vérité partagée par d’autres et le frein mis au développement de l’intelligence comme « socialité intériorisée », selon le mot d’Henri Wallon

La logique française des concours a été d’autant mieux préservée que la pandémie a eu « l’élégance » de s’installer alors que la préparation à l’écrit était quasiment terminée, les épreuves seront décalées mais, pour l’essentiel, demeureront telles qu’elles auraient dû être faites.

La question de l’oral reste entière ; il faudra se demander dans quelle mesure une forme de contrôle continu peut être prise en considération, sachant que ce sera compliqué dans le cas des concours, sachant aussi que la plupart des autres pays ne qualifient pas leurs étudiants sur la base de « concours ».

Le nouveau « bac au contrôle continu » n’a pas été obtenu par tous, il s’agit donc de prévoir une session « de rattrapage » et de s’interroger sur les modalités d’une préparation à ces épreuves (ou pas).

Dans les entreprises comme dans les structures d’enseignement, le travail (même si le sens du mot est modulé par les contextes) a vocation à créer du lien social. Le manque de perspective engendré par la pandémie a naturellement entrainé une distension de ces liens, des difficultés variées voire des angoisses !

Ces constats vont influencer l’enseignement « d’après », quand il viendra. Avant que prévale une stabilisation qui ne pourra se mettre en place qu’une fois les vaccins et médicaments nécessaires devenus disponibles et efficaces, il aura fallu affronter inquiétudes et contraintes de plusieurs ordres en lien avec la rentrée qui interviendra avant la fin effective de la crise sanitaire.

Là encore plusieurs exemples se présentent immédiatement.
Pour évoquer l’université puisque après tout c’est mon objet principal ici, il est d’ores et déjà assuré que la rentrée ne se fera pas comme d’habitude. L’université de Manchester, l’université de Cambridge, l’université libre de Bruxelles, plusieurs universités américaines, notamment en Californie, pour ne donner que quelques exemples, ont déjà annoncé que leur rentrée se ferait à distance, en se ménageant la possibilité de maintenir des sessions en petits groupes, les « tutorials », familiers notamment aux étudiants anglo-saxons.
Malheureusement, il ne suffit pas simplement de l’invoquer pour que le dispositif soit. L’installation d’enseignements en petits groupes (moins de 10 ?) créera de fortes tensions sur l’utilisation de locaux qui n’ont jamais été prévus pour cela, particulièrement dans les universités françaises, « taillées » par accueillir les étudiants en grand nombre. Par ailleurs, la diffusion de cours en distanciel implique un savoir-faire qui aille au-delà des inventivités individuelles comme les moyens de réplication de ces enseignements, y compris en accès asynchrone. Or rien ne garantit aujourd’hui ni ces compétences, ni les moyens techniques nécessaires. Un cours à distance, s’il doit durer au-delà de l’improvisation qu’impose l’urgence, ne peut pas simplement être un cours diffusé par Zoom. Par ailleurs, outre le maintien d’une activité pédagogique, il va aussi falloir inventer les moyens d’une forme d’expérience collective de la vie universitaire, notamment pour tous les nouveaux bacheliers. Si personne ne doute de la bonne volonté de chacun, il importe que la crise sanitaire du covid-19 ne soit pas suivie par une épidémie de burn-out ! Ceci veut dire que la rentrée universitaire ne peut pas être préparée à la discrétion de chaque établissement, il y faut une analyse collective de fond … d’autant que personne ne sait si les conditions nouvelles combien de temps durera cette crise, un unique semestre, une année, plus ?

Il y a là des enjeux d’innovation pédagogique forcée, il y a des enjeux financiers qui ne semblent pas être évoqués alors que les « robinets » semblent ouverts partout et pour tous … Pour certains établissements, les enjeux seront ceux de leur survie. Un nombre non négligeable d’écoles, notamment celles qui se désignent comme des « business schools », mais aussi les écoles de commerce, d’autres établissements encore, vont voir leur « business model » bouleversé par la situation nouvelle !
Attractivité, prestige … étaient invoqués à leur propos, on sait aussi qu’attirer des étudiants « du monde entier » est aussi, largement une question de ressources financières, osera-t-on ajouter le prolongement de l’image de l’occident «civilisateur », armé de ses « valeurs universelles »?
La présente crise « du covid » devrait justement encourager à réfléchir à la « mondialisation » de l’enseignement et pour être très clair d’établir un bilan dépenses/recettes de cet accueil dans les universités de l’Occident (en cela compris les Etats-Unis d’Amérique)
Le monde change, que l’on pense à la suspicion réciproque entre la Chine et les Etats-Unis, l’occident en général quant aux « étudiants-espions » (on lira cet exemple récent donné par le Monde https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/15/la-belgique-se-rebiffe-face-aux-espions-chinois_6039744_3210.html ) ou les pratiques de Huawei, ou encore et de façon plus radicale, la remise en cause par Pékin, des « soi-disant » valeurs universelles qui, lui semblent n’être, tout comme les traités internationaux, que la résultante d’un rapport de force qui a été favorable à l’Occident durant la seconde partie du XXe siècle.
La question est politique sans doute, idéologique assurément, elle est aussi financière.
Est-il « logique » que les équilibres comptables des « grandes écoles » françaises, notamment privées, dépendent de l’accueil d’étudiants étrangers ? Et s’ils venaient à manquer verrait-on la puissance publique venir à leur secours quand il est si chiche avec ses universités ?
Une crise c’est (aussi) une aggravation brusque d’un état chronique. Il serait plus que temps de réfléchir à l’état chronique de l’enseignement supérieur français plutôt que de le laisser seul affronter, une fois encore, une « étrange défaite »…

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Vers un « enseignement hybride » ?

Quand sera le jour d’après et, quand il sera, que sera-t-il ? Pour être d’actualité, l’interrogation n’en est pas moins vaste … si on commençait plutôt par examiner ce qui est en train de se passer dans l’entre-deux où nous sommes contraints de vivre, avec le seul incertain comme horizon …
« Avant », aller à l’école, au collège, était naturel pour (presque) tous, aller au lycée était une possibilité assez largement offerte, bon nombre de ceux qui y accédaient, rejoignaient ensuite l’enseignement supérieur ; beaucoup d’entre eux se retrouvaient ainsi à l’université.
Survint soudain la crise sanitaire, le confinement et, avec lui, les fermetures des établissements d’enseignement.

Personne ne s’est pour autant imaginé « en vacances » après une année académique « terminée » le 17 mars 2020 à 12h ! Personne, non plus, n’est tout à fait assuré de ce que sera la reprise ni de quand elle sera. Une « activité pédagogique » a été instaurée, en mode distanciel, sur la base des ingéniosités des enseignants.

Pour l’immédiat, la crise sanitaire est toujours en cours. Soit on imagine que la période entre maintenant et, disons, la mise à disposition d’un vaccin et/ou de médicaments pour soigner ce coronavirus, mais aussi ceux qui pourraient le suivre, est une sorte de parenthèse à l’issue de laquelle chacun retournera à l’enseignement universitaire d’avant, soit la crise sanitaire est considérée comme ayant joué le rôle d’un incubateur. Le bilan de cette parenthèse qu’il faudra bien établir, peut ainsi offrir une occasion d’envisager les pistes nouvelles qui pourraient s’ouvrir. Les Etats généraux du numérique éducatif, annoncés par le ministre Blanquer, pourraient être une incitation à une évolution de nos manières d’enseigner, d’un rapport nouveau aux techniques et technologies nouvelles.

Derrière le slogan judicieux mais d’application concrète complexe, du « maintien de la continuité pédagogique », un certain nombre d’éléments d’appréciation font apercevoir dès maintenant, avec la force de l’évidence, les difficultés de l’entreprise, aléas techniques, fracture numérique, déficit de compétences des divers publics quant à la production comme à l’usage des contenus numériques, complexité de tenue de sessions d’examen, a fortiori de concours.

Au-delà de tels constats, il importe de se méfier des fausses évidences. L’hypothèse d’un enseignement en mode hybride, partie à distance, partie dans les locaux universitaires, séduisante à première vue, impose de réelles contraintes matérielles. Des lieux d’accueil des étudiants conformes aux normes de sécurité sanitaire mais surtout adaptés à une forme d’enseignement qui serait complémentaire à l’enseignement donné par voie numérique, vont devoir être déterminés. Va-t-on continuer à avoir recours aux enseignements dans les amphithéâtres ? « L’hybridation des enseignements » correspond en fait à une réinvention du modèle cours magistral / travaux dirigés qui est d’ailleurs loin d’être uniformément répandu à travers les établissements, les disciplines et les niveaux d’enseignement. L’hétérogénéité des publics (notamment en licence) va se doubler de l’hétérogénéité (nouvelle) de la diffusion et de l’assimilation des enseignements, à travers une alternance qui pourrait, en fonction des locaux disponibles, ne pas être en mesure de coïncider avec un rythme de semaines alternées. La question de la nature et du contenu des enseignements va rapidement se poser. Elle devra intégrer les missions convenues où il s’agit de « transmettre » et « armer », diffuser la connaissance et construire l’agilité nécessaire pour que son récepteur sache faire « le meilleur usage » de cette connaissance.
Tant qu’il s’agit de diffusion, un livre, une session « à distance », un cours magistral sans être équivalents, offrent cette caractéristique commune de s’adresser à un grand nombre, simultanément ou pas, pour un coût global maîtrisé. En revanche, pour la discussion, le débat, le dialogue, importants en matière de compréhension sans doute mais aussi de maîtrise de la connaissance, d’assimilation et d’évaluation, la taille du groupe a une importance essentielle. Ce n’est sans doute pas par hasard si l’enseignement « oxbridgien » dont les effectifs sont sans aucune commune mesure avec ceux des universités françaises, intègre des « tutorials » réunissant de 1 à 3 participants tandis que, plus généralement, les universités anglo-saxonnes (celles si souvent données comme modèles, représentées dans les premiers rangs des classements internationaux) fonctionnent avec des groupes de 6 à 8, au maximum de 12 à 16 …. si loin de nos groupes de TD à 30 à 45 … qui peuvent dépasser la centaine, même parfois les plusieurs centaines, dans certaines disciplines. En outre, dans l’enseignement (supérieur) français, la pratique d’une préparation du cours en avance, par exemple adossée à un syllabus diffusé en amont de la période d’enseignement, n’est guère plus répandue que celle de « l’autonomie guidée ». Assez naturellement, l’enseignement à distance mis en place à l’occasion de la crise sanitaire, susceptible donc de participer au futur « enseignement hybride » relève largement de pratiques qui demeurent mimétiques, en ce sens qu’il s’agit principalement de transpositions à distance d’activités qui sont celles de l’apprentissage en présentiel. Le numérique offre alors une forme de compensation de ce qui n’a pas été présenté pendant les cours en présentiel.
En fait, et même s’il est facile d’admettre qu’existent ici ou là de courageux contre-exemples, l’enseignement (supérieur) tel qu’il est pratiqué en France n’est pas adapté à ce fameux mode hybride qui est proposé.
Outre les pratiques qui viennent d’être rappelées, deux autres freins sont mis à son déploiement. Les locaux universitaires alternent amphithéâtre et salles de TD avec peu de salles de travail pour petits groupes, mode tutorial ou mode travail partagé et/ou en autonomie. Le calcul des « capacités d’accueil » les établit selon des ratio où la norme pédagogique n’est pas affranchie du modèle CM/TD. De surcroit, l’université, en France, particulièrement en licence, a une vocation sociale à absorber bien des jeunes qui n’ont pas d’accès au marché du travail à la sortie du lycée, ni d’ailleurs d’ambitions fortes pour les études supérieures. Il y a là une sorte de sas qui s’accommodait d’une gestion par les amphithéâtres. Dès l’instant où l’enseignement va se personnaliser, un investissement de chacun va devenir nécessaire, sauf à reconnaître quasi-officiellement que de larges secteurs de la population étudiante ne sont pas intégrés au système, sur le modèle de l’indifférence actuelle à l’évaporation qui frappe les effectifs entre la rentrée et les période d’examens.
Bref un enseignement qui met en relation non un enseignant et un « groupe classe » (dont les contours peuvent être variables) mais bien un enseignant et un certain nombre de postes informatiques qui seront ou non « activés », la situation va devenir différente !
Non seulement une sorte de « vérité des prix » va s’établir, mais encore la contrainte d’avoir à « faire réussir chaque étudiant » va se partager entre l’enseignant et l’étudiant qui dans ce système doit accéder à la responsabilité et à l’autonomie, ce qui va aussi induire une réflexion sur la mission de l’université. L’enseignement hybride ce n’est ni « simplement » une perte d’une part de la socialisation qui accompagne la fréquentation de l’université, ni un « simple » mode transitoire (rien ne peut contraindre un/des enseignant(s) à enseigner à distance), mais une (intéressante) interrogation des pratiques pédagogiques dominantes.

Pendant le règne de la crise sanitaire nous avons été brutalement mis en face de l’inconnu, confrontés au surgissement de l’inédit et pourtant sommés de faire sens, de faire récit. Dans un contexte d’incertitudes scientifiques, de cacophonie des experts, de myopie des media, voire d’impéritie des conseillers politiques, il fallait pourtant créer de l’adhésion, notamment au respect des mesures barrières. Il n’est pas étonnant que les discours aient évolué, changé, même se soient contredits. L’incertitude, l’insu et l’inédit se combinaient en une même incapacité à discerner le vrai, le stable. De ce monde là on ne savait pas dire la fable, tandis que les affabulations et les défiances multipliaient les injonctions contradictoires sans même les mesurer !

Le monde que la crise sanitaire fabrique aura besoin d’intégrer plusieurs notions qui jusque là étaient ignorées. Il va falloir intégrer pour de bon l’idée que l’émotion est un mauvais guide en matière de décision, que les données ne sont pas nécessairement univoques, que la démocratie est d’abord pensée pour les périodes «ordinaires» ; il va aussi falloir revenir sur le piège d’un
système national centralisé à outrance, et sur le slogan de l’accès « universel » à l’université, au-delà de ce qui est déjà opéré par Parcoursup.
Si nous en venons à revisiter un certain nombre de totems, on pourrait d’ailleurs aussi reprendre la question de la formation initiale et continue des enseignants, mais aussi, comme pour les métiers de la santé, celle de la réévaluation de leurs salaires, notamment pour les débuts et milieux de carrière.
On pourrait enfin se dire que les progrès pour l’enseignement ne passent pas d’abord par une augmentation mécanique des moyens, multipliant l’existant sans innovation, mais par une autre manière d’inter-agir avec des « apprenants » traités comme tels.
L’enjeu dépasse largement celui d’une adaptation à une grave crise sanitaire et à ses lendemains, pour déboucher sur des réflexions abouties et programmatiques.
Le temps du « code Soleil » n’est plus. Le temps de demain est celui des renouvellements et des défis à relever.

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Ouvrir ou fermer les lieux d’enseignement ?

Depuis que la République l’a instaurée, l’Ecole publique est considérée comme moralement et socialement émancipatrice, « ouvrir une école c’est fermer une prison ».

Aujourd’hui, après avoir décidé de fermer les écoles, il est question de les ré-ouvrir, « progressivement », « sur la base du volontariat ». L’ouverture des lycées reste décalée, il n’y aura pas d’enseignement en présentiel dans les universités, jusqu’à l’automne. La prudence affichée par ceux qui ont la charge de la décision n’a d’égale que les jugements péremptoires et la délectation morose de ceux qui érigent leur opposition en responsabilité.

Il ne suffit pourtant pas d’évoquer le trop réel caractère inédit de la situation. L’incertitude, l’absence de perspective brouillent les possibles. Si personne n’imagine que les écoles restent fermées sine die, personne ne peut garantir que le risque va se diluer dans le passage du temps et que, en Septembre, par exemple, ou à Noël ou à la Trinité… la situation sera(it) redevenue normale . Les faits ont montré que la vision d’un « beau moment » où les églises seraient remplies pour Pâques manquait cruellement de clairvoyance !

Lorsqu’il la lança, Émile de Girardin ne pensait pas que sa formule, devenue célèbre et si souvent répétée, « gouverner c’est prévoir », se heurterait un jour sinon à l’imprévisible absolu, du moins à un imprévu qui résiste. Même en laissant de côté la possible polémique autour d’une pandémie qui était, aurait été, serait … prévisible, il n’en reste pas moins que, même si tout le monde s’accorde à penser qu’un jour viendra où elle cessera, ce jour, cette date de sortie ne sont pas prévisibles. Il faut se contenter de probabilités, comme autant d’approximations difficiles à délimiter.
Or, alors que décroit la tolérance à la frustration, à mesure que reculaient (semblaient reculer) les limites de la science et des savoirs, notre époque a développé un biais cognitif dont la dangerosité se révèle aujourd’hui, quant à la capacité à réduire les incertitudes (1). Alors, de plus en plus vivement et de tous côtés, il est exigé que des réponses soient fournies à propos de tout et à tout propos : Quand pourrons nous partir en vacances, quand pourrais-je aller au restaurant, au théâtre, au cinéma, à l’opéra, au musée ? Plus encore, pourquoi m’interdirait-on de « vivre comme avant » ? Aux Etats-Unis, on voit des hommes en armes, se joindre aux cortèges défilant derrière des banderoles réclamant la « liberté » c’est à dire la levée des contraintes qui ont été imposées au nom de la lutte contre la pandémie.

Parmi toutes ces interrogations il en est une qui est particulière en dépit de la fâcheuse assimilation à laquelle procèdent des propos qui relèveraient du café du commerce s’il était ouvert, qui aujourd’hui envahissent les plateaux des télévisions et les réseaux sociaux.
Pourquoi voudrait-on envoyer les enfants à l’école alors qu’il est interdit de se rendre librement chez le coiffeur, le tatoueur, l’esthéticienne, ou au café ? Le 14 avril, Franck Dubosc se « demandait » sur twitter, pourquoi il ne serait pas possible d’ « installer des petites tables avec des parts de pizza et des verres de rosé sous le préau des écoles puisque c’est plus safe ». D’autres experts en santé publique expliquent alors que « les écoles doivent servir de garderie et pas les restaurants et les cafés »

Deux redoutables confusions nous affrontent. L’opposition si souvent manipulée entre le souci de « la vie » et les inquiétudes pour « l’économie » relève du slogan, la vie a partie liée avec l’économie. La perte de présence à l’école n’a pas le même sens que la perte d’une part de pizza ou d’un verre de rosé. Penser que les écoles doivent être ouvertes pour que les parents puissent aller travailler est un effroyable indicateur de mépris pour l’école et pour l’enseignement. Celui-ci ne consiste pas à simplement à mettre en présence un émetteur (le maître) et un récepteur (l’élève), pas plus qu’un lecteur et un livre. On retrouve ici toute la problématique de l’interrelation.Quiconque en a fait l’expérience a très vite compris qu’on ne s’adresse pas de la même manière à l’oeil d’une caméra et à des personnes réelles qui communiquent en retour, a minima par le langage corporel, plus directement par l’intermédiaire de questions posées en mode plus ou moins ritualisé.
Au delà des choix quant à la forme de l’enseignement donné en présentiel ou assuré à distance, au delà même des réelles inégalités sociales selon que la réception se fait au sein d’un environnement qui dispose ou non de moyens informatiques, qui en dispose de manière suffisante pour que le télétravail de maman et/ou de papa, comme l’accès éducatif et/ou ludique de tous les membres du foyer puissent être compatibles, il convient d’observer qu’à la notable différence d’une coupure d’énergie, la fermeture de l’école n’est pas celle d’un robinet qui distribue du savoir et des pratiques cognitives.
Les lieux d’éducation sont des lieux d’interaction et de socialisation, le rôle de l’école se joue à la fois dans la transmission et dans l’invention du lien social, sinon il suffirait de diffuser des livres. L’avenir de l’éducation n’est pas dans la distribution de cartables électroniques. Même si ceux-ci peuvent offrir, comme on dit, « une valeur ajoutée », comme le font, différemment, les livres, ils ne remplacent pas les rapports humains entre élèves, entre enseignants et élèves.
La double exigence de non ré-ouverture des écoles et de maintien des (longues) vacances d’été, l’idée du « à quoi bon reprendre si c’est pour un mois » institue une préjudiciable absence d’enseignement socialisé, renforçant de fait la « perte d’apprentissage estivale » . L’expression équivalente en anglais -summer learning slide- , plus imagée, met en valeur l’idée d’une dépossession qui croit avec la durée. Les experts ne tombent pas tous d’accord sur l’ampleur de la perte, il n’empêche que l’éducation intègre une part de répétition, d’entrainement et, encore une fois, d’interaction, c’est au moins cela qui disparaît et qui pourtant n’est pas anodin, notamment parmi les élèves les plus défavorisés, notamment ceux qui n’ont pas des « parents hélicoptères ».
Nos sociétés valorisent la coprésence corporelle, les échanges interpersonnels intègrent de plus en plus une dimension tactile, il se dit déjà que maintenir un mètre de distance va demander un effort considérable et provoquer une perturbation silencieuse. Faire comme si les enfants/élèves/étudiants n’y étaient pas sensibles est une évidente aberration. Ne pas en débattre sereinement au profit de pétitions de principe est une faute.

L’effroyable complexité du réel ne peut se satisfaire ni d’une logique coûts/bénéfice, ni de cet eugénisme où « chacun doit s’attendre à la perte précoce d’êtres aimés » comme le disait encore Boris Johnson le 12 mars, idée exprimée plus brutalement encore par un slogan vu sur certaines pancartes brandies Outre-Atlantique, invitant à laisser mourir les personnes vulnérables, « let the weak die ».

La période de grandes incertitudes où nous sommes plongés pourrait peut-être éviter de remplacer la peur du virus par le virus de la peur en admettant que l’incertitude n’est pas une marque de faiblesse, ni un autre mot pour dire indécision. La rupture avec les diverses formes d’arrogance (y compris jupitérienne) pourrait encourager à un renouvellement où l’objectif ne serait plus la domination (fût-elle prométhéenne) du réel mais la prise en compte de ses contraintes.

L’éducation a beaucoup à gagner en affichant le dialogue comme voie d’accès à la connaissance et à intégrer des modes hybrides de transmission intergénérationnelle des savoirs. Alors la mise en place d’un monde d’après ne peut se résumer à l’attente d’un couple vaccin/médicament. La sortie de la crise du coronavirus risquerait alors de n’être que le prélude à un autre cycle pandémie / confinement / sortie de la pandémie et du confinement. Ce moment est celui où penser autrement notre rapport au monde et à ses incertitudes.

(1) Sur ce point consulter : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/30/coronavirus-le-capitalisme-s-est-convaincu-qu-il-pouvait-reduire-l-incertitude-radicale-du-monde_6038277_3232.html

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Le covid 19 aura-t-il eu raison du baccalauréat ?

Le dispositif qui faisait du baccalauréat à la fois la condition et la garantie d’un accès à l’enseignement supérieur, a progressivement disparu. Parcoursup représente un épisode crucial de cette évolution.
Il n’en est pas moins remarquable que si l’annonce que, pour la session 2020, le brevet, le bac de français et le baccalauréat seront validés grâce aux notes du contrôle continu, a suscité beaucoup de réactions, celles ci témoignent en fait d’une très imparfaite compréhension de ce qu’est déjà devenu le baccalauréat.

Aujourd’hui les accès à l’enseignement supérieur, notamment les répartitions entre les diverses voies, sont examinés AVANT que les résultats des baccalauréats soient connus. La phase d’ADMISSION qu’institue Parcoursup débutera pour l’exercice 2020 le 19 mai, sur base de dossiers qui ont été examinés en amont et qui sont très largement constitués des bulletins scolaires des candidats (et donc pour une part des notes qui, cette année, serviront aussi au contrôle continu qui permettra de décerner les baccalauréats 2020). Ironiquement, la date limite de dépôt avait été fixée au 2 avril ce qui, pour l’anecdote, correspond à la veille même de l’annonce par le ministre du remplacement du baccalauréat par du contrôle continu.
Pour mémoire et comparaison, je rappelle que les épreuves du bac général et technologique 2020 devaient initialement démarrer le mercredi 17 juin 2020, et se terminer le mercredi 24 juin tandis que les épreuves anticipées de Français étaient prévues le mercredi 17 juin 2020.

En réalité, l’enjeu majeur de l’obtention ou de la non-obtention du baccalauréat est devenu la réalisation, ou pas, des propositions issues de Parcoursup. Il y a donc une logique à ce que la validation de l’accès au supérieur corresponde à un dispositif unique marquant aussi la fin des études secondaires. C’est cette cohérence là que le baccalauréat portait naguère et qui est rétablie au hasard du covid-19, du confinement et de l’impossibilité de tenir une session d’écrits à la période habituelle.
On notera que si la forme que prend l’évaluation (terminal vs contrôle continu) n’est pas totalement indifférente, il n’est pas certain qu’elle affecte un diplôme qui a, avant tout, une valeur d’usage, notamment comme mode d’accès à une forme de diplomation. Il restera néanmoins à étudier quelle importance peut avoir, au delà des symboles, la nature de l’évaluation pour ceux qui ne poursuivent pas d’études une fois le baccalauréat obtenu (ainsi 37% des bacs pro https://www.letudiant.fr/bac/bac-pro/article/quelles-sont-vos-chances-de-poursuite-d-etudes-apres-un-baccalaureat-professionnel.html ) et quelle influence cela aurait sur leur employabilité ou sur celle de ceux qui n’auront pas obtenu une diplomation dans l’enseignement supérieur.

Quoi qu’il en soit, la question soulevée ici demeure : pourquoi ne pas utiliser la rupture créée par le passage contraint à un contrôle continu pour réfléchir à l’articulation entre le secondaire et le supérieur, par exemple en reprenant l’examen global, un moment envisagé, des liens entre bac -3 et bac+3 ?
Dans sa forme actuelle le baccalauréat n’avait de toute manière pas d’avenir. Un « nouveau bac » est déjà en route qui pourtant n’intègre toujours pas la césure qu’introduit Parcoursup. Ce « nouveau bac » poursuit la fiction d’un bac comme objet en soi et refus de l’envisager comme le passage entre deux ordres d’enseignement que la plupart des lycéens empruntent.

La décision de valoriser le contrôle continu correspond (correspondra ?) à un réel bouleversement, cela est bien certain, mais, justement, pourquoi ne pas profiter de l’aspiration à réfléchir au « jour d’après », à ce nouveau monde qui tarde à venir, dont l’émergence a bien besoin de décisions de rupture.

Parmi les thèmes évoqués par les réflexions orientées vers la pensée du « jour d’après », climat, santé, démocratie, la formation est, une fois encore, absente, comme s’ils n’étaient pas liés à l’éducation. Pourtant ni le souci de la biodiversité, ni le sens de la solidarité ne sont spontanés, ils ont leur part d’apprentissages !

Pendant ce temps là, la forte ségrégation académique qui fait l’exception française, comme le rappelaient les deux premiers billets de cette mini-série, constitue un frein majeur, qu’accompagne l’impuissance de la succession des réformes et la dévalorisation de cette part de la population qui est exclue du système éducatif, bac ou pas bac.

Tout ne va pas se résoudre par l’arrivée du contrôle continu, faut-il le dire ?

Pourtant, cesser de modéliser l’enseignement en fonction du baccalauréat, penser les parcours d’études en termes de valorisation du travail au quotidien (en rupture avec la notion, précisément, de « bachotage ») permettrait de mieux construire le passage à l’enseignement supérieur. Si l’on ajoute, par exemple, cette idée que la forme « couperet » qui fait partie du mythe du baccalauréat, se rapproche de celle des concours, là encore pratique très française, il y a de quoi nourrir la réflexion autour d’un « baccalauréat » passage et non terminal.

Sans doute les pesanteurs sont-elles lourdes, les blocages réels et les partis pris idéologiques fort prégnants, mais une fois constaté que le baccalauréat a pu être remplacé sans effondrement de tout le système éducatif, un grand pas aura été accompli. Restera à faire confiance aux équipes pédagogiques plutôt que de persévérer dans un pilotage par le haut dont le dernier exemple en date est l’introduction dans le « nouveau bac » d’un « grand oral » directement modélisé par Sciences Po ; au moment où s’affirme la remise en cause de l’ENA ; cherchons l’erreur.

Contradictions de la gestion de l’accueil dans l’enseignement supérieur, faible diplomation à l’université, pratiques d’éducation prioritaire contreproductives, insuffisance des quantifications, ces maux ne disparaitrons pas du seul fait d’un baccalauréat en contrôle continu. En revanche l’ajournement du mythe et la fin du « passe ton bac d’abord devraient permettre qu’un autre récit se tisse dans les écoles et les lycées, un récit dont les hautes figures ne seraient plus les mentions au baccalauréat mais bien le projet éducatif d’ensemble ciblant l’enseignement supérieur et favorisant les projets de chaque élève.

Un tel projet aura besoin en outre que la mission éducative soit remise au centre des projets pour la pays et surtout que, pour y parvenir, la question du recrutement et celle des salaires des enseignants soient traitées.
La crise sanitaire doit être surmontée, « coute que coute ». Elle le sera, n’en doutons pas. Les investissements de l’Etat, des contribuables donc, auront plus que jamais à être expliqués et justifiés. Il faudra aussi veiller à ce que les « dépenses d’éducation » soient efficacement mobilisées.

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Casser la fatalité d’une université peu diplômante  ?

Résister au coronavirus c’est aussi envisager les conditions d’un meilleur avenir.
La période actuelle de crise sanitaire coïncide avec un pic de stigmatisation de coupables, de frénésie de dénonciation de culpabilités, avec une logique de bouc émissaire, de rhétorique du « y’avait qu’à », du « il aurait fallu » et d’ accusations en mode « on nous cache tout » ou « ils nous mentent ». A l’ère du soupçon élargie, opposons l’examen du réel au crible du jugement.
C’est dans cet esprit que s’inscrit ce texte qui, au delà de la lecture du dispositif dispendieux et médiocre de la loi ORE qu’exposait le précédent billet de ce blog récuse le « projet » qui sous-tend une loi porteuse d’une telle absence d’ambitions pour l’accueil à l’université et esquisse des pistes pour son dépassement.
On le sait, une part importante des contradictions de la gestion de l’accueil à l’université est à chercher dans l’hypocrisie de l’interdiction officielle de sélectionner en licence alors que sont assurés toutes sortes de contournements, devenus pratiques courantes. S’y ajoute le défi d’un examen des dossiers des candidats dans des universités qui ne disposent que de « service des inscriptions », – ce qui, soit dit en passant, renforce l’idée qu’elles seraient en « accès libre » – et non de véritables services d’admission (et des personnels qualifiés, nécessaires à cette fonction).
Imaginer une stratégie d’accueil est d’autant plus complexe que, en France, l’école est caractérisée par une forte ségrégation académique.
On sait que (en chiffres arrondis) plus de 80% des élèves formés dans les collèges privés y ont acquis une « bonne » ou « très bonne » maîtrise des compétences scolaires en mathématiques et qu’il en va de même pour près de 75 % des élèves des collèges publics, hors éducation prioritaire. C’est à partir de là que se dessine la torsion radicale du système. On estime que le taux de diffusion de cette « bonne » ou « très bonne » maîtrise des compétences scolaires en mathématiques, est inférieur à 45 % dans les collèges classés REP+ (Réseau d’Education Prioritaire les plus populaires). Ceci confirme l’existence d’un système tubulaire là où est brandie l’illusion d’un dispositif qui assurerait la percolation des publics fragiles vers le flux principal. En outre, le « tous accueillis » ne signifie pas tous diplômés, bien au contraire !

Une récente étude de la Commission européenne porte sur « l’impact des systèmes d’admission sur les résultats de l’enseignement supérieur » (voir https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/e89fd720-f101-11e7-9749-01aa75ed71a1/language-fr/format-PDF )
Cette étude (2017) distingue 4 types de systèmes d’admission et observe les résultats qu’ils engendrent : une sélection dite « par les écoles » (ainsi l’Allemagne), une sélection dite « par les EES » (ainsi la Finlande ou le Portugal), une sélection dite « minimale » (ainsi la France) et une sélection dite « double » (ainsi le Royaume-Uni). Je n’entrerai pas ici dans les détails pour mieux souligner cette appréciation, explicite : la sélection de type 3, dite « minimale », celle que nous connaissons en France, « égalise les chances d’admission dans l’enseignement supérieur » mais les « résultats ne sont pas particulièrement reluisants au chapitre de l’obtention des diplômes ». L’étude souligne aussi le fait que « ces systèmes d’enseignement supérieur ont un nombre d’admission plus élevé que la moyenne dans des EES privés ». Rappelons à en passant que si la « concurrence » entre les universités est si volontiers dénoncée, il convient de ne pas oublier qu’environ 20% des étudiants du supérieur sont formés dans des établissements privés.

Cette torsion entre la volonté d’égalisation des chances à l’admission et l’indifférence à l’accession de ces étudiants à un diplôme, est d’ailleurs désormais officiellement prise en compte dans Parcoursup qui intègre la notion de « oui si », la vraie-fausse admission. L’idée pourrait sembler généreuse. Dans les faits, le dispositif « oui, si » permet de refuser la sélection tout en n’acceptant pas tous les étudiants dans les mêmes conditions (notamment en imposant une année de plus pour un parcours de licence). Il s’agit de chercher à pallier l’échec assuré de ceux qui sont habituellement euphémisés sous l’expression « étudiants fragiles », le plus souvent des bacheliers technologiques ou professionnels. Il n’est pas certain que cette possibilité soit adaptée pour ces étudiants qui, arrivés « par défaut » après avoir été refusés partout ailleurs, en quête d’un statut social, repartent de la salle d’examen après avoir simplement pris le temps d’émarger avant d’être autorisés à sortir.
Imaginons qu’il existe d’authentiques « oui si », ceux qui auront (auraient) trouvé là l’occasion d’une nécessaire remise à niveau. Une enquête chiffrée pour en juger manque cruellement ; à bas bruit circule l’idée que les signaux ne semblent pas très encourageants. Même s’ils l’étaient (ou le deviennent) n’est-ce pas un choix étrange que d’attendre si longtemps pour que des étudiants qui sont bacheliers soient confrontés aux limites de leurs compétences ? N’y a-t-il pas là un redoutable signal d’échec pour les logiques qui prévalent déjà dans les enseignements primaire et secondaire ? En outre proposer un allongement du temps de la formation (+un an dans l’hypothèse d’un parcours sans échec) c’est retarder l’accès à l’emploi pour des populations qui sont particulièrement en attente d’un emploi et plus encore d’un salaire. Un système à deux vitesses est-il réellement acceptable, moralement comme économiquement ? Les interventions devraient-elles pas être situées bien en amont de l’arrivée à l’université ?
En outre, il faudrait disposer d’un bilan du coût social mais aussi économique que représentent ces formations inadaptées au cours des années d’enseignement obligatoire et qui est supérieur au coût des formations de rattrapage.

En marge des « oui, si » se développent des formations de type « Passeport pour réussir et s’orienter » (PaRéO), diplôme universitaire proposé par exemple par l’université de Paris et « construit pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire, mais qui ne souhaitent pas entreprendre une année de césure » (selon Marion Petitpré, directrice du programme) mais aussi, autre exemple, « Prep’Avenir » à l’université d’Evry (plus d’informations https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/03/08/tester-des-filieres-murir-son-orientation-a-l-universite-l-essor-de-diplomes-pour-etudiants-indecis_6032259_4401467.html )
Là encore une initiative généreuse … qui pourtant soit allonge les études soit déporte le « tri » au delà de l’immédiat post-bac après un temps de latence destiné à permettre de décider ce qui n’était déjà pas clair … mais ressemble à un itinéraire de délestage. Notons que ces « pistes » alternatives vont dans le sens de la nouvelle formule du bac qui se veut indéterminé. Faut-il donc tout faire pour retarder le moment où va s’imposer l’inadéquation de la formation à la réalité du marché de la formation et de l’emploi ? A qui, à quoi, la prolongation des impostures est-elle nécessaire ? Aller à l’université est un atout en soi, je ne n’en doute pas, faut-il pour autant accepter de renoncer à l’avantage immédiat que donne l’obtention d’un diplôme ?

L’étude pilotée par la Commission Européenne trace des perspectives de progrès, sans doute à discuter mais qui rompent avec la délivrance d’un aller simple vers la reproduction sociale. Comme le titrait le Nouvel Observateur en rendant compte de cette étude (https://www.nouvelobs.com/education/20171028.OBS6647/entree-a-la-fac-la-france-reste-une-exception-mondiale.html ) : « Entrée à la fac: la France reste une exception mondiale ». Une telle « médaille d’or » n’est en rien enviable !

Alors ? Exception française ? Fatalité ? Ou … Marges de progression ?

Un rapport « Mission territoires et réussite », remis le 5 novembre 2019 au ministre de l’Education nationale, indique que « Les écarts de résultats scolaires (…) demeurent supérieurs de dix points en moyenne entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres élèves, cet écart pouvant atteindre vingt points pour les élèves de l’éducation prioritaire renforcée ». Le constat est donc officiellement établi et communiqué.
Que faire ? Confier l’allocation des aides aux Rectorats ? Former les enseignants autrement ? Et donc les rétribuer à l’aune de ces compétences nouvelles ?
De même pour donner une autre image et un autre projet aux universités, pour y rétablir une priorité de la réussite et de la diplomation, pourquoi ne pas y réussir une implantation universitaire des parcours de préparation aux Grandes Ecoles et autres filières d’excellence ?

Ces mesures, comme d’autres, exigeront de la détermination. Elles rencontreront des oppositions, notamment idéologiques. Pour faire bouger les lignes, il faudra d’abord être capables de sortir des approximations et de quantifier les coûts tant des innovations possibles que des échecs connus.

Le prochain billet reviendra sur cette question de la quantification, essentielle mais dont les pratiques manquent d’efficience.

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