Peut-on construire un enseignement où les étudiants apprennent à leur rythme, sur plusieurs années de licence ? L’équipe qui enseigne les mathématiques à l’Institut Villebon – Georges Charpak parie que oui !
Le dispositif
Il s’agit d’étendre et de généraliser un dispositif que nous avons déjà testé cette année sur un semestre. Grâce au TD différencié, les étudiants pouvaient à leur guise choisir entre suivre le cours “normal” et travailler autonomie supervisée. Comme nous avions les supports de cours des années précédentes, ainsi qu’un planning précis des évaluations du semestre et de leur contenu, nous avons donné la possibilité aux étudiants qui travaillaient en autonomie supervisée de travailler sur le contenu de leur choix. Ils pouvaient ainsi avancer à leur rythme, en prenant bien le temps de comprendre s’ils étaient en difficulté, en prenant de l’avance s’ils se sentaient à l’aise, voire en creusant leurs propres questions s’ils en avaient envie et le temps !
Nous étendons le dispositif aux deux premières années de licence à la rentrée. Ainsi, pour le premier semestre 2018, trois cours sont programmés en même temps : L1 (première année de licence), L2 (seconde année de licence), et un cours de L3 (troisième année de licence). Au second semestre, seuls les cours de première et seconde années sont programmés en même temps. Tous les supports de cours de la licence sont disponibles à la demande par les étudiants.
Les heures qui permettaient de dédoubler certains cours sont mutualisées sur les trois années pour ouvrir une salle dans laquelle les étudiants peuvent travailler en autonomie supervisée : ils travaillent sur ce qu’ils veulent sous la supervision d’un enseignant qui répond à leurs questions. Le tout est prévu pour fonctionner à volume d’heures constant, pour les enseignants comme pour les étudiants.
Dans les salles de cours, le cours-TD se déroule comme d’habitude. Dans les salles autonomie supervisée, on reprend le principe du TD différencié : les étudiants avancent à leur rythme sur les supports de cours et de TD, en fonction de leurs besoins. Ils ont accès aux corrections et un enseignant est là pour répondre à leurs questions.
Les étudiants des trois années choisissent où ils veulent aller et peuvent changer de salle à tout moment.
Le cas d’un étudiant lambda
Pour un étudiant lambda à qui le rythme du cours standard convient, il ne se passera rien de spécial. Il suivra probablement le cours comme d’habitude en restant dans la classe correspondant à son niveau.
Le cas d’un étudiant avancé
Étant donné l’hétérogénéité des étudiants dans une classe, nous nous attendons à avoir quelques élèves capables d’aller plus vite et plus loin que le programme standard moyen couvert actuellement. Un tel étudiant pourra avancer plus vite en obtenant en avance les supports de cours et les exercices de son année, qu’il étudiera à l’aide de l’enseignant disponible dans la salle de travail en autonomie supervisée et de ses camarades plus âgés. Il pourra également assister à une partie des cours de l’année supérieure.
Parce qu’il avancera plus vite pendant les séances, l’étudiant avancé peut au choix passer plus de temps sur les notions difficiles du programme, chercher des problèmes hors programme qui ont attisé sa curiosité, poursuivre sa formation avec l’aide de l’enseignant en autonomie supervisée avec un MOOC ou un livre de maths, ou en profiter pour libérer du temps sur son travail à la maison.
Le cas d’un étudiant en difficulté
Un étudiant pour lequel le cours moyen ne permettrait pas de comprendre en profondeur les notions abordées pourrait choisir d’aller apprendre à son rythme dans les salles en autonomie supervisée. Nous l’avons appliqué sur un semestre cette année et vu des étudiants dont les maths n’étaient pas leur matière de prédilection capables de s’investir complètement dans leurs exercices. Ils avaient (enfin) le temps de comprendre à fond les notions qu’ils abordaient en classe ! Lorsque c’est judicieux, un étudiant peut aussi retourner assister à un cours moins avancé pour consolider ses bases.
Au delà des cas stéréotypés
Bien entendu, un étudiant peut très bien passer d’un cas à l’autre en fonction de sa motivation, du travail qu’il a fourni, ou du thème abordé. Les choses restent très souples et il peut naviguer simplement en fonction de ses besoins au fil de l’année.
L’évaluation
Nous réfléchissons à une évaluation (qui sera présentée dans un billet futur) qui permette aux élèves d’apprendre à leur rythme. Mais nous pensons que ce dispositif est également compatible avec une évaluation classique dans laquelle un planning clair serait donné à l’avance aux étudiants avec les attendus pour chaque évaluation et les dates de celles-ci.
Dans tous les cas, pour être compatible avec le cadre de formation global, nous avons prévu que l’enseignant fasse remonter à l’administration une note pour l’Unité d’enseignement de son cours à la fin du semestre. L’étudiant doit donc s’organiser pour avoir un niveau minimum dans chaque unité d’enseignement correspondant à son année d’inscription à la fin du semestre. Des jalons clairs doivent être fournis au sein d’un semestre pour l’aider à savoir comment il se situe par rapport à son objectif final et faciliter une auto-régulation sans pour autant avoir trop de dérives.
On pourrait aller au delà et imaginer des systèmes plus souples dans lesquels tout serait organisé à l’échelle du cycle licence. Nous n’avons pas (encore) abordé cette piste, mais un étudiant inscrit en seconde année de cycle pourrait valider des UEs de L3, ou à l’inverse, continuer à progresser sur ses notes de L1, de manière souple et adaptée à son projet professionnel.
C’est sympa votre truc mais je n’ai pas de collègue avec qui collaborer
Notre approche repose effectivement sur les TD différenciés et nécessite donc d’être au moins deux. Si vous n’avez pas de collègue avec qui travailler, je me permets d’attirer votre attention sur le travail remarquable de Jean Michel Génévaux. Il a réussi à mettre en place à l’intérieur de son cours (où il enseigne seul) un enseignement où les étudiants apprennent et valident à leur rythme : voir Pédagogie participative en école d’ingénieur Jean-Michel Génevaux, Adrien Pelat LAUM – Laboratoire d’acoustique de l’université du Mans
Nous avons visité sa classe l’année dernière et les étudiants sont effectivement très engagés dans leur apprentissage, dans un cadre très structuré qui leur laisse beaucoup de souplesse. Si vous avez l’occasion de discuter pédagogie avec lui, n’hésitez pas !
De notre côté, nous travaillons dur à préparer la rentrée et sommes certains que le dispositif aura à évoluer une fois sur le terrain. Nous espérons que ce changement pragmatique nous aidera à gérer l’hétérogénéité de nos promotions en permettant à chacun, quelque soit son niveau et son potentiel, d’atteindre son maximum. C’est un travail structurel qui demande du travail en équipe au delà des UEs et des années (nous sommes actuellement 6 à nous coordonner, avec Tony Février, Joel Cohen, Gilles Lacombe, Jean Lécureux et Alain Virouleau). J’espère que vous y trouverez des éléments intéressants même si votre cadre de travail est différent du nôtre.
Comme d’habitude, si vous connaissez des endroits qui ont des pratiques similaires ou des papiers autour de ce thème, merci de les partager en m’écrivant ou commentant ce billet !
Et … bonnes vacances à tous et à toutes 🙂