Trois pratiques pédagogiques sympas et documentées pour lancer la rentrée

Trouver de bonnes sources d’inspiration pour enseigner n’est pas si simple. Pour mes cours, j’ai souvent plein d’idées, mais je ne sais pas forcément, avant de les avoir testées, si elles sont pertinentes, et j’ai parfois peur de réinventer la roue. J’aime donc beaucoup entendre mes collègues raconter leurs pratiques, mais si ces histoires sont précieuses, elles ne me disent pas toujours ce qui serait efficace dans ma situation, avec mes étudiants.
Déformation universitaire oblige, nous avons créé à  l’Institut Villebon – Georges Charpak, un Journal Club mensuel au cours du quel nous lisons des articles qui éclairent notre pratique pour tenter de prendre un peu de hauteur de vue. Après tout, notre démarche d’universitaire n’a aucune raison de se limiter à la recherche, et il nous semble utile de lire le travail de nos collègues pour améliorer nos pratiques.

Cela étant dit, il est difficile de trouver des articles pertinents et/ou synthétiques hors de notre domaine d’expertise ! Voici donc quelques-uns de mes articles préférés. J’espère qu’ils vous inspireront pour la rentrée.

Pratique 1: Rentabilisez vos QCM !

J’aime beaucoup le travail d’Eric Mazur sur l’apprentissage par les pairs, synthétisé dans cet article de Nature paru en 2009 [1]Pour résumer, Eric Mazur organise dans son amphi des temps de discussion entre étudiants à partir de QCM. Il les fait voter individuellement, puis si le taux de bonne réponse est moyen (entre 35 et 70%), il les fait échanger en appariant des étudiants d’avis différents. J’aime beaucoup son travail car je trouve l’idée simple et je suis sensible au fait qu’il ait pris le temps de vérifier avec rigueur que sa méthode améliore les résultats des étudiants [1bis].

Eric Mazur a profondément transformé son cours pour centrer son enseignement autour de ses échanges. Pour ma part, j’avoue que j’ai tendance à reprendre son dispositif de manière très “light”. Ainsi, je vais simplement demander au pied levé aux étudiants de proposer des questions et/ou des réponses. Par exemple, dans le cas des équations différentielles, je leur demande de me dicter une équation différentielle puis je les fais voter pour savoir si elle est homogène, linéaire ou d’un ordre fixé. Je peux ainsi ajuster le temps nécessaire à passer sur le concept ou le mot de vocabulaire en fonction de la réaction de la classe. Avant d’utiliser ce format, je demandais aux étudiants d’écrire des équations différentielles sur des posts-its puis je les faisais classer les posts its au tableau suivant les même critères (linéarité…). Je trouve que la variation de Mazur est plus riche (les échanges me semblent plus construits entre les étudiants). Elle demande très peu de préparation, et cela m’arrive d’intégrer cette activité au pied levé dans une explication, sans l’avoir prévu initialement, simplement parce que je sens que la compréhension bloque et qu’il faut passer un peu de temps sur le concept. Si je n’ai pas de clickers, je les fais voter à main levée (c’est un peu moins bien car ils peuvent s’influencer lors du premier vote, mais ça marche quand même…).

Pratique 2 : La feuille blanche, ringard, mais efficace !

Un article publié en 2011 dans Science par Karpicke et al [2] compare les bénéfices d’un apprentissage actif via la création de cartes mentales et  ceux d’un rappel libre (on prend une feuille blanche et on écrit tout ce dont on se souvient) pour la mémorisation d’un texte. Le rappel libre, bien que moins attractifs, l’emporte haut la main sur l’activité de cartes mentales pour la mémorisation une semaine après la séance (la performance moyenne des étudiants ayant fait un rappel libre était 50% supérieure à celle de ceux qui avaient fait une carte mentale). Le résultat est d’autant plus intéressant qu’il va à l’encontre de ce que les étudiants anticipent. Il me semble que tout l’intérêt des études comparatives est là : on est assez mauvais à estimer l’efficacité des méthodes qu’on emploie pour travailler…

Lors d’un de mes cours de maths de première année de licence, j’essaie donc de débuter systématiquement mon cours par 5 minutes pendant lesquelles je leur demande d’écrire tout ce dont ils se souviennent sur ce qu’on a fait aux derniers cours. Puis je rappelle les quelques éléments clés en quelques minutes (je limite cette intervention dans le temps pour ne pas tomber dans le piège de refaire le cours précédent à chaque cours). Je me dis également que cela permet de faire ressortir les éléments essentiels du cours pour les étudiants en difficulté qui ont du mal à le faire.

C’est évidemment du temps pris sur le reste du cours mais les étudiants sont plus réceptifs ensuite. J’ai aussi l’impression qu’ils connaissent mieux leur cours et leurs formules que ceux des années précédentes avec lesquels je n’ai pas eu cette pratique. Je n’ai pas encore trouvé de référence ayant regardé spécifiquement l’apport de cette pratique en situation de classe sur les résultats des étudiants, mais en attendant, je compte la renouveler cette année.

Pratique 3 : Entraîner plutôt que/avant de ré-expliquer

Un autre article de Roedinger et al publié dans Science en 2008 [3], montre qu’il vaut mieux donner des occasions aux étudiants de se (re)tester plutôt que de leur réexpliquer les mêmes choses. Sur une liste de 40 mots, les étudiants qui étaient testés en permanence sur ce qu’ils avaient appris, se souvenaient de 80% des mots vus, contre 35% des mots pour les participants qui les lisaient de manière répétitive sans se re-tester au préalable.

Les façons de pousser les étudiants à se tester sont innombrables et vous avez probablement déjà vos méthodes préférées. Pour ma part, quand j’étais monitrice, j’aimais bien interroger les étudiants au moment de l’appel (j’écrivais des questions au tableau avant le début du cours et je posais une question à chaque personne au moment de l’appel). L’année dernière, j’utilisais le fait de multiplier les petites évaluations. Comme je déteste corriger les copies, je vais tester cette année, en cours,  l’utilisation de jeux de révision mathématiques créés pour l’occasion. Le numérique est une façon évidente de donner aux étudiants la possibilité de s’entraîner (quand on trouve un moyen de les motiver à l’utiliser). Nous réfléchissons également au niveau de l’Institut au fait de rajouter à chaque interro une question bonus portant sur n’importe quelle connaissance étudiée depuis le début de la formation… Et pour la pratique 0 effort, 0 préparation, j’essaie, quand je réexplique quelque chose (parce que quand même, ça m’arrive souvent !), de donner aux étudiants un petit temps pour aller chercher l’information en mémoire (et de l’écrire, si c’est un point critique), avant de les ré-exposer à l’information en question.

“Oui mais ça prend du temps et j’ai un programme à tenir …”

Le temps est une ressource précieuse et ces pratiques en prennent sur le cours standard. Enseignant en licence et principalement en première année, j’estime que c’est un investissement qui vaut le coup d’être fait. Et j’ai personnellement plus de plaisir à enseigner lorsque je vois que mes étudiants connaissent plus de choses, même si j’en expose moins. Mais je continue à me poser la question chaque année de l’endroit où poser la bonne limite. Si les étudiants n’étudient pas comme je le souhaiterais en dehors de mon cours, je sais que c’est en partie de leur responsabilité, mais pas uniquement (ce n’est pas un hasard si ce sont souvent les étudiants issus des milieux les plus modestes qui ont le plus de difficultés). Il me semble que ne rien faire serait injuste et punirait ceux qui ont le plus besoin de mes connaissances. A l’inverse, passer trop de temps en cours à faire ce qu’un étudiant idéal ferait à la maison pourrait inviter les étudiants à ne pas faire d’effort en dehors du cours et à ne pas s’autonomiser, tout en pénalisant les étudiants qui eux ont déjà les bonnes méthodes et pourraient apprendre plus de chose dans mon cours. Les questions de terrain, même éclairées par une bibliographie solide, restent des arbitrages personnels que chaque enseignant doit faire en son âme et conscience.

J’espère que ces pistes vous auront donné des outils pour faire les vôtres. N’hésitez pas à partager en commentaire les des liens vers les études qui vous ont le plus surpris ou inspiré. 🙂

Bonne rentrée !

[1] Mazur, E. (2009). Farewell, Lecture? Science, 323(5910), 50–51. https://doi.org/10.1126/science.1168927

[1bis] Peer Instruction: Ten years of experience and results. (2001). American Journal of Physics, 69(9), 970–977. https://doi.org/10.1119/1.1374249

[2] Karpicke, J. D., & Blunt, J. R. (2011). Retrieval Practice Produces More Learning than Elaborative Studying with Concept Mapping. Science, 331(6018), 772–775 https://doi.org/10.1126/science.1199327

[3] Karpicke, J. D., & Roediger, H. L. (2008). The Critical Importance of Retrieval for Learning. Science, 319(5865), 966–968. https://doi.org/10.1126/science.1152408

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