A quoi reconnait-on qu’une initiative « privée » est en passe de réussir là où les initiatives publiques comparables échouent ?
Quand les gardiens du temple public s’en préoccupent, au point de la torpiller… ou de la récupérer !
Ainsi va la vie des diplômes, titres et autres labels. La puissance publique jouit d’un monopole de fait de la capacité règlementaire, et c’est très bien ainsi. Elle décide, via des lois, des décrets ou des circulaires, de la création de diplômes, de la reconnaissance de titres ou de labélisation de formations. Elle pilote directement ou indirectement les organismes et instances (Rectorats, CNCP, AERES, CTI, etc.) qui évaluent, sanctionnent,
gratifient les acteurs de la formation supérieure.
Par choix ou par défaut, des établissements d’enseignement supérieur, soucieux de la visibilité de leurs diplômes ou titres et de la pérennité de leur institution, réfléchissent à la meilleure façon d’exister dans un univers très réglementé et à tendance monopolistique.
Ainsi, il y a bien longtemps, la Conférence des Grandes Ecoles créa un label « Mastère spécialisé » afin de calibrer et promouvoir une offre spécifique, produite par des grandes écoles pour la plupart publiques (faut-il rappeler que l’essentiel des grandes écoles d’ingénieur sont gérées par les Ministères de l’Enseignement supérieur, de la Défense ou des Transports et que la plupart des grandes écoles de management sont des établissements publics consulaires ?). Ce label, d’abord ignoré et raillé par le monde universitaire, finit par se faire une place au soleil. A tel point que l’Etat décida, à l’occasion de la réforme LMD, d’en « nationaliser » le
terme, éliminant au passage le « e » final, jugé sans doute trop franchouillard. Le Master passa ainsi en quelques années de sous-diplôme vaguement anglo-saxon promu par des écoles suspectes (parce qu’en dehors du système universitaire) à clé de voûte du nouveau schéma de l’enseignement supérieur, remisant au rayon des antiquités les DESS et DEA qui n’avaient pourtant pas (tous) démérité.
Rebelote visiblement avec le Bachelor, que Gilles Raby, président du comité de suivi de la licence vient de fustiger dans une récente interview à l’AEF. « Label « bachelor », un nom ambigu, qui risque de tromper les
étudiants » titre le fil d’information. Bigre…
Visiblement peu au fait de ce qui se passe pour les écoles non universitaires, il n’hésite pas à déclarer que « si on ne peut empêcher la création de nouveaux labels [avec des regrets dans la voix, à coup sûr…], il faudrait au moins les réguler par le biais d’évaluations. Les écoles privées sont libres de créer le label qu’elles veulent mais il ne faut pas tromper les étudiants. C’est pourquoi on pourrait imaginer un système où ces formations devraient répondre à une charte qualité. L’évaluation pourrait être menée, par exemple, par l’Aeres. » Mr Raby semble ignorer que par exemple, le réseau consulaire des EGC (écoles de gestion et de commerce, bac +3), qui affiche le
label « bachelor professionnel » (créé par l’ACFCI), est évalué notamment par l’AERES et la CNCP. Il semble aussi ignorer que l’articulation « licence-master » qui semble être devenue l’alpha et l’oméga de l’enseignement sup français a été inventé… dans ces écoles aujourd’hui stigmatisées. Quand les ESC lancèrent leurs bac+3 à la fin des années 80, elles trouvèrent les prédécesseurs de Mr Raby pour leur dire à l’époque « le 1er vrai diplôme du
supérieur c’est le BTS, le DUT ou le DEUG ».
Bref, la stigmatisation ne fait pas avancer grand-chose et il serait souhaitable que dans le domaine de l’enseignement sup (comme dans d’autres), on prenne la peine de regarder de près ce qui marche et ce qui ne marche pas, et pourquoi. Une formation n’est pas bonne ou mauvaise selon qu’elle ait été conçue dans un ministère ou sur le terrain. Dans les écoles privées comme dans les Universités, il y a de bonnes et de mauvaises formations, et il y a même parfois des Universités et des écoles privées qui co-pilotent des dispositifs
efficaces (un truc de dingue).
Les propos très menaçants de Mr Raby sont regrettables aussi à la lumière de ce que l’histoire récente nous enseigne. Si le Bachelor finit par s’imposer comme un vocable qui désigne clairement une formation homogène,
de 6 semestres, comptant 180 crédits ECTS, incluant un volet international et ayant la double vocation de préparer à l’insertion professionnelle ou de permettre la poursuite d’études, il y a fort à parier que les successeurs de Mr Raby s’approprieront le terme « bachelor » en justifiant leur OPA par … la clarification des formations au niveau européen !