La lecture de différentes prises de positions récentes sur la direction générale des business schools m’amène à regarder de plus près « de quoi sont faits nos directeurs de grandes écoles de management » et « à quoi ils ressembleront demain ».
Le think tank américain Korn Ferry Institute a récemment publié une étude portant sur le profil des futurs dirigeants de business schools (… américaines : quand une étude US ne précise pas son champ, cela veut dire qu’elle parle du monde… compris entre le Rio Grande et les Grands Lacs !) (http://www.kornferryinstitute.com).
Il ressort schématiquement de cette note de 12 pages que les futurs deans devront « avoir la carrure et l’expertise organisationnelle de PDG d’entreprises plus que des compétences académiques étroites » et disposer de « soft skills » tels que « compétences stratégiques, expérience du management d’entreprise, capacité à l’innovation, savoir-faire avéré dans la relation aux autres. », alors que les profils recherchés jusque-là étaient plutôt « très solides en économie ou en finance » et avaient « des mandats plus cadrés ».
Raisons de ce changement ? Les nouveaux enjeux auxquels font face les business schools, de plus en plus proches de ceux des entreprises : pression économique, concurrence, internationalisation, gestion pointues des ressources, clients (étudiants) de plus en plus exigeants, etc.
Même constat de ce côté-ci de l’Atlantique fait par Vincent Edin, journaliste, et Said Hammouche, fondateur de l’association Mozaïk RH dans leur ouvrage « Chronique de la discrimination ordinaire » qui vient de paraître : « L’université fait face à une concurrence sans précédent. (…) La loi sur l’autonomie des universités qui instaure une hiérarchie encore plus nette entre elles [les oblige] à augmenter leurs ressources propres via des fondations, des mécènes ou des dons d’anciens élèves sur le modèle anglo-saxon (…). ».
Et pas question d’avoir des réponses sectorielles ou académiques : « The problems of the future are so difficult and so complex, the idea that they can be creatively and wisely solved within silos is so wrong » nous alertent les auteurs du rapport de Korn-Ferry.
En revanche, ils soulignent aussi les spécificités du métier de « patron de business school » : « Peu de PDG doivent jongler avec le concept de ‘corps professoral permanent’, se satisfaire d’une autorité très diffuse ou encore gérer les desiderata de leurs donateurs… ».
De son côté, Della Bradschaw, la gourelle des business schools européennes (qui a la haute main sur les redoutés classements du Financial Times) dénonce dans un récent éditorial (décembre 2011) du FT les modes de recrutement et de gouvernance en cours dans les business schools et « l’étendue des différents systèmes inappropriés de gouvernance sous lesquels elles opèrent. Et, en particulier, combien les modes de désignation de leurs grands patrons diffèrent du ‘monde réel’ ». Rien que ça.
Elle remarque, non sans perfidie, que « cinq des six premières écoles européennes dans le palmarès du ‘FT’ opèrent en dehors des systèmes universitaires de gouvernance. Après tout, les professeurs savent-ils vraiment ce qui est le mieux pour leur institution ? ». Car pour schématiser, dans le système universitaire classique, le Directeur est plutôt choisi par ses pairs pour être le « primus inter pares ».
Le système français est bien sûr particulier, avec le poids, inédit ailleurs, des Chambre de Commerce dans la gouvernance des ESC.
L’analyse des CV des actuels dirigeants de 10 des meilleurs business schools françaises (HEC, ESSEC, ESCP-E, EM Lyon, Audencia, EDHEC, Grenoble, Euromed, Toulouse et Rouen) montre toutefois un paysage très contrasté. 3 sur 10 seulement sont titulaires d’un Doctorat en Gestion ou en Economie mais 7 sur 10 ont goûté aux (très) grandes écoles (X, Centrale, Normale Sup, HEC, etc.) et 3 « atypiques » ne sont passés ni par la case « doctorat » ni par la case « très grande école » (et bizarrement, ils dirigent les 3 écoles qui ont fait réellement bouger les lignes sur les 15 dernières années… mais ce n’est qu’un jugement personnel). Les « pure players » de l’enseignement supérieur ne sont que 4 sur 10, alors que 6 d’entre eux affichent une expérience significative antérieure à leur entrée dans ce secteur. Bref, pas de profil type.
Il est en revanche intéressant de constater, comme le fait un peu Della Bradschaw, qu’il s’opère actuellement une sorte d’évolution croisée entre les modèles « universitaires » et les modèles « ESC » : là où les gouvernances de ces dernières ont tendance à lorgner vers des profils universitaires, les universités valorisent progressivement les profils « managériaux ». Un peu comme si chacun trouvait des vertus au système mis en place par « le camp d’en face ». S’il est vrai que dans les ESC, le poids grandissant des enseignants (souligné par Michel Kalika dans un de ses récents posts sur Educpros) plaide pour la valorisation des profils académiques, l’autonomie croissante des Universités voulue par la loi LRU rend indispensable le recours à des dirigeants plus habitués aux joutes du « business ».
Verra-t-on bientôt des annonces du type « échange un Doyen contre un Directeur » (et réciproquement) ? Probablement pas. Mais compte tenu des rapprochements en cours / prévus / rêvés (rayez les mentions inutiles) entre institutions publiques, privées ou consulaires, il y a fort à parier que ces nouvelles entités hybrides seront demain pilotées par un-e patron-ne tout aussi hybride, capable d’intégrer les enjeux de la recherche et de l’enseignement, au service d’un « business model » pertinent et d’un management efficace. Reste à savoir si ces curieux animaux existent en quantité suffisante… ou si des « executive MBA for future deans of business schools » ne devront pas être lancés pour palier à la pénurie annoncée !
Sur ce même sujet, lire le dossier Educpros « Qui sont les directeurs des écoles de commerce » ici : http://www.educpros.fr/detail-article/h/384d2591c8/a/qui-sont-les-directeurs-des-grandes-ecoles-de-commerce.html
Et particulièrement : « Académiques, classiques, business : les trois profils types des directeurs d’ESC » http://bit.ly/jEtj6m