Depuis deux jours les réseaux Twitter et Facebook ne parlaient (presque) que de ça : Euromed Marseille et Bordeaux Ecole de Management allaient fusionner. Hier soir, le C.A. d’Euromed a entériné le projet et dans la foulée les dirigeants de Marseille ont fait un amphi pour annoncer ça à leurs troupes.
Le débat est donc relancé quant à la pertinence de ce genre de stratégie.
Cela ressemble parfois à de la géopolitique : après la fusion de « politique régionale » de Tours et de Poitiers pour donner naissance à ESCEM, après les fusions « Paris contre le reste du monde » au sein de la CCI de Paris (ESCP avec EAP, HEC avec CPA, Negocia avec Advancia), après la fusion de « nord-sud » entre CERAM et ESC Lille pour créer SKEMA, nous voilà avec une fusion « est-ouest ».
Cela ressemble aussi parfois à des tactiques personnelles : nul n’ignore le rôle joué par une certaine directrice générale de CCI, sœur d’un certain Premier Ministre régional de l’étape, dans la création de l’ESCEM ; chacun peut imaginer les intrigues de couloir et autres croques-en-jambes qu’ont supposées les fusions au sein de la CCIP ; il est de notoriété publique que dans « l’invention » de SKEMA, la Directrice d’alors du CERAM a joué un rôle moteur… peut-être en réaction au rapprochement engagé à l’époque entre CERAM et ESC Marseille qui aurait menacé son leadership personnel ; enfin les ambitions personnelles de Bernard Belletante ne sont probablement pas étrangères à sa politique volontariste de recherche de partenariats nouveaux (avant hier avec le CERAM, hier avec Toulouse, aujourd’hui avec Bordeaux).
Mais l’ambition, aussi personnelle soit-elle, n’est pas un défaut en soi, si elle est le moteur d’analyses pertinentes et de décisions efficaces.
Des exemples récents de méga-fusions industrielles ont certes montré que parfois, les dirigeants s’étaient plus souciés de leur propre situation post-fusion que de la création de valeur pour l’actionnaire, notamment dans les cas Mercedes-Chrysler, Vivendi-Universal ou Alcatel-Lucent.
Concernant les business schools, la pertinence de la stratégie de fusion reste à démontrer. Si on met de côté les cas atypiques de l’ESCEM et des fusions parisiennes déjà décrites, il reste un cas emblématique à analyser, celui de SKEMA.
La plupart des experts du secteur conviennent que la logique d’économies d’échelle, souvent mise en avant dans les fusions industrielles, n’est que marginale dans le domaine des business schools, du point de vue de l’impact financier réel. Deux campus, cela signifie deux sites sur lesquels il faut offrir des services de proximité aux étudiants, organiser des cours, entretenir le patrimoine, investir dans du matériel, etc. Certes, certaines économies peuvent être réalisées sur les fonctions support, mais avec un impact très circonscrit, d’autant qu’elles sont partiellement « compensées négativement » par les coûts liés à l’animation et le management de deux sites.
En revanche, la puissance générée par le nouvel ensemble peut déboucher sur de nouvelles opportunités : plus de moyens en communication (mais avec un sur-investissement les deux ou trois premières années pour installer la nouvelle marque), plus de puissance à l’international (offre élargie), plus d’impact sur le marché domestique, accès facilité à des enseignants-chercheurs de niveau mondial, amélioration mécanique des rankings scientifiques (plutôt basés sur la production totale que la production relative), meilleure capacité de mobilisation des énergies et des moyens (fundraising par ex) autour de projets internationaux ambitieux, diversification de l’offre pédagogique (mais qui passe par une « spécialisation » des campus).
Mais pour optimiser ces facteurs potentiellement positifs, encore faut-il qu’à la manœuvre, il y ait des élus et des dirigeants clairvoyants. Ce qui pose notamment la question de la gouvernance de ces nouveaux ensembles. Combien de CCI accepteront, comme l’a fait celle de Nice, de se défaire entièrement d’un des piliers historiques de leur action régionale ? Combien de Directeurs en place, seuls maîtres à bord, accepteront-ils de voir leur job déclassé, pour devenir des patrons de site ou des conseillers spéciaux d’un ancien confrère ?
Dans le cas d’espèce (Marseille-Bordeaux), les deux DG en place, Bernard Belletante et Philip McLaughlin sont de « vieux » grognards du système, à qui « on ne la raconte pas ». Deux personnalités fortes, au parcours brillant, aux idées claires sur la pédagogie et le pilotage de ces grandes écoles. Ils ont chacun vécu en position de numéro deux dans un passé récent, n’en ont pas forcément gardé un très bon souvenir, et ne se voient probablement pas revêtir de nouveau les habits de « Prince consort ». A moins que l’un des deux ait déjà en tête un prochain point de chute ?
L’avenir dira si cette fusion sera effective (n’oublions pas par exemple qu’il y a encore quelques mois Toulouse et Marseille diffusaient un communiqué commun sur leurs ambitions conjointes, et que dans un passé plus ancien, les fusions Marseille-Ceram ou Rennes-Brest furent avortées après avoir été commentées) et si elle sera « créatrice de valeur » pour les stakeholders (réseau des diplômés, élèves, enseignants, personnels, collectivités et entreprises partenaires, etc.). Mais ce que l’avenir ne dira pas, c’est la pertinence des pistes alternatives aux fusions entre pairs (ESC moyennes avec ESC moyennes, petites ESC avec petites ESC), que peu d’écoles envisagent visiblement.
Alors que le Gouvernement, via notamment la création des PRES et les projets IDEX, parie sur les logiques de sites aux compétences élargies, ces fusions valorisent les logiques de réseaux consanguins. Or, les ESC de Marseille, de Bordeaux ou de Toulouse, sont installées dans des villes attractives, en développement, dotées d’une certaine notoriété à l’international, et accueillant des Universités ou des Ecoles d’Ingénieurs de premier plan dans leurs domaines respectifs. N’y aurait-il pas là matière à inventer de nouveaux périmètres, de nouveaux projets collaboratifs, débouchant sur de nouvelles pédagogies et de nouveaux profils de diplômés ?
[…] Quelques réactions sur le sujet: Fusion Euromed + BEM : Marseille, Bordeaux, 2 ports, une école, combien de Directeurs ? […]
Article intéressant sur cette fusion qui fait beaucoup parler d’elle. je me permettrai cependant de répondre à votre ouverture : « N’y aurait-il pas là matière à inventer de nouveaux périmètres, de nouveaux projets collaboratifs, débouchant sur de nouvelles pédagogies et de nouveaux profils de diplômés ? »
BEM a déjà conclu avec de nombreuses écoles présentes sur le campus de Talence (à Bordeaux et un des plus vastes d’Europe) des partenariats variés et permettant aux élèves de BEM et des autres écoles d’enrichir mutuellement leurs profils.
Ainsi le Master Vin et Spiritueux s’effectue en partenariat avec la faculté d’œnologie de Bordeaux, un partenariat a également vu le jour avec les écoles de Chimie et des Arts et Métiers…de nombreux professeurs intervenant sont par ailleurs titulaires dans d’autres écoles (Science Po, Langues O,…) aussi je pense que concernant « Les nouveaux profils des diplômés et les nouvelles pédagogies », BEM à déjà ouvert la voie.
Merci !
Article très intéressant, qui a pour intérêt de mettre en avant des dimensions souvent passées sous silence (politiques, pouvoir, interpersonnelles, etc.) dans les fusions de ces établissements, généralement commentées par des acteurs du secteur qui restent peu diserts…
Je ne suis pas totalement d’accord, cependant, avec la fin de l’article, qui laisse penser qu’il n’y a que des mouvements consanguins (dont je suis loin de penser uniquement du bien, à titre personnel…). Audencia a développé des partenariats avec Centrales Nantes et un école de design, l’EM-Lyon est également en partenariat avec Centrale Lyon, et d’autres exemples de ce type pourraient venir compléter ceux-ci. Il y a une certaine volonté d’ouverture de la part de ces écoles, qui ont compris qu’outre les éco d’échelle – très théoriques, par ailleurs, comme c’est expliqué très justement ici pour tout un ensemble de raisons – une autre façon de se développer était de toucher une autre clientèle potentiellement intéressée par des études en management qui seraient complémentaires de leur cursus initial. Cela permet de les toucher dès la formation initiale (ce qui, au passage, soulève des interrogations quant à la formation continue future, mais c’est un autre débat), en ayant une stratégie à la Nintendo fort intéressante (on s’intéresse à ceux qui ne font pas de management, tout simplement, tout comme Nintendo s’est intéressé aux non-joueurs pour développer ses nouvelles interfaces). La combinaison des deux stratégies est-elle possible ? Je le pense. Mais elle est coûteuse – en temps, en énergie, en coordination, en communication, en image (potentiellement), etc.
Quid, surtout, de cette vision essentiellement nationale de ces rapprochements ? Certes, la quasi-totalité des établissements ont noué des partenariats (plus ou moins avancés) avec des institutions étrangères, mais il reste encore, ce me semble, à voir se développer de véritables fusions transnationales. A ce jeu, les Américains paraissent avoir (comme souvent), un train d’avance. La vision protectionniste qui se développe chez nos dirigeants va-t-elle également se diffuser dans les établissements d’enseignement supérieur, ou au contraire pourrait-elle être contrebalancée par lesdits établissements ? La forte appétence des étudiants pour l’international peut laisser penser que la second pourrait être privilégiée – à moins que la stratégie ne reste centrée que sur de simples partenariats… Bref, vaste sujet, et merci pour votre billet très intéressant et pertinent ! 🙂
@anne-sophie : merci pour votre commentaire ; je pense qu’il faut distinguer « partenariats pédagogiques » et « nouvelles pédagogies », d’autant que les exemples que vous donnez concernent des MS, là où je parle plutôt, même si ce n’est pas explicite, des programmes grande école ; la plupart des ESC ont des collaborations du type de celles que vous citez : mais ce sont des fenêtres ouvertes durant la scolarité, plutôt que de vraies formations à double ou triple compétence (je parle tjs des PGE) ; et au-delà des aspects pédagogiques, mon propos portait sur la question des alliances stratégiques.
@ loïc : merci pour votre contribution éclairée et d’accord globalement avec vous ; après coup, je me suis dit que j’aurais dû parler en effet de Lyon avec EM+EC : illustration très intéressante des pistes qui me semblent trop peu explorées ; la strat régionale et pluridisciplinaire d’Audencia est également à suivre de près : elle ressemble furieusement à des choses que j’ai poussées dans une ancienne vie… Le bémol restant la stratégie de l’ICN qui est allé dans cette direction et y a perdu son positionnement (mais peut-être pour d’autres raisons).
il faut aussi suivre la politique de groupes privés comme IONIS ou VOCATIS qui se développent à la fois sur le marché des business schools et celui des formations web, design, comm, etc.
concernant les projets transnationaux, je les évoque dans un post précédent, mais cela reste coûteux à mettre en oeuvre et demande une vision à long terme (et des financements) ; mais je ne vois pas en quoi sur ce sujet-là les US sont en avance ? éclairez moi.
Il me semble qu’il manque deux points dans ce debat:
-la comparaison avec les efforts de developpement organique avec ouvertures de campus specialises a l’etranger (pas les simples transferts de classes avec leurs profs)
-l’exemple de Oxford Brookes et Dijon qui parait quand meme plus interessant qu’une fusion de pairs nationale
@Miao : merci pour votre commentaire
1) pour votre 1er point, c’est un peu ce dont je parle avec les exemples de INSEAD et ESSEC à Singapour dans mon post sur l’internationalisation des ESC, mais c’est à développer en effet, et surtout à analyser avec un peu plus de recul pour voir si ces projets prennent corps sur les lieux d’implantation (même remarque pour les campus d’Euromed à Marrakech ou de l’ESC Toulouse à Casablanca par ex.) ;
2) concernant le partenariat O.B.U. / Dijon, c’est en effet intéressant, un peu « OVNI », mais il est difficile de bien comprendre les contours de cet accord ; je connais O.B.U. pour avoir géré pendant 3 ans un double diplôme avec eux : ils semblaient à l’époque plus « business oriented » avec en tête des objectifs de rentabilité(le partenariat étant d’ailleurs gagnant-gagnant avec mon établissement); peut-être veulent-ils auj sincèrement s’inscrire dans un projet à long terme, mais j’avoue que je reste un peu interrogatif.
Article très intéressant !