Recherche et Business Schools : si proches… si éloignées…

Le débat fait rage depuis quelques mois sur l’efficacité et l’utilité des fusions au sein des business schools. Un accord général se dégage pour dire que s’il est un domaine où ces rapprochements ont un sens, c’est dans le domaine de la recherche.


Les classements et les évaluateurs divers privilégiant le volume de publications de l’institution plutôt que le rendement de ses chercheurs, un corps professoral nombreux et publiant est mécaniquement un avantage concurrentiel pour une ESC. Par ailleurs, un des facteurs-clé de succès de la production de recherche au sein d’un établissement est sans conteste la dynamique des équipes de recherche, et cette dynamique est en partie conditionnée par le nombre de chercheurs actifs dans chaque groupe de recherche. Mais la recherche est souvent la mal aimée, ou la « mal connue » des business schools.

Nouvelles Exigences des entreprises et pour la société civile


En 2008, l’AACSB a publié un rapport analysant la situation de la recherche dans les business schools et brossant des pistes de progrès. Ce rapport préconise notamment un rapprochement dans ce domaine avec les entreprises. Il rappelle que les besoins des entreprises évoluent, mais aussi les attentes de la société envers les entreprises et les chefs d’entreprise. Les entreprises, les gouvernements et la société dans son ensemble doivent faire face à une complexité croissante des enjeux auxquels ils sont confrontés, d’où le besoin croissant d’une meilleure recherche. Jordi Canals, le doyen de l’IESE, déclarait ainsi dans le Financial Times en octobre 2010 : « Les écoles de commerce devraient non seulement saisir ces opportunités, mais surtout piloter le changement et promouvoir les progrès sociaux, entrepreneuriaux et individuels. »
Selon Dan Le Clair, Senior VP de l’AACSB, « les Deans subissent plus de pression que jamais pour justifier ce qu’ils font. Les principaux donateurs se posent des questions difficiles telles que «vous disposez de tous ces professeurs dont vous êtes très fiers, mais pouvez-vous me dire en quoi et comment cette recherche a fait une différence? »
C’est aussi ce que dit, en termes plus crus, Freek Vermeulen, Associate Professor à la LSE dans une interview au Financial Times de janvier 2011 : « Il y a un grand fossé dans les business schools entre la recherche et l’enseignement. Ce qui est enseigné dans les manuels de gestion et les salles de classe n’est généralement pas fondé sur des recherches rigoureuses et vice-versa; la recherche publiée dans de prestigieuses revues académiques trouve rarement sa place dans la salle de classe MBA ».
En réponse à cette interrogation potentielle, le rapport de l’AACSB reconnait que le lien entre la recherche en sciences de gestion, la performance organisationnelle et les avantages sociétaux n’a été ni pleinement exploré ni clairement articulé, et comme conséquence, ne peut être pleinement apprécié.
La fin d’un business model ?


Comment trouver les professeurs nécessaires par les centres de recherche et les B-Schools ? La demande pour l’enseignement à la gestion croît plus vite que l’offre en chercheurs en management. Même si, du coup, les salaires grimpent sur le « job market » du jeune docteur en gestion ou en économie, la filière est encore trop méconnue ou réputée trop ardue pour attirer massivement les futurs docteurs demandés par le marché. D’où le développement de formations hybrides, les DBA (Doctorate in Business Administration), orientées recherche mais moins exigeantes qu’un parcours doctoral classique (et ne délivrant pas de doctorat officiel) et destinées à des professionnels souhaitant s’orienter vers l’enseignement et la recherche. En France, Grenoble Ecole de Management et Toulouse Business School proposent par exemple ce type de formation.

Autre questionnement quant au « business model » de la recherche en business school : est-il tenable de faire financer la recherche par les frais de scolarité des élèves ? Comme me le disait récemment le DG d’une des 10 meilleures ESC françaises, il devient parfois compliqué d’expliquer aux parents qu’il y a 10 ou 15 ans, sur 100 € de frais payés par les familles, 80 ou 90 allaient au « teaching » , alors qu’aujourd’hui c’est plutôt 40 ou 50. « Moins de 5% de mes chercheurs financent leur recherche via des contrats » avouait-il. Compte tenu du désengagement effectif ou annoncé des CCI dans le financement de leurs ESC et de la faiblesse relative des sommes collectées via les Fondations (mis à part 2 ou 3 écoles), il faudra continuer à « rogner » sur les moyens dédiés à l’enseignement ou développer de nouvelles sources de financement.

Autre critique fréquemment adressée à la recherche issue des business schools : sa trop grande segmentation. Comme l’écrivent Mie Augier et James G. March dans « The Roots, Rituals and Rhetorics of Change, North American Business Schools After the Second World War (Stanford University Press), « Il y a un conflit entre rigueur académique et multidisciplinarité. La nécessaire rigueur pousse les chercheurs à se spécialiser dans une discipline. En conséquence, les B-Schools sont organisées en silos, avec tout un tas de personnes très pointues dans leur propre domaine mais qui savent peu de choses de ce qui se passe dans d’autres. »
Améliorer le pilotage de la recherche et la communication

Une des pistes de progrès évoquée par les experts est de mieux communiquer sur la recherche faite dans les B-Schools, afin de prouver qu’elle n’est pas si déconnectée qu’on veut bien le dire. « Les B-Schools seraient considérées comme plus pertinentes si elles avaient fait une meilleure promotion de leurs travaux de recherches » déclare ainsi le Professeur Anil Gupta (IIM Ahmedabad) dans le FT. D’ailleurs le rapport de l’AACSB « Impact of Research » recommande d’ «exiger des B-Schools qu’elles démontrent l’impact des contributions intellectuelles du corps professoral sur les publics ciblés ». Il conviendrait par exemple de multiplier les « traductions » d’articles de revues académiques pour en faire des articles plus « grand public », compréhensibles et appropriables par les managers.

Ces progrès passent aussi, bien sûr, par le développement des coopérations réelles entre entreprises et B-Schools, via des programmes de recherche financés par les entreprises et un plus grand nombre de cadres dirigeants au sein des conseils d’administration des B-Schools par exemple.
Il faudrait également davantage de projets de « recherche-action », mêlant chercheurs et entreprises, afin qu’ils explorent conjointement des problématiques plus transversales, à l’image du Creapolis, « parc de l’innovation », d’ESADE (Barcelone) : des entreprises et des enseignants-chercheurs travaillent ensemble sur des projets « action recherche », censés favoriser le travail d’équipe dans le domaine de la recherche appliquée. C’est aussi ce que tente de faire le « Erasmus Research Institute of Management » de Rotterdam : il encourage la pertinence « entrepreneuriale » de la recherche en introduisant un système « double impact » qui mesure à la fois l’influence académique des recherches (par le biais des articles de revues et citations) et la pertinence managériale (en mesurant les demandes de conseil et d’expertise, la participation à des conseils d’orientation, etc.).

Favoriser l’approche pluridisciplinaire

Dernier type de pistes envisagé pour rapprocher « recherche » et « vraie vie » : la pluridisciplinarité. La Columbia BS de NYC a ainsi mis en place un bonus (pouvant aller jusqu’à 40.000 USD) pour récompenser les chercheurs à s’associer avec des collègues d’autres départements afin d’offrir des formations au business et au management plus adaptées. Mais comme le dit Della Bradshaw dans un éditorial du FT d’ocotbre 2010 : « Inciter des enseignants-chercheurs à mener des recherches ou des cours « transversaux » est aussi difficile que le légendaire « conduite de troupeaux de chats » . Le problème est particulièrement aigu dans les B-Schools américaines, où seules les publications de haute qualité peuvent garantir la ‘tenure’. »

D’où l’émergence de nouvelles organisations qui mixent autour de projets de recherche communs des chercheurs issus de disciplines différentes. Le précurseur fut l’Institute for Advanced Study (IAS) de Princeton en 1930. Aujourd’hui, la France s’y met aussi : on peut citer les récentes inaugurations du Collegium de Lyon (fin 2006), de l’Institut d’Etudes Avancées de Paris (début 2011) ou l’IAS de Toulouse (été 2011). L’objectif de ces laboratoires pluridisciplinaires : rassembler des chercheurs de différentes nationalités, formés dans les différentes sciences sociales, afin de faciliter la fertilisation croisée et déverrouiller de nouvelles idées pour relever les défis du 21e siècle.

Car comme l’écrivait Durkheim : « la science ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne permettait pas au bout du compte d’améliorer le fonctionnement de nos sociétés ».

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This entry was posted on lundi, mars 19th, 2012 at 8:57 and is filed under Recherche scientifique, stratégie des b.s.. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

4 Responses to “Recherche et Business Schools : si proches… si éloignées…”

  1. ma-vie-de-doctorant-aux-usa Says:

    Je partage ce point de vue très détaillé et parfaitement illustré. Quelques éléments que je me permets d’ajouter :

    – Le « job market » s’est extrêmement tendus ces 3 dernières années, dans la plupart des disciplines en sciences de gestion, excepté la comptabilité et la finance. De nombreux doctorants américains postulent désormais en Europe, alors que la qualité des formations doctorales européennes ne sont pas forcément reconnues à leur juste valeur aux Etats Unis. Les doctorants avec un profil recherche ont plus de difficultés à se placer, à moins qu’ils soient prêts à rejoindre des écoles émergentes en Asie ou au Moyen Orient. La raison principale étant la baisse des moyens des universités américaines qui ont considérablement ralenti leur recrutement de professeurs assistants. Résultat : les post docs se multiplient dans un champ où ils n’existaient pas jusque la.

    – Les projets d’action recherche ont été autrefois très à la mode, ils le sont de moins en moins pour une raison essentielle : ces projets amènent rarement à des publications de haut niveau, la rigueur scientifique d’une telle méthodologie étant mise en doute (en particulier dans les revues anglo saxonnes).

    – Il existe un certain nombre de revues managériales (Harvard Business Review, Sloan Management Review, California Management Review) qui sont désormais reconnues par les classements au même titre que les revues de recherche proprement dites (les classements du FT par exempleà. C’est une très forte incitation pour les écoles et leurs chercheurs…

  2. joel-echevarria Says:

    Commentaires qui éclairent très bien le sujet. Très utile.

  3. universite Says:

    Ce phénomène de regroupe se voit aussi dans les universités qui se regroupent un peu partout en France. Finalement, c’est pas plus mal!

  4. juan Says:

    Les DBA sont assez mal vus des entreprises car ils sont vus comme des cadres perdus dans leurs théories et peut enclin à faire des affaires et gagner de l’argent pour le groupe. Un CEO privilégiera donc un cadre formé en interne qui a les dents longues. Ce n’est pas un bonne nouvelle pour les DBA qui sont relégués à des penseurs, vagues et peu ambitieux dans l’économie privée. Les écoles de DBA devraient changer radicalement leur approche et créée un partenariat EMPLOYEUR – DBA et faire en sorte que l’employeur développe les DBA au sein du groupe. Ce n’est pas au doctorant de le faire, c’est à l’Ecole doctorale de tisser des liens ( juridiques ou nons) et de s’engager continuellement. En cas de rupture de contrat de travail, le candidat peut exiger de connaître la raison et l’Ecole doctorale également. Le candidat est mieux protégé dès lors, des abus de l’employeur.

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