Coup de théâtre en Béarn… ou comment Bordeaux s’intéresse-t-elle à son arrière-pays…

Ceux qui croyaient l’ESC Pau embarquée dans un mariage à cinq dans le projet « France Business School » en sont pour leur frais. L’alliance entre égaux interrégionaux est remplacée par une alliance entre inégaux, mais régionale. Il est vrai qu’au pays du rugby, on sait faire une équipe avec des petits et des gros, des malins et des bourrus, des joueurs de piano et des déménageurs de pianos.

Cela finit par ressembler à une vente aux enchères publiques. Une fusion à deux à droite (Reims et Rouen). Une fusion à trois à ma gauche (Euromed, BEM et Pau). Une fusion à quatre là-bas (Escem, Amiens, Brest et Clermont). Qui dit mieux ? Personne ? Une fois, deux fois, trois fois…

Non, bien sûr, nos élus consulaires et nos DG d’ESC sont des gens trop sérieux pour se prêter à de telles chamailleries. Mais à y regarder de plus près, il y a, dans les différents communiqués et interviewes qui accompagnent ces projets, au moins autant de langue de bois que de vision stratégique. Concentrons-nous pour aujourd’hui sur le rapprochement Pau-Bordeaux-Marseille.

En janvier dernier, le DG de l’ESC PAU (aujourd’hui en arrêt maladie) soutenait le projet France Business School (FBS : regroupement des ESC Tours-Poitiers, Amiens, Brest, Pau et Clermont-Ferrand) et balayait d’un revers de main la rumeur d’un projet « Euromed+BEM+Pau » : « Cela fait partie du bluff ambiant et du jeu normal de concurrence que se livrent les écoles entre elles. Il faut afficher les biceps les plus gros possibles dès le départ. (…). Je ne crois pas possible que nous rejoignions cet arc du sud évoqué par le directeur d’Euromed et je ne sais pas d’ailleurs si cela ferait beaucoup de sens. Qu’apporterions-nous à ce projet ? Nous serions alors dans cet arc la plus petite école et la moins accréditée. »

Quelques mois plus tard, le Président de la CCI-Pau -Béarn devait déclarer, pour justifier son revirement spectaculaire à quelques jours du vote pro-FBS prévu par l’AG de la CCI de Pau : « Le projet FBS allait nous marginaliser au niveau régional. Je suis très attaché à mes racines, je ne le voulais pas. »

La « little big school » comme elle se définissait il n’y a pas si longtemps a donc fait le choix, dans la confusion, de monter au dernier moment dans l’attelage déjà étonnant Euromed – BEM. Nous avons déjà évoqué dans un post précédent ce dernier projet de fusion, impulsé par Bernard Belletante, le DG d’Euromed et décidé, en bord de Garonne, au moins autant dans les salons cossus de la très respectable CCI de Bordeaux que sur le campus de Talence (où se trouve l’école de commerce bordelaise).

Pourquoi cet intérêt soudain pour l’ESC Pau du côté de Bordeaux ? Jusque-là en effet, quand les élus consulaires bordelais regardaient vers le sud, ils ne voyaient pas grand-chose entre la Place de la Bourse et La Mongie ! Peut-être pour rééquilibrer un peu le mariage avec l’encombrant cousin provençal ? Car Euromed a un coup d’avance sur BEM en matière d’expertise en mécano pédago-consulaire. En ayant pris la main, en douceur et avec clairvoyance, sur les dispositifs de formation consulaire régionaux (mais en ayant raté de peu le CERAM, première cible d’envergure du duo Leonardi-Belletante), Euromed s’est doté d’une structure originale, multipolaire et efficace, est devenu de facto un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics régionaux et a acquis une certaine expertise en montages et négociations complexes. En se mariant d’abord avec Pau, Bordeaux se frotte donc aux doux plaisirs de l’exercice de rapprochement et rééquilibre en même temps la corbeille de la mariée. Car le timing est bien calé dans ce sens-là, comme on le comprend en lisant entre les lignes la déclaration de Philip McLaughlin (DG de BEM) à l’AEF : « C’est une pré-étape de la grande fusion entre BEM et Euromed. Ce projet a toute sa logique dans le cadre de la régionalisation, mais les deux choses sont bien distinctes : d’abord la fusion BEM-ESC Pau d’ici à fin 2012 ou début 2013, puis la fusion de cet ensemble avec Euromed Management. » Se muscler avant de retourner au combat…

Difficile en revanche de suivre le président de la CCI de Bordeaux lorsqu’il déclare que « le rapprochement de l’ESC Pau avec BEM présente une certaine symétrie avec celui qu’avait opéré Euromed entre les sites de Marseille et de Toulon ». Lors de son absorption, l’ESC Toulon était une école très spécialisée, plutôt orientée « formation post-bac+2 » et je ne me souviens pas qu’elle fut membre de la Conférence des Grandes Ecoles (mais peut-être me trompe-je…). La complémentarité était donc plus facile à trouver avec une vraie « grande école », d’autant qu’Euromed inscrivait ce rapprochement dans un mouvement plus vaste, visant à agréger autour de son « flag ship » marseillais des écoles bac+3 régionales (membre du réseau EGC notamment). Rien de tout cela, à notre avis, dans le cas de BEM. Le réseau des EGC compte un certain nombre de membres autour de Bordeaux (Agen, Bayonne, Angoulême, etc.) et la CCI de Bordeaux possède elle-même un centre de formation consulaire installé à Bordeaux-Lac. BEM a-t-il eu le projet de créer une véritable dynamique régionale comme l’a fait Euromed dans les 10 dernières années ? A priori non. Le projet BEM+Pau semble donc tomber comme un cheveu sur la garbure, sauf à considérer qu’il joue un rôle dans les fiançailles avec Marseille…

La régionalisation des CCI est sans doute aussi passée par là. Les CCI régionales, nouveau maillon fort du réseau consulaire (au détriment des CCI territoriales), doivent théoriquement prendre la main sur les réseaux de formation consulaires. Là où les logiques métropolitaines ou départementales prévalaient, place désormais aux raisonnements régionaux. Les régions qui disposent de plus d’une ESC consulaire doivent donc se poser la question de l’intégration. Même si le Directeur de Grenoble EM nous déclarait récemment qu’aucun projet de ce type n’est à l’ordre du jour en Rhône-Alpes (pourtant la plus forte concentration d’ESC après Paris), on peut penser que dans certaines CCI régionales, ces sujets sont bien d’actualité.

Le paradoxe en l’espèce étant que la CCI Aquitaine se préoccupe de ce sujet au moment où son navire amiral va passer sous pavillon phocéen…

Quant à la mécanique de la fusion BEM-Pau elle-même, la confusion règne visiblement, et le sujet est dans tous les cas fort délicat. Entre le DG par intérim de l’école paloise, Stephen Platt, qui déclare qu’ « une des conditions posées par les élus à la fusion entre l’ESC Pau et BEM, c’est que chaque entité garde son identité », Patrick de Stampa (Président de la CCI de Pau) qui indique que « le principe, c’est qu’il n’y ait qu’une seule école au final », son homologue bordelais qui affirme « nous ne voulons pas de différentiel de niveau entre les sites. Il y aura un concours commun pour l’accès au programme ‘grande école’ » et enfin le DG de BEM qui avertit « le futur groupe fusionné proposerait donc deux programmes ‘grande école’ différents », on comprend bien que les échanges ont jusque-là été plus nombreux entre élus consulaires qu’entre experts métier…

Bref, une décision probablement tactique plus que stratégique (ce qui ne veut pas dire moins bonne), prise sous la pression des circonstances (mais ce n’est pas forcément synonyme de mauvais choix), mais qui sera difficile à mettre en œuvre. Les fusions fonctionnement notamment lorsqu’il y a un vrai leadership et une vision partagée. Faire fonctionner un groupe tricéphale (Bordeaux, Pau, Marseille), issu de trois histoires distinctes et à la gouvernance forcément complexe ne sera pas chose facile et promet de sacrées prises de têtes pour ses promoteurs. D’où l’idée à ne pas écarter d’un autre rapprochement, avec l’EGC Agen, située à un jet de pierre du laboratoire fabriquant la célèbre Aspirine UPSA…

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This entry was posted on lundi, juin 11th, 2012 at 13:30 and is filed under gouvernance des b.s., stratégie des b.s.. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

3 Responses to “Coup de théâtre en Béarn… ou comment Bordeaux s’intéresse-t-elle à son arrière-pays…”

  1. LB Says:

    Je rejoins plutôt votre analyse, cependant « Le paradoxe en l’espèce étant que la CCI Aquitaine se préoccupe de ce sujet au moment où sont navire amiral va passer sous pavillon phocéen… » n’a pas forcement sa place.

    Concernant la direction de Pau, c’est plutôt une bonne chose qu’elle soit assez affaiblie pour éviter une guerre des chefs.

    Ne faut il pas attendre la conférence de presse annonçant officiellement les axes et les modalités de cette fusion avant de se prononcer ? (conférence qui a justement été reportée pour prendre en compte l’arrivée de Pau).

    Les importants investissements des CCI de Bordeaux (40 000 000€) et de Pau (20 000 000€) seront également à coup sûr une force pour cette fusion.

  2. joel-echevarria Says:

    je pense en effet (j’espère pour eux) que la conférence de presse apportera des clarifications. les investissements, s’ils sont confirmés, sont une bonne chose, sachant toutefois qu’a priori les CCI resteront propriétaires du foncier.
    merci pour ce commentaire.

  3. piano, play piano Says:

    piano, play piano…

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