A l’orée d’une belle et longue carrière au service de l’Etat, des CCI et des ESC, François Duvergé tente un dernier pari : fusionner 4 « petites » ESC françaises pour en faire un ensemble cohérent capable de concourir avec les meilleures business school hexagonales et européennes. Pour gagner ce dernier combat, il bénéficiera des enseignements tirés de sa dernière réussite (la fusion réussie entre les ESC Tours et Poitiers pour en faire l’ESCEM) et de son dernier échec (le projet mort-né de fusion des écoles de Rennes et de Brest, une sorte de Bretagne Business School qui n’aura pas résisté aux guerres entre bardes, druides et autres tailleurs de menhirs qui sévissaient encore, à l’époque, autour de Brocéliande).
Si le temps est aux fusions dans le monde des ESC françaises, nous avons eu l’occasion de souligner que la tactique l’emporte souvent sur la stratégie dans ces mouvements de rapprochement. Il est donc intéressant d’analyser le projet « du vieux sage » (il me pardonnera l’expression) qui ne s’embarrasse pas de langue de bois et qui a le mérite de réfléchir par lui-même, ce qui devient presque une vertu dans un univers plus prompt au mimétisme qu’à la différenciation.
François Duvergé, actuel Président du CA de l’ESCEM Tours-Poitiers et à ce titre principal porteur du projet « France Business School » (projet de fusion entre ESCEM et les ESC Amiens, Brest et Clermont), propose une analyse intéressante pour justifier son projet, notamment dans son volet pédagogique.
Il veut ni plus ni moins qu’inventer l’ESC 3.0, après la version 1.0 (celle des années 60-80, où les cours étaient assurés essentiellement par des praticiens avec un objectif pratico-pratique) et la version 2.0 (depuis les années 90 et l’avènement des accréditations, qui ont poussé les ESC vers la recherche et les profs docteurs et fait reculer la pratique au profit de la théorie dans les salles de cours).
Ce dernier modèle est selon lui dépassé sur un plan pédagogique et surtout intenable sur un plan économique. A trop vouloir singer l’université sans avoir de financements publics pour soutenir la recherche, F.Duvergé considère que les ESC courent à leur perte. Confrontées à des marges de manœuvre financières étroites (baisse du soutien des CCI, baisse de la collecte de la TA, élasticité prix très faible pour les écoles du milieu de tableau), les Ecoles doivent inventer un nouveau modèle économique qui passe, concernant le projet FBS, par « une nouvelle école multicampus, tournée vers ses territoires et vers le monde, vitrine du savoir-faire de notre pays, qui formera des entrepreneurs innovants et responsables. » Au-delà des effets de style propres à intéresser le journaliste ou le préparationnaire (et François Duvergé n’est pas le plus maladroit dans l’exercice…), il est intéressant de constater que le Président de l’ESCEM parle « formation » dans cette profession de foi, ce qui devient presque original dans un milieu où les dirigeants semblent parfois déconnectés de leur métier de base (je dis bien : « semblent »…).
Si le projet FBS peut mettre en avant « un effet de taille » grâce à l’addition des chiffres de chaque école (budget de 65 M€, 600 collaborateurs dont 170 enseignants-chercheurs, 7.000 étudiants, 30.000 anciens, 72 étoiles Aeres) qui la placera à une théorique 6ème place française, son promoteur est moins disert quant aux réels effets de la fusion. A l’occasion d’un récent échange dans le cadre d’une table ronde organisée par l’AEF, il nous a précisé que le principal effet porterait sur la marque : doter ce regroupement de 4 écoles d’une même marque permet d’une part de faire des économies d’échelle (hormis en phase de lancement) et d’autre part de mettre en œuvre une communication simple et puissante (d’autant que « France Business School » devrait être très compréhensible sur les marchés internationaux).
Si nous validons le raisonnement sur l’effet marque, difficile en revanche de ne pas penser que les économies faites sur le budget communication ne seront pas largement consommées par les coûts de régulation qu’un tel puzzle ne manquera pas de générer : 4 écoles, ce sont 4 équipes de direction, 5 CCI à satisfaire et 5 campus à superviser. Sans se transformer en « Ban Ki Moon » de l’enseignement sup, François Duvergé devra tout de même s’employer et mouiller la chemise pour piloter cet ensemble aux faux airs de Tour de Babel horizontale.
L’ambition de FBS est de parvenir rapidement à un budget de près de 100 M€, dont près d’un tiers via « FBS Executive », la future filiale dédiée à la formation des dirigeants. Ce qui en creux signifie que les ambitions de croissance endogène des campus existants sont modérées : environ 70 M€ hors executive education, à rapprocher des 55 à 60 M€ actuels (pour un budget consolidé de 65M€). Donc moins de 20% de croissance à périmètre constant, alors que la nouvelle marque devrait permettre d’avoir un meilleur impact sur les marchés internationaux (même s’il faudra convaincre les étudiants de Chongqing ou de Pondichéry que Clermont et Poitiers sont des métropoles qui comptent en Europe), ainsi que sur le marché domestique. Nous sommes, sur cet aspect-là au moins, peut-être plus optimistes que F.Duvergé.
Car à notre sens, cette fusion risque d’avoir un effet notable sur le marché national : en regroupant et en « boostant » des écoles de milieu de tableau et de bas de tableau, FBS va devenir LA roue de secours des étudiants qui visent les ESC du 2ème groupe (Audencia, Toulouse, Euromed, BEM, Grenoble, etc.), tout comme les écoles Ecricome sont devenues de facto LA roue de secours de ceux qui visent le 1er groupe. Les autres écoles de bas de tableau, déjà en difficulté face au tassement des effectifs de candidats et à l’augmentation des places offertes par les autres écoles, risquent de vivre un calvaire… à moins de rejoindre FBS. Mais si François Duvergé espère légitimement voir d’autres ESC rejoindre son projet, il devra veiller à ne pas devenir la voiture balai d’un « grupetto » incapable de franchir le dernier col.
Autre dimension intéressante du projet FBS : sa gouvernance. Là où les autres projets butent sur des querelles de chapelle consulaire ou de guerre des chefs, France Business School fait un pari original, qui pourrait se résumer ainsi : fini le « tout ego », vive le « tous égaux ». « « Nous avons voulu une co-construction, pas un système dans lequel les gros absorbent les petits » déclare ainsi le président de l’Escem en conférence de presse. FBS sera donc pilotée par une structure associative, bénéficiant du transfert de la part des CCI d’origine de la gestion des écoles, mais aussi des moyens matériels et financiers. » Là où d’autres CCI cogitent pour savoir comment elles pourront donner plus d’autonomie à leur école tout en gardant la main sur l’immobilier et le fonds de commerce, celles associées dans le projet FBS semblent faire le pari de la mise au pot commun des bijoux de famille, ce qui est une forme de gage sur leur volonté de réussir.
Bref, une mécanique originale au service d’un pari un peu fou, mais le « vieux briscard » François Duvergé connait bien le métier et ses acteurs, ce qui devrait le mener non loin du succès…
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Joel, merci pour cette analyse sur FBS.
Les lignes bougent dans l’enseignement sup et les écoles de management. Recherche de nouveaux modèles, équilibres pour + de valeur(S)pour l’individu, les organisations et la société… A bientot.
700 personne qui vont être licenciées si elles ne signent pas le contrat de travail FBS avant le 31 décembre 2012 : Le « vieux briscard » met en œuvre de belle méthode de management … N’oubliez pas ,si fin stratège, qu’aucune stratégie ne peut être mise en place si le personnel n’y adhère pas… et que les théories de l’implication ou de l’adhésion montre que cela ne se fait pas sous la menace ou dans la précarité, quel que soit la beauté et la pertinence du projet!!Le vieux sage devrait revoir ses cours de RH car aussi brillant soit-il en stratégie, il ne fera rien sans son personnel qu’il menace de virer si ce dernier refuse de passer du statut de droit public à droit privé!!!
Au fait, messieurs les maitres de la stratégie et du marketing : FBS en anglais c’est « Fucking Bored Sheet »… tout un programme !
ça commence à bouger enfin, bonne analyse sur FBS.