Enseignement sup : vers une reconnaissance d’un tiers secteur éducatif ?

La Loi Fioraso s’est enrichit d’un nouvel amendement, voté au Sénat et maintenu par la Commission mixte paritaire, qui vise à « reconnaître » des établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif « en tant qu’établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général ».

Niché au cœur de l’Article 42 de la Loi encore en discussion, le texte suivant pourrait constituer  une petite révolution dans le marais complexe des liens entre l’Etat et les établissements privés divers et variés :

« Art. L. 732-1. – Des établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif, concourant aux missions de service public de l’enseignement supérieur telles que définies par le chapitre III du titre II du livre Ier de la première partie, peuvent, à leur demande, être reconnus par l’État en tant qu’établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général, par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur, après avis du comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé. Ne peuvent obtenir la qualification d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général que les établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif créés par des associations ou des fondations reconnues d’utilité publique ou des syndicats professionnels au sens de l’article L. 2131-1 du code du travail. »

Jean-Philippe Ammeux, le Président de la FESIC (la fédération des écoles supérieures privées) se réjouit de la nouvelle dans une récente interview à l’AEF. Et pour cause. Le Saint Graal est désormais à portée : se retrouver légitimés et reconnus par l’Etat, à l’image de ce qui a été fait dans le secteur de la santé. La loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) portée par Roseline Bachelot en 2009, a en effet repensé la relation entre service public de la santé et structures privées, en créant le statut d’ESPIC (établissements de santé privés d’intérêt collectif), autrement dit des établissements gérés par des associations, des fondations, des congrégations ou des mutuelles qui participent au service public de santé.

Seule différence, et elle est de taille : dans le cas des ESPIC, la reconnaissance du rôle de « service public » permet à ces établissements d’être financés par l’Etat (via les Agences Régionales de Santé, ARS) selon les mêmes modalités que les hôpitaux publics, et avec les mêmes contraintes (service H24, égal accès à tous, etc.). 

Rien de cela bien sûr dans le cas des EESPIG (établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général). Leur financement demeure privé (droits de scolarité des élèves essentiellement), l’accès y est filtré (généralement par des concours) et les processus pédagogiques y sont spécifiques.

Reste donc comme seul « plus » la reconnaissance, comme le concède volontiers JP.Ammeux : « En pratique, cela ne changera pas grand-chose à la situation actuelle, il n’y a pas un euro derrière : il s’agit surtout de reconnaissance ».

Celui qui, en presque 20 ans, a révolutionné l’IESEG, le faisant passer du stade de bonne école de commerce post bac régionale au rang de très bonne business school nationale, qui malgré (ou à cause de ?) son format atypique dame le pion à nombre d’ESC classiques, y voit un outil de clarification, en séparant le bon grain de l’ivraie.

Le bon grain ? Des établissements vertueux, parce que non lucratifs, et sérieux, parce que délivrant des diplômes visés par l’Etat.

L’ivraie ? La ribambelle de « boites à BTS » ou à « Diplômes européens » qui fleurissent sur le terreau des angoisses familiales générées par la course aux sacro-saints diplômes.

Monique Sassier, la médiatrice de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur, vient d’ailleurs de consacrer une partie de son rapport 2012 à ce sujet. Un des chapitres est ainsi intitulé : « Les liens entre l’État et les établissements d’enseignement privés apparaissent flous et ambigus : il se crée dès lors une situation d’incertitude préjudiciable aux clients de ces établissements ».

Elle dénonce à la fois le fait que l’Etat, par la complexité et la superposition de son arsenal réglementaire et législatif, alimente le flou artistique, et le fait que certains établissements jouent sur les mots ou « bidonnent » carrément leurs « lettres de créance ». Extrait du rapport : « Certains établissements mettent en avant le fait qu’ils sont « déclarés à l’État », ou  « déclarés au ministère de l’Éducation nationale », en mentionnant leur « numéro d’enregistrement ». Les établissements habilités à recevoir des boursiers, ou des étudiants couverts par la sécurité sociale étudiante peuvent ainsi utiliser le mot « habilitation » dans leur publicité. Certains établissements mettent en évidence le fait que les diplômes ou les certificats qu’ils délivrent sont enregistrés au RNCP, ce qui leur permet d’utiliser les mots « certification » ou « certifié » par l’État, ou par le ministère chargé du Travail. (…) Ces mentions sont tout à fait conformes à la législation et ne peuvent en aucune manière être considérées comme mensongères. Elles sont cependant problématiques dans la mesure où elles laissent penser que l’État exerce un contrôle véritable, ce qui, on l’a vu, n’est que très partiellement le cas. ».

Car bien sûr, en toile de fond, se pose la question du contrôle : à quoi bon un arsenal législatif censé réguler un marché s’il n’y a pas de « gendarme de la régulation » digne de ce nom ?

Franck Bournois, le Président de la CEFDG (Commission d’Evaluation des Formations et Diplômes de Gestion) me disait d’ailleurs, à l’occasion d’une récente rencontre, que l’Etat lui-même se « tirait une balle dans le pied » en ne clarifiant pas suffisamment les articulations entre RNCP et diplômes visés.

Mais donc, si l’Etat ne peut déjà pas faire vivre sainement le dispositif actuel, à quoi bon rajouter encore une couche législative avec la création de ce statut d’EESPIG ? Qui va comprendre ce que cela veut dire ? Les familles seront-elles plus rassurées ? Et si oui, auront-elles raison de l’être ?

Car à la réflexion, la principale faiblesse de ce nouveau dispositif tient dans son essence même : en quoi le simple fait d’être géré par une structure associative serait un gage de sérieux ? La non lucrativité ? La bonne affaire ! Qui est capable aujourd’hui de donner une définition précise de la notion de « non lucrativité » ?

Même l’administration fiscale parfois s’y perd, à tel point qu’elle a dû publier en décembre 2006 une instruction (baptisée d’un nom de virus : 4H-5-06 !!) pour clarifier sa doctrine en la matière. Ainsi la non lucrativité est-elle jugée à l’aune d’un processus en 3 étapes : examen du caractère désintéressé ou non de la gestion de l’organisme,   de sa situation au regard de la concurrence par rapport aux entreprises du secteur lucratif et, si elle est concurrentielle, analyse des conditions d’exercice de l’activité au regard de la méthode dite des 4 P. Pas question ici des fameux 4P du marketing-mix (Product, Place, Price, Promotion)… mais pas loin. Il s’agit de 4 critères classés par ordre d’importance décroissante : le « produit » proposé par l’organisme, le « public » visé, les « prix » pratiqués et les opérations de « publicité » réalisées.

L’analyse des textes montre que théoriquement, la voie est étroite : « L’appréciation de la situation de concurrence doit s’effectuer au regard de chaque activité réalisée par l’organisme, il suffit qu’une seule de ces activités, même accessoire, soit concurrentielle pour conférer ce caractère à l’organisme et poursuivre l’analyse au regard de la règle des quatre P. Est d’utilité sociale l’activité qui tend à satisfaire un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui l’est de façon peu satisfaisante. » Ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, et donc à tous les recours. J’ai été contraint, il y a quelques années, à fermer 4 sections de BTS consulaires au seul motif que les établissements privés du coin considéraient qu’il s’agissait là d’une concurrence déloyale, la Présidence d’alors privilégiant ses intérêts syndicaux au détriment de ceux de sa compagnie consulaire.

Difficile donc de s’appuyer sur le P de Produit, mais difficile aussi de s’appuyer sur le P de Public (il faudrait que l’Ecole ne recrute que des publics spécifiques, non ciblés par les écoles « vraiment privées »), sur le P de Prix (les prix doivent être significativement inférieurs à ceux des concurrents, indépendamment des incidences fiscales) et encore moins sur le P de Publicité. Les instructions disent en effet : « L’établissement peut réaliser une information sur ses prestations sans toutefois que celle-ci s’apparente à de la publicité commerciale destinée à capter un public analogue à celui des entreprises du secteur concurrentiel. »

Et cerise sur le gâteau, nous savons tous que derrière la respectabilité de structures associatives, se cachent parfois des groupes financiers ou des « entrepreneurs » parfaitement à l’aise avec les montages juridiques les plus créatifs, capables de nous faire passer des vessies capitalistiques pour des lanternes associatives.

En conclusion, il nous apparait que l’émergence d’un « véritable » tiers secteur issu de l’économie sociale, sans but lucratif, est plus que souhaitable : il devra occuper utilement le terrain partiellement en friche entre le secteur public, parfois engoncé dans des législations inhibantes et touché par la crise des financements publics, et le secteur privé financier, qui après s’être attaqué à la privatisation de la santé, s’attaque aujourd’hui à la marchandisation de l’enseignement.

Mais ce n’est sans doute pas à coups de labels confus ou de cadres juridiques instables qu’on y parviendra. Le rendez-vous manqué du statut « d’établissement consulaire » voulu par la CCIP mais ajourné par le Gouvernement prouve qu’il y a encore trop de défiance entre les acteurs pour avancer sereinement vers une clarification du système. Partie remise ?

 

 

This entry was posted on mardi, juillet 2nd, 2013 at 0:10 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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