Prix Nobel d’économie : « T’as le bonjour d’Alfred… » (épisode 2)

Malgré toutes les interviewes accordées par Jean Tirole depuis le 13 octobre dernier, il est toujours bien difficile d’appréhender le travail de chercheur et le plaisir qu’il trouve à retrouver son bureau, ses amphis et ses étudiants. Le chercheur n’est pas « programmé » pour hanter les plateaux télé ou les studios de radio. Si à 20 ou 24 ans il a fait le choix de s’orienter vers le doctorat, et donc vers la recherche, c’est avant tout par soif de savoir, envie de comprendre, goût pour la confrontation d’idées. Surement pas pour avoir un jour à compacter en 3 mn des travaux qu’il a mis des années à faire aboutir (même si la vulgarisation doit faire partie de ses missions, nous y reviendrons).

TiroleTableau

Il faut imaginer à quoi ressemble un laboratoire de recherche en sciences économiques. Ici bien sûr, point d’éprouvette, de salle blanche ni de soufflerie. Ce dont a besoin le chercheur en économie est rarement spectaculaire. Un tableau blanc (mais Jean Tirole est resté fidèle au tableau noir et à la craie), un ordinateur puissant pour mener à bien ses calculs, un serveur pour héberger et triturer ses données, et c’est presque tout. Ah si, il lui faut une porte aussi… qui en général reste ouverte le temps de sa présence, et surtout une salle de convivialité. Ce lieu d’échanges informels autour d’une machine à café et de quelques fauteuils qui furent confortables est peut-être le cœur du réacteur. Comme à l’IHES, où le tea time est le rendez-vous quotidien obligatoire des mathématiciens en résidence, la «salle de convivialité du 5ème étage» de TSE, bien connue des chercheurs et des visiting est une sorte de petite agora où se partagent idées et projets de recherche, sous le regard bienveillant de Jean-Jacques Laffont, le père fondateur, dont le portrait trône dans le lieu.

Et c’est parce qu’il aime partager, argumenter et se remettre en question, que la plupart du temps le chercheur est aussi directeur de thèse et enseignant. Car qui mieux que lui peut transmettre au doctorant le goût de la recherche et du travail au long cours ? Ainsi, Jean Tirole prend-il un plaisir tout particulier à suivre ses thésards et ses étudiants. Avant le Nobel, mais encore et toujours, depuis le Nobel.

Deux anecdotes vécues en direct illustrent cette « face cachée » de l’homme désormais public.

Il a par exemple refusé qu’on annule le cours qu’il devait donner le mardi 14 de 14h à 15h30 à des thésards, malgré les sollicitations qui s’accumulaient de la part de la presse ou des officiels : « Pas question que les étudiants soient pénalisés par tout ça ». C’est donc en Prix Nobel que Jean Tirole assurera son cours, à l’issue duquel il s’excusera auprès de ses étudiants car, dira-t-il « j’ai dû faire mon plus mauvais cours depuis longtemps, vu que, vous comprenez, cette nuit, je n’ai pas dormi. »

La semaine suivante, il avait une invitation prévue de longue date de la part d’une prestigieuse université londonienne, qu’il a tenu, là-aussi, à honorer. Il a donc participé comme convenu à un séminaire de recherche, puis il a consacré le reste de sa journée à recevoir des étudiants en thèse. « Tu comprends, ils m’ont expliqué leurs recherches, on a parlé de leurs thèses, et ça, c’est génial » me dit-il le lendemain, presque les larmes aux yeux.

Vouloir absolument faire de l’économiste un commentateur de l’actualité économique est une facilité journalistique bien compréhensible. S’il n’y prend garde, le scientifique peut se faire aspirer dans une tornade qui rapidement le fera se déconnecter de ce pour quoi il a été initialement reconnu. Il cesse à partir de ce moment-là d’être réellement un chercheur, pour devenir un témoin éclairé. Ce n’est ni dégradant ni inintéressant, mais c’est un autre métier…

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This entry was posted on mardi, octobre 28th, 2014 at 18:04 and is filed under prix nobel, Recherche scientifique. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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