Pour les 50 ans du Congrès de la Conférence des présidents d’université (désormais France universités), M. Emmanuel Macron a déclenché un émoi national en fustigeant un « enseignement supérieur qui n’a aucun prix », avec « tant de précarité étudiante » et invitant à « profond changement d’approche, [une] transformation systémique de nos universités, de notre organisation » et estimant que les universités devaient « garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi » [discours du 13 janvier 2022].
C’est l’occasion de faire un point sur l’articulation entre l’enseignement supérieur et l’emploi en France durant ces cinquante dernières années. Ce point conduit à identifier la possible fin de la massification, qui pourrait conduire à l’écroulement du principe « diplôme-bouclier contre le chômage ». Coincés entre l’absence d’emplois non pourvus et l’impossibilité de pousser plus loin les jeunes dans leurs études, notre politique se réduirait à une gestion des débordements. Cependant, en dressant une nouvelle hypothèse concernant le rôle que la formation occupe dans la société, nous pouvons tracer des pistes de réflexion plus optimistes pour l’avenir.
Méthodologie
Les données sont issues de différents jeux de données de l’INSEE, en particulier [Activité, emploi et chômage en séries longues (T101)], [Taux d’emploi selon le plus haut diplôme obtenu, par sexe et âge regroupé, en moyenne annuelle de 1982 à 2019 (T208)] et [Historiques et Données harmonisées des recensements de la population (Saphir)], ainsi que la DataESR [Statistiques sur les effectifs d’étudiants inscrits par établissement public sous tutelle du ministère en charge de l’Enseignement supérieur (hors doubles inscriptions université-CPGE)].
D’autres jeux de données ont été explorés pour confirmer et compléter les visualisations de cette note. Les traitements sont en R, et tout est disponible dans [Plongée dans l’INSEE].
Je remercie chaleureusement Aurélien Dasré [@AurelienDasre] pour son aide dans la recherche et la compréhension des données de l’INSEE.
Pour les analyses, je séparerai souvent deux niveaux : le niveau individuel, chaque personne dotée de son diplôme face à l’emploi ; et le niveau national, toute la population en fonction de sa diplomation face à tous les emplois disponibles.
Avertissement : faire ce point m’oblige à sortir de mes compétences, pour toucher à de multiples disciplines telles que la démographie, l’économie et l’histoire, dans lesquelles je ne suis pas du tout compétent. L’approche est donc extrêmement naïve et doit être considérée comme telle.
En finir avec « le diplôme-bouclier contre le chômage » ?
La métaphore classique pour comprendre le lien entre formation et emploi est celle du « diplôme-bouclier contre le chômage » : la formation serait une protection défensive contre l’agression du chômage, tant pour les individus que pour la nation. On en conclut généralement que pour mieux se défendre contre le chômage, il faut modifier la structure de la formation. Cette pensée est rassurante, puisqu’il suffirait de réformer l’école pour résoudre les problèmes économiques. Malheureusement, cette métaphore est à la fois peu pertinente et assez pessimiste, au moins à moyen terme.
Il faut ici énoncer l’évidence qui lamine ce raisonnement : la France ne souffre pas d’emplois non pourvus, mais seulement du chômage. La population active est tout simplement supérieure au nombre d’emplois que notre organisation du travail propose.
Le compte Twitter Plans de Licenciements produit des visualisations très parlante à ce sujet [@plans_de] :

Pour aller plus loin sur cette question, l’émission « Quand un pouvoir politique n’arrive pas à lutter contre le chômage, il lutte contre les chômeurs… » d’Arrêt sur images donne une heure d’explication, dont on retiendra surtout qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’emplois durablement vacants.
A défaut d’emplois non pourvus, restructurer la formation est donc voué à l’échec pour « vaincre le chômage » au niveau national. Les grandes théories sont inutiles ici, il suffit de noter que la politique d’orientation de la formation vers l’insertion professionnelle, malgré sa prise d’ampleur, a échoué à résorber le chômage, qui ne fait que croitre depuis 50 ans.
En effet, regarder les taux d’emploi des français entre 25 et 49 ans depuis 1982 permet de dresser deux constats :

- Aucun niveau de diplomation n’atteint 100% de taux d’emploi, et la protection contre le chômage n’est donc jamais complète ;
- Les crises brises des niveaux de défense : CAP et BEP, et dans une moindre mesure le BAC, ont décroché à l’occasion de la crise financière des subprimes. Il est trop tôt pour estimer les conséquences de la crise Covid, mais les premières estimations sont pessimistes.
Du point de vue individuel, le diplôme est donc beaucoup plus certainement un avantage qu’un bouclier : les individus qui en disposent ont un avantage sur les individus qui n’en disposent pas, lorsqu’ils sont mis en concurrence pour accéder à une ressource rare, l’emploi. Un « meilleur » diplôme permet de rester moins longtemps et moins souvent au chômage, d’accéder à de meilleurs emplois et de gagner plus… Mais pas dans l’absolu, seulement comparativement aux autres travailleurs. La valeur d’un diplôme se mesure au nombre de personnes qui ne l’ont pas.
A court terme, réformer la structure éducative modifie qui possède un avantage sur qui, mais ne permet pas d’augmenter le nombre de personnes en emploi. De plus, ce n’est qu’un avantage parmi d’autres, et certainement pas le plus efficace pour accéder aux strates économiques et sociales supérieures. A moyen/long terme, restructurer la formation permet cependant de se préparer à des transformations de la structure de l’emploi, ce qui suppose qu’on soit capables de la prévoir.
Tant au niveau individuel que national, considérer la formation comme un « bouclier contre le chômage » est donc peu pertinent, mais aussi pessimiste puisqu’on constate que cette défense, en plus de ne pas très bien fonctionner, s’effondre progressivement. Les notes SIES « Légère baisse de l’insertion des diplômés de master au 1er décembre 2020 » et « Légère baisse de l’insertion des diplômés de licence professionnelle au 1er décembre 2020 » ne manquent d’ailleurs pas de soulever des inquiétudes. Rien n’exclut que poursuivre cette politique conduirait à l’effondrement des défenses de plus haut niveau, surtout dans l’hypothèse où nous serions arrivés à la fin d’une histoire.
Massification de l’enseignement supérieur : la fin d’une histoire ?
Les termes « massification » et « démocratisation » de l’enseignement supérieur désignent la politique consistant à amener une part croissante de la population à faire des études supérieures post-bac. Tous les pays occidentaux l’ont mise en œuvre et se trouvent aujourd’hui dans des situations comparables. Des pays orientaux, dont notamment la Chine, viennent juste de la débuter.
En France, deux vagues de massification ont eu lieu, d’abord au XIXe siècle puis après-guerre au XXe siècle, et l’Université a été choisie comme leur principal porteur [La profession introuvable ? Les universitaires français de l’Université impériale aux universités contemporaines, Emmanuelle Picard]. Réellement lancée au cœur des Trente glorieuses, cette politique s’appuie sur un triptyque : croissance économique permettant des investissements gigantesques ; révolution industrielle nécessitant des employés de plus en plus formés ; et désir d’ascension sociale des familles.
Regarder la répartition par diplôme des jeunes françaises et français entre 25 et 34 ans depuis 1968 permet de mesurer la fulgurance de cette politique :

En une cinquantaine d’années, les bacheliers et plus dans cette tranche d’âge sont passés de 15% à près de 70% ; les diplômés du supérieurs sont passés de moins de 6% à près de 50% ; la population n’ayant pas dépassé le collège est passée de 65% à moins de 11%. Il y a aujourd’hui la même part de diplômés de second cycle (niveau Master et plus) qu’il y avait de sans diplôme il y 50 ans (~un tiers), et ce malgré une sensible augmentation de la population.
On peut cependant constater un infléchissement de cette progression dans les années 2000, notamment jusqu’au niveau Bac. Dans notre conception actuelle, les études sont en nombre fini d’années, et atteindre un point de saturation est donc inévitable. A l’extrême, ce serait 100% de citoyens à Bac+5, mais ce niveau n’est évidemment pas réaliste dans notre contexte.
La question qui se pose désormais est donc de savoir si nous avons atteint le niveau maximal de formation dans notre société. Cette question, qui se pose dans tous les pays occidentaux, est celle de la fin d’une histoire, la massification, et le début d’une autre, la stagnation éducative. Jusqu’à présent, nous avions la possibilité de pousser toujours un plus loin la population dans les études pour « combattre le chômage ». Peut-être venons-nous de perdre ce levier d’action… Mais alors, que faire ?
Après la massification : que faire ?
Sous cet angle, on ne peut que rejoindre Emmanuel Macron lorsqu’il appelle à un « profond changement d’approche, [une] transformation systémique de nos universités, de notre organisation ». On comprend également mieux pourquoi il y a « tant de précarité étudiante » : le triptyque croissance économique / révolution industrielle / ascension sociale est brisé, et avec lui le statut de l’étudiant-futur travailleur d’élite.
Viser un Bac+5 aujourd’hui n’a pas du tout la même signification qu’il y a 30 ou 50 ans : alors qu’on visait l’ascension, on ne viserait plus aujourd’hui qu’à éviter le déclassement. Et cela change du tout au tout le rôle de la formation dans la société.
Si le niveau de diplomation maximal de la population est atteint ou bientôt atteint, la question qui se pose au niveau national est celle de la régulation des flux d’étudiants. En poursuivant la politique du massification, on irait inévitablement à une surpopulation de diplômés à Bac+5, donc à un affaiblissement historique de l’avantage de cet ultime niveau de formation, et et donc de sa valeur pour l’accès à l’emploi. L’apparition d’un chômage significatif au plus haut niveau de qualification nous ferait plonger dans l’inconnu.
Cette question est en réalité très actuelles. L’accès aux Masters a été durci en 2014. En 2021, deux rapports sont sortis sur le sujet, questionnant le droit à la poursuite d’étude de la Licence vers le Master [Rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence‑master-doctorat][Rapport Hceres « Le téléservice http://Trouvermonmaster.gouv.fr : Un outil – trois finalités »]. D’autres réformes, comme la suppression des DUT, sont sans doute en lien avec une politique de réduction des poursuites d’étude [Cursus en trois ans, nouveaux débouchés : à la rentrée, les IUT changent de modèle].
Regardons, en valeur 100 pour 2010, l’évolution des effectifs étudiants du Ministère de l’enseignement supérieur, par cycle de formation :

Alors que les effectifs en premier et deuxième cycle se suivent jusqu’en 2015 (+84k étudiants au niveau L et +62k au niveau M), on distingue ensuite très clairement une première inflexion, puis une deuxième après 2018, qui conduisent en 2020 à une différence du simple au double (+266k au niveau L, pour seulement +123k au niveau M – la représentation en pourcentage est disponible sur le github).
Le doctorant, visiblement en berne, ne semble pas être la voie choisie pour l’allongement de la durée des études.
Le décrochage L/M fait suite à la réforme de 2014, qui, ironiquement, instaure le « droit à la poursuite d’étude en Master ». En 2021, les conditions d’accès en M ont encore été durcies. Cette année le calendrier de sélection est refait et les règles d’articulation L/M vont sans doute changer. L’an prochain une plateforme nationale devrait voir le jour, pour gérer la pénurie de places en Master.
Tout ceci arrive alors que nous absorbons le baby-boom de l’an 2000, bien visible sur graphique à partir 2018. La crise Covid ajoute encore une difficulté, avec une plus grande indulgence lors des examens, donc une baisse de l’éviction en Licence. Face à cette situation, Mme. Frédérique Vidal est explicite : « L’enjeu est de préserver le taux d’insertion professionnelle » des Masters, en limitant le nombre de personnes qui l’obtiennent.
La clé de cette politique nous est donnée par la Directrice générale de l’enseignement supérieur, Mme. Anne-Sophie Barthez, dès 2019 :
« Le premier cycle doit accueillir le plus grand nombre d’étudiants, les faire réussir malgré la diversité des profils et jouer le jeu de l’ancrage territorial. Le master et le doctorat constituent en revanche des formations très largement irriguées par la recherche et pour lesquels l’exigence est de mise. »
[A-S. Barthez : « La distinction entre undergraduate et graduate doit conduire à réinterroger tout le système de formation »].
Face à une saturation du niveau de qualification global de la population, le positionnement politique actuel est donc d’endiguer au niveau du premier cycle (Licence) les jeunes surnuméraires par rapport à l’emploi, dans l’objectif de préserver la valeur des Masters. Comme toutes les digues, cela pose la question de la gestion des débordements.
Endiguer la massification en premier cycle : un risque de débordement
Coincés par la démographie, et en absence de réorganisation du travail, la stratégie d’endiguement de la massification au niveau du premier cycle porte un risque : en endiguant, on préserve les formations derrière la digue, mais on menace mécaniquement toutes celles qui sont avant. Le problème n’est pas simple.
Philippe Berta et Karine Lebon, dans la section « Revaloriser la Licence comme diplôme d’insertion professionnelle » du rapport sur les Masters, indiquent que « La licence ne doit pas devenir un simple diplôme d’accès au master » mais que « la licence est une formation « de masse », qui ne répond pas aux besoins du marché du travail ». Or, ce marché n’a pas de besoins non satisfaits. M. Berta propose également que les recalés à l’entrée de Masters aillent en Licence Professionnelle, ou même fassent des « stage hors cursus très mal payés ».
La gestion du débordement est donc explicite, mais sans bonne réponse : on sait qu’il faut limiter l’accès aux Masters, mais on ne sait pas que faire de celles et ceux qui ne pourront pas y aller. On se rabat donc sur une illusoire insertion professionnelle, qui, en l’absence d’emplois non pourvus, ne convainc personne.
On développe donc des stratégies de débordement à tout va, en utilisant toutes les filières qui réduisent la présence dans la formation, comme l’apprentissage :

Sur cette figure, on observe bien que le durcissement de l’accès au Master en 2015 est concomitant d’une augmentation spectaculaire du nombre d’apprentis. Mais si l’excellente insertion professionnelle des apprentis se maintient malgré l’augmentation de leur nombre, ça ne pourra être qu’au détriment des autres formations. Et si le nombre d’apprentis dépasse la capacité d’absorption de l’emploi, alors l’insertion professionnelle de l’apprentissage lui-même s’écroulera.
Face la pénurie d’emplois, et dans l’impossibilité de continuer à massifier globalement l’enseignement supérieur, la « professionnalisation » des études supérieures, notamment à l’Université, est une gestion du débordement en premier cycle pour préserver le deuxième. Elle ressemble à une sorte de fuite en avant, dont on peut douter qu’elle fonctionne plus longtemps que quelques années avant saturation, non sans prendre le risque d’affaiblir ou de casser des filières qui répondent aux besoin des employeurs, comme les IUT ou l’apprentissage.
Plus grave, cette politique pourrait conduire à une rigidification de l’articulation jeunesse-emploi, dans l’hypothèse où la formation serait en fait une sorte d’amortisseur.
Une hypothèse : la formation comme amortisseur entre la jeunesse et l’emploi
Cette hypothèse est venue en fouillant les données démographiques. Regardons tout d’abord toute la population française en 2017, par type d’activité :

On observe bien la zone de transition entre la jeunesse et l’emploi (encadrée sur le graphique), entre 16 et 29 ans, après quoi la formation devient pratiquement inexistante.
Concentrons-nous sur cette population des 16-29 ans pour regarder son évolution depuis 1968 :

Ce qui interpelle sur ce graphique est que, alors que formation et emploi varient énormément, le nombre de chômeurs et inactifs reste tout à fait constant : 1,929 millions en 1975, pour 1,955 millions en 2017. En plus du triptyque précédemment décrit, on peut alors dresser l’hypothèse d’un rôle supplémentaire de la formation : un amortisseur entre la jeunesse et l’emploi.
On peut grossièrement visualiser cet amortisseur en fixant la population en formation à sa valeur de 1968, ce qui montre caricaturalement où nous en serions sans avoir fait la massification :

Sans cet amortisseur, et à défaut d’emplois, le risque était d’alimenter la population des inactifs et chômeurs, jusqu’à un doublement qui aurait conduit près d’un tiers des jeunes à ne pas avoir d’activité. Or, le risque pour la nation d’avoir un jeune sur trois sans activité est critique : instabilité sociale, développement d’activités illégales, etc.
Cet amortisseur peut se voir de façon assez nette sur l’animation suivante, qui montre, par âge, l’activité des 18-28 ans de 1975 à 2017 : une extension de l’amortisseur dans les années 1990, puis une compression dans les années 2000.

La mécanique supposée derrière cet amortisseur est double : sur le moyen terme, la massification décidée politiquement, et qui se traduit par la construction d’écoles et universités, et le recrutement d’enseignants, et donc la création de places disponibles ; sur le court terme, les choix individuels des étudiants, écourtant leurs études dès qu’un emploi est trouvé, ou au contraire les allongeant lorsque peu d’emplois sont disponibles.
En regardant l’animation, on peut soupçonner l’apparition d’une rigidification de cet amortisseur dans les années 2010. La fin de la massification, remplacée par une politique de saturation des places de formation, nous priverait d’une marge de souplesse pour adapter l’activité des jeunes aux disponibilités d’emplois. Si c’est le cas, les politiques de « professionnalisation », en réduisant la durée des études, risqueraient de conduire à encore plus de rigidité. Or, cet amortissement entre jeunesse et emploi n’est pas seulement efficace pour limiter le chômage, mais aussi pour assurer une stabilité sociale. Là encore, nous risquons d’entrer dans l’inconnu.
Conclusion
Pour conclure cette note, il convient de rappeler son caractère exploratoire. Elle n’a vocation qu’à ouvrir la discussion et des pistes de réflexion, et non à apporter des conclusions.
Si la métaphore de la « formation-bouclier contre le chômage » est insatisfaisante, elle risque de toutes façons d’être rapidement laminée par la fin de la massification. En l’absence de reforme de l’organisation du travail pour offrir plus d’emplois aux jeunes, et en restant coincés sur une conception de la formation ayant pour seul objectif l’insertion professionnelle, les politiques de « professionnalisation » sont sans doute condamnées à déplacer le problème de l’insertion professionnelle sans jamais le résoudre, sinon par des effets marginaux.
Sous cet angle, l’effet bénéfique principal de l’alternance ne serait pas tant ses modalités pédagogiques que le plus grand partage du travail grâce à des emplois à temps partiel.
On peut également trouver dans cette hypothèse une clé d’explication rationnelle au refus d’investir dans l’enseignement supérieur : le triptyque croissance / montée en qualification / ascension sociale étant cassé, l’urgence est à réduire la durée des études, ce qui doit pouvoir se faire à coût constant.
On peut même trouver une forme de légitimation au développement des frais d’inscription : incapables de trouver une solution acceptable pour les jeunes surnuméraires par rapport aux besoins d’emplois, les décideurs sont tentés de confier cette responsabilité aux jeunes eux-mêmes, en leur donnant le pouvoir de choisir individuellement quelles formations doivent continuer à être financées, et lesquelles il faut abandonner.
En d’autres termes, en adoptant comme mission prioritaire l’insertion professionnelle dans un contexte de pénurie d’emplois, l’Université délégitime elle-même son propre financement.
Tout ceci nous conduit à rejoindre Emmanuel Macron dans la certitude que le rôle de l’enseignement supérieur, et donc notamment celui des universités, doit être redéfini pour s’adapter à une société post-massification. Si un « profond changement d’approche, [une] transformation systémique de nos universités, de notre organisation » est inévitable, peut-être gagnerions-nous à creuser l’hypothèse d’un rôle d’amortisseur. Face aux crises, ce rôle pourrait tout à fait devenir indispensable à la stabilité de notre société tout comme au maintien de son progrès -pas seulement économique-, à condition de travailler à lui redonner de la souplesse.
Des perspectives positives s’offrent donc à nous, mais nécessitent soit de repenser « notre organisation » pour faire plus de place aux jeunes dans l’emploi, donc notamment de renoncer à l’allongement du temps de travail des français déjà en emploi, que ce soit par les retraites ou par le temps hebdomadaire ; soit de s’extirper de l’insertion professionnelle comme mission principale des formations supérieures, notamment universitaires.
A défaut, nous resterions condamnés à chercher des solutions qui n’existent pas, en déplaçant des jeunes dans un système qui ne leur fait pas de place, non sans parfois les malmener. Désormais privés des marges de manœuvre que nous avons exploitées jusqu’à présent, nous prendrions alors le risque de plonger dans l’inconnu.