La sortie du rapport de la Cour des Comptes sur le Plan Campus “Dix ans après le lancement de l’opération Campus, un premier bilan en demi-teinte” est l’occasion de décrire un algorithme cynique des réformes de l’ESR.
Cet algorithme est nécessairement réducteur, et je ne peux personnellement pas garantir qu’il fonctionne avec les réformes antérieure à ma nomination en 2008, mais il fonctionne, à mon sens, assez bien avec les réformes LRU/Pécresse et Fioraso :
- Est nommée une nouvelle Ministre de l’ESR (ici).
- Un rapport décrit l’inefficacité d’une réforme antérieure et l’aggravation des difficultés de l’ESR (ici).
- La Ministre annonce une réforme qui va tout améliorer, en utilisant les mots “innovant” et “exceptionnel” (ici).
- Des détracteurs se mobilisent, dénoncent la faisabilité de la réforme (ici), décrivent ses risques et font des contre-propositions.
- Des promoteurs se mobilisent, encensent la réforme en reprenant les éléments de langage de la Ministre (ici) et sur le terrain dénoncent les détracteurs et la défiance systématique dont ils font preuve envers les ministres.
- La réforme est adoptée sans modification substantielle (ici).
- La Ministre disparaît (ici)
- Retour à 1.
Cet algorithme fonctionne très bien avec la Loi Fioraso (1., 2., 3., 4., 5., 6., 7.). En ce qui concerne la Loi Vidal, on en est à l’étape 6., les précédentes ont été parfaitement respectées. Il y a fort à parier que cet algorithme s’applique à une très grande partie des réformes des services publics ces dernières décennies.
On peut en tous cas l’appliquer sans trop de difficulté à la LOLF, que j’appelle volontiers Mother Of All Reforms. La LOLF introduit la performance dans les services publics : tout mesurer, tout évaluer, tout le temps. Étonnement par contre, aucune réforme n’est jamais mesurée, évaluée. En conséquence, on se retrouve dans une perpétuelle fuite en avant, où ceux qui s’opposent s’opposent, ce qui suffit à ceux qui encensent pour les discréditer sans jamais rien changer.
Rien de bon ne peut sortir d’un tel système.
Bonus
En faisant les recherches pour retrouver les documents, j’ai remarqué deux choses frappantes. D’abord, les sites des promoteurs sont régulièrement nettoyés des communiqués passés, notamment le site de la CPU et du ministère, alors que les sites des détracteurs restent pleinement accessibles. Ensuite, lorsqu’on cherche les raisons de la démission de Madame Fioraso, on tombe sur des “raisons de santé” dans tous les médias traditionnels, alors que sa fraude avérée sur son CV ou les financements octroyés aux activités de son compagnon, dont la révélation par Médiapart précède immédiatement sa démission, se retrouvent seulement dans des blogs.
Il manque à votre algorithme les articles distillés par le Monde Campus et Educpros…
J’aime bien votre billet qui correspond bien à l’expression d’un ressenti personnel profond qui est exposé ici de façon claire, nette et précise. Mais allons plus loin: avons-nous besoin – partout – d’algorithmes? (c’est bien entendu ‘partout’ qui est le mot important…)
Merci de vos compliments !
L’informaticien qui bosse sur la pédagogie de la pensée informatique est bien sûr tenté de vous répondre : « Oui ! Oui des algorithmes partout partout, surtout dans la tête ! ».
Mais je pense que vous ne parlez pas tant des algorithmes, que de cette tentation de planquer la moindre décision derrière des systèmes de décision automatique. Et là bien sûr, c’est extrêmement préoccupant.
Par exemple : https://reflets.info/articles/sous-le-regne-de-la-gouvernance-algorithmique
En l’occurrence, l’appellation « algorithme » de mon billet est abusive… Ou pudique. Il s’agit sans doute plus d’un modèle de réforme (anti-)démocratique (hyper-)efficace dès lors que l’on considère que la communauté est stupide et ne sait pas ce qui est bon pour elle.
C’est un usage cynique du mot algorithmique, mais en tant que modèle de scénarios, c’est bien un algorithme.
On peut sans doute avancer que c’est plus large que l’ESR. C’est l’algorithme cynique de l’action irresponsable (pas de trace, pas d’après, pas de compte à rendre) ou de l’action pour l’action (pas d’avant,un travestissement des situations réelles, de la pure idéologie).