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Parcoursup : Quelle place pour le lycée d’origine dans le tri des dossiers ?

Lors d’un précédent billet “Parcoursup : petit manuel de tri des candidatures à l’usage des enseignants du supérieur”, j’expliquais l’inutilité des pièces complémentaires, C.V. et “projets de formation motivés” (lettre de motivation), pour évaluer les chances de réussite et le mérite des candidats. Cette inutilité conduit mécaniquement à la suprématie des notes obtenues au lycée dans le tri des candidatures. J’avais laissé de côté la question de la prise en compte du lycée d’origine du candidat. Cette question est d’ailleurs soigneusement laissée de côté par la totalité des acteurs, malgré l’avalanche d’informations sur Parcoursup. C’est donc l’objet de ce billet.

Regarder le lycée, pour évaluer quoi ?

Pour évaluer les chances de réussite

En premier lieu, il faut être conscient des différence entre lycées (voir plus loin) : l’expérience montre, même en restant prudent, qu’une moyenne de 10 dans un lycée d’élite est une bien meilleure garantie de réussite qu’une moyenne de 14 dans un lycée défavorisé. Si l’objectif est de recruter des étudiants qui vont réussir, il est donc indispensable de prendre en compte le lycée d’origine dans le tri des candidatures.

Pour évaluer le “mérite”

Le mérite est une notion molle dont on ne fait généralement rien. Mais supposons qu’un élève ayant 14 dans un lycée défavorisé est plus méritant qu’un élève ayant 10 dans un lycée d’élite. Si l’objectif est de prendre en compte le mérite des étudiants, il convient de ne surtout pas prendre en compte le lycée d’origine dans le tri des candidatures.

Plus concrètement

Trier les lycées avant les candidatures

Si 14 dans un lycée ne vaut pas 10 dans l’autre, il faudrait définir officiellement le nombre de points de bonification par lycée, et l’appliquer collectivement : +4 à la moyenne pour tel lycée, +0 pour tel autre. Dans l’idéal, c’est même les rectorats qui devraient fournir cette information, puisqu’ils sont les mieux à même de connaître les lycées et d’éviter les divergences d’interprétation. Un tri officiel des lycées serait donc indispensable : une véritable consécration de la sélection sociale dans le système éducatif.

Ajoutons que compte tenu des différences, un tri des candidatures par lycée plutôt que par moyenne serait tout aussi efficace lorsqu’il s’agit de trier les bacheliers, ce que l’actuelle réforme du Bac va encore renforcer. Ne parlons même pas des pièces complémentaires qui ne compteraient plus pour grand chose dans le classement malgré les efforts de rédaction et d’examen.

Le tour de force de faire pire que le tirage au sort

Comme ni le ministère, ni les rectorat, ni les présidences d’université ne prendront leurs responsabilité en cette matière. Ce choix retombera sur les équipes pédagogiques. On voit qu’une fois sorti des discours faciles sur l’orientation bienveillante, les équipes pédagogiques vont se retrouver tiraillées entre évaluer les chances de réussite et le mérite des candidats.

En l’absence de bonne décision et de cadrage, un même dossier sera donc bonifié ou pas selon que l’examinateur connait le lycée ou pas, pense que le lycée est bon ou pas, qu’il a décidé par lui-même de prendre en compte ce critère ou pas, etc.. Et cette évaluation ira jusque dans les appréciations : “turbulent” dans un lycée REP a-t-il la même signification que dans un lycée d’élite ? Et jusque dans les classes : 11 avec dans une classe qui a 6 de moyenne a-t-il la même signification que 11 avec 12 de moyenne ? Est-ce l’enseignant qui note plus sec, ou la classe qui est de moins bon niveau ? Faut-il classer les profs comme on devrait classer les lycées ? C’est sans fin…

En conséquence, la prise en compte du lycée se fera de façon totalement aléatoire dans le tri des dossiers de candidature Parcoursup. Il s’agit là d’une injustice infiniment plus grande et hypocrite que celle du tirage au sort.

Pour les parents : Quel lycée choisir ?

Durant la journées portes ouvertes dans mon IUT, des parents se sont émus que leur enfant, en “filière *” (d’élite) dans un lycée d’élite, avait une moyenne nécessairement inférieure à ce qu’elle aurait été dans une filière normale ou un lycée normal. Leur enfant se retrouvait donc pénalisé dans le tri des candidatures. Tout est dit :

  • mettez votre enfant dans un lycée moyen ou défavorisé, et il sera peut-être pénalisé par ce choix ;
  • mettez votre enfant dans un lycée ou une filière d’élite, et il sera peut-être aussi pénalisé par ce choix.

C’était l’enjeu de la réunion du CNESR de ce jour : rendre transparents les “algorithmes locaux”. Ces amendements seront brutalement refusés. Les parents n’auront donc aucun moyen de prévoir, y compris avec une connaissance fine du système. En conséquence, pour les parents non plus il n’existe pas de bonne solution : quel que soit votre choix, il pourra s’avérer pénalisant pour votre enfant dans le tri des dossiers Parcoursup.

Pour aller plus loin

Un peu de document…

Pour finir, le rapport “1985-2017 : Quand les classes favorisées ont fait sécession.” de la Fondation Jean Jaurès donne un bon aperçu de l’évolution des inégalités entre établissements scolaires. On peut y découvrir ce graphe très parlant sur la part des élèves de PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) défavorisées par collège à Paris :

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Un peu de sémantique…

Le référé de la Cour des Comptes “Égalité des chances et répartition des moyens dans l’enseignement scolaire” montre qu’on peut sans rougir utiliser le terme “défavorisé” pour désigner des établissements scolaires : ces derniers sont objectivement défavorisés dans la répartition des moyens. Ces inégalités sont donc issues de décisions politiques conscientes.

Un peu théorie

Le rapport “Comment l’école amplifie les inégalités scolaires et migratoires” publié par le CNESCO et écrit par Mathieu Ichou de l’INED donne des bases explicatives et théoriques intéressantes. On y apprendra par exemple la différence entre inégalités verticales (le niveau d’étude) et horizontales (la qualité des diplômes à niveau égal). On y trouve cette citation fort éclairante :

Cependant, lorsque ce niveau d’éducation devient presque universel, les familles socio-économiquement favorisées cherchent alors les différences qualitatives qui existent à ce niveau, et utilisent leurs avantages pour que leurs enfants atteignent un niveau d’éducation quantitativement similaire mais qualitativement meilleur » (Lucas, 2001, p. 1652).

Quant à l’impérieuse nécessité de garder tous les bacheliers en Licence, mais surtout de décliner ces Licences avec des “oui si” (dont le choix pourra se faire sur la base du lycée d’origine, et qui pourront imposer l’allongement de la Licence en 4 ou 5 ans, alors que d’autres pourront l’obtenir en 2), on sera éclairés par cette citation :

L’École exclut comme toujours, mais elle exclut désormais de manière continue, à tous les niveaux du cursus [. . . ], et elle garde en son sein ceux qu’elle exclut, se contentant de les reléguer dans des filières plus ou moins dévalorisées. » (Bourdieu et Champagne, 1992, p.71, p.72, p.73)

La boîte de Pandore est ouverte, et elle n’est pas prête d’être refermée.

Commentaires (2)

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