On a pu lire, ici ou là, la création de 19000 places à l’Université. Par « places », on imagine tous très bien une chaise dans une salle avec un enseignant. 19000 places, c’est énorme : l’équivalent d’une nouvelle université. De quoi résoudre une bonne partie des problèmes rencontrés par l’enseignement supérieur.
En approche budgétaire, une année universitaire coûte en moyenne 11000€, ce qui reviendrait à un financement total de 209M€. Pourtant, l’annonce la plus spectaculaire est de 500M€ sur 5 ans, soit 100M€ par an, c’est-à-dire moins de la moitié. Ces 500M€ ne sont de toutes façons pas consacrés à l’augmentation des places, mais à la mise en oeuvre des mesures d’accompagnement.
D’où viennent donc ces 19000 places supplémentaires ?
Tout d’abord, il faut savoir que la notion de « places » n’existe pas à l’Université. Ce n’est pas comme un cinéma, où il suffit de compter le nombre de fauteuils. Dans une universités, il y a des salles de types différents, des cours différents, des enseignants différents, des mutualisations et des effets de seuil… Bref, personne ne sait « compter les places » ni même définir ce que ça veut dire. Alors, en soi, déclarer un nombre de places supplémentaires n’a pas vraiment de sens.
Il y a cependant deux notions approchantes :
- les effectifs : c’est le nombre d’étudiants inscrits dans une filière. Il ne correspond jamais au nombre d’étudiants présents : les effectifs sont toujours supérieurs, voire très supérieurs, ne serait-ce que sous l’effet des abandons de début d’année.
- Les capacités d’accueil : c’est le nombre maximum de bacheliers qui seront admis en L1, et qui a dû être déclaré par toutes les filières pour la première fois cette année.
Une augmentation du nombre de « places » ne peut être déduit ni des effectifs (puisqu’on ne connait pas ceux de l’an prochain), ni des capacités d’accueil (qui n’existaient pas l’an dernier). En sacrifiant de la rigueur, il peut éventuellement être déduit de la différence entre les effectifs de l’an dernier et les capacités d’accueil de l’an prochain. Cependant :
- il est bien peu rigoureux de soustraire deux valeurs de types différents (« des patates et des carottes ») ;
- les effectifs ne représentent pas le nombre de places (entre les chaises vides et les salles trop pleines) ;
- ce calcul est totalement dépendant de la façon dont ont été définies les capacités d’accueil.
Comment ont été définies les capacités d’accueil ?
Il est impossible de le savoir au niveau national. Cependant, je peux expliquer comment cela s’est passé au niveau local.
Comme il fallait être prêts pour la loi pas encore votée, il a été demandé à toutes les équipes pédagogiques de réfléchir à leurs capacités d’accueil, mais avec l’objectif d’ajouter 10% aux effectifs de l’an dernier. Les filières qui ne pouvaient ou ne souhaitaient pas appliquer mécaniquement ces 10% devaient se rapprocher de la Vice-Présidence Formation pour une négociation à huis-clos.
Ensuite, les capacités d’accueil ont été remontées pour vote à la CFVU… Mais dans le même temps, le calendrier étant contraint, ces capacités d’accueil ont été redescendues par le rectorat. Selon la loi, c’est en effet le rectorat qui fixe les capacités d’accueil, et pas le président de l’université. Les capacités d’accueil n’ont donc pas été approuvées par la CFVU.
Les capacités d’accueil ont ensuite été soumises au CA, qui les a votées sans en discuter les détails.
Au final, les capacités d’accueil locales sont donc les effectifs de l’an dernier auxquels on a ajouté +10%, à quelques négociations près.
Jusqu’ici ça va… C’est après qu’il y a des problèmes
S’il faut fixer des capacités d’accueil, il aurait mieux valu prendre le temps de réellement faire un état des lieux et compter le nombre de « places »… Mais puisqu’il faut aller vite, ajouter 10% aux effectifs de l’an dernier, pourquoi pas… Là où ça devient grave, c’est lorsqu’on découvre dans la presse : « À l’Université de Strasbourg, le nombre de places en première année passera de 12 255 à 13 475 (+ 10,2 %) » dans une article intitulé « 1490 places supplémentaires dans le Grand Est à la rentrée 2018 » (mais aussi celui-ci et celui-là).
Non, il n’y a pas « 10,2% de places en plus à l’Université de Strasbourg« , mais « les capacités d’accueil de l’Université de Strasbourg ont été fixées à 10,2% au dessus de ses effectifs de l’an dernier« , ceci sans rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants.
Est particulièrement trompeuse la manœuvre consistant à recalculer les 10,2% à partir des capacités d’accueil et des effectifs de l’an dernier, alors que ces capacités d’accueil sont calculées à partir des effectifs de l’an dernier auxquels on a jouté 10%.
Donc si les « 19 000 places supplémentaires », également évoquées dans ces articles, proviennent du même calcul, elles n’ont pas plus de rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants. Elles relèvent également d’une manœuvre particulièrement trompeuse.
A vot’ bon cœur
La loi de Goodhart indique que « lorsqu’une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure« . Le « nombre de places » est par nature une mesure. On voit ici ce que cela donne lorsqu’on la considère comme une cible.
Il faudra attendre l’an prochain pour pouvoir mesurer les choses proprement, à savoir mesurer séparément les évolutions des effectifs et des capacités d’accueil. Ce tour de passe-passe sera alors beaucoup plus difficile à faire, et on réalisera peut-être la supercherie… Trop tard ?
Excellent ! Il faut que ces choses-là soient dites haut et fort.
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Très intéréssant l’éclairage sur le nombre de place et leur évolution.
Je pense que grand nombre de gens pense, comme vous l’écrivez, « places de cinéma ». Place physique. Prend pas ma place…