Le texte final de la loi ORE, issu de la rédaction proposée par la ministre, instaure un régime d’exception à l’obligation générale de transparence et de communication des documents administratifs. Cela s’est essentiellement joué autour de deux amendements.
Transparence
D’abord, en décembre 2017, Cédric Villani a porté l’amendement 245 portant sur la loi Orientation et Réussite des Étudiants, qui dit la chose suivante :
“La communication, en application des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, du code source des traitements automatisés utilisés pour le fonctionnement de la plateforme mise en place dans le cadre de la procédure nationale de préinscription prévue au I s’accompagne de la communication du cahier des charges présenté de manière synthétique et de l’algorithme du traitement”.
Il introduit des garanties de transparence.
Mais, selon le Sénat, “ces garanties ont été vidées de leur substance par un amendement de dernière minute”.
Exception
En effet, en février 2018 lors des débats sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, Frédérique Vidal a porté l’amendement 204, qui dit la chose suivante : “Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription prévue au I, les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise.”
Dans les faits, cela conduit à un régime d’exception, puisque certaines obligations n’ont plus à être satisfaites, et notamment celle du L. 312-1-3 : “les administrations publient en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles”.
Cet amendement, supprimé par le sénat et réintégré par l’assemblée à plusieurs reprises, a surpris les membres de la commission mixte paritaire :
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous avons eu un débat sur les algorithmes en commission, qui avait abouti à un avis plutôt défavorable. Nous souhaiterions pouvoir échanger avec vous sur ce sujet, madame la ministre.
De quoi s’agit-il exactement ? Pouvez-vous nous donner des informations complémentaires, en particulier sur la publication des algorithmes et la question de la transparence ?Mme Frédérique Vidal, ministre. La publication des algorithmes est inscrite dans la loi : ce n’est pas le sujet ici. Cet amendement vise simplement à permettre à un candidat d’obtenir communication, dans le cadre d’une démarche individuelle, des raisons de la décision le concernant, tout en préservant le secret des délibérations des équipes pédagogiques, que le Conseil d’État a consacré il y a deux ans.
Considérant cette réponse, et considérant que le secret de délibération n’intervient que lors de l’examen individuel des dossiers, et non pas lors de la définition des algorithmes locaux, il peut sembler évident que ces derniers doivent bien être publiés en ligne pas les établissements d’enseignement supérieur.
Confusion
Pourtant, cet amendement a entouré cette question de confusion (voir NextInpact ici, là ou là. Le Monde en a même conclu que “Malgré le vote du Sénat, les députés ont suivi le gouvernement, afin de permettre aux établissements de ne pas dévoiler leur algorithme de classement des candidatures reçues via Parcoursup”. La confusion atteint même les présidences des universités, dont certains membres estiment que les algorithmes locaux sont couverts par le secret des délibérations.
A ce jour, aucune directive ministérielle n’est d’ailleurs donnée dans le sens de la publication et la confusion a encore été accentuée par la publication de l’algorithme national Parcoursup, sans son cahier des charges ni la structure de sa base de donnée. C’est ainsi que l’on a peut lire sur le site du ministère “rendre transparente l’intégralité de la procédure Parcoursup”.
Enjeux
Les enjeux sont grands autour de cette transparence.
Enjeu pédagogique
La loi Orientation et Réussite des Étudiants s’appuie sur le postulat qu’une meilleure orientation permettra d’améliorer la réussite des étudiants. Mais il ne faudrait pas réduire cette meilleurs orientation à une meilleure affectation. L’orientation passe aussi par la compréhension de son parcours, des raisons qui ont fait que telle filière étaient plus adaptée plutôt que telle autre. Et ces raisons doivent dépasser les résultats scolaires, les filières d’origine, ou le froid constat que trop de candidats sont mieux classés.
En matière d’orientation, il faut effectivement remettre de l’humain, et cela passe nécessairement par la publication, mais surtout l’explication, des algorithmes locaux.
Enjeu social
Les algorithmes se déploient à tous les niveaux de la société. Ils présentent des avantages indéniables, comme des risques non négligeables. Il faut faire la différence entre les algorithmes des entreprises, qui relèvent souvent du secret industriel ou du secret des affaires, et les algorithmes utilisés dans l’administration.
En conduisant à des décisions individuelles, ces derniers nous administrent. C’est donc l’essence même de la démocratie qui impose non seulement leur totale transparence, mais en détail et sous une forme intelligible. Accepter que des algorithmes totalement secrets prennent des décisions pour nous, c’est accepter une nouvelle société.
Candidater dans Parcoursup sans pouvoir connaître les algorithmes locaux revient à participer à un concours sans jamais pouvoir en connaître les épreuves. Il y a quelque chose kafkaïen en ça.
Enjeux politiques
Vu les contraintes juridiques qui entourent les commissions d’examen des vœux, nul doute qu’une trop grande transparence annoncée aurait était un frein à l’adoption de Parcoursup par la communauté universitaire, ne serait-ce que par la masse de travail nécessaire.
De plus, cette transparence peut conduire à une augmentation des contestations, non seulement en raison de critères possiblement illégaux, mais aussi en raison de critères nécessairement discutable. Beaucoup de décisions ne peuvent en réalité pas être fondée objectivement, et la plupart, si elles favorisent les uns, défavorisent les autres. On n’ose imaginer les conséquences d’un algorithme local, et donc du classement subséquent, qui viendrait à être déclaré illégal durant ou après l’affectation des bacheliers…
Enfin, dans une perspective économique, les algorithmes locaux peuvent s’apparenter à des “recettes secrètes” pour recruter les meilleurs étudiants. Il est alors naturel, pour chaque formation, de les protéger tels des secrets industriels, afin de garder une avance sur ses concurrents.
Conclusion
A tous les niveaux et pour tous les acteurs, la transparence des algorithmes locaux est un véritable enjeu. De lourdes conséquences sont à attendre, qu’ils soient publiés ou gardés secrets. Néanmoins, il me semble qu’une publication accompagnée d’un effort conséquent d’explication pour que chaque bachelier puisse comprendre les raisons de son orientation est en réalité indispensable.
S’il faut remettre de l’humain, c’est bien ici. Et si ces algorithmes ne sont pas de bêtes machines à trier, alors il n’y a rien à craindre, les bacheliers sauront les comprendre et les respecter. La démarche de la réussite par l’orientation est au cœur même de la loi Orientation et Réussite des Étudiants, mais comment demander à un bachelier de réussir ainsi tout en le privant des moyens de comprendre la façon dont il a été orienté ?
Plus qu’une question de justice avec les candidats, la transparence des critères de sélection dans le supérieur est aussi une question politique, qui touche à l’organisation même de notre société :
« Plus discrète, une autre transgression décisive fut mise en place au début du XXe siècle : la prise en compte de la filiation dans les critères d’admission des principales universités du pays. Au moment de s’inscrire, les jeunes postulants bénéficient en effet d’un traitement de faveur lorsqu’un de leurs parents — généralement leur père — a fréquenté l’établissement. « En réservant des places d’office aux membres de la pseudo-aristocratie “de fortune et de naissance”, écrit l’essayiste Michael Lind, le droit de succession universitaire a introduit le serpent aristocratique dans le jardin d’Éden de la république démocratique. »
Aujourd’hui, ces critères de sélection héréditaire (legacy preferences) sont en vigueur dans les trois quarts des cent universités américaines les mieux cotées, publiques et privées. Ils règnent également dans les cent meilleures écoles d’arts libéraux du pays. Outre les résultats scolaires, la couleur de peau, le sexe et l’origine géographique, ces établissements prennent en compte la famille des candidats, sans dévoiler le poids qu’ils accordent à chacun de ces critères.«