Maintenant que les affectations sont (presque) finies dans l’enseignement supérieur, la communauté va pouvoir se concentrer sur le second volet de la loi Orientation et Réussite des Etudiants (ORE) : la réussite des étudiants, seul et unique objectif affiché de la réforme. Quelques minutes de travail par filière permettraient d’améliorer significativement ce volet. Pourtant, ce petit travail ne sera peut-être pas fait. Voilà comment.
Améliorer la réussite par l’orientation et l’acompagnement
L’amélioration de cette réussite s’appuie sur deux dispositifs : une meilleure orientation grâce à l’examen des dossiers de candidatures, et un meilleur accompagnement grâce aux mesures d’accompagnement personnalisé (ou « oui si »). L’absence quasi-totale de cadrage national en ce qui concerne ces deux dispositifs est très favorable à l’expérimentation et à la diversité des approches. En effet, chaque filière est totalement libre dans sa façon de classer les candidatures, comme dans l’élaboration des mesures d’accompagnement et la sélection des étudiants qui devront les suivre. La France est ainsi devenu un formidable terrain d’étude pédagogique : nous allons pouvoir, à l’échelle d’une nation, connaitre les techniques d’orientations et les mesures d’accompagnement qui fonctionnent et sous quelles conditions.
Cependant, faire émerger cette connaissance implique que soit, dès cette année, mise en oeuvre une méthode d’évaluation standardisée. Sans cette évaluation, nous commettrions la même erreur que pour le plan pour la réussite en Licence, dont aucun bilan n’a jamais été tiré et qui n’a jamais réellement permis de faire émerger de la connaissance à l’échelle nationale. Ce défaut de bilan explique en partie pourquoi la loi ORE en reprend encore les termes 10 ans plus tard.
Les connaissances à produire à l’échelle nationale
Dans l’idéal, il faudrait répertorier la totalité des techniques d’orientation, de sélection et d’accompagnement, et d’arriver à les caractériser en terme d’efficacité, sans manquer de les mettre en perspective avec les particularités locales et autres biais inévitables. Un tel travail serait profitable à l’ensemble de la communauté, en permettant à chaque formation d’améliorer ses propres procédures et pratiques, de découvrir de nouvelles idées, comme d’éviter les fausses bonnes idées qui sont légion dans le domaine.
C’est ambitieux. Trop sans doute, sauf à compter sur un important support du ministère. Il s’agit donc d’adopter une approche plus modeste.
Enquête de terrain ou statistiques nationales ?
Lorsqu’on en vient à l’enseignement, deux approches sont possibles.
D’une part, les enquêtes de terrain permettent d’avoir une vision fine, comprenant les trajectoires individuelles et prenant en compte les biais, mais limitée dans le temps et l’espace. Par exemple : [« Essai de mesure de l’efficacité différenciée d’un plan « Réussite en licence » selon les acquis initiaux des étudiants », Cathy Perret, Julien Berthaud et Stéphanie Benoist] ou [« L’Université n’est pas en crise. Les transformations de l’Enseignement supérieur : enjeux et idées reçues », Romuald Bodin et Sophie Orange].
D’autre part, les grandes enquêtes statistiques permettent de dégager des tendances et d’identifier des particularités, mais sans comprendre les biais, réalités locales et trajectoires individuelles. Par exemple: [Réussite et échec en premier cycle, note d’information MESR ] ou [Repères & références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2018, DEPP].
Pour caricaturer, on peut donc identifier des réalités à grande échelle mais sans les comprendre, ou les comprendre mais sans les identifier à grande échelle. Malheureusement, aucune de ces deux approches n’est satisfaisante
Statistiques nationales et enquêtes de terrain ciblées
Un enquête de terrain au niveau national étant impossible à mener, il faudra se limiter à une enquête statistique nationale, qui doit permettre d’identifier les filières qui ont obtenu des résultats particuliers. Cette identification permettra ensuite de mener des enquêtes de terrain ciblées, ou à défaut, d’obtenir des informations plus précises sur les mises en oeuvre qui ont conduit à des résultats remarquables.
Par chance, les statistiques nécessaires sont déjà disponibles ! En effet, les établissements font déjà remonter tous leurs taux de réussite au niveau national [#DataESR], déclinés en fonction du profil des étudiants. Il s’agit simplement de faire la même chose, mais décliné selon les filières et mesures d’accompagnement. Pour bien faire, il faudrait aussi simplement calculer le taux d’abandon, qui est une statistique dont dispose les établissements mais qui n’est pas remontée au national.
Très concrètement
Très concrètement, il suffirait donc que chaque filière fasse remonter, pour chaque parcours, ces trois informations :
- Inscriptions : nombre d’inscrits dans la formation
- Présences aux examens : nombre de présents aux examens (c’est la donnée manquante au niveau national)
- Passages : nombre ayant validé leur année/semestre.
Ces trois informations permettent de calculer les :
- Taux d’abandon = Présences aux examen / Inscription
- Taux de réussite = Passages / Présences aux examen ou Passages / Inscription
Pour démontrer la simplicité de ces informations, voici un document en ligne et une version téléchargeable (en version annualisée et semestrialisée), que tout un chacun peut réutiliser.
Ainsi, une comparaison entre les statistiques de cette année et celle de l’an dernier permettent d’identifier rapidement les techniques d’orientation, de sélection et d’accompagnement qui obtiennent des résultats hors du commun, dans la perspective de les étudier de plus près.
Si ces informations peuvent être facilement remontées au ministère et publiées en ligne, cela impliquera des délais prohibitifs, de l’ordre de deux ans. Or, c’est dès cette année qu’il nous faut des élément de décision, afin d’améliorer la rentrée prochaine. C’est pourquoi les établissements, au travers de leur commission de la formation (CFVU), devraient sans attendre mettre en place une telle collecte. Les premiers résultats peuvent être obtenus dès janvier prochain, à la fin du premier semestre, ce qui laisserait assez de temps pour préparer la rentrée de septembre 2019. La CPU pourrait également impulser cette action.
Quels sont les risques ?
Il existe donc un initiative qui ne coûte rien, qui est facile à mettre en œuvre et est indispensable pour progresser… Pourtant il est possible qu’elle ne soit pas concrétisée. Deux risques se font face :
D’un côté, il existe le risque de se diriger vers une réforme bancale, impossible à faire aboutir, faute de disposer des outils permettant de l’améliorer et d’en tirer le meilleur.
D’un autre côté, il existe un risque de découvrir que les bénéfices de la réformes sont faibles en regard de ses défauts, qu’elle est un échec, et non pas en raison d’un défaut de mise en oeuvre, mais d’un défaut structurel.
Ce sera aux acteurs des universités, du ministère aux équipes pédagogiques, en passant par la CPU et les CFVU, de peser le pour et le contre de ces deux risques et de prendre les décisions qui s’imposent.