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Hausse des frais d’inscription des étudiants étrangers : fracture ouverte

Le 19 novembre 2018, le premier ministre annonçait la hausse des frais d’inscription des étudiants extra-communautaires. Si les premières réactions sont unanimes contre le principe même, les dernières positions, d’apparence plus dure, l’approuvent en réalité. Derrière une apparente unanimité, c’est une fracture profonde de notre système d’enseignement supérieur qui s’ouvre.

De la question du principe…

Les premières positions prises à la fin de l’année 2018, émanant de la communauté, étaient en effet très claires sur le refus du principe même de l’augmentation des frais d’inscription, et notamment différenciée, « jugée contraire au principe fondateur d’une université française ouverte à tous » [voir les listes CJC et SNESUP].

Montée en tension

Le 10 décembre 2018, un communiqué de la Conférence des présidents d’université (CPU) indique « il est urgent d’ouvrir la concertation ».

Le 11 décembre 2018, un courrier de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) indiquait que cette hausse devait compenser le désengagement de l’Etat dans le financement des universités, provoquant « la colère de nombreuses équipes de direction ». Ce courrier restera secret.

Le 13 décembre 2018, le président de Paris-Nanterre

Le 13 décembre 2018, la CPU répondait par un nouveau communiqué indiquant que son conseil d’administration « ne se satisfera pas de simples corrections de formulation. Il attend des lettres à venir une évolution claire.».

Le 16 janvier 2019, la ministre de l’Enseignement supérieur recadrait sévèrement les présidents d’université devant le Sénat, évoquant le « devoir d’obéissance et le devoir de loyauté » de « tout fonctionnaire ».

Mais dès le 15 janvier 2019, des universités annoncent qu’elles ne mettrons pas en place les frais d’inscription, et le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur depuis.


… A la mise en œuvre.

Cependant, contrairement à ce qu’on peut lire dans la presse [ici ou ], des positions d’universités sont en réalité très loin d’être une opposition : Université Lumière Lyon 2 [communiqué 15/01/2019], Aix-Marseille Université [décision votée en CA 18/01/2019], Université Grenoble Alpes [presse (18/01/2019)] et Université de Strasbourg [communiqué du président 29/01/2019] indiquent en réalité ne pas appliquer la hausse des frais d’inscription « pour la rentrée 2019/2020 ».

On ne trouve aucune trace d’opposition au principe dans ces communiqués, dont peu sont disponibles en ligne. Au contraire, on regrette simplement le calendrier et les conditions de la mise en œuvre de la hausse des frais d’inscription des étudiants étrangers.

Cette mesure se retrouve d’ailleurs presque mot-à-mot dans les actes du colloque annuel de la CPU « Autonomie des universités » dès 2001 [III.1.b Le financement des études par les étudiants étrangers, p.42].

Structuration des jeux de concurrence

Il apparaît donc que la sécurisation des recettes propres générées par la hausse différenciée des frais d’inscription soit à l’origine du rapport de force entre le Ministère et les universités… Mais qu’une seconde grille de lecture soit pertinente : celle des jeux de concurrence entre universités. Cette hausse touche en effet directement aux stratégies des établissements, dont la situation et les stratégies sont très hétérogènes [voir Frais de scolarité des étudiants étrangers : les budgets des universités menacés ?]. 

Certaines universités sortiront de cette mesure renforcées, et d’autres fragilisées. Puisque l’enjeu n’est plus la mesure en soi, n’est-ce pas là l’enjeu réel des négociations que les présidences d’universités appellent de leur vœux ?

Or, la carte des universités favorables à la mesure mais pas à ses conditions de mise en œuvre correspond assez bien à la carte de la Coordination des universités de recherche intensive françaises (CURIF), qui réunit les établissements visant un rayonnement international par la recherche. Ces établissements ne sont pas hostiles à une économie ouverte de la connaissance, mais sont les plus touchés par une modification du régime tarifaire des formations ouvertes à l’international.

Fracture

Une chose frappante est que la menace qui pèse sur le principe fondateur d’ouverture à toutes et tous, qui occupe essentiellement la base des universitaires, semble totalement éclipsée dans les négociation actuelles entre les dirigeants des universités.

Derrière cette question, c’est en réalité la question de la fracture de tout notre système universitaire qui se pose : fracture entre les établissements n’ayant plus d’intérêt commun ; fracture entre les universitaires n’ayant plus de principes communs.

Pendant que certains défendent un principe d’ouverture à toutes et tous, d’autres se positionnent politiquement dans l’ouverture d’un marché de la connaissance… Et ils ne se parlent même plus.

Annexe : analyse des positions des universités

Ce tableau réuni les positions publiques de présidence ou de Conseil d’administration que j’ai été en mesure de trouver sur les site officiel des universités. Le décalage, au cours du temps, de l’opposition vers la mise en œuvre y est bien visible. N’hésitez pas à me signaler toute autre position du même type.

 

Commentaires (3)

  1. Dubessy Jean, Directeur de Recherche au CNRS, retraité

    Oui, ce projet est inadmissible pour toutes les raisons données.
    Il me semble urgent de construire la mobilisation des personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche avec les étudiants et les organisations syndicales opposées à ce projet pour prendre une initiative nationale exigeant le retrait immédiat de ce projet.
    Dans un premier temps, ne faut-il pas des assemblées générales des personnels et étudiants pour construire la mobilisation unitaire sur la revendication claire de retrait de ce projet ? Ne faut-il pas préparer partout des Manifestations devant les rectorats et préfectures ?

    Dernier commentaire. Personnellement, je pense que cette mesure accompagne parfaitement la loi ORE et Parcoursup qui individualisent les parcours et casse l’égalité des droits des titulaires du BAC par des BACS maisons.

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    1. David Alary Maître de conférences en activité

      Monsieur,
      Je ne vois pas en quoi ce projet est inadmissible. Les étudiants étrangers ne participent pas par le paiement de l’impôt au financement de l’Université. Connaissez-vous l’état des budgets des universités ? Les ressources financières sont rares et les besoins des universités sont criants. Pourriez-vous me rappeler puisque vous êtes retraité quel était le taux d’accès à l’université pour vos 18 ans ? L’égalité des droit des titulaires du BAC (comme s’il était unique actuellement) est une vaste fumisterie. Je dois inscrire des titulaires de BAC pro esthétique en L1 de droit pour un taux de réussite nul. Alors si je peux mieux accueillir les étudiants étrangers qui ont la capacité de réussir avec les droits d’inscription différenciés, pourquoi pas ? Si je peux mieux aider avec des vraies bourses et pas les cache-misères actuelles des étudiants européens ou pas, pourquoi pas ?
      Et pour en revenir à votre dernier commentaire : et si je peux faire comme les classes prépa, les IUT et les BTS (sans parler des écoles post-bac avec des bachelors à 8000 euros l’année) orienter (pour ne pas dire sélectionner car cela fâche ceux qui n’ont jamais fait un amphi de première année) les élèves de lycée pour qu’ils réussissent mieux, pourquoi pas ?
      Parce que l’Université est universelle ? La belle affaire, elle n’est plus que la roue de secours de l’enseignement supérieur, les parents informés préférant les CPGE ou au pire les boites à diplôme d’antan avec leur « Bachelor » et autre MSc. Manifestez donc Monsieur et laissez l’Université tenter de se sauver dans un système d’enseignement supérieur toujours plus compétitif en France et dans le monde.

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  2. Pingback: Revue de presse du 03/02/2019 – Alternative

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