Le 15 août est le jour de la sortie du classement de Shanghai. La ministre trouve les résultats formidables, et s’empresse de l’utiliser pour légitimer les politiques qu’elle poursuit. Jean Winand nous explique « à quoi servent les classements universitaires » mais pour Hugo Harari-Kermadec, ce classement a surtout poussé la France à faire des choix qui vont à l’encontre de « l’esprit de service public ».
« Le classement de Shanghaï n’est pas fait pour mesurer la qualité des universités françaises » https://t.co/BVeHX5h66p
— Le Monde Campus (@lemonde_campus) August 15, 2019
Excellence
On aurait tort de trop mépriser ce marronnier… Que reste-t-il d’autre en matière de pilotage de la recherche au niveau des ministères et présidences ?
Certainement pas la diffusion des connaissances, comme en atteste la « décision juridique de bloquer l’accès à Sci-hub et Libgen en France », le retard de mise en œuvre du plan S, encore largement ignoré des chercheurs français, ou l’accord passé avec Elsevier alors que le reste du monde est en train de s’en émanciper.
Certainement pas non plus la production des connaissances, la France ne cesse de perdre des places en terme de publications, incapable de résister à la pression de l’investissement de la Chine et l’Inde, comme le soulignait en 2018 Sylvestre Huet.
Au niveau du pilotage de la recherche, c’est comme si toute notion de recherche s’était effacée derrière la compétition avec nos collègues, qu’ils soient d’un autre établissement, ou d’un autre pays. Même lorsqu’on cherche à monter des collaborations, c’est uniquement au sein de compétitions.
Au cœur de cette nouvelle façon d’appréhender la science, on trouvera facilement la notion d’Excellence, suffisamment molle pour justifier tout ce qui doit l’être (y compris le désinvestissement), suffisamment évocatrice pour que la honte domine chez ceux qui n’en sont pas (y compris les brillants).
#DocEnStock "Europe – the Global Centre for Excellent Research" par @EP_Industry https://t.co/ZzeovOZvoQ pic.twitter.com/DhOSaPZa5w
— Julien Gossa (@JulienGossa) May 5, 2019
Notre stagnation dans les classements ne serait pas si grave, si on n’avait pas décidé de totalement transformer notre système d’ESR dans le seul but d’y grimper : fusions, politique d’excellence, agences d’évaluation ou de moyens… Tout l’arsenal moderne qui contraint actuellement la recherche française a été conçu dans cet unique objectif, comme en atteste un des rapports Attali.
Marrant ce chapitre qui explique l'IDEX sans les foutaises habituelles.
"Bon, on a pas les thunes, alors on va les concentrer dans 10 endroits et laisser crever les autres".En plus, PUP, ça fait puppy… C'est moins hypocrite que "excellent".https://t.co/1xvXbQgrqq pic.twitter.com/D9VUZstWwp
— Julien Gossa (@JulienGossa) April 25, 2019
Les politiques de regroupement, dont le seul objectif officiel est donc de grimper dans les classements, sont bien une exception française, en nombre comme en taille. C’est ce que montre le rapport de l’EUA à ce sujet, qui, pour faire apparaître des établissements d’autres pays, a été obligée de faire deux classements, dont un excluant les COMUEs. Une carte interactive des fusions a même été réalisée.
#VeilleESR University Mergers in Europe par @euatweets
Un rapport qu'on pourrait appeler : "Fusion des universités, l'exception française"https://t.co/bWovlN2ZXf pic.twitter.com/F9v9b5Mbfg
— Julien Gossa (@JulienGossa) June 2, 2019
Nous n’avons pas ménagés nos efforts, allant jusqu’à étudier les principaux classements, et simuler l’impact des fusions… Étonnamment, cet impact semble à première vue négatif, comme le montre cette simulation rapportée dans le rapport IGF/IGAENR « La prise en compte des classements internationaux dans les politiques de site ». Étonnamment surtout, cela nous a pas empêché de poursuivre.
Depuis, les preuves de l’inefficacité des politiques d’Excellence commencent à s’accumuler… Que ce soit en terme de regroupement, de distribution des moyens ou d’encouragement de la production scientifique.
[#VeilleESR #WRanking] Référé de la @Courdescomptes "Initiatives d’excellence et politique de regroupement universitaire"
(Spoiler alert: "Hihihi, ça marche pas") https://t.co/3g1Cc1GlKt
— Julien Gossa (@JulienGossa) August 15, 2019
Finances
Passés la compétition et les classements, il faut regarder les actions concrètes des dirigeants… Et c’est tout de suite moins brillant.
Niveau international
A l’échelle internationale, on est mal. Très mal même. L’investissement de la Chine a dépassé celui de l’Union Européenne en 2014, et s’apprête à dépasser celui des Etats-Unis, si ce n’est pas déjà fait. Nous avons du mal à le réaliser, mais nous ne sommes déjà plus dans un monde où nous sommes deuxième.
Pire, il faudrait commencer à se préparer à un monde où les Etats ne sont plus premiers : le budget R&D d’Amazon est aujourd’hui équivalent à celui du MESRI…
#VeilleESR En 2018, le budget R&D d'Amazon est devenu équivalent à celui sur Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l'Innovation (MESRI) français.
C'est à un bouleversement des équilibres mondiaux que nous assistons. https://t.co/KmlIrJe1wO
— Julien Gossa (@JulienGossa) June 6, 2019
Niveau européen
Au sein de l’UE, ce n’est guère mieux… La France est (avec l’Allemagne) le pays qui perd le plus au jeu de la redistribution des crédit Horizon : -1,2 Md€. On aimerait y voir une forme de générosité, de solidarité, quelque chose qui nous honore… Mais ce serait faire abstraction de la totalité des politiques, discours et injonctions auxquels nous sommes soumis.
Niveau national
Et au niveau national, c’est sans grande surprise qu’on constatera que dans le budget de la recherche, la part de la MIRES (27Md€ – Mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur) augmente bien moins que celle des « dépenses fiscales » (12Md€ – CIR, CII, etc). Rapportée à l’inflation, à l’augmentation des charges et aux nouvelles missions, l’augmentation du budget de la recherche publique apparaît même en baisse.
#VeilleESR Note d’analyse de l’exécution budgétaire (NEB) Mission recherche et enseignement supérieur https://t.co/BWHqGzhWvU pic.twitter.com/RDc5bH03KE
— Julien Gossa (@JulienGossa) June 1, 2019
Investissement privé
Malgré cette générosité avec les entreprises, le fameux effet de levier se fait discret : leur investissement reste tout à fait médiocre. Nos subventions en pourcentage du PIB ont beau être presque le double de celles des USA, et les tutoyer en valeur brute, notre investissement privé en R&D reste un quart en dessous… Seule la Russie fait pire que nous, mais nos économies sont-elles vraiment comparables ?
Programmation pluriannuelle de la recherche
Cette année nous a également gratifiés d’un moment de franche rigolade, lorsque le premier ministre a annoncé sa volonté de mettre en place une loi de « programmation pluriannuelle de la recherche ». Nous n’avions donc pas de politique de recherche ?
Le gouvernement espère avoir une politique de Recherche à partir de 2021
Grande consultation nationale
Mais la rigolade fût de courte durée… D’abord fût officiellement mis en place une consultation des acteurs de la recherche. La participation suffit à s’inquiéter sérieusement de l’état actuel de notre système de recherche : « 679 contributions, 679 participants ». Une vraie gifle : faut-il que les chercheurs soient à ce point détournés ou défiants vis-à-vis des dirigeants pour que si peu donnent leur avis ? Les résultats, compilés par un groupe de travail à la composition intéressante, devaient être publiés en juillet, ce qui n’a pas été le cas à ma connaissance.
Vraie grande consultation nationale
Une autre consultation, plus sérieuse, a été menée par 23 société savantes, portant sur 4 axes : financement, emploi, organisation et relations recherche/société. Plus de 9000 réponses ont été collectées et analysées, avec une véritable rigueur scientifique. Il faut saluer l’initiative autant que le travail. On peut résumer le résultat de cette consultation en deux revendications : moins d’ANR et plus de collègues.
#VeilleESR Recommandations prioritaires pour la Loi de programmation pour la recherche suit à la grande consultation menée par 10 société savantes et notamment @patrlemaire https://t.co/ey7TLkevSY pic.twitter.com/uN1oYKswJM
— Julien Gossa (@JulienGossa) June 30, 2019
Las, dans une parodie flash des gouvernements en 2006 qui proposèrent un « pacte pour la recherche » en tous points contraire aux revendications des chercheurs exprimées dans le Rapport des Etats Généraux de la Recherche de 2004, la direction du CNRS s’est empressée de réclamer plus d’ANR et moins de collègues.
[#VeilleESR #LLPR] Propositions du CNRS dans le cadre de la préparation de la LPPR (Loi de programmation pluriannuelle de la recherche).
Pour améliorer la situation, le CNRS demande encore plus de ce qui a aggravé la situation.https://t.co/adwXbKNSqz pic.twitter.com/svPKMRE6Tr
— Julien Gossa (@JulienGossa) July 24, 2019
Résumons
L’objectif était simple : concentrer les moyens sur une dizaine d’établissements à visibilité mondiale. Mais tout comme pour Parcoursup, les frais d’inscription et l’emploi, tout semble se dérouler comme si cette politique échouait totalement à atteindre le but qu’elle s’était fixée.
La encore, les universitaires agissent contre leur valeurs et intérêts : malgré les preuves (quotidiennes et documentées) d’inefficacité, ils fusionnent, jouent le jeu de la compétition, conçoivent, répondent et se classent entre eux dans d’incessants appels à projet…
Les consultations immédiatement détournées par des dirigeants ne sont pas une clé de compréhension suffisante. Face à une situation d’une telle gravité, même les dirigeants agissent manifestement contre leurs propres intérêts. Quand bien même seraient-ils à l’abri des conséquences de ces politiques (par proximité à la retraite ou renommée déjà faite), quel plaisir peut-on bien avoir à laisser un système dans un tel état ?
Un trait commun se confirme cependant dans toutes ces politiques de l’ESR : le mauvais traitement que nous réservons à notre jeunesse. Peut-être même encore plus durement qu’avec Parcoursup et l’emploi, ce sont maintenant les jeunes recrutés qui sont les premiers lésés de cette politique, réduits à abandonner leur précieux sujets de recherche pour s’adonner à la recherche de crédits. C’est ce que montre tristement une des très rares enquêtes menées sur les conditions de travail des chercheurs français.
Nous touchons là, il me semble, à un invariant trop manifeste pour qu’il soit fortuit. C’est ce que nous verrons dans la suite de notre investigation.
(A suivre)
Résultats de l’enquête 2017 sur les jeunes chercheurs – enseignants chercheurs dans les laboratoires rattachés à l’INSIS.
Beaucoup de choses très intéressantes dans ce rapport, qui aborde des questions qui ne le sont que trop rarement. ⬇️https://t.co/3lUuSIEkOH pic.twitter.com/uRmhuG8kZT
— Julien Gossa (@JulienGossa) March 8, 2019
Photo de couverture par João Silas sur Unsplash
Pourriez-vous nous expliquer en quoi la simulation présentée dans le Tableau 22 « montre » un impact « à première vue négatif » des fusions sur la position des universités françaises dans le classement ARWU ?
Cordialement
Sur 24 regroupements, entre 2015 et 2016 :
– 15 stagnent (dont 5 n’entrent pas dans le classement)
– 8 régressent (dont 2 sortent carrément du classement)
– 1 s’améliore
On peut raisonnablement en déduire que, si les regroupements permettent d’accéder (artificiellement) au classement ARWU, ils ne permettent pas d’y progresser (ce qui devrait pourtant être l’objectif, s’il devait y en avoir un par rapport aux classements).
Ajoutons « Ne trouveraient vraisemblablement un avantage au classement du site, que les seules COMUE dont plusieurs
établissements membres sont déjà classés » et « le classement de la COMUE dans les classements globaux et/ou thématiques vaudrait disparition des établissements membres de ces mêmes classements », dont on peut conclure que les regroupements ne permettront pas de faire rentrer dans ce classements les établissements qui n’y étaient pas, et diminueront in fine le nombre d’établissement français classés.
Cordialement
dont 2 sortent carrément