En dépouillant les bilans (Parcoursup, Hausse des frais d’inscription, Emplois et Recherche) de l’indispensable, c’est-à-dire des preuves, on arrive à en tirer l’essentiel, c’est-à-dire des traits communs aux transformations actuelles :
- l’échec des mesures à atteindre leurs objectifs fixés ;
- l’action des universitaires en opposition à leurs valeurs et intérêts ;
- le mauvais traitement réservé aux plus jeunes.
1. L’échec des mesures à atteindre leurs objectifs fixés
Officiellement, Parcoursup et la loi ORE devaient améliorer la réussite par une meilleure orientation. Officieusement, ils devaient permettre de gérer la hausse du nombre de bacheliers sans augmenter les budgets, mais en évinçant les candidats les moins bien préparés. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint : les mesures d’accompagnement personnalisées (« oui si ») montrent surtout une concentration des étudiants les plus faibles, et les effectifs globaux en première année continuent d’augmenter.
Officiellement, la hausse des frais d’inscription des étudiants étrangers devait améliorer l’attractivité internationale. Officieusement ces hausses devaient d’une part diminuer le nombre d’étudiants étrangers et d’autre part augmenter les ressources propres, ce afin d’améliorer la situation budgétaire des universités. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint : le nombre d’étudiants étrangers ne baissera pas substantiellement, et les frais nouveaux ne couvriront que les charges nouvelles.
Officiellement, la gestion autonome de l’emploi devait permettre de mieux adapter la dépense aux besoins et stratégies. Officieusement, elle devait au moins permettre de recruter quelques stars pour grimper dans les classements. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint : les précaires se démultiplient et son maltraités, mais les stars ne se pressent pas aux portes de nos universités.
Officiellement, la politique d’Excellence devait améliorer les performances scientifiques nationales et européennes. Officieusement, la concentration des établissements devait permettre d’améliorer les indicateurs des classements. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint : la France ne résiste pas à l’investissement de la Chine et de l’Inde, les classements restent de marbre, et l’Europe n’arrive même pas à se doter d’une politique de publication scientifique commune.
2. L’action des universitaires en opposition à leurs valeurs et intérêts
Dans ces quatre domaines, il est frappant de voir que ce sont des universitaires, à tous les niveaux, qui mettent en œuvre ces politiques vouées à l’échec, mais surtout contraires à leurs valeurs et intérêts.
Attachés aux valeurs humanistes, ils investissent pourtant énormément de temps et d’énergie à trier leurs étudiants sur Parcoursup, le plus souvent en vain car tous ou presque seront acceptés. Ils acceptent aussi, difficilement certes, de faire une différence entre leurs étudiants selon leur nationalité.
Attachés aux valeurs du service public, ils acceptent pourtant que leurs étudiants payent eux-mêmes les cours qu’ils dispensent, tout en se défiant de les commercialiser, et sans même que cela améliore globalement leurs conditions de travail ou leur paye. Ils jouent aussi le jeu de la concurrence entre les établissements et formations, entre les disciplines ou les collègues, fusionnant en vain et à grand frais leurs établissements sans même plus espérer d’avantages.
Attachés au fonctionnariat, ils chargent pourtant leurs doctorants de cours mal payés en retard et sans contrat. Ils définissent pourtant de nouveaux statuts et des choix budgétaires défavorables aux personnels, puis organisent des campagnes d’emplois si rachitiques qu’elles confinent à l’organisation d’une concurrence aussi féroce que gratuite, puisqu’elles ne permettent de recruter ni suffisamment, ni mieux.
Attachés au temps long de la recherche et aux libertés académiques, ils organisent des appels à projets normés, bornés dans le temps, y répondent et trient les réponses, et ainsi se trient entre eux, bornent et norment leurs propres travaux, détournant leur temps de recherche pour détourner ensuite celui de leurs collègues, sans jamais qu’un bénéfice ne soit démontré, ni pour eux, ni pour la société, ni pour la science.
Ce sont ces constats qui m’ont conduit à émettre une triste hypothèse : serions-nous devenus des universitaires-zombies, empreints de valeurs qui ne guident plus nos actes, comme des corps agissant sans l’esprit ?
Hausse des frais d’inscription : sommes nous devenus des universitaires-zombies ?
3. Le mauvais traitement réservé aux plus jeunes.
Ce troisième point est peut-être le moins évident à percevoir… ou peut-être le plus difficile à accepter. Il me semble pourtant indéniable.
Il est clair que Parcoursup maltraite les lycéens par une inutile attente et une stressante mise en concurrence, y compris pour les formations qui n’en nul besoin. Il les inondent aussi d’informations parfaitement inutiles, qui les poussent à élaborer des stratégies stériles. Pensons seulement au Terminales pour qui on a changé les règles du jeu à quelques mois du bac, ou au Secondes à qui on a pas énoncé les règles du jeu du choix des spécialités.
La hausse des frais d’inscription maltraite tout autant les étudiants, par le paiement de services auparavant donnés, mais aussi par les jalousies qui peuvent survenir dans les cours mutualisés entre cursus gratuits et payants, ce qui est souvent le cas à l’université.
De façon flagrante, la politique d’emploi maltraite les doctorants par la précarisation des conditions de travail et des carrières. Ce mauvais traitement est tel que certains s’organisent pour défendre leurs droits, au risque d’être bannis du système pour cela.
Même la politique de recherche s’abat le plus fort sur les jeunes recrutés, les contraignants à abandonner les projets de recherche sur lesquels ils ont été recrutés, pour les livrer immédiatement à la recherche de financements. Ils sont ainsi aux premières loges des injustices de la sélection, d’autant plus dures à recevoir qu’on est jeune, sans réputation et conscient des enjeux de carrière.
Conclusion
Ces trois traits caractéristiques des transformations en cours semblent tant irrationnels lorsqu’on les met bout-à-bout, que même en y ajoutant des leviers puissants, comme la pression budgétaire ou les intérêt individuels, ils continuent de former une sorte de mystère.
Sans prétendre être en mesure de le percer, au moins faut-il tenter d’y trouver quelques facteurs explicatifs, et quelques conséquences prévisibles.
C’est ce que nous ferons dans la suite du bilan.
(A suivre)