Utilisant un ton menaçant, le ministère a décidé de s’opposer aux équipes pédagogiques qui valident automatiquement des examens universitaires. Cette décision pourrait bien être motivée par la perspective d’une rentrée 2020 sous très haute tension, due notamment à une augmentation sans précédent du nombre d’étudiants. Cette augmentation pourrait menacer le fonctionnement de Parcoursup, mais aussi augmenter le nombre de formations universitaires en très grande difficulté.
Affrontement sur la note plancher
Face aux difficultés dues au confinement,les équipes pédagogiques et CFVU ont commencé s’organiser notamment pour procéder aux évaluations. Certaines ont adopté des dispositifs de validation automatique, dont le principe de note plancher réclamé notamment par le CNESER qui l’estime être le seul moyen face à la fracture numérique.
Cependant, le 15 mars 2020, la DGESIP mettait à jour son Plan de continuité pédagogique pour y intégrer que « la neutralisation pure et simple d’un semestre (entendue comme sa validation automatique) n’est pas admissible ». Un mois après le début du confinement, le ministère entend donc interdire un dispositif qui a été approuvé et déjà déployé. Frédérique Vial précise même : « Et si d’aventure, certains étaient tentés de le faire, le ministère jouerait son rôle de régulateur et ne validerait pas les épreuves évaluées de cette manière ». Cette menace adressée aux universités est d’une rare violence.
"Il n'est pas question que les diplômes soient bradés cette année." Retrouvez mon interview à @20Minutes dans laquelle je reviens sur l'organisation de la fin de l'année universitaire. https://t.co/BVyNNFyRAO
— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) April 22, 2020
Selon Frédérique Vidal, « c’est la qualité du diplôme national qui est ici en jeu ». Cette justification est des plus étranges, compte tenu des efforts déployés par ce ministère pour réduire les cadrages nationaux (Arrêté Licence de 2018, Cahier des charges Bachelor, Parcoursup, Bac 2021, etc.). Il convient donc de chercher une explication plus raisonnable.
Hypothèse : une hausse insoutenable des effectifs étudiants
Dans ses différentes interventions, le ministère ne s’intéresse jamais à l’enseignement, seulement aux évaluations ( « « évaluer autrement » ne signifie pas « moins bien évaluer »). Ainsi, il faut comprendre « garantir la qualité du diplôme » non comme « garantir une bonne transmission des connaissances », mais seulement comme « limiter le nombre d’étudiants validant leur année ». Effectivement, les validations automatiques augmentent mécaniquement le nombre de passages, donc les effectifs étudiants.
Or, la note du SIES Projections des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2019 à 2028 (Avril 2020) indique « une augmentation de presque 60000 étudiants en deux ans », soit l’équivalent d’une très grosse université alors qu’aucune n’a été construite. Le nombre de candidats lycéens sur Parcoursup continue de progresser, avec une augmentation de presque 3% cette année encore : 658 039 contre 639 905 l’an dernier (+18134).
Habituellement, environ 10% de ces lycéens échouent aux épreuves du baccalauréat et sont donc automatiquement retirés des candidats. Les conditions particulières cette année, alliées aux difficultés de redoublement dues à la transformation du Bac général, pourrait bien conduire à une augmentation du taux de réussite au Baccalauréat, et donc du nombre de candidats admissibles dans le supérieur.
Cette hausse du nombre de néo-bacheliers, si elle s’ajoute à une hausse interne des effectifs due à une validation automatique du semestre, pourrait augmenter le nombre de formations dans des situations insoutenables, notamment en Licences, alors que beaucoup sont déjà arrivée à capacité maximale.
Ajoutons également tous les diplômés de cette année qui ne trouveront pas d’emploi en raison de la crise, et qui souhaiteront donc naturellement prolonger leurs études, et nous pourrons être face à une mise en tension des formations « par les deux bouts » : à l’entrée, mais aussi à la sortie.
A cette augmentation du nombre d’étudiants, il faudra ajouter la surcharge de travail due à la reprise, et notamment les rattrapages des enseignements qui n’ont pas pu avoir lieu. La rentrée universitaire 2020 risque donc de se faire sous haute tension, et pour ne pas avoir à augmenter les moyens, le ministère chercherait donc simplement à maintenir l’éviction habituelle des étudiants due aux échecs aux examens.
Ajouts au 15/07/2020
[CPU – Communiqué de presse] Premiers Résultats du Bac 2020 : à situation exceptionnelle, réponses exceptionnelleshttps://t.co/70ecmDBpCa#Bac2020 #baccalaureat2020 @sup_recherche @VidalFrederique @JeanCASTEX pic.twitter.com/PXllr75NY1
— CPU (@CPUniversite) July 8, 2020
https://twitter.com/CPUniversite/status/1282594473470566403
Les universités préparent un accompagnement renforcé pour les bacheliers 2020 qui ont passé plusieurs mois de terminale à distance.https://t.co/QzUsNkkEL6@CPUniversite @Sorbonne_Univ_ @unistra @universitereims
— Amélie Petitdemange (@APetitdemange) July 10, 2020
Plus d'étudiants mais moins de place, l'équation impossible de la rentrée universitaire https://t.co/0PdaGK2WMl pic.twitter.com/tefYuwOTpM
— Libération (@libe) July 13, 2020
1 jeune, 1 solution : c’est l’objectif que nous nous fixons. À cet effet, 200 000 places supplémentaires seront ouvertes dans les formations. Et un plan pour l’emploi des jeunes inédit se déploie : prime à l’embauche de 4000 euros, contrats d’apprentissage, service civique.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 12, 2020
Pour aller plus loin… La sélection en question
En 2018, la loi ORE et Parcoursup répondaient au problème croissant de tension des filières universitaires en instaurant la sélection à l’Université. Depuis, le nombre de Licences procédant à une sélection des bacheliers est en nette augmentation. Leur appellation officielle « filières non sélectives » est d’ailleurs ouvertement critiquée par la Cour des comptes. La situation actuelle pourrait conduire à une accélération du nombre de Licence devenant sélectives.
Mais contrairement aux idées reçues, la sélection n’est pas qu’une opportunité pour les formations de choisir ses étudiants, elle est aussi une contrainte en terme de réussite. On ne tolérerait pas d’un IUT qu’il ait moins de 70% de réussite, comme une CPGE serait désertée si seulement 30% de ses étudiants obtenaient une poursuite d’étude.
L’augmentation de la sélection en Licence pourrait donc avoir deux effets. Le premier, évident, est de faire déborder les CAES, déjà en très grande tension chaque année. Le second pourrait être une acceleration de la politique de baisse des exigences pédagogiques en Licence. Cette politique est déjà portée par la DGESIP, mais ce type de transformation ne peut se faire que progressivement, pour éviter les prises de conscience et oppositions.
Photo de couverture par Evgeni Tcherkasski sur Unsplash.