Alors que les témoignages du mal-être étudiant se succèdent, la communication gouvernementale inquiète plus qu’elle ne rassure. Surtout, aucune mesure sérieuse n’est prise pour limiter les dégâts dans les universités. Et si ce qui est vécu comme du mépris ou de l’incompétence était en réalité tout à fait rationnel ?
La gestion des universités dans la crise du Covid-19 lors de cette rentrée de janvier semble de plus en plus chaotique, avec une circulaire inapplicable transmise à la veille des vacances de Noël pour une mise en œuvre dès le 4 janvier, suivie immédiatement par une autre instruction contradictoire reçue par voie de presse le 14 janvier, avant une nouvelle modification le 22 janvier, à mettre en œuvre dès le 25.
Or, le moral des étudiants étaient déjà au plus bas à la fin de l’année dernière. En ce début 2021, les témoignages du mal-être étudiant se succèdent, notamment sur Twitter avec tag #etudiantsfantomes. Fait notable, des étudiantes écrivent en nom propre des lettres au Président et à la Ministre. Les sentiments qui dominent sont l’isolement, l’anxiété et la précarité, avec l’impression de ne pas voir le bout du tunnel du confinement et des cours à distance. Une pétition « Pour une considération des étudiant.e.s » récolte 35000 signatures en cinq jours.
Face à ce mouvement, la communication gouvernementale peut paraitre étrange. La Ministre explique d’abord la fermeture partielle des universités par le risque que fait courir « un bonbon qui traîne sur la table », puis en manipulant un chiffre laissant croire que ce sont les étudiants qui ne voulaient pas revenir, avant d’expliquer la différence de traitement avec les écoles par un problème d’indiscipline. A une étudiante qui lance « une bouteille à la mer », Emmanuel Macron répond qu’il lui « demande encore un effort ». Il annonce des repas à 1€ dans les restaurants universitaires, mais ces derniers sont pour la plupart fermés. La Ministre propose un « chèque de soutien psychologique », mais qui s’avère en réalité un « chèque virtuel »…
Ces réactions sont globalement perçues comme du mépris ou de l’incompétence, et tendent à jeter de l’huile sur le feu. Mais serait-on capable de leur trouver un fond de rationalité ?
Pour ce fait, il faut revenir aux différentes missions de l’Université dans l’enseignement supérieur : l’émancipation citoyenne, la transmission des savoirs et l’insertion professionnelle.
La non-réaction du gouvernement pour l’émancipation citoyenne
Sous l’angle de l’émancipation citoyenne, ou formation à la citoyenneté, la non-réaction du gouvernement peine à faire sens. C’est sans doute le plus dommage, car la crise était justement un moment idéal pour permettre aux étudiants d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation, adaptées aux circonstances, et avec l’accompagnement et le support des établissements. Cette expérience aurait clairement été utile à cette génération, qui risque fort de rencontrer de nouvelles crises d’ampleur.
Cette question aurait dû être posée : Qui était le mieux à même de décider de l’organisation des études durant la crise ? En laissant faire le Ministère, nous n’avons pu que constater sa défaillance. Dans le même temps, nous n’avons même pas pris le temps de demander aux étudiants comment ils souhaitaient s’organiser, et de réfléchir aux moyens qu’on pouvait leur apporter pour atteindre leurs objectifs. C’est là, pour le moins, une occasion manquée.
La non-réaction du gouvernement pour la transmission des savoirs
La transmission des savoirs a été lourdement perturbée durant la crise, notamment par le passage improvisé aux enseignements à distance. Face à une telle transition, il était impossible de tout faire correctement, et des priorités ont dû être fixées. Or le gouvernement s’est seulement montré ferme quant à l’évaluation, sans jamais se prononcer sur les enseignements eux-mêmes, qui auraient nécessité de de débloquer des moyens spéciaux.
Sous cet angle encore, la non-réaction du gouvernement peine à faire sens. La dette pédagogique qui s’est accumulée depuis mars 2019 est sans doute immense, et l’absence de moyens dédiés ne permettra pas de la surmonter correctement au déconfinement.
La (presque) non-réaction du gouvernement pour l’insertion professionnelle
En ce qui concerne l’insertion professionnelle, on peut au moins noter une réaction assez vive du gouvernement, lorsqu’il a imposé des passages d’épreuve aux étudiants, sans notation adaptée à la situation. Ces épreuves sont en effet utiles à l’insertion professionnelle, en décidant du niveau de qualification de chacun, donc de la stratification de la société.
#MalaiseEtudiant : « Le taux de présence aux examens est resté le même que lors du premier semestre de l’année 2019/2020 et ça signifie que le système universitaire et le système des écoles ont tenu », affirme Frédérique Vidal pic.twitter.com/BEd1TKh75o
— Public Sénat (@publicsenat) February 10, 2021
En terme d’insertion professionnelle, cette seule stratification pourrait bien être suffisante. En effet, le marché de l’emploi des jeunes risque fort d’être durablement perturbé, avec un besoin d’embauche historiquement bas en main d’œuvre avec une qualification supérieure. De plus, une grande partie de la stratification semble se faire au secondaire, le supérieur ne faisant que confirmer. Ainsi, à la condition de maintenir calendrier et examens, les entreprises ne devraient avoir aucun difficulté à embaucher les nouveaux diplômés, indépendamment des conditions d’étude à l’université.
Ajoutons que, contrairement à l’insertion professionnelle ou aux couts d’éventuelles mesures de soutien aux université, il n’existe aucun indicateur officiel du bien-être étudiant. Une technocratie y est donc aveugle. Enfin, on a aussi là une explication de la communication erratique de la Ministre : l’abandon des étudiants aurait beau être rationnel, il n’en reste pas moins inavouable.
Si, sous les angles de l’émancipation citoyenne et de la transmission des savoirs, il est difficile de rationaliser l’inaction du gouvernement en faveur des étudiants à l’université, celle-ci s’explique sous l’angle de l’insertion professionnelle. En considérant que seule cette dernière, alors ne rien faire est sensé, et la souffrance des étudiants peut apparaitre comme un prix raisonnable aux économies faites en évitant les investissements nécessaires.
Pour aller plus loin…
« Tout est fait pour que […] les diplômes, à la fin, gardent toute leur valeur » (F. Vidal)
Dans « Les diplômes des années Covid, parchemins sans valeur ou marqueurs de nouvelles compétences ? », AEF note deux phrases importantes :
- « Tout est fait pour que […] les diplômes, à la fin, gardent toute leur valeur » (Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur) ;
- « Les jeunes sont les premiers à payer le prix des crises économiques » et « il n’y a pas de place » pour eux dans l’emploi (Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance).
Or, comment mesure-t-on la valeur des diplômes ? Essentiellement par le taux d’insertion professionnelle et les salaires à l’embauche (voir ici par exemple, la « valeur » des DUT). Ce taux d’insertion se calcule comme le nombre d’embauchés divisé par le nombre de diplômés.
Donc, lorsque le nombre d’embauchés baisse, le taux d’insertion baisse, et donc la valeur des diplômes baisse.
Comment dès lors faire en sorte que « les diplômes gardent toute leur valeur » ? C’est possible en diminuant le nombre de diplômés, pour faire remonter le taux d’insertion professionnelle, donc la valeur des diplômes, malgré la baisse du nombre d’embauches.
Finalement, cela consiste seulement à adapter la dimension de la formation supérieure aux besoins à court terme du marché de l’emploi. Cette question est centrale, internationalement.
Comment faire pour diminuer le nombre de diplômés ? En réalité, il suffit de ne rien faire, hormis insister pour le maintien du calendrier et des examens, afin d’assurer le maintien des flux d’éviction des études supérieures, par l’échec étudiant.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’imaginer des ministres se délectant de l’échec étudiant, mais plutôt d’être conscient du défaut de justification de l’investissement massif dont aurait besoin l’université aujourd’hui pour maintenir la qualité de ses missions, alors même que sa production (une main d’oeuvre hautement qualifiée) ne sera pas nécessaire à l’économie d’après-crise.
Cela n’est bien sûr valable que si l’on réduit l’enseignement supérieur à sa seule dimension d’insertion professionnelle, ce qui n’a rien de choquant pour le gouvernement actuel.
D’autres sources…
Une autre interprétation, s’appuyant plutôt sur une forme d’aveuglement des élites :
Trois autres billets sur le sujet :