Docs en stock : dans les coulisses de la démocratie universitaire

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Combien coûte une formation universitaire (et par extension celle des étudiants étrangers) ?

Image chapeau du site officiel du ministère.

Le 19 novembre 2018, le Premier Ministre Edouard Philippe a présenté la stratégie nationale d’attractivité des étudiants internationaux baptisée “Bienvenue en France”. Un de ses piliers est l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires. Malgré la surprise de la communauté universitaire, il s’agit d’une très ancienne revendication de la Conférence des Présidents d’Université (voir p. 37 et 42 des actes du colloque CPU 2001).

Selon le site officiel du gouvernement :

Vous êtes un étudiant non-européen […] l’Etat français prendra en charge les deux tiers du coût de votre formation. Le montant de vos frais de scolarité sera de :

  • 2 770 euros pour une année en cycle de Licence
  • 3 770 euros pour une année en cycle Master
  • 3 770 euros pour une année en cycle de Doctorat [cette disposition étant une porte-au-nez, elle sera ensuite retirée]

Le coût de ces formations seraient donc de 8310€ en Licence, et de 11310€ en Master et doctorat. Cependant, cette affirmation s’appuie sur une confusion entre dotation des établissements et coût des formations. En réalité, le coût d’une formation universitaire peut être grossièrement estimé en moyenne à 3750€…

[edit] D’après un rapport de la Cour des comptes, au moment même où le gouvernement annonçait ces chiffres, il finançait par ailleurs les places de Licence à hauteur de 1600€ dans le cadre de Parcoursup.

Mais ces sommes cachent des disparités difficiles à prendre en compte. Au final, personne ne sait calculer précisément le coût d’une formation universitaire… Essayons quand même de le faire.

Peut-on calculer le coût par la dotation en fonction des missions ?

La première approche pour calculer le coût des formations universitaires est de partir de la dotation nationale et d’identifier la partie employée à la formation.

D’après les chiffres clés de l’ESR, la “dépense moyenne par étudiant en 2016” est effectivement de 11510€. Mais comme son nom l’indique, ce chiffre correspond à la dépense pour l’enseignement supérieur (30,3 en Md€), divisé par le nombre d’étudiants inscrits (2,68M). Il masque donc notamment toutes les disparités entre les différents établissement : les universités ne sont pas dotées de la même façon que les écoles d’ingénieur par exemple, mais les universités elles-mêmes ne sont pas toutes dotées de la même façon.

En prenant seulement la dotation et les étudiants des universités, on obtient environ 12Md€ pour 1,6M d’inscrits, soit 7500€ par étudiants… Mais cette mesure est également fausse : contrairement à la plupart des établissements d’enseignement supérieur, les universités ont six grandes missions, dont une seule est l’enseignement. La ventilation de la dotation entre ces différentes missions revient à l’établissement, en fonction de ses stratégies propres.

« Le Compte de l’éducation : principes, méthodes et résultats » explique bien  que de nombreuses dépenses universitaires sont compté comme d’enseignement « sans que l’on puisse la répartir entre l’enseignement et la recherche » (p. 15).

Les universités définissent donc une clé de répartition interne, qui tourne autour de 50% enseignement / 50% recherche. On peut alors grossièrement estimer le coût d’une année de formation universitaire à la moitié de 7500€, soit 3750€ par étudiant. Cependant, cette clé n’est pas calculée, mais décidée arbitrairement pour des raisons comptables, elle varie d’un établissement à l’autre et ignore 4 des 6 missions. Cette estimation grossière est donc encore largement surestimée, et il est difficile de faire plus précis.

Pour expliquer cette difficulté, on peut citer le cas des enseignants-chercheurs. Ils exercent toutes les missions des universités, mais sans avoir d’obligations horaires globales ni de suivi de leurs activités.

Le calcul par mission devient alors rapidement impossible puisqu’on se confronte à des services et personnels “mutualisés”, qui exercent plusieurs missions, sans forcément que ce soit quantifié, ni quantifiable.

Peut-on calculer le coût par les missions en fonction de la dotation ?

Une autre approche consiste à commencer par quantifier la mission d’enseignement, pour ensuite remonter à son coût. Les universités cherchent depuis longtemps à calculer le coût de leur offre de formation (appelé C.O.F.), notamment pour appuyer les arbitrages budgétaires internes.

Mais de nombreux facteurs entrent en compte, par exemple : le nombre d’étudiants et la taille des groupes, la nature des enseignements (cours magistral, travaux dirigés, travaux pratiques, projets tuteurés, tutorat…), le nombres d’heures de formation (1500h sur 3 ans pour une Licence, 1800h sur 2 ans pour un DUT), le salaire des enseignants (qui dépend des statut, ancienneté et dispositions particulières), le coût en matériel pédagogique (des ordinateurs pour l’informatique, du matériel de laboratoire et des fluides pour la chimie, des sorties pour l’archéologie.), etc.

Ce n’est qu’un échantillon des facteurs qui impactent le coût d’une formation. Ajoutons la mutualisation des enseignements et la “personnalisation des parcours” voulue par la loi ORE, et on réalise que chaque étudiants a des heures d’enseignement différenciées dans un contexte d’encadrement différencié. Ajoutons aussi tous les coûts qui ne sont pas directement liés à une heure d’enseignement (administration, factures, etc), et calculer précisément le coût de chaque formation en partant des heures d’enseignement devient quasiment impossible.

Quelles économies par l’éviction d’étudiants (étrangers) ?

Le chiffre de 11k€ par étudiant comme coût de la formation est donc largement abusif, notamment à l’université. Mais quelles économies peut-on fait en évinçant un étudiant (étranger) d’une formation ?

Hé bien, parfois, pratiquement aucune. En effet, les étudiants sont la plupart du temps en groupe, ce qui implique des effets de seuil. Si vos salles comportent 30 places, et que vous avez 26 étudiants, en accueillir 4 de plus ne coûtera pratiquement rien en terme d’enseignement. Cela augmentera la charge des enseignants, mais à l’université le paiement de cette charge est forfaitaire, par exemple la correction des copies n’est pas spécifiquement rémunérée. En accueillir un 5ème, en revanche, peut conduire à doubler le coût en raison du dédoublement du groupe.

On voit par cet exemple que le coût de la formation d’un individu est encore plus difficile à calculer que le coût d’une formation, qui n’est déjà pourtant pas vraiment calculable à l’Université. C’est donc l’offre et la demande qui fixeront le prix des formations universitaires, et en aucun cas leur coût réel et précis. C’est d’ailleurs une des façons de comprendre comment le prix des formations pour les étudiants étrangers a été fixé.

Ce prix du marché est également la seule explication valable pour expliquer la différence de tarif entre une Licence et un Master, et surtout un Doctorat, qui lui ne coûte pratiquement rien à l’université en terme de formation.

[edit] Focus « Les coûts des formations dans l’enseignement supérieur français : déterminants et disparités » du Conseil d’analyse économique

Le Conseil d’analyse économique a publié en 2021 une note concluant à un coût moyen de 3 730€ en Licence et de 5 430€ en Master, mais a surtout mesuré les très grandes disparités entre disciplines et établissements, et même en leur sein : « Les coûts des formations dans l’enseignement supérieur français : déterminants et disparités ».

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L’algorithme cynique des réformes de l’ESR

La sortie du rapport de la Cour des Comptes sur le Plan Campus “Dix ans après le lancement de l’opération Campus, un premier bilan en demi-teinte” est l’occasion de décrire un algorithme cynique des réformes de l’ESR.

Cet algorithme est nécessairement réducteur, et je ne peux personnellement pas garantir qu’il fonctionne avec les réformes antérieure à ma nomination en 2008, mais il fonctionne, à mon sens, assez bien avec les réformes LRU/Pécresse et Fioraso :

  1. Est nommée une nouvelle Ministre de l’ESR (ici).
  2. Un rapport décrit l’inefficacité d’une réforme antérieure et l’aggravation des difficultés de l’ESR (ici).
  3. La Ministre annonce une réforme qui va tout améliorer, en utilisant les mots “innovant” et “exceptionnel” (ici).
  4. Des détracteurs se mobilisent, dénoncent la faisabilité de la réforme (ici), décrivent ses risques et font des contre-propositions.
  5. Des promoteurs se mobilisent, encensent la réforme en reprenant les éléments de langage de la Ministre (ici) et sur le terrain dénoncent les détracteurs et la défiance systématique dont ils font preuve envers les ministres.
  6. La réforme est adoptée sans modification substantielle (ici).
  7. La Ministre disparaît (ici)
  8. Retour à 1.

Cet algorithme fonctionne très bien avec la Loi Fioraso (1., 2., 3., 4., 5., 6., 7.). En ce qui concerne la Loi Vidal, on en est à l’étape 6., les précédentes ont été parfaitement respectées. Il y a fort à parier que cet algorithme s’applique à une très grande partie des réformes des services publics ces dernières décennies.

On peut en tous cas l’appliquer sans trop de difficulté à la LOLF, que j’appelle volontiers Mother Of All Reforms. La LOLF introduit la performance dans les services publics : tout mesurer, tout évaluer, tout le temps. Étonnement par contre, aucune réforme n’est jamais mesurée, évaluée. En conséquence, on se retrouve dans une perpétuelle fuite en avant, où ceux qui s’opposent s’opposent, ce qui suffit à ceux qui encensent pour les discréditer sans jamais rien changer.

Rien de bon ne peut sortir d’un tel système.

Bonus

En faisant les recherches pour retrouver les documents, j’ai remarqué deux choses frappantes. D’abord, les sites des promoteurs sont régulièrement nettoyés des communiqués passés, notamment le site de la CPU et du ministère, alors que les sites des détracteurs restent pleinement accessibles. Ensuite, lorsqu’on cherche les raisons de la démission de Madame Fioraso, on tombe sur des “raisons de santé” dans tous les médias traditionnels, alors que sa fraude avérée sur son CV ou les financements octroyés aux activités de son compagnon, dont la révélation par Médiapart précède immédiatement sa démission, se retrouvent seulement dans des blogs.

Des canons du Vieux Port à la communication des projets de fusion

Le Vieux Port de Marseille a ceci de particulier que les canons des forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, qui se devinent sur cette photo des membres de la CURIF, sont tournés non pas vers l’extérieur, la mer, mais vers l’intérieur, la ville. Louis XIV, paraît-il, les aurait fait tourner ainsi pour contrôler la cité.

CurifVieuxPort

La première chose qui marque en découvrant le site de l’Université Paris 2019 est la qualité de la chartes graphique. Mais on peut également noter l’absence l’information utile à la communauté pour comprendre le projet. On peut notamment regarder la page “Ensemble bâtissons l’Université de Paris”, dont la seule infographie est un calendrier, et qui ne contient strictement aucune information permettant de se forger un avis éclairé sur le bien-fondé du projet.

Cela peut paraître étonnant mais un document est intéressant pour comprendre : le site de promotion de la fusion ayant aboutie à l’Université de Strasbourg, première université fusionnée. C’était en 2008, ce qui permet de mesurer les évolutions des sites web en 10 ans.

Des canons tournés vers la cité…

On peut y découvrir un “mode d’emploi” de la “stratégie de communication”, annonçant dès le titre “Des stratégies de communication conçues dans l’optique de faciliter l’adhésion des acteurs”. On peut y lire en introduction “La communication en appui du changement a été perçue par les présidents et le comité de pilotage comme stratégique dans le projet, en tant qu’instrument de facilitation de l’adhésion des communautés au projet” et en conclusion “Alimentée dans ses contenus par une analyse des résistances et des freins, elle doit montrer les bénéfices attendus pour chacun”.

De façon explicite, la communication est conçue comme un outil au service des promoteurs du projet pour convaincre la communauté de son bien fondé. Ce document montre l’absence totale d’intention de fournir une information objective, comprenant avantages et opportunités, comme inconvénients et risques. Seuls les bénéfices doivent être mis en valeur. Il s’agit donc en aucun cas de fournir des éléments de compréhension permettant à a communauté de se forger un avis éclairé

Il faut alors se demander s’il est souhaitable qu’une communauté dépense une partie de ses moyens pour être convaincue plutôt qu’informée ?

…Pour contrôler la cité.

Malheureusement, une université n’est pas une cité, et nous ne sommes plus dans une monarchie de droit divin. Aussi cette stratégie a une limite : celle de l’adhésion au projet des personnels, et notamment des enseignants-chercheurs. Libres et indépendants, ils sont par nature plus difficile à rallier.

On peut ainsi remarquer que les enseignants-chercheurs ont aujourd’hui presque totalement disparu du rapport d’auto-évaluation du contrat de site de l’Université de Strasbourg. Hormis les points techniques, ils n’apparaissent que lorsqu’on observe leur manque d’adhésion à différents pans du projet.

On peut d’ailleurs lire dans le PV du congrès ayant étudié ce rapport d’auto-évaluation : M. LE PRÉSIDENT confirme qu’il a été difficile de mobiliser les collègues pour la construction du site, considérant que c’était encore un organe de plus. L’objet manquait d’attractivité, de lisibilité et de réalité.[…]”.

Au final, il faut se demander si employer une technique visant uniquement à convaincre et non pas à informer ne limite pas in fine l’adhésion de la communauté au projet, et donc son succès, voir sa raison d’être.

Il faut également se demande si cette approche ne relève pas d’une forme de défiance des promoteurs du projet envers la communauté, si informer objectivement n’est pas perçu comme une perte de temps sinon un risque, mais également si ces promoteurs ne se privent pas ainsi d’avis qui auraient pu bénéficier au projet.

“Marseille sera toujours Marseille” (E. Todd)

Pour conclure, comme une université n’est pas Marseille et les services de communication ne sont pas des canons, on ne peut qu’encourager les promoteurs de projets de fusion à avoir le courage d’abandonner l’outil communication au profit d’une présentation objective des avantages et opportunités mais aussi des inconvénients et risques de leur projet.

Ainsi, le projet pourra être soumis à l’approbation de la communauté, éclairée sur son choix, ce qui lui donnera toute sa force s’il est adopté. Et s’il ne l’est pas, rien n’est perdu, car le projet ne pourra de toutes façons pas aboutir au delà des apparences. Même une fois lancé, il n’obtiendra jamais l’adhésion des membres qui sont censés le faire vivre.

Bonus 1 : Escalade de l’engagement

Le service communication est le premier service fusionné des trois ex-universités strasbourgeoises. Cet investissement a été préalable à toute fusion réelle, ainsi qu’à la définition de nombreux aspects concrets du projet.

On peut se demander si cet investissement n’a pas mis ses promoteurs dans une escalade de l’engagement, interdisant tout retour en arrière, qui ne pourrait être perçu que comme un échec et un gâchis des efforts déjà fournis.

Bonus 2 : Petite devinette à propos de la communication des présidences d’université

Lors de la mise en oeuvre du RIFSEEP à l’Université de Strasbourg, réforme en profondeur du système de prime des personnels administratifs, sujet hautement sensible :

  1. la présidence a informé directement l’ensemble des personnels afin de les tenir pleinement informés.
  2. la présidence n’a pas informé les personnels, puisque c’est le travail des syndicats de donner les mauvaises nouvelles.
  3. la présidence n’a pas informé les personnels pour ne pas encombrer leur boite mail.

Ceux qui devinent gagnent un extrait de PV !