Docs en stock : dans les coulisses de la démocratie universitaire

LPPR

Budget de l’ESR : il monte et il descend, mais surtout il descend

Un graphique de Lucas Chancel et Thomas Piketty rencontre régulièrement beaucoup de succès sur Twitter, et en conséquence beaucoup de critiques. S’attarder sur ces différentes critiques permet d’affiner notre compréhension de ce que cache ce graphique, en identifiant quatre facteurs impactant les moyens de l’ESR : son budget, le nombre d’étudiants, l’inflation, et le périmètre des missions. Dévoiler ces détails permet de conclure au désintérêt des pouvoirs publics envers l’enseignement supérieur, ce qui est finalement ce que montre ce graphique en un clin d’œil.

« La chute du budget de l’enseignement supérieur par étudiant »

Ce graphique et ses données sont disponibles à l’adresse https://lucaschancel.com/etudiants/ et la lecture indiquée est : « le budget de l’enseignement supérieur par étudiant (une fois l’inflation prise en compte) a baissé de près de 22% entre 2012 et 2023 en France. Entre 2017 et 2023, la baisse est de près de 15%. »

Visuellement, c’est la conjugaison de deux effets qui est sidérante : d’abord une chute rapide, mais surtout une chute « transpartisane », puisque les trois « partis de gouvernement » (droite, gauche puis revendiqué centre) poursuivent apparemment la même politique. Cela tranche évidemment avec les discours de ces gouvernements, chacun ayant claironné avoir fait un « investissement sans précédent » dans l’ESR. Cela a aussi un effet intéressant de confirmation-mais-indignation sur les militants : sur le même graphique, ils pourront à la fois confirmer que le camp opposé a menti et se désintéresse en réalité de l’enseignement supérieure, mais aussi découvrir que leur propre camp également. C’est propice aux critiques venues de tous bords.

Accusations de manipulation visuelle. Évacuons immédiatement la critique la plus facile : le graphique serait manipulatoire, notamment parce que son origine n’est pas 0. Or, ce graphique est en valeur 100, son origine n’est donc pas 0, mais 100. Partir de 0 permettrait une meilleure lecture de la proportion de la baisse, mais écraserait du même coup la hausse initiale sous la présidence Sarkozy. Pour cette raison et d’autres, la présentation actuelle est, à mon sens, tout à fait défendable. Quoi qu’il en soit, les données sont librement disponibles, donc charge à chacun de tenter un autre graphique s’il le souhaite.

Budget vs. démographie étudiante

La critique la plus récurrente est que ce n’est pas le budget qui baisse, mais la démographie étudiante qui augmente. Et c’est absolument vrai. Les auteurs ont d’ailleurs mis à portée de clic un graphique qui le montre de façon tout à fait explicite :

C’est absolument vrai, mais aussi sans beaucoup de pertinence : quel est le sens d’un budget si on ne prend pas en compte les besoins qu’il est censé couvrir ? Le graphique s’appelle d’ailleurs « budget par étudiant » et non seulement « budget ». Finalement, il y a moins d’honnêteté de la part d’une ministre qui annonce une augmentation du budget en occultant la hausse du nombre d’étudiants, que de la part des auteurs de ce graphique.

En réalité, si on souhaite critiquer ce graphique, on peut noter qu’il s’agit du budget du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), et plus précisément du Programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », qui représente un peu moins de la moitié du budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES). Il n’inclut notamment pas les ressources propres des établissements (frais d’inscription, par exemple), les budgets des autres ministères qui irriguent largement les écoles, et bien sûr les budgets des formations privées.

De plus, le nombre d’étudiants utilisé dans le calcul est le nombre total d’inscrits dans l’enseignement supérieur (3M, dont 1,6M à l’université), qui inclut donc tous les étudiants dans le privé et dans les écoles, mais aussi dans les formations qui ne relèvent pas du MESR, comme les BTS par exemple. Il s’agit donc d’une partie du budget de l’enseignement supérieur divisé par la totalité des étudiants.

Pour autant, ce calcul manque-t-il de pertinence ? En réalité, l’erreur serait de l’interpréter comme une approximation du coût d’une année de formation pour un étudiant : il ne prétend pas être, et c’est heureux car ce coût n’est pas calculable. Il faut aussi reconnaitre l’habilité des auteurs à préférer une valeur 100, plutôt que d’utiliser une unité comme les euros par étudiant, qui aurait été trompeuse. Nous allons voir que ce calcul a une autre signification.

Budget vs. inflation

Toujours si on souhaite critique ce graphique, on peut discuter de l’usage qui est fait de l’inflation, calculée à partir de l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’INSEE).

Ce graphique montre que, une fois prise en compte l’inflation, les 15Md€ de budget de 2023 correspondent en réalité à 15Md euros-constants de façon relativement stable sur tout la période (alors qu’il ne s’agissait que 11Md en euros de 2008). La question est d’importance : Madame Vidal a par exemple refusé vigoureusement que sa Loi de programmation de la recherche (LPR, 2020) soit budgétisée en tenant compte de l’inflation. Alors qu’on pouvait prévoir une stagnation en euros constants, l’inflation conduira finalement à ce que « l’investissement sans précédent » soit en réalité une « érosion » (c’est-à-dire une baisse) :

S’il faut saluer le fait que les engagements pris lors du vote de la loi de programmation pour la recherche soient respectés en 2023, ces derniers permettent davantage de limiter l’érosion des moyens consacrés à la recherche en France que de se rapprocher de l’ambition initiale de la programmation.
Rapport législatif du Sénat sur le Projet de loi de finances pour 2023 : Recherche et enseignement supérieur 

Cependant, l’IPC utilisé mesure la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages, sur la base d’un panier fixe qui ne correspond sans doute pas aux dépenses d’un établissement d’enseignement supérieur : 20% d’inflation sur les produits alimentaires impacte énormément l’IPC, mais très peu le budget des universités. Utiliser un calcul de l’inflation adapté aux dépenses des universités pourrait donner un résultat assez différent (ou pas).

Cela nous conduit à faire une autre observation intéressante : environ les trois quart des budgets des universités sont consacrés à la masse salariale. Or, les rémunérations de leurs personnels ne suivent pas l’inflation, puisque le point d’indice en a décroché dans les années 80, et est gelé sur la totalité de la période couverte par le graphique (à l’exception des années d’élection présidentielle). En d’autres termes, l’inflation n’impacte pas directement la capacité des universités à payer leurs personnels, en revanche elle impacte durement la qualité de vie des personnels des universités (voir cette notre Nos Services Publics « Monter un escalator qui descend »).

Le périmètre des missions

Un autre facteur pour informer la lecture de ce graphique est l’évolution du périmètre des missions. En effet, le MESR ne distribue que rarement des moyens nouveaux pour renforcer l’existant. Plus généralement, il négocie ces moyens en échange de la création de nouvelles activités, comme le montre ce graphique par exemple :

Cela se confirme également par l’évolution du L123-2 du Code de l’éducation : entre 2006 et 2020, les missions du service public de l’enseignement supérieur sont passées de 3 à 11. On observera aussi par exemple que le programme 150 augmente grâce aux moyens de la LPR, qui est dédiée à la recherche et non à l’enseignement. Or, plus de moyens pour faire plus de choses, ce n’est pas plus de moyens. Et dans le cas (généralement constaté) où les moyens nouveaux ne couvrent pas les besoins nouveaux, c’est en réalité moins de moyens à activité constante.

Le désintérêt des pouvoirs publics envers l’enseignement supérieur

Tout cela mis bout à bout, nous faisons donc face à l’impossibilité d’évaluer sérieusement l’évolution de la dépense de l’État pour chacun de ses étudiants. Pour autant, nous avons pu vérifier que l’État ne ré-évalue pas sa dépense dans l’enseignement supérieur selon la démographie étudiante et l’inflation, et que les augmentations budgétaires correspondent le plus souvent à une augmentation des charges de travail, pas toujours en rapport avec l’enseignement. En d’autres termes, les universités ne tiennent que par la surcharge de travail et l’appauvrissement de leurs personnels.

Revenons maintenant au graphique critiqué :

Finalement, le calcul qui sous-tend ce graphique est donc une très bonne mesure de l’investissement budgétaire de l’État dans l’enseignement supérieur au regard des besoins de la nation. Son titre ne dit pas autre chose. La conclusion qu’il faut en tirer est simplement que l’État se désintéresse des missions fondamentales de l’enseignement supérieur, et c’est très exactement ce qu’il montre, en ayant en plus l’élégance de masquer de nombreux détails complexes mais qui finalement n’ajoutent rien à cette conclusion.

Dernière façon de se convaincre de la pertinence de ce graphique, malgré les critiques qu’on peut adresser à son calcul, il correspond finalement très bien à ce qu’on constate souvent sur d’autres indicateurs plus concrets et beaucoup plus proche du terrain, comme par exemple le nombre d’enseignants par étudiants dans le périmètre du MESR :

 

 

Pour aller plus loin…

Tableau de bord de l’ESR – Edition 2023

Vous voler votre montre pour vous donner l’heure. Et pas la bonne.

Combien coûte une formation universitaire (et par extension celle des étudiants étrangers) ?

 

Les bleus 2023 de l’ESR

Les « bleus » de l’ESR viennent d’être publiés. C’est un pur outil de techno-bureaucratie, dans lequel on trouve toutes les informations budgétaires (incompréhensibles), mais aussi tous les objectifs de performance.S’il est toujours impossible de savoir à quoi servent exactement ces documents dans les prises de décision, ils permettent en tous cas de percevoir la stratégie nationale d’ESR au delà des discours politiciens. On y découvre la fin de la massification, et l’absence d’ambition pour l’enseignement et la recherche, mais aussi l’ouverture sociale et la transition énergétique.

« Cette annexe au projet de loi de finances est prévue par l’article 51-5° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Conformément aux dispositions de la loi organique, ce document développe l’ensemble des moyens alloués à une politique publique et regroupés au sein d’une mission. Il comprend les projets annuels de performances (PAP) des programmes qui lui sont associés.

Cette annexe par mission récapitule les crédits (y compris les fonds de concours et attributions de produits attendus) et les emplois demandés pour 2023 en les détaillant par destination (programme et action) et par nature de dépense (titre et catégorie). »

Conformément aux normes technos, tout est catégorisé, chiffré et numéroté. Les programmes sont ainsi : 231 – Vie étudiante, 193 – Recherche spatiale, 192 – Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle, 191 – Recherche duale (civile et militaire), 190 – Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables, 172 – Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, 150 – Formations supérieures et recherche universitaire et 142 – Enseignement supérieur et recherche agricoles.

Faisons un tour rapide.

Côté formation

Le programme principal pour les universités est le 150 – Formations supérieures et recherche universitaire. On y perçoit la stratégie de l’État, qui se décline ensuite en pressions jusque dans les salles de cours.Voici ses indicateurs de performance :

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Massification

Regardons l’indicateur « 1.1 – Pourcentage d’une classe d’âge obtenant un diplôme de l’enseignement supérieur en formation » :
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On peut y voir qu’en 2020, 56,2% d’une classe d’âge sortait diplômé de l’enseignement supérieur, mais que l’objectif pour 2023 est de 53%, et n’atteindra 56,5% qu’en 2025.

Une lecture premier degré pourrait donc être qu’il faut diminuer le pourcentage de diplômés pendant 2 ans, avant de revenir au taux actuel. Il faut regarder les Bleus de l’an dernier pour y voir plus clair :

En 2019 nous étions à 53,3%, et les cibles étaient ensuite fixées à 53%. Traduction : « On ne touche plus à rien, c’est bon comme ça ».

Cocasse ! Alors que Mme Frédérique Vidal, Ministre à l’époque, vantait sur tous les plateaux sa loi « Orientation et Réussite des Étudiants », la nation se fixait en réalité un objectif de stabilité, voire de résistance à d’éventuels progrès.

Le sursaut à 56,2% observé en 2020 n’est pas expliqué dans le document, et la justification des cibles n’a pas changé pour autant. Il est possible que ce soit une conséquence de la crise Covid, survenue début 2020, et qui a conduit à une baisse des exigences pour la diplomation. Dans ce cas, nous devrions l’ambition nationale de passer de 53% à 56% à une crise sanitaire et une baisse des exigences.

Plus certainement, il faut comprendre que l’ESR a dépassé les objectifs de la nation, et que la nation ne se fixe pas d’objectif plus ambitieux. Il s’agit donc plus de ralentir que d’accélérer la massification.

Cela se confirme avec l’indicateur « 2.1 – La cible des Jeunes sortant de l’enseignement supérieur sans diplôme post-bac » :Image

Son l’objectif reste fixé à 20% dans la durée. Traduction : Nous n’avons aucune ambition de poursuivre la massification en diplômant encore plus de jeunes.

Cette non ambition confirmée par l’indicateur « 2.4 – Part des néo-bacheliers ayant obtenu au moins une proposition à la fermeture de Parcoursup », qu’on laisse à 94,2 %, soit la valeur actuelle (dont on peut admirer la précision). Image

« Réussite étudiante »

En revanche, l’indicateur « 2.2 – Mesures de la réussite étudiante » montre que nous avons l’ambition d’améliorer légèrement la « réussite étudiante », qui n’est en fait que la diplomation à l’heure. Traduction : On ne veut pas former plus, mais seulement diplômer plus vite. Image

Un des moyens pour y arriver est la chasse à l’absentéisme, comme le montre l’indicateur « 2.3 – Assiduité ». Comment être contre ? Sauf qu’un bon moyen d’améliorer l’assiduité est d’exclure les étudiants qui sont contraints d’avoir un emploi pour vivre, ou ceux qui ont des problèmes de santé, par exemple. C’est l’ennui de la techno-bureaucratie : son aveuglement aux réalités humaines. Image

Insertion professionnelle

L’indicateur 1.2 montre une certaine ambition, réelle pour les BTS, marginale pour le reste. C’est un objectif pour la formation, pour lequel la formation ne peut pas grand chose. S’il y a une crise économique ou sanitaire, la formation n’y peut rien par exemple, alors que l’insertion pro est lourdement impactée.

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Mais là encore, cela peut conduire à des politiques perverses : si votre formation diplôme 100 personnes, dont 80 trouvent un emploi, cela signifie sans doute qu’il n’existe que 80 emplois-débouchés ; diminuer les effectifs à 80 est alors un très bon moyen de vous rapprocher des 100% d’insertion pro. Est-ce que notre ambition est de diplômer moins pour insérer plus ?

Programme 231 – Vie étudiante

Dans la formation, on trouve également le programme 231 – Vie étudiante.Image

L’indicateur « 1.1 – Accès à l’enseignement supérieur des jeunes de 20/21 ans selon leur origine sociale » nous montrent que l’on vise +1 point pour les enfants de Employés, Ouvriers, mais +2 points pour les enfants de Employeurs, cadres, professions intermédiaires.
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A contrario, l’indicateur « 1.2 – Évolution de la représentation des origines socio-professionnelles des étudiants selon le
niveau de formation » montre un volontarisme mou en terme d’ouverture sociale.Image

On a donc à la fois une priorité molle et sans doute réaliste donnée aux classes aisée, et un objectif d’ouverture sociale toute aussi mou mais sans doute de principe. Si on se plongeait dans les chiffres, il n’y aurait peut-être pas contradiction… Mais difficile d’y trouver une véritable stratégie d’ouverture sociale, sinon une forme de stabilité avec des arrangements marginaux.

En résumé de la formation

En plus des indicateurs présents dans ces documents, il est intéressant de voir ceux qui en sont absents, notamment : la transmission des connaissances et l’émancipation. L’objectif qui nous est fixé est de diplômer le bon nombre de personnes par rapport à l’emploi, en investissant le moins possible. Point barre.

Tous ces indicateurs auraient pu être établis il y a un demi-siècle, et il sont donc très loin des enjeux contemporains.

Côté recherche

Regardons l’indicateur « Production scientifique des opérateur du programme » du programme 150 : à horizon 2025, nous voulons 7,3% et 1,2% de « Part des publications de référence internationale ». Or, nous étions en 2020 à 9,1% et 2%. Traduction : nous avons pour objectif de baisser substantiellement le poids de nos universités dans la production scientifique européenne.Image

Cela s’explique dans le texte, qui note qu’on est plutôt sur une « résistance » dans la chute que dans une conquête. Cette baisse prévue est officiellement une « ambition de consolider ainsi que d’améliorer leur positionnement ». C’est comique. On imagine plutôt une forme de réalisme face à la trajectoire scientifique française, qui en dit plus long sur la Loi de programmation de la recherche que les discours politiciens.

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Programme 172 – Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

Cette politique réaliste de baisse des performances recherche est confirmée dans les indicateurs du programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires.

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Deux choses intéressantes. D’abord on garde une certaine ambition face à l’Allemagne et au Royaume-Uni. Ensuite, notre ambition baisse beaucoup moins pour le programme 172 (auquel sont rattachés les EPIC et EPST : CNRS, Inserm, Inria, INED, Inrae, IRD, CEA, CIRAD, Ifremer, BRGM) que pour le programme 150 (auquel sont rattachées les universités).

En résumé de la recherche

Tout comme pour la formation, notre stratégie nationale est marquée par un manque d’ambition, qui pourra être perçu au choix comme du réalisme ou un renoncement.

Là encore, on pourra noter que des pans entiers de la recherche sont complètement absents des objectifs de la nation, notamment l’intégrité scientifique et l’autonomie de la recherche.

Du côté de l’énergie et du climat

Les objectifs « Efficience environnementale » sont à l’image de l’ambition de notre nation en la matière : on prévoit d’abord une augmentation de la consommation énergétique (cocasse alors que le ministère vient de demander 10% de baisse aux universités), et puis une diminution (magique et marginale) de 0,6%…Image

Le programme « 190 – Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables » traite exclusivement de cette question. On n’y trouve vraiment peu de choses intéressantes, et notamment rien sur l’émancipation ou la transition. Après un été incendiaire et face à une crise énergétique sans précédent, on peut rester dubitatif face à la « Part des ressources apportées aux opérateurs par les redevances sur titre de propriété intellectuelle ».

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Le programme est strictement industriel, borné dans espérance d’une forme de techno-solutionisme. Difficile d’y voir une stratégie nationale à la hauteur des enjeux en matière d’énergie et de climat. Cela va même jusqu’à interroger la pertinence de cet outil techno-bureaucratique, dont même la temporalité semble inadaptée dans la crise actuelle : les termes du problème semblent avoir changé entre sa rédaction et sa publication, ce qui laisse peu d’à-propos aux objectifs à 3 ans.

Quand la bureaucratie s’emmêle les indicateurs

Les chiffres de ces documents ne sont pas fait pour comprendre ou interroger, mais seulement pour piloter. Cela conduit parfois à des situations cocasses.

Prenons l’exemple de l’indicateur « 6.1 – Part des mentions à faibles effectifs ». Celui-ci est intéressant, car d’un point de vue pédagogique on souhaite qu’il augmente, alors que d’un point de vue managérial ou budgétaire on souhaite qu’il baisse.

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Or, on peut constater que cet indicateur augmente, et que ses objectifs augmentent encore plus. La techno-bureaucratie serait donc pour de meilleures conditions pédagogiques, au détriment des considérations budgétaires ? Loin s’en faut ! Mais il faut lire le texte d’accompagnement pour le comprendre :

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En réalité, cet indicateur augmente à cause d’une politique volontariste de le faire baisser.. Et bien sûr, cette baisse n’est pas justifiée par des raisons des raisons budgétaires ou pédagogiques, mais pour « renforcer la sobriété énergétique » !

C’est très comique !

Comique également certains tableaux, pourtant au cœur des préoccupations, dont on ne sait pas s’ils préparent les futures normes d’évaluation des performances ou traduisent une complète méconnaissance des performances actuelles… A moins qu’il s’agissent simplement d’un problème d’édition.

Pour conclure

Parmi les plus grands outils de pilotage de la techo-bureaucratie, ces « bleus » 2023 permettent surtout de percevoir l’abysse qui sépare les discours politiciens, toujours grandiloquents et volontaristes, des réalités techniques vraiment fixées par l’État pour la nation. L’absence d’ambition est frappante, dans tous les domaines, confinant parfois au renoncement.

Nul doute cependant qu’une lecture plus approfondie et un lecteur plus avisé y verrait des choses plus précises, plus intéressantes.

Reste une forme particulière de comique d’État, lorsque les promesses « d’investissement historique » se traduisent aussitôt en prédiction de baisse des performances. Le techno aura toujours une sincérité étrangère au politique, et cela fonde toute sa préciosité.

Pour aller plus loin…

Une analyse plus politique de l’impact de la bureaucratie universitaire en temps de crise :

L’Université et la bureaucratie, face à la crise

LPPR : Une erreur historique lourde et annoncée

La loi de programmation de la recherche (LPR/LPPR) est désormais adoptée par la Sénat, avec plusieurs amendements dangereux pour l’éthique scientifique nationale. Son adoption va se faire dans un climat de défiance mutuelle entre le gouvernement et les scientifiques, menaçant sa mise en œuvre. Des mises en garde arrivent maintenant à de prestigieux niveaux internationaux, sur le modèle même de compétitivité que promeut la LPPR. Tout indique donc désormais que cette loi sera une erreur historique lourde, et annoncée.

Une dégradation prévisible de l’éthique scientifique nationale.

La LPPR sort donc du Sénat sans amélioration substantielle susceptible de rester dans la loi finale, mais aussi dégradée. Sans qu’on sache s’il s’agit d’agressions ou de maladresses, trois amendements attaquent frontalement plusieurs fondements du système universitaire français : la qualification, les libertés académiques et les traditions de débat.

La réaction a été unanime et très vive : « Le Sénat contre l’Université ? » signe QSF, alors que les Société savantes demandent le « retrait de 3 amendements sénatoriaux à la LPR », et que Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte dénoncent une « attaque à la liberté d’expression des enseignants et aux libertés académiques », et qu’Academie publie un « Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier » et des analyses poussées.

Les libertés académiques ne sont pas un caprice, mais une condition indispensable à l’éthique scientifique, de tout temps cible de pressions extérieures pour arriver à influencer la production et la transmission des savoirs. Or, à cela s’ajoute une batterie de dispositions, dont l’obligation de prêter serment, qui nie l’existence de tensions structurelles encourageant les inconduites scientifiques et fait reposer l’intégrité de notre système scientifique intégralement sur les comportements individuels. Cette négation empêche de penser les dispositifs indispensables pour réguler les encouragements à l’inconduite scientifique portés par la loi et son esprit.

On peut donc prédire sans risque une dégradation de l’éthique scientifique nationale si cette loi est finalement adoptée.

Une défiance mutuelle neutralisant les chances de réussite de la loi.

Ceci arrive dans une climat de défiance et de tension croissante entre les scientifiques et le gouvernement, avec d’une part une pétition demandant la suspension de la LPPR ayant récolté 27000 signatures (ce qui est tout à fait remarquable), et d’autre part les accusations de complicité de terrorisme adressées par Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education nationale, à l’adresse des universitaires, qui ne manquera pas de mettre le feu aux poudres : une centaine d’universitaires alertent « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni » auxquels répondent environ deux mille chercheurs et chercheuses « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée », ou encore « Cette attaque contre la liberté académique est une attaque contre l’Etat de droit démocratique ».

[Edit] Le 6 novembre 2020, la commission permanente du Conseil National des Universités appelle même à la démission de Frédérique Vidal, « qui ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université« .

Le divorce entre les scientifiques et leurs dirigeants semble de plus en plus consommé. Or une loi telle que la LPPR ne saurait avoir des effets positifs sans une large adhésion de la communauté scientifique. La confiance, qui faisait défaut en début de processus, n’a fait que se dégrader depuis.

Là encore, on peut aisément prédire un échec de la LPPR à atteindre ses objectifs, quels qu’ils soient.

Des mises en garde prestigieuses au niveau international.

Enfin, deux mises en garde sont arrivées du plus haut niveau international.

Une mise en garde depuis l’« Excellenz Initiativ ».

La première vient d’Allemagne, dont l’« Excellenz Initiativ » est concomitante avec l’« Initiative d’excellence » française. Or, le Präsident der Hochschulrektorenkonferenz, équivalent du président de la CPU française, a récemment défendu le modèle « d’excellence distribuée », qui va a l’exact inverse du modèle d’excellence à la française, renforcé par la LPPR et caractérisé essentiellement par la concentration des moyens.

Cette défense s’appuie sur un double constat : d’abord, le système allemand est historiquement caractérisé par un maillage territorial et une diversité institutionnelle qui le défavorisent dans les classements internationaux, dont la norme est anglo-saxonne ; ensuite, cela n’indique en rien des performances scientifiques inférieures. Il reste donc seulement un coût substantiel pour se conformer à une norme qui va à l’encontre des choix historiques de la nation.

Même si le contexte est très différent, et les motivations de cette déclaration plus complexes (voir cette discussion avec Pierre-Yves Modicom), ce constat s’applique pleinement à la France. Ainsi, les rédacteurs de la LPPR prennent en exemple l’Allemagne seulement pour mimer ses dispositifs précaires (tenure-tracks), mais sans reconnaitre l’existence de ses questionnements fondamentaux depuis plusieurs année. L’excellence distribuée n’a ainsi jamais été discutée, que ce soit dans les rapport préparatoires ou l’étude d’impact, pourtant censée présenter toutes les alternatives.

La défense, par le Präsident der Hochschulrektorenkonferenz, d’un modèle plus distributif s’appuie notamment sur une critique du modèle concentratif actuel, dont l’étude montre qu’il a des effets, mais pas sur les performances scientifiques (Möller, Torger, Marion Schmidt, et Stefan Hornbostel. « Assessing the Effects of the German Excellence Initiative with Bibliometric Methods ». Scientometrics 109, nᵒ 3 (décembre 2016): 2217‑39).

Une mise en garde depuis Nature.

Cette non prise en compte des connaissances sur les différents modèles de production scientifique est au cœur de la mise en garde que Nature vient d’adresser à la France dans son éditorial du 3 novembre 2020, intitulé « Egalité: France’s research reforms must balance competitiveness with well-being. France must take a harder look at the risks and rewards of its competitiveness agenda ».

Nature alerte sur le coût financier mais aussi humain, notamment sur les plus jeunes, du chemin choisi par la France, alors qu’il est bien connu dans d’autres pays : « The toll on researchers’ health and well-being, especially for those early in their careers, is sadly well documented ». Il dénonce aussi le changement de notre culture de recherche par conformisme plus que par raison : « Unable to persuade the rankers to change their criteria, Sarkozy and Macron opted instead to change France’s research culture ». Il conclut en appellant à revoir ce changement, à considérer la littérature scientifique sur le sujet, et à plutôt chercher un équilibre entre performance et bien-être des chercheurs :

The creation of a new university is rightly a source of pride and achievement for France. Paris-Saclay must fulfil the hopes of a nation and the dreams of its young people. But France’s government needs to take a harder look at its latest competitiveness agenda, now that researchers have had time to study the impacts of such policies elsewhere. It should strive for the best of both worlds: to produce research that benefits society, balanced with support for the well-being of those on the academic front line.

En clair, cet éditorial de Nature, qu’on ne pourrait soupçonner de collusion avec la frange gauchiste des universitaires français, rejoint pleinement les critiques fondamentales adressées à la LPPR par les différents observateurs nationaux.

En conclusion.

Les doutes de l’Allemagne sur le chemin à suivre, comme la critique directe de Nature sur le chemin choisi par la France pour son appareil de production scientifique, constituent des preuves puissantes de l’erreur historique que nous sommes en train de commettre. En y ajoutant les constats précédents sur l’éthique et la défiance, il ne reste plus aucun doute : la LPPR n’est pas seulement vouée à l’échec, elle est surtout une loi dangereuse pour l’avenir de notre appareil scientifique.

Le législateur soucieux de l’avenir de la nation ne peut plus l’ignorer, et ne pourra donc pas adopter cette loi, afin de laisser le temps nécessaire au rétablissement de la confiance, et au choix concerté d’un chemin commun bénfique à la société. 

 

Photo de couverture par CHUTTERSNAP sur Unsplash

 

 

LPPR : bonneteau à l’Assemblée

Le projet de loi de programmation de la recherche (LPPR) a été adopté en première lecture par l’assemblée nationale ce 24 septembre 2020. Les débats ont pu mettre en lumière la perspective d’un bonneteau consistant à financer cette loi grâce à la diminution des cotisations employeurs prévue dans le projet de loi relatif au système universel de retraite. Ce serait donc par un désengagement progressif des retraites des personnels de la recherche que l’Etat pourrait à terme refinancer les travaux de recherche, mais aussi l’ANR et le CIR. Comment cela pourrait se passer concrètement ?

La perspective du financement de la LPPR par un transfert des cotisations employeurs pour les retraites des personnels de l’ESR intrigue. D’abord soutenue par le Groupe Jean-Pierre Vernant, elle a fait l’objet d’insistantes questions de MM. Patrick Hetzel (LR) et Régis Juanico (Soc). Mme. Frédérique Vidal n’a cependant pas souhaité apporter de réponse claire (voir quelques verbatims).

Le bonneteau s’explique ainsi : d’une main, le gouvernement finance effectivement la LPPR ; mais de l’autre, il intègre la fonction publique dans le régime général des retraites. Or, les cotisations employeurs sont beaucoup plus basses dans le régime général : 17% contre 74% actuellement. Ainsi, l’Etat réduirait sa dépense pour le compte d’affectation spéciale pensions (CAS pensions), qui assure l’équilibre des caisses de retraite des personnels de la recherche, dégageant des marges de financement pour la LPPR.

Il faut effectivement reconnaître qu’aucun autre moyen concret de financement n’a été évoqué : ni hausse d’impôt, ni baisse d’une autre dépense. De plus, le caractère progressif de la baisse des cotisations retraites correspond assez bien au caractère progressif du refinancement de la recherche prévu dans la LPPR, lui aussi largement discuté sans que le gouvernement n’apporte de réponse satisfaisante.

Actuellement, les contributions aux CAS pensions sont intégrées aux subventions pour charge de service public (SCSP) que touchent les établissements. Sa compensation en cas de hausse n’est pas automatique. Il faudra vérifier lorsqu’il baisse si les SCSP baissent d’autant ou pas. Si c’est le cas, c’est que ce bonneteau est une réalité.

En attendant, on peut se s’interroger sur la crédibilité d’un scénario dans lequel la recherche gagnerait deux fois : d’abord sur la LPPR, ensuite sur les retraites, sans que le gouvernement cherche à en prendre sa part…

Très concrètement, dans un établissement

Pour comprendre ce que signifie ce bonneteau, prenons l’exemple de l’Université de Strasbourg. Par an, cette dernière reçoit environ 5M€ de l’ANR, dont 600k€ sous forme de préciput. Grâce à la LPPR, elle peut espérer le triplement de cette recette, ainsi qu’une démultiplication du préciput. Elle peut également espérer avoir une cinquantaine de chaires professeur junior (CPJ) financées à hauteur de 200k€ chacune, et une augmentation des primes des personnels qu’on peut estimer à environ 1k€ par personnel. Toutes ces prévisions sont optimistes à très optimistes, mais n’incluent pas d’éventuels autres financements, moins importants.

D’un autre côté, la contribution de l’Université de Strasbourg au CAS pensions est de 94M€. La réforme des retraites devrait faire baisser cette dépense d’au moins une moitié. Attention : cette partie du calcul dépend d’arbitrages qui n’ont pas encore été finalisés. Il convient de la comprendre à titre pédagogique.

en M€ Actuellement LPPR Différence
ANR 5 15 10
Dont préciput ANR 0,6 4,8 4,4
CPJ 0 10 10
Primes 16 21 5
CAS Pensions 94 47 -47
Total -22

En assemblant ces prédictions, l’Université de Strasbourg gagnerait environ 25M€ de LPPR, mais perdrait aussi 47M€ au CAS pensions. Elle perdrait donc en réalité 22M€. Ce calcul est bien sûr théorique, notamment puisque rien n’empêchera le ministère de faire perdre moins que cette somme afin d’entretenir l’illusion pour l’université d’avoir gagné deux fois : sur la LPPR et sur les retraites.

Il est d’ailleurs important de noter le changement de nature des moyens : au contraire des 25M€ gagnés, les 47M€ du CAS pensions perdus n’étaient pas mobilisables par l’université. Réservés pour les retraites, ils ne faisant que transiter dans les comptes de l’université. Cette dernière pourrait donc porter un regard favorable sur cette transformation.

Plus largement

Si on s’extrait du cas d’une université pour regarder le système dans son ensemble, on réalise plusieurs choses.

Les universités seront perdantes…

D’abord, même si le jeu global était à somme nulle, une université ne pourra pas récupérer autant que ce qu’elle perd : une marge est nécessaire pour financer les dispositifs de la LPPR qui concernent les autres opérateurs de recherche, comme le CNRS ou les entreprises qui touchent du CIR.

En effet, la masse salariale, donc l’économie potentielle sur les retraites, est beaucoup plus importante dans le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » que dans le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ». Or, la LPPR prévoit de donner presque deux fois plus au programme 172 qu’au 150 (ce que la ministre semble étonnamment ignorer).

… Mais certaines universités seront plus perdantes que d’autres.

Ensuite, il faut ajouter que la LPPR s’appuie systématiquement sur des financements à la performance ou ciblés. En clair, elle favorise une concentration des moyens sur certains établissements et certains chercheurs : toutes les universités n’auront pas le même nombre d’ANR et tous les chercheurs n’auront pas les mêmes primes.

Ainsi, ce que certains perdront au CAS pension, d’autres le gagneront en financements spécifiques. On imagine sans peine que ce flux partira des petites universités de territoire pour aller dans les grandes universités de recherche, comme il partira des chercheurs les moins en vue pour aller vers les chercheurs jugés les plus performants.

Pour conclure

A ce stade tout porte donc à croire en la réalité de ce bonneteau : par un transfert progressif et modulé par de nombreux arbitrages, l’argent des retraites des personnels de la recherche risque fort de servir à financer leurs travaux de recherche et primes, mais aussi et surtout, les travaux de recherche et primes de ceux jugés plus performants qu’eux. 

Il est difficile de savoir ce que sera l’impact d’une telle manœuvre sur le moral des chercheurs, mais financer l’ANR, les CPJ et le CIR avec l’argent des retraites des fonctionnaires ne pourra que renforcer les tensions qui existent déjà. Hypothéquer l’avenir des personnels pour financer leurs missions immédiates pourrait bien s’avérer une stratégie catastrophique pour la production scientifique nationale à terme. 

Je tiens à remercier Fabrice Planchon pour ses explications sur le CAS pensions et ses conseil de formulation, Florent Figon pour sa relecture globale du billet, et Michael Zemmour pour la réaction suivante.

Précisions de Michaël Zemmour

Michaël Zemmour est Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et bloggeur chez Alternatives Economiques. Il a été très actif dans l’explication de la réforme des retraites à venir.

La baisse de cotisations pour les fonctionnaires est effectivement prévue par la loi, sur une période de transition de 15 ans, permettant à l’Etat de se dégager de la responsabilité du financement des retraites des fonctionnaires : dans le système envisagé, l’Etat ne serait plus tenu d’assurer l’équilibre des retraites publiques, mais simplement de s’acquitter d’une cotisation donnée. La responsabilité de l’équilibre serait alors reportée sur le régime général. C’est clairement un objectif de la réforme.

Cette évolution serait sans doute assortie d’une baisse de la participation financière de l’Etat à hauteur de plusieurs dizaines de milliards. Pour autant il n’est pas certain que cette évolution se solde dans la décennie 2020-2030 par des économies pour l’Etat à hauteur de ce qui est envisagé, et soit donc le canal caché de financement de la LPPR.

Le plus vraisemblable est que pendant une première période, l’Etat verse au système de retraite des compensations financières pour continuer d’honorer les pensions en cours. Il y aurait donc bien un désengagement de l’Etat, mais plutôt par le mécanisme bien connu d’un transfert de charge, accompagné d’une compensation financière qui n’évolue pas au même rythme que la charge.

De plus, il faut rappeler que la réforme des retraites n’est pas encore votée, et que le calendrier de son application n’est pas encore connu. Dans la première version de la loi, la période de transition envisagée était de 15 ans à compter de 2021, mais en toute hypothèse il y aura du retard au démarrage.

Ce qui est sûr, c’est que l’absence de plan de financement complet, aussi bien dans la réforme des retraites (un des gros manques de l’« étude d’impact »), comme dans la LPPR laisse penser que le gouvernement peut se servir de multiples « jeux d’écriture » pour alimenter des effets d’annonce en décalage avec la réalité. Cela pourrait passer par le mécanisme de vase communiquant entre réforme des retraites et LPPR évoqué la semaine passée, ou par d’autres artifices qu’on ne connaît pas.

Cette façon de procéder, et l’absence de réponse du gouvernement ne permettent pas un examen éclairé de la loi par le Parlement.

Quelques verbatims

Première séance du lundi 21 septembre 2020

M. Patrick Hetzel. À cela s’ajoutent les modalités du financement. À combien s’élèvera réellement le budget du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », une fois les effets du compte d’affectation spéciale – CAS – « Pensions » neutralisés ? Il s’agit certes de dépenses de l’État destinées à payer les retraites des chercheurs, mais les laboratoires ne verront jamais ces sommes-là.
En outre, vous nous annoncez des hausses substantielles de budget mais nous savons qu’avec la réforme des retraites, l’État verra ses charges patronales baisser, autrement dit ses dépenses seront moindres. Pour le périmètre de l’enseignement supérieur et de la recherche, ces diminutions de cotisations seront d’environ 20 milliards d’euros sur la période 2021-2030. Or vous ne nous annoncez que 15 milliards pour la recherche sur cette même période. On peut donc légitimement se demander s’il ne s’agit pas juste d’une opération de bonneteau par laquelle l’État réussira à redistribuer moins d’argent à la recherche qu’il n’en récupérera puisque la différence est de 5 milliards d’euros.

Première séance du mardi 22 septembre 2020

M. Patrick Hetzel. Je voudrais surtout profiter de cette occasion pour interroger une nouvelle fois la ministre à propos d’une question à laquelle elle n’a absolument pas répondu depuis le début des débats. Avec la réforme des retraites, la part des charges patronales sera réduite pour passer de 40 % à 30 %. Est-ce cette différence de dix points qui servira à financer le plan que vous défendez ? Nous aimerions obtenir des précisions à ce sujet, sans attendre l’examen du projet de loi de finances.

M. Patrick Hetzel. La lecture des projets gouvernementaux me conduit à revenir sur sujet évoqué en commission : les retraites dont, à terme, la charge serait directement transférée aux établissements. Comment cela va-t-il fonctionner ? Si une partie des moyens alloués servait à financer le compte d’affectation spéciale « Pensions », nous n’aurions affaire qu’à des effets de bonneteau.

M. Régis Juanico. En revanche, madame la ministre, il est important que vous puissiez éclairer la représentation nationale sur un point essentiel, abordé dès hier soir par Patrick Hetzel : oui ou non, le financement de cette trajectoire est-il en partie assuré par la baisse des cotisations de retraite des chercheurs, telle qu’elle résultait des discussions que nous avions eues, en début d’année, autour du feu projet de loi de réforme des retraites ? Cette baisse devait être payée par l’État sur la part socialisée des salaires des chercheurs. L’augmentation des salaires que vous nous présentez n’en serait alors que la conséquence mécanique, représentant 5 milliards d’euros par an.
On le voit bien dans le texte, une partie de cette somme serait reversée sous forme de revalorisation indemnitaire, une autre au budget de l’ANR, une autre encore au CIR. Encore une fois, madame la ministre, il est extrêmement important que vous nous disiez clairement si cette compensation des retraites est intégrée à la trajectoire financière.

Mme Frédérique Vidal. Monsieur Hetzel, si vous voulez vraiment que nous entrions dans une discussion technique sur le CAS – compte d’affectation spéciale – « Pensions », vous ne pouvez pas ignorer que, depuis la loi LRU, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, l’ensemble des salaires relèvent budgétairement du titre 3, ce qui signifie que, si le CAS « Pensions » diminue, les établissements disposeront de plus d’argent. C’est aussi simple que cela.

En apparence rassurante, cette dernière phrase permet en réalité de décrire aussi le bonneteau : « si le CAS pensions diminue », cela permettra de financer la LPPR, qui prévoie que « les établissements disposeront de plus d’argent ».

 

Photo de couverture par mohammed idris djoudi sur Unsplash

LPPR : augmenter les préciputs pour davantage de tensions dans la base

Parmi toutes les façons de financer la recherche, les concepteurs de la LPPR ont préféré les appels à projet aux subventions pour charge de service public (voir « LPPR, le flowchart »). C’est donc l’ANR qui gérera la majeure partie de l’augmentation budgétaire de la recherche. Les financements récurrents seront donc abondés par les préciputs, augmentés pour l’occasion. Cette approche est coûteuse et inefficace, mais permet d’augmenter l’inégalité de la distribution des moyens, tout en déplaçant le centre des responsabilités et des tensions directement sur les chercheurs.

A première vue, le choix de l’ANR pour distribuer les moyens nouveaux prévus dans la LPPR est contre-intuitif. Les plus gros problèmes des chercheurs sont : l’excès d’évaluation, l’excès de temps passés à répondre à des appels à projet, et le défaut de moyens récurrents et de temps pour la recherche (Sociétés Savantes 2019), système mis en œuvre par cette agence. De plus, l’ANR exclut des projets excellents, présente des taux de réussite critiquement bas et un coût de fonctionnement en forte hausse. A tel point qu’au bout de 15 ans de fonctionnement, on est incapable de montrer une analyse coûts-bénéfices favorable (Berson 2020, Dupin et Quirion 2019).

Pourtant, c’est ce système qui a été choisi pour « redonner des moyens à la recherche / ainsi que davantage de financements de base ».

Présentation du projet de loi de programmation de la recherche en Conseil des ministres

 

Si la mise en œuvre des appels à projets en France est coûteuse et inefficaces, elle présente des caractéristiques perçus comme des avantages politiques par rapport à la manière traditionnelle de financer les services publics.

La répartition traditionnelle des financements de base

On peut schématiser la répartition traditionnelle des financements de base (subvention pour charge de service public – SCSP) ainsi :

Flux des moyens dans une répartition par budgets récurrents (type subvention pour charge de service public).

Les moyens sont d’abord alloués par le ministère aux établissements, qui ensuite les répartissent entre laboratoires, au sein desquels ils sont encore répartis entre chercheurs. A chaque niveau, des clés de répartition négociées sont utilisées, et une part peut être prélevée et ciblée, plus ou moins collégialement.

Cette répartition est plutôt rigide : d’abord parce qu’elle s’appuie sur un historique, qui oblige les décideurs à justifier tout changement ; ensuite parce qu’elle vise à couvrir les besoins des missions de service public, qui sont relativement stables et dépendent de critères peu contrôlables comme le nombre d’étudiants.

On peut observer que les tensions pour accéder aux ressources sont réparties à chaque niveau hiérarchique : les présidences d’universités concourent auprès du ministère, alors que les labos concourent auprès des présidences, etc. Les tensions sont montantes, et cela encourage les acteurs à chaque niveau à partiellement collaborer : collectivement, les présidences ont intérêt à établir un rapport de force avec le ministère pour augmenter globalement le budget des universités (Programme 150).

La répartition des financements de base par préciputs

De l’autre côté, on peut modéliser la répartition des moyens par appels à projet/préciputs ainsi :

Flux des moyens dans une répartition par appel à projet et préciputs (type ANR).

On constate que l’orientation des flux est complètement inversée : le Ministère confie les moyens à l’ANR, qui va ensuite décider de financer certains chercheurs, puis un pourcentage de ces moyens, appelé préciput, est transmis au laboratoire/université/hébergeur.

4° L’article L. 329-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 329-5. – Pour tout projet de recherche financé par l’Agence nationale de la recherche dans le cadre d’une procédure d’appel à projets, un montant dénommé “préciput” est attribué aux établissements participant au service public de la recherche qui sont parties prenantes au projet de recherche.

Texte du projet de LPPR

Pour les décideurs, cette répartition est beaucoup moins rigide : d’abord parce que les financements sont très temporaires (~3 ans) ; ensuite parce qu’ils ne visent pas à couvrir des besoins stables, mais à permettre des investissements stratégiques adossés à la performances. Pour être financé, le chercheur doit à la fois proposer un projet dans un domaine identifié comme stratégique par l’Etat, mais qui soit en plus jugé « meilleur » que les autres projets : en moyenne, seulement 15% des projets sont retenus à l’heure actuelle, avec un objectif de 30% dans la LPPR.

Les deux premières caractéristiques, évidentes, sont donc de renforcer le pouvoir de pilotage du haut et d’opérer une répartition plus inégalitaire des moyens, impliquant concurrence et concentration des moyens.

Inversion des tensions et pression aux réponses aux AAP

Mais il existe une autre caractéristique intéressante : l’inversion des tensions. On constate en effet que les présidences perdent tout intérêt à négocier collectivement avec le ministère. Au contraire, elles ont maintenant intérêt à pressuriser les laboratoires pour qu’ils obtiennent plus de financements par projet, lesquels ont intérêt à reporter cette pression directement sur les chercheurs.

Cette pression pourra être très efficacement mise en œuvre grâce à la transformation du périmètre des rémunérations des chercheurs, dont l’indiciaire (à l’ancienneté) est exclu par la LPPR, qui promeut seulement l’indemnitaire (les primes, en grande partie contrôlées par les présidences). Notamment, les primes individuelles d’intéressement pourront être prises à la fois sur les financements obtenus, mais aussi sur les budgets récurrents des établissements, pour servir d’encouragement pour ceux qui obtiennent des financements de projet, mais aussi de sanction pour ceux qui n’en obtiennent pas et verront leur rémunération continuer à fondre avec l’inflation.

Ce type de concentration des moyens peut aller jusqu’à conditionner l’accès aux financements récurrents à l’obtention de financement sur projet. C’est par exemple déjà le cas à Strasbourg, avec le doublement des bourses de thèses obtenues sur projet pour un périmètre institutionnel restreint.

Ajoutons à cela toutes les tensions qui naitrons entre équipes, laboratoires, universités, hébergeurs et tutelles pour obtenir une part de ce préciputs, et dont les négociation devraient être pour l’essentiel renvoyée au terrain, donc à la base (voir « La bataille du préciput »)…

Le financement par appels à projet promu par la LPPR conduira donc les universités et laboratoires à déplacer la responsabilités des moyens reçus, non plus sur le financeur initial (le ministère), mais plutôt sur les chercheurs chargés d’obtenir les financements, dont ils espèrent les préciputs pour obtenir « davantage de financement de base ». Si la ministre estime que cela renforcera la « solidarité entre les chercheurs », en réalité cela encourage plutôt la communauté à se désolidariser, avec un accroissement de la concurrence de tous les acteurs pour l’accès aux moyens pour travailler, mais aussi aux rémunérations.

Les tensions engendrées pourraient représenter des avantages en terme de gestion des universitaires par le haut, mais on peut douter de l’efficacité de cette approche en terme de production de connaissances, donc de recherche.

A défaut de davantage de financement de base, les préciputs permettront d’obtenir davantage de tensions dans la base.

Terminons avec cette description de l’objet du préciput dans la « Charte du préciput  » de l’ANR :

Références

Voir aussi

LPPR : le flowchart

Et le dossier complet :

LPPR : Le projet de loi

LPPR : le flowchart

Le rapport annexe comme l’étude d’impact étant particulièrement nébuleux, il est très difficile de comprendre les raisonnements qui supportent les mesures envisagées dans la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Heureusement, Frédérique Vidal donne plus de précisions sur la logique qui sous-tend cette loi dans un entretien. Une modélisation de cette logique sous forme de flowchart permet d’identifier certaines décisions critiques, conduisant à l’étonnante mise à l’écart des solutions les plus simples, et le développement de solutions complexes et imparfaites.

https://twitter.com/VidalFrederique/status/1273985042637783040

L’argumentaire de la Ministre dans cet entretien part de quatre constats : l’augmentation des rémunération, le besoin de réinvestissement massif, le temps long de la recherche, et la perte de compétences. A partir de là, plusieurs choix conduisent aux mesures de la LPPR : augmentation des primes, chaires de professeur junior, CDI de mission, augmentation de l’ANR et de son préciput, et développement du dialogue stratégique.

On observe d’abord que les mesures proposées sont des solutions partielles, globalement insatisfaisantes puisque chacune renforce au moins un des constats d’origine. Ensuite, on observe que des solutions beaucoup plus globales sont déjà disponibles sans besoin de légiférer : améliorer l’indiciaire, ouvrir des postes au concours, et augmenter les subventions pour charge de service public.

La Ministre développe un argumentaire étonnant quant à l’exclusion de ces trois mesures.

Exclusion des trois mesures les plus évidentes

Améliorer l’indiciaire

L’indiciaire est la manière traditionnelle de fixer les rémunérations des fonctionnaires. C’est la manière la plus simple, puisqu’il s’agit d’une simple multiplication d’un point par un indice se trouvant dans une grille. C’est aussi la manière la plus égalitaire puisqu’elle ne dépend que de l’ancienneté, et la plus collective puisque point et grilles sont communs aux fonctionnaires et aux corps/classe.

C’est donc un système de rémunération particulièrement bien adapté aux missions d’enseignement et de recherche, pour lesquelles il est difficile d’évaluer la performance, imprédictible par nature, surtout de façon individuelle puisque ces missions sont collectives par nature.

Pour exclure cette possibilité, Frédérique Vidal déclare « Je ne fixe pas les grilles indiciaires de la fonction publique ». Cet argument est particulièrement étonnant : personne ne demande à la Ministre elle-même de fixer ces grilles. D’ailleurs, l’Etat est justement engagé depuis 2017 dans un protocole de revalorisation des grilles indiciaires, le PPCR, notoirement peu abouti pour les Enseignants-chercheurs, ce qui démontre que c’est parfaitement possible. Cet argument doit être écarté.

Très étonnamment aussi, l’Etude d’impact de la loi ignore totalement cette possibilité dans les « options possibles », qu’elle doit pourtant présenter de façon « aussi complète, objective et factuelle que possible ».

En se dispensant ainsi de considérer le moyen le plus évident, les rédacteurs limitent leur champ des possibles à des solutions forcément plus compliquées, plus coûteuses, plus individuelles et plus inégalitaires.

Ouvrir des postes au concours

Là encore, il s’agit de la manière la plus simple de conserver les compétences : ouvrir des postes au concours avec les statuts existants, très attractifs compte tenu des taux de pression actuels (1 poste pour 7 candidats : 85% n’auront rien).

Frédérique Vidal commence par justifier la baisse de ces postes ainsi : « Le problème, c’est qu’on a vu le nombre de postes mis au concours diminuer parce que l’augmentation mécanique du coût de la masse salariale absorbait une partie des moyens disponibles. ». Mme Vidal oublie de rappeler que cette situation résulte notamment d’une de ses propres décisions politiques : ne plus compenser du tout cette augmentation mécanique.

Elle indique ensuite que « Le réinvestissement prévu a vocation à inverser la tendance. On aura une augmentation du nombre de postes mis au concours ». Mais cette affirmation est explicitement contredite par l’Etude d’impact : « Compte tenu de l’évolution des départs à la retraite sur les prochaines années, il serait possible de maintenir en flux le nombre actuel de postes mis aux concours et de consacrer tout ou partie du solde à cette nouvelle voie d’accès aux corps de professeurs et de directeurs de recherche ».

D’après l’étude d’impact, l’investissement n’est donc pas pour ouvrir postes au concours, et les effectifs devraient baisser puisque la hausse des départs à la retraites devra servir à financer les nouveaux statuts. La hausse des concours avec les statuts actuels est de plus absente des « options possibles ».

Encore une fois, les rédacteurs se dispensant de considérer le moyen le plus évident pour atteindre leur objectif.

Augmenter les subventions pour charge de service public

L’amélioration de l’indiciaire et l’ouverture des postes nécessitent évidemment une augmentation des subventions pour charge de service public (SPCSP), qui est la source principale et normale de financement pour les laboratoires et universités.

Autre avantage des SPCSP : elles sont naturellement inscrites dans le temps long, abondent presque automatiquement les dotations de base, et sont surtout extrêmement simples à augmenter.

Pour exclure cette possibilité, Frédérique Vidal affirme « La subvention pour charge de service public a été définie il y a plus de dix ans en fonction de comment les universités se présentaient elles-mêmes. Certaines ont mal estimé leur masse salariale à l’époque et se trouvent aujourd’hui en difficulté. Si je continuais dans ce système, alors je donnerais en effet plus à celles qui sont déjà mieux dotées. ». On ne pourra que s’en étonner : les SPCSP sont réévaluées chaque année, 10 ans semble un délais raisonnable pour corriger d’éventuelles erreurs d’appréciation, et rien n’empêche la ministre d’arbitrer en faveur d’un rééquilibrage avec le système actuel. L’argument doit être écarté.

Là encore, l’étude d’impact, ainsi que tous les documents relatifs à la LPPR, traitent les questions de financement en ignorant purement et simplement le moyen principal de financement. En conséquence, la suite est un argumentaire en cascade, imparfait et peu convainquant.

Conséquence : un argumentaire en cascade peu convainquant

Le refus d’augmenter les SPCSP déclenche de nombreux problèmes subsidiaires. La Ministre note par exemple que « les établissements ne peuvent pas titulariser », or « il faut pouvoir proposer quelque chose d’attractif aux chercheurs ».

La ministre propose donc de créer des Chaires de professeurs junior, mais qui représentent une augmentation des coûts, et renforce donc le besoin d’investissement, et par ricochet diminuent le nombre de postes, donc font perdre in fine des compétences.

Elle propose également d’augmenter les budgets de l’ANR. Mais ceux-ci sont par nature temporaires, et ne permettent donc que des « CDD très courts ». La Ministre propose donc un nouveau « contrat qui correspond à la durée du financement », ce qui est contraire à l’inscription de la recherche dans le temps long, et ne résout pas le problème de la perte de compétences.

De plus, l’ANR est par nature distincte des dotations de base. C’est pourquoi la Ministre propose d’augmenter le préciput. Mais cette augmentation déséquilibre les financements entre établissements, allant plus à ceux qui décrochent le plus d’ANR. Pour « rééquilibrer les financements », la Ministre propose alors d’user du « dialogue stratégique », mais ce dialogue dépend de la performance et non des charges de service public. Il faudra donc le dénaturer pour répondre au problème posé.

Conclusion

Cette analyse de l’argumentaire de la Ministre aboutit à la conclusion qu’en se privant des mesures les plus évidentes (indiciaire, ouverture de postes au concours et augmentation des subventions pour charge de service public), la loi est amenée à déployer des mesures beaucoup plus complexes et coûteuses. Surtout, ces mesures ne répondent qu’imparfaitement aux problèmes posés, et en renforcent même certains.

La Ministre refusant de fournir des réponses raisonnables à propos de cette mise à l’écart des solutions les plus simples, nous n’avons d’autres choix que dresser une hypothèse. Le point commun de ces trois mesures est qu’elles renforcent l’autonomie académique : les SPCSP représentent la liberté maximale pour les établissements, et les postes titulaires accompagnés de dotations de base représentent la liberté maximale pour les enseignants et/ou chercheurs. 

Ces solutions vont donc objectivement à l’encontre des intérêts d’un ministère qui souhaiterait renforcer son contrôle sur l’appareil d’enseignement supérieur et de recherche. Cette hypothèse est au moins cohérente avec le constat dressé par le Sénat à propos de la mise en œuvre de la loi LRU : il y a « une part de responsabilité évidente de l’État dans l’incapacité des universités à assumer leurs nouvelles responsabilités dans des conditions optimales ».

Un mot sur l’Etude d’impact

Comme le pointent les confrères d’Académia :

une étude d’impact « s’attache a fournir une évaluation préalable de la réforme envisagée, aussi complète, objective et factuelle que possible », « destinée a éclairer les choix possibles, en apportant au Gouvernement et au Parlement les éléments d’appréciation pertinents ». Elle « ne doit être ni un exercice formel de justification a posteriori d’une solution prédéterminée, ni une appréciation technocratique de l’opportunité d’une réforme qui viendrait se substituer a la décision politique ».

En ignorant purement et simplement les solutions les plus simples et les plus utilisées pour résoudre les problèmes qu’il se pose, le document accompagnant la LPPR et signé par Marie-Anne Lévêque ne peut être considéré comme une étude d’impact.

Plus généralement, ce document impressionne par le nombre des imprécisions et incohérences, conduisant à se demander s’il est simplement bâclé, s’il relève d’une manipulation consciente, ou si défendre les mesures de la LPPR est une tâche en réalité impossible.

Pour seuls exemples, en plus de l’ignorance des solutions existantes aux problèmes présentés :

  • L’argumentaire des Chaires professeur junior s’appuie essentiellement sur l’exemple des carrières allemandes, sans décrire la réalité de ces carrières : « 81% des répondant.e.s disaient regretter leur choix de carrière et chercher le moyen d’en sortir ».
  • L’argumentaire pour les CDI de mission scientifique tient sur un seul argument : « il est plus facile lorsqu’on dispose d’un CDI de contracter un bail locatif ou un emprunt immobilier que lorsqu’on relève d’un contrat à durée déterminée ». Ce n’est pourtant pas ce qu’on constate.
  • De façon plus éclatante encore : les valeurs cibles ne sont même pas des valeurs, mais des images collées sans aucun soin.

Pour d’autres détails, vous pouvez vous référer à ce (très long) thread :

https://twitter.com/JulienGossa/status/1271010159528153088

 

 

LPPR : Le projet de loi

Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPPR) se balade désormais dans les réseaux. Il sera présenté et éventuellement discuté en CNESER le 12 juin, CTMESRI le 17 juin et CTU le 22 juin, donc dans un temps trop court pour permettre une discussion collégiale. Contenant 23 articles sur 26 pages, de nombreux détails nécessiteront une analyse approfondie. Cependant, il confirme désormais ce que Mme. Vidal qualifiait de « rumeurs » et qui a suscité un nombre impressionnant de tribunes à charge au début de l’année : les tenure-tracks à la française, les CDI de mission, le renforcement des primes et de l’évaluation.

Il s’agit ainsi simplement d’une pleine confirmation des nombreuses critiques adressées au ministère et dirigeants de l’ESR français, critiques qui n’ont donc absolument pas été écoutées.

Attention : cet article date de juin, et des modifications ont pu avoir lieu depuis. Pour l’accès aux documents, veuillez consulter le dossier de la CPESR. De plus, la numérotation des articles est celle des versions initiales du projet de loi, qui a été modifiée par la suite ;

Analyse sur les réformes statutaires

Chaires de professeur junior / Tenure-tracks à la française

ARTICLE 3 : Chaires de professeur junior (CPJ)

« Un arrêté ministériel peut autoriser un établissement à recruter, afin de répondre à un besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son attractivité internationale, dans des domaines de recherche qu’il justifie, des personnes titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme équivalent, en qualité d’agent contractuel de droit public en vue d’une titularisation dans un corps de directeurs de recherche. » ou de « professeur »

« dans la limite de 25% des recrutements autorisés dans le corps concerné. »

« La durée de ces contrats ne peut être inférieure à trois ans et ne peut être supérieure à six ans. »

« Ce recrutement est réalisé, après appel public à candidature, à l’issue d’une sélection par une commission »

« Au terme de son contrat, l’intéressé est titularisé / sous réserve de la vérification par une commission de sa valeur scientifique et de son aptitude à exercer les missions mentionnées à l’article L. 441-1. »

Dans l’étude d’impact :

« il n’y a pas de concours avec mise en concurrence mais une procédure d’examen »

« Il permettrait de recruter à un moment plus proche de la thèse, non pas sur les travaux ou publications passés du candidat mais avant tout sur son projet et son potentiel »

« Il prévoit aussi la possibilité d’encadrer des doctorants, avec dispense d’HDR »

« Le coût moyen d’une dotation de démarrage est estimée à 250 000€ pour 3 ans. »

« Compte tenu de l’évolution des départs à la retraite [passant de 1100 à 1800] sur les prochaines années, il serait possible de maintenir en flux le nombre actuel de postes mis aux concours et de consacrer tout ou partie du solde à cette nouvelle voie d’accès »

« le contrat définit un volume raisonnable d’enseignement / qui peut varier au cours du temps »

« tout professeur recruté dans le cadre d’un pré-recrutement conditionnel bénéficiera dès sa titularisation dans son corps d’accueil des garanties d’indépendance des enseignants-chercheurs

Les chaires de professeur juniors sont donc bien des tenure-tracks à la française. Elles sont situées exactement au même niveau que les Chargés de recherche (CR) et Maîtres de conférences actuels (MCF), mais pour un temps très limité (3 à 6 ans), plus proche de la thèse, et dans un cadre extrêmement dérégulées tant au niveau du profilage des postes que du recrutement et de la titularisation.

La limite de 25% s’applique au niveau national, donc certains établissements pourront dépasser cette limite. Or, les CPJ sont conçues pour les établissements dit d’Excellence, et leur distribution sera donc sans doute particulièrement inhomogène. Les universités qui en usent n’auront peut-être en pratique  que la limite financière.

Dotation de démarrage comprise, ces chaires devrait coûter environ trois fois plus qu’un MCF/CR. L’étude d’impact propose de figer les recrutements à leur niveau actuel (particulièrement bas), et d’utiliser les départs à la retraite additionnels pour les CPJ. Il envisage donc une baisse des effectifs EC-C traditionnels.

En outre, les CPJ ne sont soumises ni à qualification, ni à un service d’enseignement de 192h, et sont dispensés de HDR pour l’encadrement doctoral, mais ne jouissent pas de la liberté et de l’indépendance des Maîtres de conférences.

Ainsi, pour les candidats, les CPJ représentent un choix après le doctorat, entre un poste MCF titulaires mal payé et surchargé, mais jouissant de la liberté et de l’indépendance, ou un poste précaire mieux payé et déchargé, mais sans liberté ni indépendance. Il sera rationnel pour l’employeur d’utiliser ces deux statuts pour deux fonctions distinctes : l’enseignement de masse pour les MCF, la production scientifique pour les CPJ. Si absolument rien ne prouve que les CPJ permettront d’« améliorer attractivité des métiers scientifiques », ils risquent fortement de diminuer l’attractivité et les conditions d’exercice des missions des MCF.

CDI de mission

ARTICLE 5 : CDI de mission scientifique

« un agent peut être recruté, pour mener à bien des projets ou opérations de recherche, par un contrat de droit public dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. » / « Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée. » 

«  Le contrat prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’Etat. Il peut être également rompu lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser. »

Dans l’étude d’impact :

« Il a donc été décidé de s’inspirer du dispositif de « contrat de chantier » introduit par la loi PACTE »

« Le CDI de mission scientifique remplacera une multiplicité de CDD pour un coût final quasi-identique. »

Il s’agit là encore d’un contrat extrêmement dérégulé, pouvant être rompu unilatéralement : potentiellement, le projet « ne peut pas se réaliser » pour des raisons budgétaires. Le financeur contrôle donc unilatéralement la durée du contrat, et pourra abandonner l’agent dès lors qu’il aura servi ou ne pourra plus servir, sans justification particulière.

Evaluation

L’évaluation est au cœur des chaires de professeur junior, pour le recrutement et la titularisation, et des CDI de mission, pouvant être arrêtés à tout moment en cas de bons ou mauvais résultats. Mais l’évaluation s’étend aussi sur les établissements :

ARTICLE 9 : Évaluation et contractualisation

« Evaluation et contrôle de la recherche et du développement technologique » devient « Evaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » / « procédures d’évaluation périodique, qui portent sur l’ensemble des objectifs et missions ».

Dans l’étude d’impact :

« l’évaluation aura vocation désormais à porter sur l’ensemble des missions du service public de l’enseignement supérieur »

« L’option retenue consiste donc à préserver la dimension entrepreneuriale dans la composition du collège »

L’évaluation est étendue à toutes les missions, et non plus seulement la recherche et du développement technologique, en préservant une « dimension entrepreneuriale ».

Unités de recherche

Article 10

« Les établissements / peuvent comporter des unités de recherche administrant les dotations globales de fonctionnement et d’équipement qui leur sont allouées par les organes directeurs de l’établissement. »

« Ces unités peuvent relever aussi d’autres établissements »

Il s’agit de la poursuite de la suppression des Equipes d’accueil (EA), mais aussi des Unités mixtes de recherche (UMR), dans la perspective de faire progresser les EPST (notamment CNRS, INSERM et INRIA) vers le rôle d’agence de moyens, et les universités (notamment d’excellence) vers le rôle de gestionnaire des ressources.

Deux billets sur le sujet :

Primes

ARTICLE 14 : Intéressement des personnels

« Les chefs d’établissement des établissements publics à caractère scientifique et technologique sont responsables de l’attribution des primes aux personnels qui sont affectés à leur établissement »

« Le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels. »

Dans l’étude d’impact :

« la phrase se référant à la prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR) est supprimée dans la perspective d’une refonte des dispositifs indemnitaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs, qui se fera par voie réglementaire. »

Il devient possible pour chaque établissement de développer son propre régime indemnitaire, spécifique, fortement dérégulé, et contrôlé par la présidence. En l’absence d’action sur l’indiciaire, cela confirme le le renforcement de l’indemnitaire, qui est contraire aux valeurs du service public et aux intérêts de la science.

Conclusion

Au niveau statutaire, le projet de loi est en tout point conforme aux recommandations des groupes de travail sur la LPPR, contre lesquelles la communauté s’est fortement engagée en ce début d’année.

La dérégulation adossée à l’évaluation est présentée comme seule et unique solution aux problèmes de l’ESR français. Premièrement, il convient de noter que les dérégulations renforcent mécaniquement les pouvoirs de ceux qui en ont déjà, dont font partie les membres des groupes de travail à l’origine de cette loi. C’est ce que l’on désigne traditionnellement par le « Mandarinat ».

Secondement, ce projet de loi confirme l’hypothèse formulée dans ce billet : en renforçant la pression sur des chercheurs dont la situation précaire dépend des résultats scientifiques, on augmente les performances mais au prix d’une augmentation mécanique des inconduites scientifiques :

LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?

Un mot sur les arguments du ministère

Des postes « en plus »

Interrogée sur ce dispositif qui suscite des craintes parmi des personnels ESRFrédérique Vidal, ministre de l’Esri, indique le 08/06 que  « la crainte exprimée était celle d’un remplacement des processus de recrutement actuels par deux autres formes [chaires de professeur junior et CDI de mission scientifique]. Le texte devrait les rassurer, car les chaires de professeur junior viennent en plus de ces recrutements. En outre, des créations au sein des processus traditionnels sont sécurisées et augmentées. »

par NewsTank

Cet argument est débunké dans l’étude d’impact :

« Compte tenu de l’évolution des départs à la retraite [passant de 1100 à 1800] sur les prochaines années, il serait possible de maintenir en flux le nombre actuel de postes mis aux concours et de consacrer tout ou partie du solde à cette nouvelle voie d’accès »

Ainsi, ce ne sont pas les effectifs qui seront maintenus, mais les ouvertures de places aux concours. Or, elles sont aujourd’hui notoirement basses. Les effectifs ne pourront donc que baisser.

De plus, il est impossible pour le ministère de sécuriser et augmenter les créations de postes, en raison des Responsabilités et compétences élargies (autonomie de gestion de la masse salariale). Cela a été prouvé par le passé : « Que sont devenus les « 1.000 emplois » pour les universités ? ».

Des mesures RH polémiques non retenues dans le texte final

Si plusieurs de ces mesures faisaient partie des recommandations du groupe de travail 2 chargé de la thématique « attractivité » et dont le rapport avait été remis au Premier ministre le 23/09/2019, comme les tenure track, les CDI de mission scientifique ou les contrats post-doctorat pour les Epic, en revanche d’autres – et notamment parmi les plus polémiques – ne figurent pas. Parmi elles :

• expérimenter un dispositif d’exemption de la qualification ;
• l’étude de la fusion des corps d’enseignants-chercheurs et a minima la disparition du terme de « maitre de conférences » ;
• mettre fin à la référence aux 192 heures d’équivalent travaux dirigés dans le service des E-C ;
• « professionnaliser les procédures d’évaluation et en faire un des éléments clés de la gestion des ressources humaines ».

par NewsTank

Or, les « chaires professeur junior »  :

  • sont exemptées de qualification ;
  • sont un pré-recrutement PR sans passer par la case MCF et menace donc ce corps tout en représentant une forme de fusion ;
  • n’ont aucune référence aux 192h, et devraient plutôt être autour de 64h ( « un volume raisonnable » selon l’étude d’impact, ce qui tend à dire que 192h n’est pas raisonnable) ;
  • ont l’évaluation pour clé de leur gestion, puisque la non atteinte des objectifs peut mettre fin à la carrière (contrairement aux MCF).

Une logique « de garder des compétences en sécurisant les emplois »

Les craintes exprimées sur les CDI de mission scientifique sont liées « à une forme d’incompréhension », estime Frédérique Vidal, ministre de l’Esri, le 08/06.

« Jusqu’à présent, il n’était pas possible de CDIser des personnes sur des ressources propres, car les fonctionnaires d’État doivent être pris sur les financements pour charge de service public. Cela obligeait les établissements tous les quatre ou cinq ans à se séparer de personnels qui avaient pourtant acquis des compétences dans leurs établissements et qui étaient essentiels à leur fonctionnement. »

par NewsTank

La « fongibilité asymétrique » dont se sert ici la Ministre est une construction, qui peut donc tout à fait être déconstruite. De plus, les « financements pour charge de service public » sont sous la responsabilité de la Ministre. La Ministre utilise donc sa propre décision de fixer des financements insuffisants pour justifier sa décision de créer des statuts précaires adaptés à cette insuffisance.

En effet, jusqu’à présent, il est possible de faire mieux que « CDIser des personnes sur des ressources propres » : titulariser des personnes sur des ressources publiques, gage de l’indépendance nécessaire à la bonne production scientifique.

Parler de « sécurisation des emplois » à propos d’un statut pouvant être arrêté à tout moment par le financeur, de façon unilatérale et sans justification, est une faute d’intégrité.

Un mot sur les contrats doctoraux et post-doctoraux

ARTICLE 4 : Fixer un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral et le contrat post-doctoral

Les contrats doctoraux devraient être désormais ouverts aux entreprises, au delà des CIFRES. Peut-être que cela permettra d’enrayer la chute des effectifs de doctorants sans pour autant augmenter les effets des universités.

« Par dérogation à l’article L. 1221-2 du code du travail, un contrat de travail de droit privé à durée déterminée, dénommé « contrat doctoral », peut être conclu lorsque l’employeur : Confie des activités de recherche à un salarié inscrit dans un établissement d’enseignement supérieur français en vue d’obtenir la délivrance d’un diplôme de doctorat »

« La durée totale du contrat ne peut excéder cinq ans »

Les contrats post-doctoraux est vaguement régulé.

« Les établissements publics / dont les statuts prévoient une mission de recherche peuvent recruter des chercheurs, titulaires du diplôme de doctorat tel que prévu à l’article L. 612-7 du code de l’éducation, par un contrat de droit public dénommé « contrat post-doctoral ». »

Le contrat post-doctoral doit être conclu au plus tard trois ans après l’obtention du diplôme de doctorat, pour une durée maximale de trois ans, renouvelable une fois. »

Un mot sur la « démocratie universitaire »

Le projet de loi comporte de nombreux renforcement du pouvoir des présidences et mandarins.

ARTICLE 16 : Mesures de simplification en matière d’organisation et de fonctionnement interne des établissements

« Dans le cas où le / chef d’établissement /, pour quelque cause que ce soit, / les titulaires d’une délégation donnée par le chef d’établissement restent compétents pour agir dans le cadre de cette délégation »

16-IV : Redéfinir le rôle de la commission de la recherche du conseil académique

« Elle fixe les règles de fonctionnement des laboratoires et elle est consultée sur les conventions avec les organismes de recherche » devient « Elle est consultée sur les règles de fonctionnement des laboratoires. »

16 -V Limitation des élections partielles en cas de vacance tardive

« sauf si la vacance intervient moins de six mois avant le terme du mandat. »
« sauf si la vacance intervient moins de huit mois avant le terme du mandat. »

ARTICLE 19 Ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux

Extension des dérogations des établissements expérimentaux au livre VI du code de l’éducation « L’organisation des enseignements supérieurs » (en plus du livre VII « Les établissements d’enseignement supérieur »).

ARTICLE 8

« Lorsqu’ils sont, préalablement à la date à laquelle ils atteignent la limite d’âge, lauréats d’un appel à projets inscrit dans une liste fixée par décret, les professeurs / peuvent être autorisés à rester en fonctions au-delà de la limite d’âge jusqu’à l’achèvement du projet de recherche »

Un mot sur les fondations

Le projet de loi comporte aussi de nombreux assouplissements pour la collecte de fonds en hors de la dotation d’état.

16-X Simplifier le régime des fondations partenariales

« Par dérogation à l’article 19-7 de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 précitée, les sommes que chaque membre fondateur, personne publique, s’engage à verser ne sont pas garanties par une caution bancaire.  »

« Par dérogation à l’article 19-3 de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 précitée, la fondation peut acquérir ou posséder d’autres immeubles que ceux nécessaires au but qu’elle se propose. »

ARTICLE 16-XI

« Les dons et legs avec charges dont bénéficient l’Institut ou les académies sont autorisés par décret en Conseil d’État. » -> « L’institut et les académies peuvent recevoir des dons et legs. Un décret fixe le montant au-delà duquel les dons et legs avec charges sont autorisés par décret en Conseil d’État. »

Dans l’étude d’impact :

« Il est proposé de supprimer l’obligation de constituer une caution bancaire lorsque le membre fondateur est une personne publique, d’autoriser l’acquisition d’immeubles de rapport. »

Les immeuble de « rapport » sont appelés ainsi car leur seul objet est de « rapporter ». Il s’agit donc d’utiliser les dons et legs aux fondations des universités non pas pour financer la recherche mais pour faire de la spéculation immobilière.

Autres analyses du projet de loi

Une analyse globale de la nouvelle politique de recherche (I) – le contexte idéologique

Sur la LPPR

Avant-projet de LPPR : une gigantesque machine à précariser et à privatiser

Falsifier la démocratie : l’étude d’impact de la LPPR

Les 2 écueils de la loi recherche

LPPR : Loi budgétaire peu ambitieuse pour un darwinisme social inégalitaire

La loi Recherche à la lumière de la crise sanitaire

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Mes autres billets sur la LPPR

LPPR : le flowchart

https://twitter.com/JulienGossa/status/1271010159528153088

Synthèse des rapports :

Rapports des groupes de travail LPPR : synthèse et analyse

A propos du renforcement des présidences-employeurs :

LPPR : Accompagnement RH pour les enseignants-chercheurs

A propos de la différenciation des carrières :

LPPR : Evolution du statut, vers la fusion des deux corps ?

A propos de la compétition :

LPPR : les compétitions de la recherche

A propos de la « modulation des services », absente en apparence de cette loi. En apparence seulement :

LPPR : En finir avec « ce stupide calcul des 192 heures du temps de service »

A propos des performances et de l’inconduite scientifique :

LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?

A propos de l’évaluation :

LPPR : les enjeux de l’HCERES

A propos du Pacte de productivité :

LPPR : le Pacte de productivité, jumeau maléfique de la Loi de programmation pluri-annuelle de la recherche ?

 

LPPR : le Pacte de productivité, jumeau maléfique de la Loi de programmation pluri-annuelle de la recherche ?

« Il y aura des textes forts politiquement, des textes qui viendront avec le « Pacte Productif », par exemple sur la réforme de la recherche et de l’enseignement supérieur » – Emmanuel Macron, Président de la république,11 février 2020

Annoncé en avril 2019, le Pacte productif ambitionne de construire « un nouveau modèle français respectueux de l’environnement pour atteindre le plein emploi ». Pour ce faire, il s’intéresse de près au financement de la recherche mais aussi à l’enseignement.

L’orientation des moyens de la recherche publique vers un développement industriel précis

« La loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis. » – Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, 15 octobre 2019

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Les dix marchés prioritaires du Pacte productif

L’idée est donc de concentrer les moyens de la recherche sur des « chaînes de valeur stratégiques » définies par « la qualité de la base industrielle en France, la situation du marché et les performances de notre recherche ». En clair, il s’agit de concentrer les moyens sur l’innovation à certains secteurs rentables décidés par le haut, au détriment de la recherche en général dont les thématiques sont décidées par le bas.

L’inquiétante disparition de la recherche

La consultation sur le Pacte productif 2025 (Synthèse des contributions, France Stratégie) s’est articulée en 6 thématiques. La thématique portée par Mme Vidal est celle de l’innovation, et la recherche n’apparaît pas malgré sa pertinence dans le sujet, ne manquant pas de faire écho à la suppression initiale

Plusieurs propositions sont faites dans la thématique innovation, toutes allant dans le sens d’un contrôle accru du secteur privé sur le secteur public, telles que :

  • « le doublement de l’assiette qui existe pour la R&D sous-traitée aux organismes publics agréés » pour le crédit d’impôt en faveur de la recherche (CIR) : c’est-à-dire l’augmentation du contrôle des entreprises sur le financement public de la recherche publique ; ou
  • « encourager les chercheurs du public à s’investir dans le monde de l’entreprise ou en partenariat avec lui, notamment en majorant la pondération des activités de création d’entreprise, de consultance ou de dépôt de brevets d’invention, dans l’ensemble des critères retenus pour la progression de carrière » : c’est-à-dire affaiblir les libertés académiques en incitant les chercheurs publics à un rapprochement avec le privé.

Autre témoin inquiétant : alors que les rapports de la LPPR traitent le cas des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines et Sociales (LLASHS) à part puisqu’ils n’entrent pas dans le plan global, le Pacte productivité ne prend pas cette peine et les ignore complètement.

MESRI vs. Bercy : un arbitrage perdu qui pourrait avoir de lourdes conséquences

Globalement, il ressort de l’idée générale du Pacte productif de financer l’innovation, et donc essentiellement le secteur privé, avec les moyens de la recherche publique, y compris de la « recherche d’excellence ». Cela traduirait d’un arbitrage perdu entre le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de le l’innovation de Mme Vidal et le Ministère de l’économie et des finances de M. Le Maire, qui pourrait bien représenter une menace réelle et critique sur l’appareil de recherche public français.

Si la LPPR est « une loi financière » comme l’annonce Mme Vidal, alors un arbitrage perdu avec Bercy pourrait avoir des conséquences beaucoup plus profondes que simplement budgétaires. 

Références

 

LPPR : les enjeux de l’HCERES

« Il y a un choix : la science ouverte n’est pas bonne pour Shanghai. Alors on peut attendre un classement basé sur la science ouverte… Mais bon, en attendant… »

Cette phrase d’un président durant le colloque sur les fusions d’université résumé l’importance de l’évaluation dans notre système de recherche actuel : l’évaluation façonne toutes les stratégies, qu’elles soit individuelles (e.g. choix entre mieux préparer un cours ou mieux boucler un article) ou collectives (e.g. investir dans la science ouverte ou dans le recrutement d’une star).

Aujourd’hui, c’est dans un contexte de profonde transformation de notre système d’enseignement et de recherche, alors que l’évaluation est au cœur de tous les discours, qu’est renouvelé la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).  Deux candidatures se font face :

  • D’un côté Thierry Coulhon, membre des dirigeants des universités depuis le XXe siècle, engagé politiquement à droite, superviseur de la LRU, chargé de la mise en œuvre du grand emprunt, participant à la campagne d’Emmanuel Macron, puis nommé conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation auprès du président Macron : c’est un des architectes du système actuel.
  • D’un autre côté, 2700 universitaires convaincus que cette architecture du système actuel est contraire aux valeurs et intérêts de la science et des universités.

Cet affrontement est très concret, et va conditionner l’évaluation future de notre recherche et de notre enseignement supérieur, donc ses orientations, et donc notre avenir collectif.

L’évaluation, concrètement

Plusieurs critères définissent un système d’évaluation :

  • son sujet :
    • nature : politiques, organisations, projets, ou individus
    • niveau : ministère, agences, territoires, établissements, composantes, équipes, ou individus
  • son type :
    • évaluation formative : le but est d’aider le sujet à s’améliorer
    • évaluation sommative : le but est de prendre des décisions sur le sujet
    • évaluation comparative : le but est de comparer le sujet aux autres sujets équivalent (benchmarking)
  • les mesures :
    • métriques : qualitatives ou quantitatives
    • moyens de mesures : déclaratif, par les pairs, etc.

Sans oublier bien sûr le poids de l’évaluation, ses biais et ses inévitables effets pervers : le risque est grand d’échouer à améliorer, et en réalité de détériorer le sujet avec des évaluations lourdes et mal ciblées. C’est d’ailleurs un constat du système actuel sur lequel s’accord tous les acteurs de la recherche.

Chaque choix fait dans ces combinaisons est un choix hautement politique qui conduira à des conséquences concrètes. Par exemple :

  • une évaluation sommative des individus dans les équipes de recherche sur la volumétrie des publications aura un impact fort sur les stratégies individuelles de publication :
    • une évaluation positive des grands volumes accéléra le rythme de publication et déplacera le curseur vers la quantité au détriment de la qualité, y compris jusqu’à encourager les inconduites ;
    • une évaluation négative des grands volumes ralentira le rythme de publication et déplacera le curseur vers la qualité au détriment de la quantité, y compris jusqu’à encourager l’endormissement.

On est ici dans la question centrale aux discours actuels, et on voit qu’il n’y a pas de bonne solution, simplement un curseur à placer et déplacer selon les objectifs que l’on souhaite atteindre. Mais l’évaluation peut être beaucoup plus large que cette question de la performance en terme publication scientifique. Par exemple :

  • Une évaluation sommative des chercheurs sur les publication des données de recherche aura un impact fort sur le temps qu’ils consacreront à cette tâche.
  • Une évaluation formative des organisations présidences d’université sur la volumétrie des mails échangés dans leur établissement aura un impact fort sur les investissements dans les outils et procédures de communication interne.
  • Une évaluation comparative des conditions de travail des personnels, déclarative, qualitative et par les pairs, aura un impact fort sur les choix de carrière des jeunes chercheurs, et par conséquence sur les stratégies des présidences.
  • Etc.

Si l’évaluation est structurante pour l’enseignement supérieur et la recherche, en réalité, elle n’est ni imposée, ni universelle. Les possibilités sont infinies, et l’évaluation ne doit pas être arbitraire, mais réfléchie, discutée et partagée et ce vis-à-vis d’objectifs eux-mêmes réfléchis, discutés et partagés. 

C’est, d’après moi, tout le sens de cette candidature collective à l’Hcéres : Souhaitons-nous avoir une structuration de l’ESR par le haut et imposée, ou une structuration par le bas et partagée ?

Pour aller plus loin…

Alors même que se discute la LPPR, la présidence de l’HCERES est restée vacante après le départ à la retraite de Michel Cosnard, « une faute inexcusable » pour Sylvestre Huet.

Recherche : qui va désigner les labos perdants ?

 

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est une autorité administrative indépendante régie par l’Article L114-3-1 du Code de la recherche, et dont la charge peut se résumer ainsi : 

– évaluer les établissements d’enseignement supérieur et leurs regroupements, les organismes de recherche, les fondations de coopération scientifique et l’Agence nationale de la recherche ;
– évaluer les unités de recherche à la demande de l’établissement dont elles relèvent, en l’absence de validation des procédures d’évaluation ou en l’absence de décision de l’établissement dont relèvent ces unités de recourir à une autre instance ;
– évaluer les diplômes visés des établissements d’enseignement supérieur ;
– s’assurer de la prise en compte, dans les évaluations des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’ensemble des missions qui leur sont assignées par la loi et leurs statuts particuliers ;
– s’assurer de la valorisation des activités de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle dans la carrière des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
– évaluer a posteriori les programmes d’investissement ainsi que les structures de droit privé recevant des fonds publics destinés à la recherche ou à l’enseignement supérieur.

Remise en contexte et spécialisation

Aujourd’hui, à bien des égards, la massification de l’enseignement supérieur est achevée : d’une dizaine de pourcents de bacheliers dans une tranche d’âge, en un demi-siècle, nous sommes passés à près de 80%, dont beaucoup poursuivent dans l’enseignement supérieur.

Cette massification a été guidée par la croyance dans un cercle vertueux, où l’élévation du niveau de qualification amenait de la croissance économique, qui réinvestie dans l’éducation élevait encore le niveau de qualification, et ainsi de suite.

Or, si le niveau de qualification a augmenté, depuis 20 ans, la croissance n’a plus bougé. Cette croyance est donc naturellement remise en cause, et cette remise en cause s’étend évidemment à la recherche.

Il n’est donc plus aujourd’hui question d’augmenter uniformément le niveau de qualification ou de recherche scientifique sur tout le territoire, mais plutôt de spécialiser tout ce qui peut l’être : spécialiser les établissements (IDEX) comme les parcours des étudiants (Parcoursup).

Cette spécialisation, naturellement, conduit à la spécialisation des formations, établissements et laboratoires. C’est donc une période charnière pour le système d’enseignement supérieur et de recherche national, marquée par la fin de l’uniformité et la mise en œuvre de différenciations. D’un cadre national, nous passons à une multitudes de cadres locaux.

Dans ce contexte, l’évaluation prend une importance toute particulière. Les critères de cette évaluation, la manière de les mesurer, les objets sur lesquels ils portent, et les conséquences de cette évaluation vont définir les futurs contours et objectifs de notre appareil d’ESR.

Actuellement, l’Hcéres « accompagne, conseille et soutient la démarche d’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche en France ». Or, cette approche qualité est obsolète. Elle n’est plus en adéquation ni avec les enjeux, ni avec les techniques d’aujourd’hui. Son principal défaut est de se concentrer sur les performances des enseignants et chercheurs, et d’ignorer les actions de gouvernances. 

Or, les performances de l’enseignement et la recherche sont notoirement difficiles à évaluer. Il en ressort des évaluations lourdes, génératrices de stress, et parfois inutiles puisque en doublon des autres évaluations naturelles à notre activité : celles de nos pairs et de nos étudiants.

Or également, si mesurer les performances des enseignants et chercheurs pouvait faire sens dans un cadre national, c’est beaucoup moins le cas dans le contexte d’une multitude de cadres locaux. Ces cadres consistent en des objectifs différents, mais surtout des organisations différentes, issues de transformations institutionnelles profondes (fusions, regroupement, changement de statuts, etc.). Aujourd’hui, ces nouvelles organisations importent beaucoup plus que les performances des individus travaillant tout en bas de l’échelle. 

Proposition

Face à ces constats, une proposition simple : déporter les évaluations qui pèsent actuellement sur les enseignants et les chercheurs directement sur les organisations locales, des établissements et de leur direction.

Très concrètement, nous savons nécessaires de :

  1. Mettre fin aux évaluations bibliométriques qui ne reflètent en rien les performances des chercheurs et aux évaluations quantitatives de l’enseignement qui ne reflètent en rien l’apport aux étudiants.
  2. Réaliser un profilage des établissements qui permettent aux professionnels comme aux citoyens de connaître les priorité des établissements dans un contexte de forte différenciation. Ce profilage s’appuiera sur :
    1. un travail de fond sur les données ouvertes des établissements, qui doivent être exploitées mais surtout enrichies, conformément à l’Article 1 de la loi pour une république numérique.
    2. un travail d’enquête auprès des personnels des établissements, non pas pour mesurer leur performance, mais pour mesurer la qualité de leurs conditions de travail et surveiller leur moral en période de transformation.
    3. un travail d’audit auprès des directions et services centraux pour évaluer l’adéquation de la gouvernance avec le projet d’établissement, et l’efficacité du support aux missions d’enseignement et de recherche.
  3. Développer de toutes nouvelles mesures, très proches du terrain, telles que :
    1. les taux d’encadrement et de titularité, ainsi que l’adossement de l’enseignement à la recherche ;
    2. l’efficacité des procédures de communication internes : moyens de communications, nombre de mails… 
    3. l’organisation collégiale : efficacité des réunions, transparence des conseils, partage des décisions…
    4. la distribution des moyens : complexité des procédures, transparence des décisions, mesures des répartitions…
    5. etc.

Pour ce faire, il faut s’appuyer largement sur les scientifiques de renom dont notre nation dispose dans les disciplines pertinentes : gestion, sciences politiques, sociologie du travail et des organisations, sciences des données, économie, etc.

L’Hcéres ne doit pas être un outil au service des gouvernants pour les aider à conformer l’Université à ses décisions, mais doit être un outil au services des universitaires pour les aider à conformer les décisions aux besoins de leur mission d’enseignement et de recherche.

Lettre de motivation de la candidature collective

Défendre l’autonomie de la recherche et des formations

C’est peu dire que les réformes de notre système de recherche menées depuis quinze ans au nom de l’excellence n’ont pas eu l’effet escompté. Ambitionnant de renforcer le statut de puissance scientifique de la France, elles n’ont mené qu’au décrochage de la part française des publications mondiales, l’indicateur de performance choisi par les réformateurs eux-mêmes. Il n’y a pas à s’étonner : l’évaluation statistique des politiques publiques montre que la quantité de publications scientifiques est proportionnelle à l’argent investi dans la recherche, mais qu’elle est pratiquement insensible aux réformes structurelles. Or pendant ces quinze ans, l’effort financier s’est focalisé sur une niche fiscale, le Crédit d’Impôt Recherche, destinée à contourner l’interdiction européenne des aides publiques directes aux entreprises. L’évaluation faite par France Stratégie de son intérêt pour la recherche est sans appel : son effet de levier sur l’investissement privé est… négatif.

Les réorganisations de l’Université et de la recherche ont aussi des effets systémiques profonds, mais qui ne sont observables que si l’on s’intéresse au savoir produit et transmis plutôt qu’au dénombrement bibliométrique. Les réformes structurelles ont conduit à une chute de la qualité et du niveau d’exigence de la production scientifique, dont les multiples scandales de fraude ne sont que la partie apparente. Cette crise institutionnelle du monde savant est d’autant plus dramatique qu’elle survient dans une phase de crise sociale, climatique et démocratique dont la résolution passe par la production, la transmission, la critique et la conservation des savoirs.

Parce qu’elle se fonde sur la poursuite de la vérité comme horizon commun, la science suppose l’autonomie des savants, chercheurs et universitaires, vis-à-vis des pouvoirs dont son exercice dépend, qu’ils soient politiques, économiques ou religieux. Cette liberté académique ne doit pas être pensée comme une absence d’entraves mais comme une liberté positive, garantie par des moyens effectifs. Le sursaut passe par la réaffirmation des conditions pratiques de cette autonomie.

La première condition est budgétaire : pour encourager l’inventivité et la création, il est indispensable de doter la recherche de financements récurrents, en rupture avec le formatage bureaucratique de la science par des “appels à projets” court-termistes, qui encouragent le conformisme et la recherche incrémentale.

La deuxième condition tient à cette autre ressource préalable à la recherche : le temps. Pour maintenir la biodiversité nécessaire à un écosystème de recherche florissant, il est nécessaire de garantir statutairement la possibilité du temps long. La sélection spencérienne promue en haut lieu, faite de fragmentation et de contractualisation généralisée des statuts, tue cette diversité et entretient la crise qualitative. La solution passe par un recrutement de qualité lié à des postes pérennes, condition de l’attractivité pour les jeunes chercheurs comme pour les personnels techniques, de façon à irriguer sans cesse le système d’idées et d’aspirations nouvelles.

La troisième condition est de réduire la division du travail savant, ce qui exclut la séparation entre des managers de la recherche exerçant le pouvoir, et des chercheurs et universitaires dépossédés et devenus de simples exécutants, séparation qui constitue la définition stricte d’une bureaucratie. Il est indispensable de procéder à un audit des structures empilées depuis quinze ans et au chiffrage de leur coût de fonctionnement afin de libérer des moyens en supprimant des strates inutiles, voire nuisibles.

Sur le plan des pratiques, l’exigence et l’originalité des travaux scientifiques sont garanties depuis des siècles par une norme, celle de la controverse collégiale (la disputatio des classiques) : la discussion contradictoire et libre au sein de la communauté des pairs. Ce principe de gratification sociale fondée sur la reconnaissance de la valeur intellectuelle des travaux est irréductible à une “évaluation” managériale dont les fondements reposent sur un système de normes quantitatives externes, déterminées par les intérêts d’investisseurs : toute métrique normative cesse vite d’être une simple mesure pour devenir elle-même l’objectif à atteindre. Obligation doit donc être faite à tout comité de suivi, de recrutement ou de promotion de baser ses délibérations sur la lecture des travaux, et non sur l’évaluation quantitative. Pour que ce soit faisable et probant, le nombre de travaux soumis à examen doit être limité drastiquement.

L’autonomie du monde savant nécessite enfin de ré-instituer des normes de probation scientifiques exigeantes, prenant en compte les spécificités contemporaines. Il est urgent de restituer aux communautés de chercheurs le contrôle des revues scientifiques, et de destituer l’oligopole de l’édition sur lequel se fondent techniquement et économiquement les politiques d’évaluation actuelles.

Pour procéder à ces réformes, nous nous portons candidats à la présidence de l’institution en charge de définir les normes et les procédures qui régulent, organisent et déterminent la production savante : le HCERES. Notre candidature collective vise à renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité des savants qui fondent la science. Il ne saurait y avoir d’administration distincte dotée d’un « président » pour superviser ces pratiques : c’est l’ensemble du corps savant qui doit présider à l’évaluation qualitative de sa production.

Sans recherche autonome, nous n’avons pas d’avenir.

LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?

Emmanuel Macron, lors de la cérémonie des 80 ans du CNRS, a déclaré : « quand on évalue et que l’évaluation est pas au rendez-vous, on peut pivoter les choses. Tous les, je sais pas, 3 ans, 4 ans » et « l’idée, en effet, c’est de développer des CDI de projet, qui permettent d’avoir cette flexibilité ». La conjonction de ces deux mesures crée un contexte propice à la pressurisation des jeunes chercheurs, qui conduit mécaniquement aux inconduites scientifiques. Mais peut-être est-ce une décision rationnelle ?

Ainsi, dans le nouveau système de recherche envisagé par la LPPR, l’évaluation des projets, par ricochet, conditionne la durée des contrats des jeunes chercheurs. En clair, une mauvaise évaluation du projet, ou un changement de priorité politique, peut conduire à la fin prématurée du CDI de projet.

Pour le jeune chercheur, cela signifie la perte de ses revenus, donc de sa capacité à se loger et ne nourrir. Il s’agit d’une augmentation sans précédent de la pression à la réussite sur ses épaules.

Pour éviter d’en arriver là, dans une contexte de forte concurrence, le jeune chercheur aura objectivement et mécaniquement intérêt à exagérer la porté de ses travaux, à prendre des raccourcis, à ne pas perdre trop de temps à mettre en ligne ses données et vérifier ses résultats, voire intérêt à les embellir. Ces inconduites scientifiques sont souvent faites sans intention maline, simplement par négligence ou nécessité.

Or, les plus grands facteurs de nécessité dans la recherche sont les échéances et les évaluations, qui sont précisément les deux piliers de ces mesures. Cet encouragement structurel à l’inconduite scientifique est afférant donc à ce système de carrière et d’organisation du travail de recherche, mais peut-on lui trouver une justification rationnelle ?

L’hypothèse de la programmation de l’inconduite scientifique

Lorsqu’un élève dans une classe décroche et s’effondre dans le classement, il fait face à un choix :

  • soit ignorer le classement, et se trouver d’autres motivations et mesures de son activité, ce qui nécessite maturité, conscience, assurance et courage pour expliquer et assumer sa démarche ;
  • soit faire en sorte de remonter dans le classement, ou du moins de limiter la chute, ce qui nécessite soit d’augmenter substantiellement ses efforts, soit de tricher aux évaluations.

Or, si l’on en croit les rapports, la France s’écroule dans les classements scientifiques internationaux, mais il n’existe aucune trace d’un effort pour développer d’autres motivations et outils de mesures. Il est donc clair que la LPPR n’a pas le courage de s’inscrire en dehors des cadres des classements. Il est également clair que l’état de fatigue des chercheurs allié à l’austérité budgétaire ne permettra pas d’augmenter substantiellement l’effort de recherche.

Reste donc la triche aux évaluations.

Sous cet angle, la proposition évaluation + CDI de projet fait tout à fait sens : l’idée est d’encourager les jeunes chercheurs à considérer que la performance est prioritaire sur l’étique scientifique, afin de limiter la chute dans les classements internationaux. 

Un peu de cynisme

Ce « pour manger, il faut trouver », version scientifique du « no free lunch », est déjà en œuvre dans les pays étrangers, sans réelle conséquences négatives, sinon la destruction de plusieurs pans scientifiques, ce qui n’est de toutes façons jamais évalué.

Et puis, nous restons assez raisonnables, nous n’allons pas non plus complètement jusqu’à mettre en place un programme de co-signatures obligatoires ou assumer publiquement un programme de primes à la publication. Ça n’est tout de même pas de notre faute si certains individus se comportent mal. C’est même inévitable, ça a toujours existé. Ceux qui se font prendre, c’est qu’ils n’étaient pas si bons que ça. On a mis en place des comité d’étiques et formations doctorales, que voulez-vous qu’on fasse de plus ?

Finalement, nous ne faisons qu’améliorer un peu les performances en affaiblissant un peu le niveau de protection des chercheurs, qui sont, en France, vraiment très protégés. Et ce n’est certainement pas en attendant qu’il trouvent ce qu’ils ont bien envie de chercher qu’on va créer de la croissance dans les deux prochaines années.

Surtout cela fera plaisir aux présidents d’université qui réclament depuis si longtemps de récupérer le contrôle de leur masse salariale ! Un peu d’ordre dans ces grands établissements ne fera pas de mal.

¯\_(ツ)_/¯

Pour aller plus loin…

(00:38) « Donc ce qu’il faut réussir à faire, c’est dégager plus de marges de manœuvre sur des projets où on se donne un peu plus de temps et de la visibilité pluriannuelle, qui sont plus différenciants, mais où on assume aussi que, quand on évalue et que l’évaluation est pas au rendez-vous, on peut pivoter les choses. Tous les, je sais pas, 3 ans, 4 ans, en fonction de la structure du projet. »

(00:46) « Et au fond, comme sur beaucoup d’autres sujets, le système français, il est ou statutaire ou précaire. Mais il n’y a pas de continuum. Et parce qu’il est statutaire pour certains, on l’a ajusté à la marge avec de l’hyper-précarité. Et donc ça crée de la désincitation parce que les gens ne veulent plus d’hyper-précarité et puis il y a pas de passerelle entre les deux.

Et donc ce qu’il faut qu’on arrive à créer, c’est un continuum, c’est-à-dire un parcours pour les gens, pour qu’ils passent de l’un à l’autre. Et donc, l’idée, en effet, c’est de développer des CDI de projet, qui permettent d’avoir cette flexibilité.

Alors, « flexibilité », c’est souvent vu comme un gros mot. Mais quand on passe d’un CDD d’un an, et que, comme vous le dites, c’est pas possible de faire du concours, avoir des contrats, 3 ans, 6 ans, 9 ans ou plus, ou du vrai CDI, le temps que le projet vit, est une avancée. »

– Emmanuel Macron, Cérémonie des 80 ans du CNRS, 26/11/2019

Un argument de déprécarisation peu solide

Il est fort étonnant d’entendre que le CDI de projet serait une forme de déprécarisation. En effet, les contrats précaires actuels (ATER et post-doc) ne sont pas conçus pour réaliser des projets, mais pour faire un joint entre la fin de la thèse et l’éventuel poste. Ils sont orientés carrière, et non réalisation. En réalité, leur temps court protège les jeunes docteurs, qui, en cas de pénurie de poste, sont conduits à trouver un emploi ailleurs que dans la recherche à un âge où c’est encore possible.

Entre la thèse et le poste de professeur des universités, la durée de 9 ans correspond beaucoup plus à l’étage maître de conférences qu’à l’étage ATER/post-doc, du moins dans l’idée actuelle du système.

Enfin, l’argument de déprécarisation est d’autant plus étonnant que la durée du CDI de projet est conditionnée à la durée projet, qui est -dans la même démonstration- peut être révisée avant sa fin selon les évaluations.

L’argument de déprécarisation est donc très peu solide, et il faut chercher ailleurs la raison de ce CDI de projet.

La voix des dauphins

(00:37) « Ce qui est sûr, c’est que c’est pas à moi de l’évaluer. C’est à des gens compétents […] c’est-à-dire, sans doute, avec les meilleurs de la discipline, sans doute en mobilisant aussi les meilleurs scientifiques sur le plan international »

– Emmanuel Macron, Cérémonie des 80 ans du CNRS, 26/11/2019.

Ce passage fait étrangement écho à cette citation :

« Enlevez à leurs laboratoires les savants les plus actifs et nommez-les membres de ces comités. Prenez les plus grands savants du moment et faites-en des présidents aux honoraires de 50 mille dollars par an. »

– Léo Szilard, « La voix des dauphins », 1962.

Et voici l’explication que donnait l’auteur à cette mesure :

« – Il me semble que vous devriez expliquer à Mr. Gable comment cette fondation retarderait le progrès de la science, fit un jeune homme portant lunettes assis à l’autre bout de la table, et dont je n’avais pas saisi le nom quand on me l’avait présenté.

– Cela me paraît évident, dis-je. D’abord les meilleurs savants seraient enlevés à leurs laboratoires, et passeraient leur temps dans les comités à transmettre les demandes de subvention. Ensuite, les travailleurs scientifiques impécunieux s’appliqueraient à résoudre des problèmes fructueux qui leur permettraient presque certainement d’arriver à des résultats publiables. Il est possible que la production scientifique s’accroisse énormément pendant quelques années. Mais en ne recherchant que l’évident, la science serait bientôt tarie. Elle deviendrait quelque chose comme un jeu de société. Certains sujets seraient considérés comme intéressants, d’autres non. Il y aurait des modes. Ceux qui suivraient la mode recevraient des subventions, les autres, non. Et ils apprendraient tous bien vite à suivre la mode. »